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Les réformes des années 1970 : le début du rééchelonnement de l’État au Québec sans

CHAPITRE 2 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE L’ÉTAT AU QUÉBEC

2. LES RÉFORMES DU SECTEUR MUNICIPAL SUR FOND DE FAIBLE MARGE DE MANŒUVRE DES MUNICIPALITÉS

2.1.1 Les réformes des années 1970 : le début du rééchelonnement de l’État au Québec sans

La fin des années 1970 constitue une période marquée par des initiatives en matière de réorganisation du secteur municipal au Québec. Toutefois, ces réformes ne sont pas porteuses de décentralisation vers les municipalités en regard des critères de la décentralisation que nous avons adoptés (autonomie des villes par rapport à l’État et transfert de compétences et de ressources de ce dernier vers les villes).

La création de la Communauté urbaine de Montréal

C’est en 1969, suite à un siècle et demi d’expériences et de stratégies qui ont « ponctué l’histoire ‘métropolitaine’ de l’agglomération montréalaise » (Collin 1998 : 17), que la Communauté urbaine de Montréal (CUM) a été créée par le gouvernement

provincial. La politique modernisatrice du maire Jean Drapeau, notamment la construction du métro et la tenue de l’exposition universelle de 1967, qui s’inscrivait dans une vision de Montréal comme une métropole à dimension internationale, a eu pour résultats des pressions énormes sur les finances de la Ville dont certains services desservaient l’ensemble des municipalités de l’île. La CUM est ainsi créée sous la pression d'une grève des policiers traduisant la situation intenable de la Ville centre en matière de financement des politiques régionales :

« (…) Montreal could not continue assuming regional public infrastructure costs on its own. The rising costs of mass transit (since the advent of the Métro) and of the police department were especially worrisome. It seemed inevitable that a cost-sharing system would have to be put into place to ensure the fair distribution of the financial burden created by these services among the island’s municipalities. In 1969 police strike hastened the matter: that same year, the provincial government created a metropolitan structure for the Montreal area, the Montreal Urban Community (MUC) (…)”(Germain et Rose 2000 : 102).

La CUM reçoit ainsi des compétences en matière de transport, de police ainsi qu’en matière de développement, mais cette dernière compétence ne sera pas exploitée avant 15 ans (Germain et Rose 2000 : 102). Cette politique de « métropolisation » anticipera les réformes des années 1970 qui toucheront les municipalités.

Les années 1970 : des réformes non décentralisatrices

Depuis la fin des années 1970, la thématique de la décentralisation a été à l’ordre du jour des partis politiques au Québec. Comme le note J.-P. Collin, les débats successifs se sont inscrits dans une « vision globale de gestion de services publics » (Collin 2002 : 7). En effet, la crise économique qu’a connue le Québec à partir de la deuxième moitié des années 1970 pousse le gouvernement du Parti québécois (PQ), alors au pouvoir, à prôner plusieurs réformes remettant en question le modèle centralisateur hérité de la révolution tranquille (Hamel et Jalbert 1991 : 184) et un projet de « promotion du pouvoir local » (Hamel et Jalbert 1991 : 185, notre traduction). Le gouvernement formé par le PQ publie ainsi en 1978, non officiellement, un projet de Livre blanc mentionnant que :

« (…) La politique de décentralisation qui se traduira, entre autres, par la création d’organismes horizontaux politiques et administratifs sur un territoire donné, dotés de pouvoirs et de moyens financiers réels, permettra de remettre à ce nouveau palier de décision un bon nombre de responsabilités qui appartiennent actuellement au gouvernement » (cité dans Collin 2002 : 7).

Ce projet était organisé autour de réformes concernant le système d’impôt, la démocratie locale et la décentralisation par des lois regardant l’aménagement du territoire et la réorganisation du système municipal (Hamel et Jalbert 1991 : 185).

Certains auteurs ont analysé ces réformes comme décentralisatrices. Dans un contexte de crise économique et de réduction des dépenses, les gouvernements, et notamment celui du Québec, font le choix d’élargir l’autonomie des instances locales dans une perspective de « stratégie de sortie de crise » (Jalbert 1991). Pourtant, selon nous, l’examen des réformes menées à la fin des années 1970 et au début des années 1980 à partir des critères de décentralisation définis en introduction (le transfert de compétences et de ressources ainsi que l’augmentation de la marge de manœuvre des municipalités) n’amène pas à une telle conclusion.

