• Aucun résultat trouvé

Le passage à une régulation concurrentielle

Introduction du second chapitre

2. Le tournant libéral des années 1990 et la redéfinition du mode de développement islandais

2.1. Un mode de régulation fondé sur les mécanismes de marché

2.1.2. Le passage à une régulation concurrentielle

La crise du mode de développement que connaît l’Islande à la fin des années 1980 va déboucher en premier lieu, dans le cadre du processus de désinflation lui-même, sur la signature, en février 1990, d’un accord concernant le marché du travail. Accord que certains considèrent comme révolutionnaire (Andersen, M. Gudmundsson, 1998, p. 15 ; Pétursson, 2002, p. 21). Ólafsson, (2011a, p. 18) évoque un « pacte social révolutionnaire contre l’inflation », et l’on se réfère en général à ce pacte sous le nom de Þjóðarsáttin, littéralement « Pacte National » (Bergmann, 2014, p. 43). L’engagement consistait à limiter la hausse des salaires à un total de 10.5% sur une période d’un an et demi ; en d’autres termes, il s’agissait de négocier une hausse des salaires qui n’excède pas 7% par an dans un pays où le taux

l’opposition entre Oddsson et Palsson indique que le groupe était varié et atteste du caractère « innocent », « idéaliste » (sic) de celui-ci. Il y aurait pourtant lieu de penser qu’une telle configuration (Oddsson VS Palsson) ne laisse, en 1991, d’autre option que de mettre à la tête du PI un membre du Locomotiv Group.

194 Après avoir quitté le poste de chef du gouvernement en 2004, David Oddsson devient quant à lui Gouverneur

167

d’inflation annuel était alors aux alentours de 20%. Malgré un taux de syndicalisation élevé (figure 13) et des conséquences fortes en matière de chômage ainsi que de salaires réels, le « Pacte National » permit de réduire les tensions inflationnistes sur le long terme, en brisant brutalement la spirale entre inflation et salaires nominaux.

Source : Auteur. Données : Organisation de Coopération et de Développement Economique195

La faible inflation de la décennie 1990 doit beaucoup à l’implication des syndicats dans le programme de stabilisation monétaire, qui ont concédé des baisses de salaires réels. La Fédération Islandaise du Travail (ASI), représentant les travailleurs, et la Fédération Islandaise des Industries (SI), représentant le patronat, négocièrent à partir de la crise de 1988, renouvelant le syndicalisme islandais et modifiant durablement la stratégie de l’ASI. Les syndicats islandais sont historiquement actifs et combatifs en comparaison à leurs voisins nordiques. Macheda (2012, p. 445) montre par exemple qu’en Islande le nombre annuel de jours de grève pour 1000 employés était en moyenne de 1310 entre 1960 et 1979. Ceci est près de cinquante fois plus élevé qu’en Suède, plus de vingt-cinq fois plus élevé qu’en Norvège ou encore presque huit fois plus élevé qu’au Danemark (sur la même période). Le syndicalisme islandais s’appuyait alors sur un corporatisme sectoriel (B. Thorhallsson, 2010, p. 379)196, mais c’est progressivement un système néo-corporatiste, c’est-à-dire fondé sur des négociations tripartites nationales,

195 Série reconstruite en croisant données administratives et données d'enquête.

196 « In the 1990s, when the IP started to implement its neo-liberal policies, it kept agrarian and fisheries interest

intact by means of a sectoral corporatist structure […]. Sectoral corporatism continued to flourish, but there was less tension in the labour market because of greater cooperation between the main labour federations and employer’s associations » (B. Thorhallsson, 2010, p. 379).

60,0 65,0 70,0 75,0 80,0 85,0 90,0 95,0 %

168

centralisées, entre « partenaires sociaux », qui va émerger, réduisant fortement le nombre de jours de grève à partir de 1990 (Magone, 2019).

« Following the crisis in 1988, it now became possible for ASI to deter individual unions and federations from pursuing militant wage strategies, convincing them that it was more convenient to move from a zeo-sum type of conflict to a positive-sum type, where both parties could expect to gain from cooperation to increase economic growth » (Macheda, 2012, p. 448).

Le premier gouvernement Oddsson (1991 – 1995) repose sur une coalition entre PI et PSD. Les liens clientélistes entre le PSD et les syndicats de pêcheurs (Mjøset, 2011) vont permettre à la coalition gouvernementale de modifier profondément le système de retraite. Ce faisant, c’est la nature même du syndicalisme islandais et ses fonctions sociales qui vont muter. Le nouveau système de retraite qui émerge est construit sur le modèle anglo-saxon de la retraite par capitalisation, au travers de fonds de pension. Les représentants des travailleurs passent alors d’une logique de combat à une logique de cogestion.

