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CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE À MONTRÉAL

2. LE RÉÉCHELONNEMENT DE LA POLITIQUE DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNIQUE À MONTRÉAL

2.2 L’ INSTITUTIONNALISATION DU RÉÉCHELONNEMENT DE L ’É TAT DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DE LA

2.2.2 La compétitivité économique internationale : une nouvelle priorité

précédente, laisse donc le soin à la Ville de sélectionner les projets à soutenir au moyen de l’enveloppe financière versée par le ministère à partir de priorités qu’elle a elle-même définies. La seule condition imposée à la Ville par l’État est que ces priorités s’arriment à celles du ministère. C’est la raison pour laquelle le plan d’action stratégique joint à l’entente fait systématiquement état de « convergences » avec les priorités du MICC. Certains des projets envisagés et qui doivent recevoir le soutien de l’État sont orientés autour de « la diversité comme une valeur ajoutée pour la ville de savoir, de création et d’innovation » (Québec et Montréal 2007 : annexe non paginée). Au sein de l’entente Ville-MICC, la diversité ethnoculturelle est ainsi considérée comme un atout servant au positionnement de Montréal dans la concurrence internationale.

Ceci s’explique par l’effet des politiques de développement économique mises en place au tournant des années 2000 à l’échelle urbaine et qui encouragent la municipalité à développer la compétitivité internationale de Montréal. Dans le cadre de cette perspective de développement, la diversité devient un atout économique.

La diversité, un atout économique pour la Ville de Montréal

Suite au sommet de Montréal de 2002, la Ville de Montréal s’engage dans une stratégie de développement à long terme reposant sur un plan intitulé « Imaginer/Réaliser Montréal 2025 ». Ce plan est en partie orienté autour du positionnement international de Montréal. Afin de faire de Montréal une « ville de savoir, de création et d’innovation», il s’agit de relever « le défi de l’économie du savoir et être reconnu internationalement pour sa créativité, le dynamisme de son innovation et ses talents »122. L’amélioration de sa notoriété internationale doit, selon la Ville, reposer sur :

« (…) la reconnaissance de ses valeurs, de son ouverture, de son caractère cosmopolite et de sa puissance créatrice. Montréal jouit d’une réputation internationale enviable parmi les jeunes, en

122 En ligne

http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=3256,3973979&_dad=portal&_schema=PORTAL, consultée le 23 mars 2009.

accueillant un grand nombre d’étudiants étrangers et des gens de la communauté d’affaires internationale (…) »123.

La Ville de Montréal organise ainsi sa stratégie de développement économique autour de l’attraction des travailleurs liés à l’économie du savoir. Selon la Ville, cette stratégie doit être fondée sur la promotion des atouts de Montréal, notamment sur son caractère cosmopolite. En 2004, la Ville de Montréal notait ainsi, dans l’Avis présenté à la Commission de la culture de l’Assemblée nationale dans le cadre de la consultation publique sur la planification des niveaux d’immigration 2005-2007 :

« D’emblée, la Ville de Montréal est favorable au troisième scénario proposant une augmentation du nombre d’immigrants en raison des problématiques démographiques qui risquent, selon les prévisions des experts, d’affecter d’ici quelques années, sa prospérité économique (…). Le gouvernement devra également développer des mesures et des programmes pour attirer et retenir les travailleurs et travailleuses du savoir à Montréal et permettre à la ville de prendre la place qui lui revient en tant que ville du savoir à l’échelle mondiale. À ce chapitre, Montréal possède des atouts indéniables. Première ville française d’Amérique, au caractère multiculturel, dont la majorité des citoyens sont bilingues, Montréal a un caractère distinct en Amérique du Nord. Tête de pont entre l’Amérique et l’Europe, elle est accueillante et chaleureuse pour les nouveaux arrivants » (Montréal 2004 : 1)

Les organismes ayant pour but le développement économique de Montréal soutiennent également ce type de position. En 2005, Culture Montréal124, un organisme de concertation et de promotion de la culture sur le territoire de la nouvelle Ville de Montréal, a commandé une étude à une firme de consultants, appelée Catalytix, destinée à explorer et valoriser les possibilités qu’offre la région de Montréal en matière d’attraction des travailleurs de la « nouvelle économie », et particulièrement les créateurs. La caractéristique de cette entreprise est de mener des études basées sur les travaux de l’universitaire Richard Florida reposant sur la théorie dite de la « classe créative » :

“Catalytix Inc. is a strategic planning and transformation-management group that assists economic development agencies, government entities, foundations and related organizations in the development and implementation of forward thinking strategies for the long-term growth of creative communities. (…) Catalytix has developed a wide range of products and services to help regions plan, implement and benefit from strategic initiatives based on The Creative Class Theory of Economic Development”125.