Selon J.-P. Collin, le projet de Livre blanc, qui amorça la réflexion en amont de la réforme de 1979-1980, n’abordait pas la question des municipalités locales, ce qui explique que la réforme ne concerna que le niveau supra-local avec la création des Municipalités régionales de comtés (MRC) (Collin 2002 : 7). En ce qui concerne le transfert de compétences, cette réforme a eu peu d’impact. Selon J.P. Collin, les recommandations du Livre blanc en matière de décentralisation sont restées lettre morte : alors que ce dernier proposait la décentralisation de plusieurs compétences (l’éducation, la culture, le développement social, l’aménagement du territoire et le développement économique), les MRC ne se verront confier que des compétences en matière d’aménagement du territoire (Collin 2002 : 7). En 1979, est ainsi adoptée la loi 125 sur l’aménagement et l’urbanisme instaurant les MRC et confiant à ces dernières l’obligation d’adopter des schémas d’aménagement du territoire. En regard du critère de l’accroissement de l’autonomie, il existe, selon P. Hamel et L. Jalbert, un débat quant aux conséquences de cette loi en termes de décentralisation : pour certains auteurs, l’implantation des MRC et la décentralisation de la compétence en matière d’aménagement du territoire traduit un mouvement de décentralisation qui encourage l’initiative locale ; pour d’autres, cette loi révèle plutôt le caractère centralisateur de l’État québécois (Hamel et Jalbert 1991 : 189). P. Hamel et L. Jalbert concluent au final que la loi a pour conséquence l’accroissement de la volonté des élus municipaux d’intervenir en matière économique (Hamel et Jalbert 1991 : 189). Pour autant, si l’on

s’en tient à une définition plus stricte en termes d’augmentation de la marge de manœuvre des municipalités par rapport à la province, cette loi a bien une portée limitée en matière de décentralisation :

« (…) elle [la loi 125] ne met pas en place une structure décentralisée dérivée d’une volonté politique de redéfinition des rapports de pouvoirs et confiant aux instances décentralisées des responsabilités et des pouvoirs réels » (Germain et Hamel 1985 : 41).

Ainsi, si le retrait de l’État providence peut amener les élus locaux à intervenir, notamment en matière de développement économique, leur marge de manœuvre par rapport à la province n’augmente pas : les compétences transférées sont peu nombreuses et il n’existe pas de modifications des rapports de pouvoir entre l’État et les municipalités. Il ne s’agit donc pas de décentralisation. L’incitation par l’État provincial des milieux locaux à prendre des initiatives ne s’est pas traduite par une marge de manœuvre accrue des municipalités.

Les réformes fiscales mises en œuvre à la même époque n’ont pas non plus eu pour conséquence une augmentation de la marge de manœuvre des municipalités par rapport à la province, pas plus qu’un accroissement de leurs compétences ni de leurs ressources. Au Québec, en 1979, comme l’explique P. J. Hamel, le gouvernement décide une réforme de la fiscalité locale en octroyant une source de financement autonome aux municipalités sous la forme d’une « occupation quasi exclusive du champ foncier » et d’une plus grande autonomie dans la fixation du taux de cet impôt (Hamel 2002 : 34)54. En échange, Québec diminua ses transferts gouvernementaux et récupéra une partie de la taxe de vente (Hamel 2002 : 34). Selon cet auteur, entre 1979 et 1981, « la proportion de revenus de sources locales dans les revenus municipaux passa subitement de 76,3 à 94,9 %, alors qu’inversement celle des transferts chuta de 23,7 à 5,1 % » (Hamel 2002 :

54 Le principe général régissant le fonctionnement de la fiscalité locale au Canada est celui du

« fédéralisme fiscal » selon lequel :

« le palier local [n’est] pas l’instance gouvernementale appropriée pour effectuer une redistribution des revenus (…) Sans portée redistributive, la fiscalité municipale, affirme-t-on, doit n’être utilisée que pour le financement des biens publics locaux consommés par les résidants de la municipalité » (Collin et Léveillée 2003 : 15 ).

L’une des caractéristiques des finances locales au Canada est ainsi l’importance des revenus autonomes des municipalités par rapport aux transferts gouvernementaux : les revenus autonomes des municipalités représentent 85 % de leur recettes totales (Collin et Léveillée 2003 : 20). En comparaison, selon une étude de l’OCDE citée par S. Belley, « l’impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises est la plus importante source de revenus des gouvernements locaux dans 14 pays » (Belley 2006 : 51). Selon cet auteur, le Canada fait partie des dix pays dans lesquels les gouvernements locaux n’y ont pas accès.

34). La proportion de revenus autonomes s’élève ainsi à 97 % en 1996 (Prémont 2005 : 52).

La question est de savoir si le principe de l’autonomie des revenus des