• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE À MONTRÉAL

2. LE RÉÉCHELONNEMENT DE LA POLITIQUE DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNIQUE À MONTRÉAL

2.2 L’ INSTITUTIONNALISATION DU RÉÉCHELONNEMENT DE L ’É TAT DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DE LA

2.2.1 Un accroissement de la marge de manœuvre des acteurs institutionnels locaux par

À partir de 2007, la nouvelle entente signée entre la Ville et le ministère de l’Immigration marque l’institutionnalisation des normes de la décentralisation asymétrique et partenariale négociées dans le cadre du contrat de ville en 2003. En premier lieu, les négociations ont eu lieu entre la Direction de la diversité sociale de la Ville et la Direction régionale du ministère à Montréal. Cet extrait d’entretien montre comment cette dernière a négocié l’entente avec la Ville en jouissant d’une marge de manœuvre par rapport au niveau central du ministère qui n’a effectué qu’un contrôle a posteriori. Le seul point sur lequel la ministre de l’époque est intervenue a trait au montant financier de l’entente qui a fait l’objet d’une discussion entre cette dernière et le maire :

« E : C’est vous qui avez mené les négociations avec la Ville, c’est votre, c’est la Direction régionale qui a …

PI : Ah oui, oui

PI : Ben c'est-à-dire que le point qui, le point de litige principal, c’était que la Ville, par l’entremise du maire, avait décidé qu’ils voulaient que le montant soit plus élevé. (…) Donc là, en Commission parlementaire, ils avaient présenté ce montant-là, c’était dans le cadre de la politique de lutte contre le racisme, c’était autre chose, mais la ministre, pas celle qu’on a mais la précédente, s’était montrée ouverte à augmenter le montant. Ça fait que c’est là dessus qu’on avait travaillé un peu, sur cette ouverture-là. Parce qu’on n’avait pas eu d’indication comme quoi on pouvait aller vraiment plus haut. Ça fait qu’à partir de ça, nous autres, on a discuté avec la… E : Mais en termes de montant d’accord, mais en termes de contenu de l’entente, est-ce que vous aviez eu des lignes directrices qui sont …?

PI : Non. C’est nous autres qui avons… C’est sûr qu’on fait toujours approuver tout ce qu’on propose, mais non…

E : Qui approuve ce que vous proposez, au ministère ? PI : Toujours le sous-ministre adjoint à l’Intégration »115.

Sur le contenu, la Ville et la Direction régionale ont convenu au cours des négociations de reprendre les modalités de fonctionnement du contrat de Ville. Cette demande a été amenée par la Ville. L’enjeu était d’obtenir le même degré de marge de manœuvre pour l’entente Ville-MICC que pour l’entente Ville-MESS. Un fonctionnaire municipal explique que le contrat de ville a effectivement servi de modèle à la Ville pour négocier un remaniement de l’organisation de l’entente Ville-MICC :

« E : (…) Mais ma question c’est en termes de grands principes, quand a été négocié le contrat de ville en 2003, il y avait vraiment l’idée de, que la Ville elle acquiert beaucoup plus de marge de manœuvre sur la définition des paramètres des programmes qu’elle avait (…) Je me demandais, vous, ça a été la philosophie qui a animé votre renégociation de l’entente… ?

PI : Oui.

E : Vous vous êtes vraiment référé au contrat de ville ? PI : Oui. Pas juste au contrat de ville, à tout ce que j’ai dit…

E : Mais ma question c’est est-ce que la réflexion qui avait été entamée en termes de négociation du contrat de ville, elle a fait partie de…

PI : Elle a permis oui… Surtout qu’on est intégré dans l’ensemble dans la même direction là. Oui. Parce que la façon dont ils ont négocié le contrat de ville, ça a été un peu une inspiration pour négocier cette entente-là, plus la réflexion stratégique sur la diversité ethnoculturelle qu’on a faite. C’est ça on a oui, c’est sûr que ça s’est inspiré en partie, tout a fait… Parce que là, notre directrice ici, c’est elle qui est en charge de tout ça, c’est elle qui gère au niveau de la Direction, qui est responsable à la fois de toutes ces ententes-là. Actuellement on est en train de préparer le renouvellement d’une entente avec le MESS pour le contrat de ville, parce que ça finit le 31 décembre 2008. Donc c’est sûr que là on a des réunions d’équipe et on fait constamment, au niveau de l’ordre du jour des réunions de l’équipe, on parle toujours du suivi de l’entente Ville- MESS et de l’entente Ville-MICC, tout le temps (…). Soit dans la gestion des projets soit dans la question de la négociation de l’autre entente. Fait que les gens de l’équipe sont au courant des deux ententes, donc y’a un arrimage qui se fait là, pour avoir une meilleure cohésion »116.

Une fonctionnaire du ministère confirme la prise en compte des modalités du contrat de Ville pour négocier l’entente :

« E : Le principe de reddition de compte a changé entre les ententes précédentes et celle-ci.