123 En ligne.

http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=3256,3973979&_dad=portal&_schema=PORTAL, (consulté le 23 mars 2009).

124 L’un des objectifs affichés de Culture Montréal est de « contribuer au positionnement de Montréal

comme métropole culturelle par la mise en valeur de sa créativité, de sa diversité culturelle et de son rayonnement national et international ». En ligne. http://www.culturemontreal.ca/cult_mtl/culture.htm, (consulté le 23 mars 2009).

L’idée soutenue dans ces travaux est que, dans le contexte de la nouvelle économie, la croissance est le produit d’une classe particulière de travailleurs, appelée la « classe créative ». De ce fait, la compétitivité économique d’une ville dépend de sa capacité d’attraction et de rétention de ce type de travailleurs (Florida 2005). Le rapport de Catalytix explore ainsi le potentiel de Montréal en la matière. Selon ce dernier, Montréal est l’une des « ‘étoiles montantes’ des économies créatives qui existent dans le monde » (Stolarick et al. 2005 : 2). Or, selon ces auteurs, ceci s’explique en raison des caractéristiques propres de la ville :

« Montréal possède un riche passé historique qui lui a permis de bâtir une société exceptionnellement tolérante. Tous savent très bien le rôle que joue la diversité pour attirer et retenir des créateurs et des travailleurs de talent. (…) Plus la pluralité et la diversité règnent dans une région, plus grandes sont les chances qu’elle attire des gens créatifs de tout acabit possédant des compétences et des idées variées » (Stolarick et al. 2005 : 9).

Des changements à la politique municipale en matière de diversité ethnoculturelle

La diversité ethnique est donc considérée comme un atout économique par la Ville. Ceci explique que la politique municipale en matière de gestion de la diversité ethnoculturelle va peu à peu être liée au développement économique de la ville. En 2007, le Comité exécutif de la Ville adopte la Planification stratégique en matière de diversité ethnoculturelle. Ce document, qui constitue le socle de la politique en matière de diversité ethnoculturelle de la Ville, est le fruit d’une vaste consultation à l’interne des services municipaux, et est basé sur le plan Imaginer/Réaliser Montréal 2025. La caractéristique de cette programmation est de tenir compte du fait que de multiples institutions constituent des acteurs des politiques en matière de diversité ethnoculturelle à l’échelle de Montréal. Les priorités de la Ville font donc référence aux axes définis par la CRÉ et ceux du plan d’action du MICC (Montréal 2007c : non paginé). Comme le mentionne le sommaire décisionnel qui accompagne la ratification de l’entente Ville- MICC, la Ville reconnaît que la diversité ethnoculturelle est gérée, à Montréal, par plusieurs acteurs institutionnels et que la réflexion municipale doit être « arrimée » à celle des autres partenaires :

« Les enjeux liés à l’immigration, à l’intégration et aux relations interculturelles sont à l’agenda de tous les acteurs de Montréal et des régions. C’est une préoccupation qui dépasse nos frontières et nous serons de plus en plus appelés à partager nos expertises et à rechercher les meilleures pratiques existantes dans les grandes métropoles. Le momentum est parfait pour arrimer la

réflexion de la Ville de Montréal à celle de ses partenaires et contribuer, par la mise en place de projets structurants liés à la diversité ethnoculturelle, à la vision qu’elle s’est donnée dans Imaginer Réaliser Montréal 2025. Il devient impératif de bien cerner les juridictions de chacun et les espaces d’intervention communs entre partenaires, de manière à accroître les effets d’une action concertée » (Montréal 2007c : non paginé)

La Planification stratégique en matière de diversité ethnoculturelle de la Ville repose sur plusieurs axes dont le premier est le développement économique. Cet axe s’intitule : « Une ville attirante à rayonnement international ». L’idée développée par la Ville est que la politique de la municipalité en matière de diversité ethnoculturelle doit être liée à la préoccupation de la capacité d’attraction de la Ville à l’international :

