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La mini-crise de 2006, les nouvelles sources de financement et les conditions du chaos (2006 – 2008)

Introduction du second chapitre

2. Le tournant libéral des années 1990 et la redéfinition du mode de développement islandais

2.3. Un régime de croissance tiré par la finance (2003 – 2008)

2.3.2. La mini-crise de 2006, les nouvelles sources de financement et les conditions du chaos (2006 – 2008)

A la fin de l’année 2005, on observe une hausse des Credit Default Swap (CDS) sur les banques islandaises, que l’on peut considérer comme un premier signal d’alerte. En effet, une hausse des CDS traduit, d’une manière générale, une inquiétude croissante des acteurs financiers sur la solvabilité des banques islandaises. Cette tendance se renforce au début de l’année 2006, année qui sera caractérisée par ce que les différents commentateurs ont appelé la « mini-crise de 2006 », prélude à la grande crise islandaise de 2008.

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Figure 29 : Spreads sur les CDS des banques islandaises

Source : Aliber, Zoega (2011). Données : Banque Centrale d’Islande, Bloomberg

Le 21 février 2006, l’agence de notation Fitch revoit les perspectives futures de l’Islande, en les faisant passer de stables à négatives230, signalant ainsi, dans la continuité de la

hausse des CDS, une inquiétude sur la situation générale de l’île. Plus précisément, Fitch insiste sur la croissance très soutenue des bilans des banques islandaises et sur leur forte dépendance aux financements internationaux. Même si l’agence semble inquiète de la situation des banques islandaises, notamment en raison de la croissance rapide des crédits, leurs notes ne sont pas dégradées231. L’accent est plutôt porté sur l’importance, pour le secteur public, de se donner les moyens de réagir en cas de difficultés rencontrées par les banques. Richard Thomas, analyste chez Merrill Lynch, publie le 7 mars 2006 un rapport intitulé Icelandic Banks: Not what you

are thinking. Il développe alors sur plus de trente pages les sources de vulnérabilité du secteur

bancaire islandais (dépendance aux marchés de capitaux internationaux, faible qualité de l’actif, forte exposition sur le marché des actions et propriété croisée). Le 21 mars, la Danske Bank, publie elle aussi un rapport alarmant (Iceland: Geyser crisis) sur la surchauffe de l’économie islandaise et particulièrement sur le risque de crise financière qui se profile (Valgreen et al., 2006). En mai 2006, le FMI recommandait de ralentir la croissance de l’actif des banques islandaises et de les réorganiser (IMF, 2006). Dans cette situation, l’accès des banques islandaises aux marchés de capitaux internationaux se voit fortement restreint, remettant en cause leur modèle de croissance. Deux phénomènes sont alors importants à mettre en évidence. D’une part nous allons assister à une contre-attaque menée par les autorités islandaises sur le

230https://www.cb.is/publications/news/news/2006/02/21/Fitch-Ratings-revises-Icelands-outlook-to-negative-/ 231http://www.bonds.is/Assets/Rating%20reports/Fitch%20-%20Landsbanki%20-%20230206.pdf

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plan de la communication, visant à contrecarrer les rapports négatifs précités. D’autre part, les banques islandaises vont se tourner vers d’autres sources de financement pour faire perdurer leur course à l’expansion.

« Rather than verifying the validity of the analysis and taking appropriate action, Icelandic politicians, businessmen, and financial supervisors reacted angrily to the criticisms and united in their own defence and their effort to convince the world that the Icelandic financial system was standing on the ground » (Johnsen, 2016, p. 43).