115 Entretien 41, Fonctionnaire, Direction régionale, ministère de l’Immigration et des Communautés

culturelles, 5 décembre 2007.

PI : Oui.

E : Notamment le principe de reddition de compte qui a été adopté ici, j’ai l’impression qu’il ressemble à l’entente qu’il y a eu avec le MESS. Est-ce que ça c’est…

PI : C’est volontaire, oui, c’est la Ville qui nous ont présenté l’entente, comment ils fonctionnaient avec le MESS. Et de façon générale, nous autres, ça nous paraissait plus efficace aussi. Dans les faits pour eux aussi. Donc dans les faits c’est quelque chose sur lequel on s’est entendu »117.

Quels sont, précisément, les principes de fonctionnement de cette entente ? En premier lieu, ils dénotent l’accroissement de la marge de manœuvre des acteurs institutionnels locaux, Ville et Direction régionale du ministère, par rapport à l’État central. L’entente prévoit la création d’un comité de gestion, composé du Directeur de la Direction régionale du ministère à Montréal et de la Directrice de la Direction de la diversité sociale de la Ville (Québec et Montréal 2007 : 6). Il reprend ainsi la composition des comités précédents, la gestion de l’entente étant confiée, par l’État central, aux acteurs institutionnels locaux. La nouveauté tient plutôt au mandat du comité conjoint et aux règles de fonctionnement de l’entente. Ce mandat est beaucoup plus élargi que celui des ententes précédentes, et, surtout, il laisse le soin aux acteurs institutionnels locaux de régler à la fois les critères de sélection des projets et l’approbation des documents de reddition de compte produits par la Ville. Ces documents ne sont donc plus validés par le niveau central du ministère, à la différence des ententes précédentes. Le comité conjoint a pour objectif, entre autres, de :

« - convenir des modalités relatives au processus de sélection des projets;

- approuver l’ensemble des documents, notamment les rapports annuels, le rapport final et les états détaillés produits dans le cadre de la présente entente » (Québec et Montréal 2007 : 5).

L’État central a donc autorisé que des négociations aient lieu entre les acteurs institutionnels locaux afin de définir les règles de sélection des projets. Ces dernières prennent la forme de « balises », de même que dans l’entente Ville/MESS. La première réunion de ce comité de gestion, qui a eu lieu en décembre 2007, a permis de définir ce principe. L’obligation faite par le ministère à la Ville de se conformer aux critères du programme PARCI pour pouvoir utiliser une partie de la subvention telle qu’elle apparaissait dans l’addenda de 2006 à l’entente est abandonnée. Les critères, ou balises, de sélection des projets sont véritablement définis en commun, par les deux parties, et non plus seulement par le ministère. Un fonctionnaire du ministère participant au comité

de suivi évoque la première réunion de ce dernier afin de fixer les balises de fonctionnement du comité concernant l’acceptation des projets :

« PI : Ce qu’on souhaite pour les projets de l’année prochaine, c’est faire des critères un petit peu de sélection de projets, établir sur ce comité-là les critères pour que la Ville puisse mieux, puisse accepter les projets qui cadrent mieux avec ces critères-là. On est là pour s’informer, puis voir si ça correspond à ce que nous on s’attendait comme projet. S’il y en a qui cadrent pas du tout avec, nous on va le dire, on va leur dire, mais bon, (...) Ça, les choses comme ça, on fait un genre de suivi, de vérification. (…) Mais, ce qu’on souhaite, c’est qu’au cours de l’année, avoir, établir des critères de sélection de projets. Au moment de la reddition de compte aussi, comment ils vont, comment on souhaite qu’ils nous fassent part des résultats de ces différents projets-là. E : Et dans le cadre de cette entente, là, les critères, ce n’est ni ceux du PANA ni ceux du PARCI. PI : Non, c’est des critères que la Ville a établis. C’est beaucoup des projets pour faire connaître aux clientèles issues de l’immigration les services de la Ville de Montréal. Il y a certains projets en intégration socio-économique, c’est un amalgame de plusieurs types de projets. (…)

Ça va être intéressant de travailler à deux pour établir ces critères-là. C’est qu’avant ça se passait différemment. (…) Avant, il y avait des projets qui étaient présentés à la Ville, la Ville consultait la Direction régionale, il y avait comme un aller-retour. Là, on a fait un comité de suivi, donc on va s’entendre entre nous sur le type de projets qui devrait au cours de la prochaine année être accepté.

(…)

E : Ce que j’avais compris, c’est que maintenant le ministère n’a plus à donner son aval avant… PI : C’est ça. C’est plus sur le suivi, sur la reddition de compte »118.

