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Le mode de production féodal entre le XIIIe et le XVe siècle : la (re)centralisation

Introduction du premier chapitre

1. Du mode de production féodal au mode de production capitaliste : implications pour l’organisation monétaire

1.1.2. Le mode de production féodal entre le XIIIe et le XVe siècle : la (re)centralisation

Le pouvoir royal central perd donc de son influence entre le Xe et le XIIe siècle au profit des seigneurs. À partir du XIIIe siècle, cette dynamique va progressivement se retourner quand le pouvoir royal va chercher à réaffirmer sa puissance sur le territoire en étendant le domaine royal, c’est-à-dire, en substance, la zone de souveraineté pleine et effective du Roi23. Le

mouvement de recentralisation repose alors sur le plan militaire sur un double conflit. Un conflit intra-national d’une part, qui oppose le Roi aux seigneurs dont il récupère les fiefs pour étendre son propre domaine, et, d’autre part, un conflit inter-national, qui oppose le Roi de France au Roi d’Angleterre en vue de la réappropriation des terres continentales sous contrôle britannique. C’est au travers de ces deux conflits, entremêlés du fait des logiques dynastiques, que le pouvoir

22 Si l’on fait abstraction de l’opposition entre le système fondé sur la livre parisis et celui fondé sur la livre

tournois.

23 Un point de départ à ce mouvement de (re)centralisation, peut-être moins anecdotique qu’il n’y paraît, pourrait

être, pour le cas français, la modification du titre royal en 1204. Philippe II prend alors le statut de « Roi de France » et rejette celui de « Roi des Francs » qui prévalait depuis Clovis.

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central va se réaffirmer solidement à partir du XIIIe siècle et jusqu’au terme de la Guerre de Cent Ans (1337 – 1453)24. Le pouvoir royal sort renforcé de ce processus, aussi bien vis-à-vis de ses ennemis intérieurs qu’extérieurs.

La dynamique de recentralisation du pouvoir politique entre le XIIIe et le XVe siècle n’est pas sans effet sur le plan économique. Nous avons évoqué précédemment l’émergence des foires commerciales au XIIe siècle, permettant les échanges entre les cités seigneuriales par l’intermédiaire des marchands-transporteurs. Au XIIIe siècle, ces foires vont connaitre un nouvel élan, en bénéficiant de l’appui du pouvoir royal. Le conduit des foires est élargi et généralisé, avec le conduit royal de 1209. Les foires, protégées, encouragées, se multiplient sur le territoire jusqu’à former une succession ininterrompue de marchés, c’est-à-dire un marché permanent et mobile. Elles permettent ainsi un rayonnement du commerce à l’échelle européenne. Les foires sont le lieu de l’échange entre marchands, non seulement de marchandises, mais aussi des informations, et des pratiques (Lopez, 1974).

Au cours du XIIIe siècle, période d’apogée du patriciat et du « patriotisme urbain » (Lestocquoy, 1951), les marchands vont s’organiser à l’extérieur de leur ville d’origine en « nations » (Le Goff, 1969, p. 120). Ils se dotent de représentants politiques, les consuls, qui réalisent les arbitrages entre les marchands d’une même ville et se font intermédiaire entre ceux- ci et les autorités. Le commerce européen s’institutionnalise. L’interconnexion des « nations » de marchands et l’intensification des flux commerciaux entraînent le développement des techniques cambiaires25. La lettre de change permet déjà, à la fin du XIIe et au XIIIe siècle (Boyer-Xambeu et al., 1986, p. 30), de réaliser des échanges sans transfert d’espèce métallique (ce qui limite les risques et facilite le transport), avec un décalage dans le temps (ce qui ouvre la possibilité d’acheter à crédit et de rembourser une fois les marchandises écoulées) et dans

24 Philippe VIII, confisque les dernières possessions anglaises sur le continent, ce qui va marquer le déclenchement

de la Guerre de Cent Ans (1337 – 1453). Dans ce processus, Roi de France et Roi d’Angleterre s’opposent sur fond de guerre civile, certains seigneurs faisant alliance avec la couronne anglaise pour maintenir leur pouvoir. Le Roi d’Angleterre Henri V s’allie avec les Bourguignons contre les Armagnacs et obtient en 1420 la couronne de France pour son fils Henri VI, contestée par Charles VII. Cependant, en 1435, la paix d’Arras marque la réconciliation entre les Armagnacs et les Bourguignons, Charles VII reprend Paris en 1436, repousse les anglais, ce qui débouche sur la victoire française de 1453 qui marquera la fin de la Guerre de Cent Ans.

