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Le régime de croissance extensif tiré par les exportations

Introduction du second chapitre

1.2. Un régime de croissance tiré par les exportations et une régulation administrée

1.2.2. Le régime de croissance extensif tiré par les exportations

L’extension à 12 miles et la fin de la première Guerre de la morue ont permis d’augmenter la part des prises de poissons réalisées par des navires islandais en Islande au cours de la décennie 1960 (figure 7).

Source : Auteur. Données : Sea Around Us

Cette première réappropriation des ressources maritimes va alimenter une forte croissance entre 1962 et 1966 (figure 8). L’essoufflement des prises dans la seconde moitié de la décennie 1960 entraîne un ralentissement de la croissance islandaise, puis une récession à partir de 1968 (Agnarsson, Árnason, 2003, p. 9). Comme le notait déjà très justement Germe, « un maintien de l'activité suppose que les réserves de poisson s'accroîtront, d'où la politique nationaliste des eaux territoriales » (1967, p. 48).

186 Celui-ci considère, dans une perspective teintée de théorie des jeux où les pays cherchent à maximiser le revenu

national, que dans les conflits entre grand et petit pays, le grand pays va, en général, déserter (« defection »), tandis que le petit pays va chercher à coopérer. Cependant, le cadre de Conybeare est un cadre d’analyse de conflits bilatéraux, d’où son incapacité à prendre en compte le rôle des tierces parties dans les guerres commerciales.

30 40 50 60 70 80 %

Figure 7 : Part des prises islandaises dans le total des prises réalisées en Islande (1950 - 1970)

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Source : Auteur. Données : Banque Mondiale

La décennie 1970 va être marquée par deux nouvelles extensions unilatérales qui correspondent au déclenchement de la seconde (1972-1973) et de la troisième (1975-1976) Guerres de la morue. En ce sens, le régime de croissance islandais est « extensif », c’est-à-dire que le modèle de croissance repose sur l’extension d’un secteur moteur qui, après avoir surpassé les secteurs anciens, étend sa logique de fonctionnement, sans changement majeur des techniques de production et de la structure productive du pays.

Nous avons mentionné précédemment les enjeux des extensions islandaises sur le plan du droit international, et notamment l’échec de la CNUDM 1 à proposer une codification consensuelle du droit de la mer. Une seconde CNUDM s’était tenue en 1960 et n’avait pas apporté davantage de solution, la majorité des deux tiers n’étant toujours pas atteinte187. Au

terme de la seconde Guerre de la morue, faisant suite à l’extension islandaise de 1972 de 12 à 50 miles, c’est-à-dire en novembre 1973, un accord est conclu entre les britanniques et les islandais qui les autorisent à pêcher pendant deux ans dans certaines zones concernées par l’extension. Pourtant, les britanniques continuent à ne pas reconnaître l’extension islandaise sur le plan juridique. C’est dans ce contexte que la CNUDM 3 est mise en place à partir de 1974. Il ressort de la première session de la CNUDM 3 que non seulement la tendance vers l’extension

187 Le Major Behuniak note que la règle traditionnelle des 3 miles est fortement remise en cause. Il précise : « in

fact, the specific territorial claims of members of the international community reveal a prounouced trend toward 12-mile territorial seas » (Behuniak, 1978, p. 119). Il dénombre (ibid, p. 120), parmi les 103 pays participants à la conférence, 33% qui réclament une limite de 12 miles contre 25% favorables à la limite de 3 miles Dans ces conditions, aucune des deux principales options n’arrive à obtenir la majorité des deux-tiers nécessaire à leur adoption -6 -3 0 3 6 9 12 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 %