« Dans son plan d’action Montréal 2025, l’administration a identifié des axes d’intervention pour accroître son rayonnement international et attirer de nouveaux talents. Ces axes sont fondés sur ses valeurs, sa réputation d’ouverture, son caractère cosmopolite et son potentiel créateur. Pour un aspirant à l’immigration, le critère fondamental qui motive le choix de destination, est la perspective de prospérité économique et sociale dans un milieu où la qualité de vie est supérieure à celle du pays d’origine. Dans un contexte de forte compétition des métropoles, Montréal doit mettre de l’avant les atouts qui sont susceptibles d’influencer ce choix. L’approche de la Ville en matière d’incitation à choisir Montréal doit toucher l’ensemble des catégories en portant une attention particulière aux clientèles suivantes : Gens d’affaires (investisseurs et entrepreneurs étrangers (…); Entrepreneur locaux et jeunes entrepreneurs (…); les étudiants étrangers et les travailleurs en haute technologie (…) » (Montréal 2007b : 3-4).

En ce qui concerne les entrepreneurs locaux, la Ville cherche à « miser sur les réseaux des communautés déjà établies depuis longtemps, à la fois pour son développement local et son rayonnement international » (Montréal 2007b : 4). Ces différents extraits de la planification stratégique sont clairs : la stratégie municipale en matière de diversité ethnoculturelle doit, en partie, répondre aux nécessités du développement économique de la ville. Au-delà de l’intégration et du maintien de relations interculturelles harmonieuses, la municipalité axe donc une partie de sa politique en matière de diversité ethnoculturelle sur la nécessité de promouvoir Montréal à l’international.

Ceci est également perceptible dans les changements ayant affecté l’organisation administrative de la Ville en la matière. Nous avons vu, au début de ce chapitre, que la création de la politique municipale de gestion de la diversité ethnoculturelle s’est traduite institutionnellement par l’inscription, dans l’appareil administratif municipal, du BIM puis par la création de la DAI. La DAI, remplacée par la suite par le Bureau des affaires interculturelles (BAI), intégré au sein de la Direction générale (Fourot 2008 : 312). Or, plusieurs auteurs ont noté des changements dans l’organigramme municipal après la création de la nouvelle Ville révélant, selon eux, une diminution de

l’importance du bureau en charge de la diversité ethnoculturelle. Selon A. Germain et M. Alain, après 2002, la politique de gestion de la diversité s’est « diluée » dans l’appareil administratif municipal en raison de ce qu’ils nomment « l’hyper- décentralisation de la nouvelle ville » :

« Mais dans les faits, l’hyper-décentralisation de la nouvelle ville, ou son implosion diront certains, destinée notamment à contrer la menace des défusions avec la création d’arrondissements ayant plein pouvoir sur les dossiers de proximité, contribue sans doute aussi à la dilution des dossiers interculturels dans l’appareil municipal (…) » (Germain et Alain 2006 : 254).

A.-C. Fourot écrit ainsi que :

« (…) le fait qu’avant le processus de réorganisation municipale, le Bureau des affaires interculturelles était situé au sein de la direction générale où il exerçait une responsabilité déléguée du directeur général alors que maintenant il est incorporé dans un service municipal peut être interprété comme un baisse de pouvoir au sein de l’organigramme politico-administratif de la Ville de Montréal (…) » (Fourot 2008 : 312).

Pour cette auteure, ceci s’explique par une implication moindre du maire G. Tremblay par rapport à son prédécesseur dans le dossier des affaires interculturelles et la décentralisation de la nouvelle Ville à l’échelon des arrondissements (Fourot 2008 : 313).

Selon nous, ceci peut également s’expliquer par le fait que la gestion de la diversité ethnique devient une thématique intégrée au sein d’autres politiques servant de levier au rayonnement international de la ville. Pour le montrer, nous avons étudié l’évolution du positionnement institutionnel du service municipal en charge des affaires interculturelles. En effet, l’inscription dans un organigramme révèle, dans une certaine mesure, la place et le rôle accordés par les dirigeants d’une organisation à une thématique particulière. Les anciens organigrammes consultables ne permettent pas d’observer ce degré de détail, aussi avons-nous fait le choix d’étudier quelques budgets primitifs municipaux disponibles sur le site Internet de la Ville. Il en ressort qu’en 2005, la gestion de la diversité ethnoculturelle est une politique intégrée au sein du Service de la gestion stratégique, du capital humain et de la diversité ethnoculturelle. Parmi d’autres fonctions, ce service a pour objectif :

« (…) l’accroissement du rayonnement international de Montréal afin de favoriser le développement de la métropole et d’assurer le leadership de l’action internationale de la Ville en collaboration avec les divers organismes de promotion de Montréal ainsi qu’avec les diverses institutions de la communauté » (Montréal 2005 : 33.1).