« Since the unions and employers’ federations nominated board members of their individual pension funds the leadership of the unions became quite involved in the operations of the funds. [...] Thus union leaders to some extent gradually became investment agents [...] and even common members of unions, who increasingly perceive themselves as stakeholders in the market and business environment » (Ólafsson, 2011a, pp. 18-19)

La réduction de la conflictualité sociale engendrée par le néo-corporatisme syndical et le contexte de faible inflation qu’il permet au cours des années 1990 pose, en retour, les conditions nécessaires au développement des marchés de capitaux, jusque là quasiment inexistants. Les fonds de pensions cogérés par les syndicats vont alimenter la première vague de développement des marchés financiers en Islande, en créant une forte demande d’actifs et de services financiers (Eggertson, Herbertsson, 2005, p. 18). D’une part les actifs des fonds de pensions augmentent quantitativement : représentant moins de 20% du PIB au début des années 1980197, les actifs des fonds de pension connaissent une hausse rapide et représentent plus de

197 En réalité les fonds de pension avaient été créés dans les années 1960 (déjà dans le cadre d’une coalition

PI/PSD), mais n’étaient vus que comme des compléments au système de retraite public. La décennie 1990 marque le début de la généralisation de ce système.

169

80% du PIB au début du nouveau millénaire. D’autre part, la nature des actifs évolue. Nulle avant 1993, la part des actions dans les actifs des fonds de pension passe à presque 30% en 2000 (B.R. Gudmundsson, 2015, p. 8).

Ces changements drastiques sur le plan de la régulation du marché du travail et de la financiarisation du système de retraite, qui marquent l’entrée dans le tournant néolibéral, vont être accompagnés par une évolution de l’organisation du secteur économique principal : celui des pêcheries. Le passage à un mode de régulation concurrentiel dans ce secteur appelle la mise en place d’un système de droits de propriété privés et transférables. Ici aussi, les liens clientélistes entre le PSD et les syndicats de pêcheurs ont été un atout majeur pour faire accepter les réformes (Macheda, 2012, p. 451). La nouvelle élite du PI va être très active pour mettre en place un système de droits de propriété transférables dans le secteur des pêcheries.

« This was perfectly in line with neoliberal economic imaginary of breaking the boom-and-bust nature of the fisheries cycle by engineering productive efficiency in the fisheries sector through market mechanisms » (Bergmann, 2014, p. 42)

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Oddsson mettra en place le Fisheries

Management Act, qui instaure un système de quotas individuels transférables (QIT). Un tel

système avait déjà été mis en place en 1984, mais les quotas n’étaient pas (ou difficilement) transférables. D’autre part, ce premier système de quotas s’est avéré inadapté car il n’incluait pas les petits bateaux et autorisait la pratique de la pêche à l’effort. Dans ce nouveau système, le Ministère des Pêcheries détermine pour chaque année, en collaboration avec l’Institut de Recherche Marine, un Total Admissible de Captures (TAC). Le TAC se répartit ensuite en QIT alloués à chaque navire en fonction des prises réalisées l’année précédente. Les quotas ainsi alloués peuvent ensuite s’échanger librement entre les différents acteurs du secteur198. L’idée est de permettre une dynamique de concentration du secteur des pêcheries, dans laquelle les unités les plus efficaces rachètent les droits des unités les moins efficaces (Mongruel, Pálsson, 2004, p. 30)199.

198 Un système de QIT similaire est mis en place à partir de 1992 pour le secteur agricole.

199 Les auteurs listent cependant les inconvénients des systèmes de QIT, notamment le mode de définition des

droits individuels en fonction du quota global et son évolution, l’équité du système d’allocation initiale des droits et le respect des quotas (particulièrement problématique dans le cadre des pêches multispécifiques).

170

« That meant in effect that the operation of the fishing sector had become significantly more marketized and in effect the fishing grounds can be said to have been privatized, since transferable quotas were defined as property rights could be bought and sold, and also used as collateral for loans » (Ólafsson, 2011a, pp. 17- 18)

Ces changements sur le marché du travail et dans la logique de fonctionnement du secteur des pêcheries peuvent être vus comme ayant pour résultat de créer un compromis de

facto entre des groupes sociaux aux intérêts initialement divergents. Qu’il s’agisse d’un

employé ayant sa retraite dans un fonds de pension ou d’un pêcheur indépendant devant acquérir des droits, ces réformes ont pour conséquence de financiariser l’ensemble des groupes sociaux. Par ailleurs, les coordonnées de l’opposition traditionnelle capital/travail sont durablement modifiées par cette dynamique de financiarisation : des groupes sociaux aux intérêts initialement opposés vont alors converger vers un compromis politique favorable à une faible inflation et à de forts rendements du capital. Ainsi, le dernier aspect du nouveau mode de régulation qu’il convient de mentionner avant de traiter de la rénovation du régime de croissance est l’évolution de la politique monétaire et du statut de la banque centrale.

Outline

Documents relatifs