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Le contexte politique national et international

Introduction du second chapitre

2. Le tournant libéral des années 1990 et la redéfinition du mode de développement islandais

2.1. Un mode de régulation fondé sur les mécanismes de marché

2.1.1. Le contexte politique national et international

Le régime de croissance fondé sur les exportations des produits tirés de la pêche avait bénéficié du contexte international de la Guerre froide, tout particulièrement dans les conflits islando-britanniques connus sous le nom des Guerres de la morue. Au moment où le mode de régulation et le régime de croissance sont entrés en crise, c’est-à-dire à la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’évolution du contexte international va à nouveau être structurante dans l’émergence du nouveau mode de développement. Les années 1980 sont caractérisées sur le plan international par l’affaiblissement progressif du bloc soviétique vis-à-vis de son rival américain. La chute du mur en 1989 puis la dislocation de l’URSS, entamée en 1990 et achevée en 1991, bouleversent l’équilibre des puissances à l’échelle mondiale. Avec Reagan et Thatcher, c’est un virage néolibéral qui s’opère progressivement à partir des années 1980, virage qui peut être analysé comme une tentative de réinstauration d’une régulation concurrentielle du capitalisme, au terme de la période de régulation administrée qui avait caractérisé les années 1950-1980. Autrement dit, sur le plan international, l’antagonisme entre systèmes socialistes et capitalistes s’amenuise à la fin des années 1980, et c’est un capitalisme dans lequel l’État se désengage de l’économie qui se profile dans la plupart des pays occidentaux.

Historiquement, le capitalisme islandais était dominé sur le plan économique par un groupe de quatorze familles, connu sous le nom d’Octopus (Wade, Sigurgeirsdóttir, 2010, p. 10), très proche des réseaux politiques, notamment du parti principal qu’est le PI. Ce parti de centre droit était dominé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale par une ligne politique « libérale-sociale », favorable au capitalisme certes, mais protectionniste, nationaliste et laissant une place à l’État-providence. Certains observateurs parlent d’une division interne au PI entre cette première frange, constituée de « tenants de l’économie sociale de marché », et des « libéraux purs et durs » (Mer, 1994, p. 44). Ces derniers se renforcent dans les années 1970, avec l’affirmation progressive d’une frange « libérale-orthodoxe », regroupée autour du Locomotive Group (Eimreiðarhópurinn). Avec le Locomotive Group, c’est une nouvelle

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élite politique, plus jeune et plus internationalisée, qui est en train de naître. Cette nouvelle tendance au sein du PI rejette, du moins dans le discours, le clientélisme qui caractérise jusqu’alors les liens entre élites économiques et politiques ; elle souhaite faire du PI un parti « programmatique », c’est-à-dire porté par une idéologie, qui soit ouvertement orienté vers le néolibéralisme (Mjøset, 2011). Pour autant, les néolibéraux du PI conservent des liens privilégiés avec l’Octopus sur le plan économique (Bergmann, 2014). Initialement, le Locomotive Group renvoie à un groupe d’étudiants, inscrits notamment en droit et en gestion d’entreprises, qui publient un petit journal et cherchent à diffuser les thèses libre-échangistes à partir de 1972. En 1979, le groupe publie un livre intitulé The Revolt of Neoliberalism (Uppreisn

frjálshyggjunnar), contenant des essais rédigés par des membres qui deviendront des membres

éminents du PI (Ólafsson, 2016, p. 61). Kjartan Gunnarsson, jeune avocat et éditeur de l’ouvrage en question, deviendra l’année suivante (en 1980), le directeur exécutif du PI, et conservera ce poste jusqu’en 2006. Hannes Hólmsteinn Gissurarson, alors étudiant, est l’un des auteurs de l’ouvrage. Il deviendra par la suite l’un des fondateurs de l’Oxford Hayek Society, puis un membre du directoire de la Société du Mont Pèlerin. Devenu professeur de théorie politique à l’Université d’Islande, Gissurarson incarne les fondations idéologiques du Locomotive Group.

Au-delà de la diffusion des idées néolibérales192, le groupe cherche dès les années 1980

à influencer la ligne du PI. Dans le contexte de fort ralentissement de la croissance et de montée du chômage à la fin des années 1980 et au début des années 1990, le Locomotive Group va se présenter comme la force politique modernisatrice, à même de faire prendre à l’Islande le virage néolibéral. Cette nouvelle tendance interne au PI va évincer la branche clientéliste-populiste, notamment Albert Gudmundsson, figure historique du PI. Ce dernier formera le Parti des Citoyens (Borgaraflokkurinn) en 1987 (Jakobsson, Halfdanarson, 2016, p. 93). Sur le plan politique, c’est le nom de David Oddsson qui, au sein du Locomotive Group, va retenir le plus notre attention. Juriste de formation, il devient maire de la capitale entre 1982 et 1991 sous la bannière du PI. Il prend la présidence du parti en mars 1991, alors en compétition avec Thorsteinn Palsson (un autre membre du Locomotive Group193), et restera à sa tête jusqu’en

192 « During the 1980s the Icelandic neoliberals worked hard to increase the influence of neoliberal ideas, with

publications of articles, books and journals and by importing most of the leading world authorities of neoliberalism for lecturing, including Friedrich von Hayek, Milton Friedman, James Buchanan and ending with Arthur Laffer » (Ólafsson, 2011, p. 24).

193 Il est d’ailleurs intéressant de noter que Gissurarson, lui-même membre, considère dans une conférence de 2013

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2005. Un mois et demi après avoir pris le contrôle du parti, il accède au poste de Premier Ministre d’Islande à la suite des élections d’avril 1991.

C’est donc autour du PI et dans une idéologie néolibérale assumée que va se dessiner le nouveau mode de développement à partir de 1991. David Oddsson restera aux commandes du pays jusqu’en 2004, à la tête de quatre coalitions successives, d’abord avec les Sociaux- Démocrates (1991 – 1995) puis avec le Parti du Progrès (1995 – 2004). En quittant le poste de Premier Ministre en 2004, son Ministre des Affaires Etrangères (Halldor Asgrimsson) lui succède, puis cèdera lui-même le poste en 2006 au Ministre des Finances (en place depuis 1998), Geir Haarde, « protégé » de David Oddsson au sein du Locomotive Group (Wade, Sigurgeirsdóttir, 2010, p. 12). Celui-ci restera au pouvoir jusqu’en janvier 2009, moment où il sera poussé à la démission à la suite de la crise bancaire traversée par l’Islande194. Ces éléments de contexte intérieur visent à insister sur la forte continuité qui a prévalue dans la politique économique islandaise à partir de 1991, et ce jusqu’à l’éclatement bancaire de 2008. Au cours de cette période, le mode de développement va être profondément restructuré. En premier lieu, ce sont les mécanismes de régulation qui vont être modifiés dans la décennie 1990, pendant que sont posés les jalons d’un nouveau régime d’accumulation tiré par la finance qui ne s’exprima pleinement qu’au début du nouveau millénaire.

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