En second lieu, l’entente traduit l’accroissement de la marge de manœuvre de la Ville de Montréal par rapport à l’État. Comme le résume le texte de l’entente, cette dernière est marquée par un assouplissement du partenariat entre la Ville et le ministère :

« Attendu que les parties conviennent de définir leur partenariat notamment en fonction de l’adaptation de l’action gouvernementale aux réalités montréalaises, de l’autonomie décisionnelle et de la flexibilité de gestion, dans le respect de l’objet de la présente entente » (Québec et Montréal 2007 : 2).

La Ville est maître d’œuvre du plan d’action et, au chapitre de la reddition de compte, le contrôle a priori du ministère est abandonné au profit d’un contrôle a posteriori. En effet, la Ville n’a plus l’obligation de présenter un plan détaillé des actions pour l’année à venir à la « satisfaction du ministre », comme pour les ententes précédentes. Elle doit simplement présenter « une programmation sommaire », qui n’est plus validée par le ministre. En fin d’exercice financier, la Ville a l’obligation de déposer un rapport annuel détaillant « l’utilisation de l’aide financière » (Québec et Montréal 2007 : 4-5).

Pour ce qui concerne le mécanisme de gestion financière, la Ville obtient la capacité de reporter à l’année suivante les sommes non utilisées lors d’un exercice

financier pour soutenir des projets (Québec et Montréal 2007 : 5). Cette disposition de l’entente indique une souplesse de gestion accordée par le ministère à la Ville.

Selon un fonctionnaire municipal, ces points n’ont pas été l’objet d’un litige :

« E : Est-ce que le ministère, il a vraiment bloqué sur un truc ? À part l’argent ?

PI : Non, il a pas bloqué. Je pense que il a regardé la question du transfert de l’argent d’une année à l’autre… Il a regardé, il a pas bloqué, mais il a analysé, et il a étudié. Sur la question de l’enveloppe budgétaire globale, oui il a regardé… sur les modalités de versement, il a regardé. Parce qu’on voulait recevoir tout l’argent d’un coup, en un seul versement, ça il a bloqué. Ça il a regardé, il a dit non, on peut pas donner tout l’argent… On peut vous donner une première comme à 50 % de l’entente, soit 750 000, mais après ça, on peut verser le deuxième montant… Sur la question de la reddition de compte comment on va procéder, il a regardé, il a analysé pour voir si c’était satisfaisant… (…)

E : Mais sur le principe de contrôle a posteriori, ils ont … PI : Ils ont accepté.

E : Sans rien dire, je veux dire… Ils ont dit ok, ça…

PI : Oui, parce qu’à la clause 4.6, il est dit « déposer un rapport final traçant le bilan complet »… Non pardon, à 4.5, « déposer pour chacune des années de la présente entente à la date du 30 septembre un rapport annuel. Ils ont dit, ce rapport détaillera une utilisation de l’aide financière incluant les sommes non utilisées à reporter à l’année suivante, ainsi qu’une évaluation quantitative et qualitative des résultats obtenus, notamment à l’égard des objectifs poursuivis pour chacun des projets réalisés ». Ils ont dit ça va, et donc là, quand on parle d’évaluation quantitative et qualitative, c’est là qu’on est en train de regarder tout le processus, la mécanique d’évaluation des projets »119.

Ceci s’explique parce que, comme l’indique une fonctionnaire de la Direction régionale du ministère, ce dernier a souhaité, au cours des échanges, intégrer les priorités de son plan d’action dans les critères retenus par la Ville lorsqu’elle procèderait au choix des projets :

« (…) Ce qu’on a dit au cours des discussions c’est : vous pouvez avoir une latitude dans le choix puis dans les décisions, par contre vous devez prendre compte de nos priorités, puis tenir compte, puis faire en sorte que tous les projets cadrent dans les priorités. C’est dans cette suite d’idée là… E : Qu’ils ont rajouté convergence MICC …

PI : Avec les orientations…

E : Les orientations du plan « Briller parmi les meilleurs », c’est ?

PI : Non, les orientations stratégiques du ministère c’est 2005-2008 je pense »120.

Pour résumer, dans le cadre de l’entente, la Ville est libre de sélectionner les projets, mais elle doit prendre en compte les orientations thématiques du ministère. Ces derniers font l’objet d’un contrôle a posteriori du MICC en fonction des priorités ministérielles et des critères établis par l’État et la Ville121.

119 Entretien 46, Fonctionnaire, Direction de la diversité sociale, Ville de Montréal, 19 février 2008. 120 Entretien 41, Fonctionnaire, Direction régionale de Montréal, MICC, 5 décembre 2007.

121 Un addenda à l’entente (2007-2010) a été signé en 2009. Il bonifie substantiellement cette dernière

puisqu’une somme de plus de 5 000 000 $ est consentie à la ville sur trois ans (Québec et Montréal 2009 : 1). L’addenda stipule aussi que les modalités de reddition de compte ne sont pas modifiées (Québec et Montréal 2009 : 2). L’analyse menée ici n’est donc pas remise en cause.

2.2.2 La compétitivité économique internationale : une nouvelle priorité