La contre-attaque islandaise s’appuie essentiellement sur deux publications. La Chambre de Commerce va mandater l’économiste américain Frederic Mishkin232 et un économiste islandais, Tryggvi Thor Herbertsson, pour publier au mois de mai 2006 un rapport dont le titre prend le contrepied complet des analyses précédemment citées : Financial Stability

in Iceland. Dans ce rapport, les deux auteurs affirment à de multiples reprises (p. 9 et p. 56 par

exemple) qu’il n’y a pas de problème de fragilité financière en Islande, que la supervision financière est solide et de bonne qualité, ou encore que la probabilité d’une crise financière est non seulement faible, mais très faible. Avec un auteur si fameux que Mishkin à sa tête, ce rapport a eu de quoi rassurer les observateurs les moins perspicaces et calmer dans un premier temps la panique. Toujours dans le cadre de cette contre-attaque, la Chambre de Commerce fera publier un second rapport en novembre 2007 (The internationalisation of Iceland’s financial

sector), mené par Richard Portes233, fameux économiste de la London School of Economics, et

co-écrit avec deux islandais (Fridrik Mar Baldursson et Frosti Ólafsson). Ces auteurs, eux aussi, se veulent rassurant quant à la situation. Selon eux, la légère instabilité qu’a connue l’Islande en 2006 n’est qu’une crise d’information (informational crisis), causée par des critiques extérieures. Concluant sur la solidité et la résilience des banques islandaises (Portes et al., 2007, p. 63), les auteurs affirment donc que les spreads élevés sur les banques islandaises sont injustifiés. L’argument de fond de ce rapport est le suivant : la croissance extrêmement forte du secteur bancaire islandais s’explique par la nécessaire internationalisation de ses activités et la diversification de ses risques. Une telle stratégie, dite de croissance externe, repose sur l’achat d’actifs étrangers. Le rapport du CSI après la crise a permis de mettre en lumière que la

232 Mishkin a été payé 135.000$ par le Chambre de commerce. Voir Wade and Sigurgeirsdottir (2011). 233 Portes a été payé 58.000£ par la Chambre de commerce. Voir Wade and Sigurgeirsdottir (2011).

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croissance interne du bilan des banques islandaises s’était faite dans des proportions jusque-là inconnues.

« The SIC calculated the internal growth of the banks, that is, growth excluding the impact of foreign acquisitions, concluding that it varied between 36% and 66% per year from 2003 to 2007. [...] Internal growth of this magnitude is without precedence. As a reference, the US FDIC considers 5% total annual growth to be of concern if it lasts over four years » (Johnsen, 2016, p. 44).

L’ampleur de la croissance interne des bilans des banques islandaises peut s’expliquer par la consanguinité entre ces établissements, les sociétés d’investissement (holdings) et les actionnaires individuels. Une des pratiques courantes a été de financer l’achat, par des clients (sociétés d’investissements ou investisseurs individuels), d’actions de la banque grâce à un crédit de la même banque, ou d’une autre banque islandaise (Carey, 2009, p. 9). En opérant ainsi, la demande pour les actions des banques islandaises était soutenue, donc leur prix augmentait, poussant ainsi à la hausse la valeur du capital de la banque et maintenant, de par le respect du ratio de fonds propres, sa capacité à continuer à étendre le crédit. Dans ces conditions les augmentations de capital se font sans apport de fonds extérieurs, par un « simple » jeu d’écritures comptables. Ce type de pratique a renforcé la concentration de l’actionnariat et par extension la problématique de consanguinité. Dans le Financial Stability Report de la banque centrale, on peut lire :

« Ownership of Icelandic banks has become more and more concentrated in recent years and large shareholdings have become prominent. In some cases, large shareholders are also clients of the banks concerned or their investment partners » (CBI, 2007, p. 57).

Les pratiques de crédit douteuses des banques islandaises à leurs actionnaires posent une double problématique, à la fois de propriété croisée (cross ownership) et de forte exposition au risque (large exposure). La réglementation en vigueur dispose qu’aucun client (ou groupe de clients s’il s’agit de « related parties », c’est-à-dire dans le cas où un client possède au moins 20% d’un autre client234) ne peut bénéficier de lignes de crédit excédant 25% des fonds propres

234 Ce critère des 20% a été développé ex post comme le soulignent Baldursson et Portes (2013, p. 78). Au moment

des faits le FME (l’autorité islandaise qui supervise les activités financières) n’avait définie aucune règle quantitative précise, laissant chaque banque libre de définir elle-même les règles qu’elle considère appropriées.