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des eaux territoriales se maintient, mais qu’elle s’amplifie, dans la mesure où de nombreux pays revendiquent maintenant une limite à 200 miles. En ce sens, au lancement de la CNUDM 3 en 1974, l’extension de 1972 à 50 miles semble a posteriori raisonnable. Sur le plan strictement légal elle est en revanche contestable car dépassant les 12 miles tolérés par la communauté internationale. Le Royaume-Uni et l’Allemagne de l’Ouest saisiront la Cour Internationale de Justice, qui considèrera dans un arrêt de 1974 que « la notion de droits préférentiels des États riverains est de plus en plus largement acceptée, en particulier pour les pays ou territoires se trouvant dans une situation de dépendance spéciale à l'égard de leurs pêcheries côtières »188. Cette position mesurée, dans laquelle la Cour a refusé de considérer la règle des 12 miles comme encore applicable, va dans le sens de l’Islande. La limite des 12 miles apparaît aux yeux des commentateurs de l’époque comme une « règle en voie de disparition » (Favoreu, 1974, p. 276).

Dans ces conditions favorables, l’Islande effectuera dès la fin de l’accord de deux ans avec les britanniques une nouvelle extension, fixant en 1975 la limite de ses eaux à 200 miles. Cette extension, finalement reconnue en 1976 par les britanniques, deviendra in fine le nouveau standard international. En effet, au terme de plusieurs sessions constituant un processus de 22 ans, la CNUDM 3 s’achève en 1982 avec la convention de Montego Bay. Celle-ci apporte enfin une codification du droit de la mer, aboutissant en ce sens le projet entamé par l’ONU en 1949. La convention de Montego Bay fixe la limite des eaux territoriales à 12 miles. Dans cette zone, l’État côtier peut exercer sa souveraineté pleine. Au-delà de cette zone, l’État côtier exerce une souveraineté limitée ; le droit international s’applique et encadre cette souveraineté. La Convention de Montego Bay crée alors (article 55) le principe des Zones Economiques Exclusives (ZEE) s’étendant à 200 miles. Sur cette espace, l’État côtier conserve une souveraineté pleine sur l’exploitation des ressources (article 56). Au terme de ces extensions, l’Islande dispose d’une ZEE de plus de 750.000km², soit plus de sept fois la superficie de son territoire émergé. Les extensions à 50 puis à 200 miles vont permettre d’enclencher un nouveau cycle de croissance à partir de 1975 et jusque dans les années 1980 (figure 9).

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Source : Auteur. Données : Banque Mondiale

Les extensions successives ont donc alimenté des cycles de croissance : un premier fait suite à l’extension à 12 miles en 1961 et s’épuise en 1967, tandis que le second correspond aux extensions à 50, puis 200 miles, et donne à voir un cycle de croissance soutenue entre 1975 et 1982. On constatera par la même occasion qu’à partir de la fin de la troisième Guerre de la morue, les prises dans les eaux islandaises sont presque totalement le fait de la flotte islandaise (figure 10). Le processus de réappropriation de la rente tirée des produits de la mer est arrivé à son terme (Fawaz, Malherbe, 2021).

Source : Auteur. Données : Sea Around Us -3 0 3 6 9 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 %

Figure 9 : Taux de croissance du PIB réel islandais (1975 - 1983)

0 20 40 60 80 100 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 %

Figure 10 : Répartition par pays des prises réalisées en Islande (1970 - 1983)

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Les extensions des eaux islandaises, telles qu’elles ont été réalisées dans le cadre des Guerres de la morue, ont donc permis de soutenir un régime de croissance extensif, intrinsèquement instable et qui tend à s’épuiser de lui-même. La « première régulation », en ce qu’elle est fondamentale, consiste à étendre les eaux sur lesquelles l’Islande revendique une souveraineté afin de permettre le développement du secteur des pêcheries. Ces extensions permirent une hausse du volume des prises islandaises de 278,8% entre 1950 et 1980, soit une croissance annuelle moyenne des quantités pêchées de 4,54%189. Une « seconde régulation », seconde en ce qu’elle est complémentaire, renvoie quant à elle aux ajustements monétaires qui caractérisent la période. On peut qualifier le mode de régulation d’ « administré » en ce que la puissance publique contrôle les deux aspects essentiels de celui-ci. Nous allons voir comment la crise de 1982 fait entrer ce mode de régulation en crise.

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