25 Les marchands italiens se montrent les plus innovants sur le plan des techniques financières et cambiaires : ils

deviendront des marchands-banquiers en se spécialisant durablement sur ce type d’activité au cours des siècles suivants.

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des monnaies différentes (ce qui permet de distribuer les marchandises sur n’importe quelle foire puis de récupérer la somme sur une autre place européenne).

Le XIVe siècle, marqué par la Guerre de Cent Ans et la peste noire, ne crée pas un environnement favorable au développement des foires et du commerce sur le continent26. Les conflits militaires rendent peu sûres les routes terrestres reliant les foires. Le rôle stratégique des foires de Champagne notamment, décline. Cependant, les foires perdurent au moins dans la première moitié du XIVe siècle, comme des « foires de change » davantage que comme des foires commerciales (Contamine, 1997). Les marchands-transporteurs évoluent donc au XIVe, se détournant des routes terrestres et se concentrant sur les voies maritimes pour réaliser leur commerce. S’il s’agit dans un premier temps de remplacer les routes terrestres, notamment pour maintenir la connexion entre les Flandres et les cités italiennes, le développement des voies maritimes va favoriser le commerce au long cours. Les opérations marchandes et cambiaires sur le continent vont petit à petit se « sédentariser » autour de places permanentes, les ports faisant office de points de jonction entre les routes maritimes. La place de Venise, centre de gravité du commerce méditerranéen, développe une importante flotte marchande dès le début du XIVe siècle, notamment à destination de la place de Bruges (Le Goff, 1969, p. 18). Cette dernière se positionne ainsi habilement dans la première moitié du XVe comme une place centrale du commerce européen : dans un contexte de déclin des foires de Champagne, elle réalise la jonction entre le commerce méditerranéen et le commerce hanséatique, avant qu’Anvers ne lui succède dans la seconde moitié du XVe siècle.

Nous avions vu que le pouvoir monétaire était, entre le Xe et le XIIe, exercé par chaque seigneur. La dynamique de renforcement du pouvoir royal vis-à-vis des seigneurs entre le XIIIe et le XVe se retrouve sur le plan du pouvoir monétaire, celui-ci étant progressivement (re)centralisé. Une première étape dans le processus de reconquête du pouvoir monétaire par l’autorité royale consiste pour les capétiens à étendre l’aire de circulation de la monnaie royale, celle qui circule initialement dans le domaine royal. Louis IX impose donc en 1270 aux seigneurs de laisser circuler la monnaie royale sur leur territoire, tout en les laissant émettre leur propre monnaie qui peut continuer à circuler sur leur domaine (Le Goff, 1996, p. 285). Ce

26 Paradoxalement, la peste est une maladie « commerciale », ramenée d’Asie par des navires gênois (Barry,

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faisant, la monnaie royale se présente comme une référence commune entre les domaines, ce qui incite les seigneurs à frapper leur monnaie au même titre et au même poids.

En 1347, c’est-à-dire au début de la Guerre de Cent Ans, Philippe VI fait de la frappe monétaire un monopole royal. Cependant, en dehors de cette (re)centralisation qui correspond à un changement d’échelle, le fonctionnement général du système n’est pas altéré dans sa nature par le conflit entre puissances seigneuriales et puissance royale. Les rois recourent eux aussi aux manipulations monétaires et se réapproprient le revenu de seigneuriage à l’échelle du royaume. Cette continuité nous permet maintenant de donner les caractéristiques générales des systèmes monétaires européens entre le Xe et le XVe, afin d’étudier la mutation profonde qui va s’amorcer par la suite.

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