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réglementaires. On parle de « forte exposition » à partir du moment où les crédits à un (groupe de) client(s) dépasse le seuil de 10% des fonds propres réglementaire. Le total des crédits considérés comme fortement exposés au risque ne doit pas excéder 800% des fonds propres réglementaires.

De par leur pouvoir d’influence sur l’allocation des crédits en tant que propriétaires des banques, les actionnaires ont bénéficié, en tant que clients, de lignes de crédits qui violent la réglementation mentionnée ci-dessus. Le rapport du CSI (2010b) fait état, par exemple, de pressions réalisées par les propriétaires des banques pour bénéficier, personnellement ou au travers de leurs sociétés d’investissement, de lignes de crédit supplémentaires. Le cas le plus saillant de ce type de manœuvres, bien qu’elles soient généralisées, est celui des crédits offerts par Glitnir au Baugur Group de Jón Ásgeir Jóhannesson, et plus spécifiquement lorsque le Baugur Group devient actionnaire majoritaire en 2007. Quand on ne s’intéresse non plus au Baugur Group pris seul, mais au Baugur Group auquel on ajoute les parties qui lui sont liées (c’est-à-dire d’autres débiteurs de Glitnir dont le Baugur Group est propriétaire à hauteur d’au moins 20%), on observe qu’à partir de septembre 2007, le total des crédits alloués à ce groupe était de l’ordre de 40% des fonds propres réglementaires de la banque, donc déjà bien au dessus des plafonds de forte exposition au risque. Pour l’année 2008, on constate que le total des crédits alloués au Baugur Group et aux parties qui lui sont liées représentent plus de 60% des fonds propres réglementaires, atteignant même un pic de 85% en mars 2008 (Baldursson, Portes, 2013, p. 75, Fig 5.16).

Les relations de crédits existantes entre Glitnir et la constellation d’entités qui gravitaient autour du Baugur Group était un cas particulièrement parlant pour évoquer les problématiques de forte exposition au risque par la propriété croisée. Par ailleurs même si les deux autres banques n’ont pas atteint de tels niveaux d’exposition auprès de leurs actionnaires principaux et de leurs parties liées, elles ont elles aussi pratiqué ce type de procédé :

« Exista235, the controlling shareholder of Kaupthing Bank, and related parties borrowed what amounted to 25-30% of Kaupthing’s regulatory capital [...]. A group

235 « Exista was founded in 2001 as a holding vehicle for Kaupthing shares owned by saving and loans institutions.

In 2003, two brothers, Lydur and Agust Gudmundsson, acquired a 55% stake in Exista. [...] When they became leading owners of Exista, they became owners of Kaupthing as well, as the investment company held a 23% share in the banks. Exista and Kaupthing had had cross-ownership from the outset, with the bank owning a 19% stake in the company » (Jonsson, Sigurgeirsson, 2016, p. 71)

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of companies around the father-and-son pair Bjorgolfur Gudmundsson and Bjorgolfur Thor Bjorgolfsson, controlling shareholders of Landsbanki borrowed the equivalent of 50-60% of Landsbanki’s capital » (Baldursson, Portes, 2013, p. 79).

En plus d’être très largement exposées à leurs actionnaires majoritaires respectifs, chaque banque était également exposée (dans une moindre mesure certes), aux actionnaires majoritaires des deux autres banques islandaises. Ainsi, les crédits accordés par Landsbanki au Baugur Group (actionnaire majoritaire de Glitnir) et aux parties qui lui sont liées ont pu atteindre entre 60 et 80% des fonds propres réglementaires, tandis que ceux accordés par Kaupthing en représentaient environ 30-40%. De même, les crédits obtenus par Exista (actionnaire majoritaire de Kaupthing) et les parties qui lui sont liées représentaient entre 20 et 30% des fonds propres réglementaires de Glitnir. Les actionnaires majoritaires de Landsbanki avaient obtenu des lignes de crédits chez Glitnir de l’ordre de 20-25% de leurs fonds propres réglementaires (Baldursson, Portes, 2013, pp. 76-79).