Ceci montre que la diversité ethnoculturelle est bien utilisée comme un levier par l’administration municipale en vue d’accroître le rayonnement de la Ville à l’international, notamment en collaboration avec des organismes de promotion de Montréal, tels Montréal International et Culture Montréal. En 2006, la Direction des affaires interculturelles126 est intégrée au sein du Service du développement culturel, de la qualité du milieu de vie et de la diversité ethnoculturelle (Montréal 2006b : 22.3). Ce service a pour objectif d’améliorer la qualité de vie au sein de la ville :

« Mis sur pied pour procurer aux Montréalais un cadre de vie ouvert, animé et agréable, le Service de développement culturel, de la qualité du milieu de vie et de la diversité ethnoculturelle a pour mission d’en assurer la sauvegarde, l’expansion et l’épanouissement » (Montréal 2006a : 27.1).

La DAI a pour rôle, au-delà de ses fonctions traditionnelles, d’améliorer la qualité des relations interculturelles :

« La Direction des affaires interculturelles joue, quant à elle, un rôle crucial et transversal au sein du service, voire au sein de l’ensemble de la structure municipale. Elle coordonne et développe les orientations institutionnelles en relations interculturelles ainsi que les services-conseils et d’expertise à l’Administration, aux services corporatifs et aux arrondissements. Elle travaille à améliorer l’accessibilité des services municipaux aux membres des communautés ethnoculturelles afin d’accélérer l’intégration à la vie montréalaise et de favoriser l’harmonie interculturelle (…) » (Montréal 2006a : 27.3).

Le budget de 2007 ne montre aucun changement : la DAI reste intégrée au sein de ce service (Montréal 2007a). La politique en matière de diversité ethnoculturelle de la Ville est donc en partie conçue par les acteurs municipaux comme un levier pour la promotion de Montréal à l’international.

Ainsi, l’historique des ententes entre le ministère de l’Immigration et la Ville de Montréal a montré que dans un contexte de rééchelonnement de l’État au Québec s’est construite une politique de gestion de la diversité ethnoculturelle à l’échelle de la ville de Montréal. En premier lieu, la préoccupation du développement économique de Montréal, centrale dans les ententes conclues par le gouvernement du Québec et la Ville au tournant des années 2000, a peu à peu animé cette politique. En second lieu, l’État central a progressivement délégué aux acteurs locaux la marge de manœuvre nécessaire afin d’animer cette politique. On observe une institutionnalisation au travers de ces

126 Selon ces documents, le BAI prend le nom de Direction des affaires interculturelles, au moins à partir

ententes des nouveaux rapports entre la Ville et l’État issus des réformes de rééchelonnement de l’État. Les nouveaux principes qui animent les rapports entre la Ville et la Province (contrôle a posteriori, modalités de reddition de compte, prise en compte des priorités de la Ville) mis en place dans le contrat de ville de Montréal ont, peu à peu, été institutionnalisés au sein d’un autre domaine de politique publique, celui de la gestion de la diversité ethnoculturelle. Malgré le changement de gouvernement en 2003 qui eu pour conséquence une recentralisation de l’entente entre 2004 et 2006, ces principes négociés par le gouvernement du Parti québécois ont été introduits par le gouvernement libéral au sein de l’entente entre la ville et le MICC signée en 2007. Ceci signifie que le cadre mis en place par les acteurs institutionnels et traduisant le contexte de rééchelonnement de l’État résiste, malgré des modifications conjoncturelles, aux changements ponctuels.

En troisième lieu, nous avons montré que l’État central, ou déconcentré, garde suivant les périodes, un rôle fort dans la politique de gestion de la diversité à l’échelle de Montréal. Que cela se manifeste par la recentralisation de la politique en 2004-2006, ou les contrôles a priori ou a posteriori exercé sur la Ville, l’État provincial est un acteur important dans cette politique.

Cette implication forte de l’État provincial à l’échelle locale dans un contexte de rééchelonnement de l’État se traduit également au travers de la mise en place des Conférences régionales des élus. C’est la raison pour laquelle la gestion de la diversité ethnique à Montréal va faire l’objet d’une politique à l’échelle locale impliquant la CRÉ.