Malgré les signaux d’alerte de la fin de l’année 2005 et du début de l’année 2006, les banques islandaises ont donc pu continuer à croître. Si la contre-attaque informationnelle menée par la Chambre de Commerce a pu permettre de limiter les effets négatifs de la mini crise de 2006, l’accès aux marchés de capitaux internationaux est tout de même devenu plus coûteux. C’est pourquoi les banques islandaises ont dû se tourner vers d’autres sources de financement. C’est à cette époque qu’elles vont commencer à collecter des dépôts à l’étranger en vue d’obtenir des devises (deposit funding). Une seconde méthode consistera à développer le financement collatéralisé (collateralized funding), que ce soit auprès d’autres banques commerciales ou auprès de banques centrales. Ces modalités de financement alternatives permettront aux banques islandaises de continuer, pour un temps, leur expansion. Les nouvelles sources de financement des banques islandaises ont pour caractéristique d’être des passifs de court terme, renforçant de ce fait leur risque d’illiquidité.

A partir d’octobre 2006, Landsbanki se lance dans la collecte de dépôts à l’étranger, spécialement en Grande-Bretagne, au travers d’une succursale (branch) nommée Icesave. Kaupthing sera la seconde banque islandaise à se lancer dans la collecte de dépôts en Europe (et particulièrement en Grande-Bretagne), au travers d’une de ses filiales (subsidiary) nommée Kaupthing Edge, et ce à partir de la fin de l’année 2007. Glitnir mènera également ce type de

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stratégie en Norvège où elle est déjà implantée, mais avec beaucoup moins de retentissement que ses deux comparses. Le principe est relativement simple : offrir aux déposants européens, et particulièrement britanniques, des comptes d’épargne avec des taux plus élevés que les établissements concurrents, profitant du différentiel de taux. Au total, le montant de dépôts étrangers de Landsbanki atteint 7.2 milliards d’euros, soit 23% du bilan en juin 2008. Kaupthing Edge recueille quant à elle un total de 5.4 milliards, soit 10% du bilan de Kaupthing en juin 2008 (Baldursson, Portes, 2013, pp. 58-59).

La nuance que nous faisons ici entre succursale et filiale est assez importante pour être soulignée car elle a des implications très concrètes en termes de régulation bancaire. Les succursales comme Icesave qui collectent des dépôts à l’étranger sont sous le contrôle des autorités de supervisions du pays d’origine. Or le FME islandais était très faiblement doté, notamment en moyens humains, pour assurer la supervision d’un secteur bancaire ayant pris des proportions aussi colossales (Benediktsdottir, Danielsson, Zoega, 2011, p. 206). Les filiales, comme Kaupthing Edge, sont quant à elles sous le contrôle des autorités de supervisions du pays où elles s’implantent. Cependant, ces dernières n’ont qu’une vision partielle de l’activité du groupe.

« Host supervisors generally only observed the part of the banks operating in their country, not the overall picture. Some of the Icelandic banks had extensive operations of various types both within Europe and outside. Unless an individual national supervisor has a clear picture of those operations it is difficult to exercise adequate supervision. The Icelandic regulator may have been the only supervisor that had the complete picture. If so, the only supervisor who had the necessary information failed » (Danielsson, Zoega, 2009, p. 11).

En parallèle de leur tentative visant à recueillir des dépôts en devises à l’étranger pour pallier leurs difficultés à se financer sur les marchés de capitaux internationaux, les banques islandaises ont eu recours aux banques centrales et à leurs prêts collatéralisés236. Les banques émettent les unes envers les autres des reconnaissances de dette. Ces reconnaissances de dette

236 Nous nous limitons ici aux prêts collatéralisés obtenus auprès des banques centrales, mais des prêts de ce type

ont aussi été obtenus auprès d’autres banques commerciales. D’après les données du rapport du CSI (2010a, 2010b), reprises par Baldursson et Portes (2013, p. 61-63) on peut citer par exemple la Royal Bank of Scotland qui avait offert pour près d’un milliard d’euros de crédits aux banques islandaises en septembre 2008.

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