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CHAPITRE 2 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE L’ÉTAT AU QUÉBEC

2. LES RÉFORMES DU SECTEUR MUNICIPAL SUR FOND DE FAIBLE MARGE DE MANŒUVRE DES MUNICIPALITÉS

2.1.2 Les années 1990 : un contexte de pression financière sur le secteur municipal

rapport à la province ainsi que leurs ressources. Selon P. Hamel, cette mesure a été favorable à une réduction de la dépendance financière des municipalités envers la province (Hamel 2005 : 160). Au départ favorable aux municipalités du point de vue financier (Hamel 2002 : 34), cet arrangement fiscal n’a pourtant pas augmenté les pouvoirs de ces dernières par rapport au gouvernement provincial. P. Hamel note en effet que : « (…) the central objective was to strengthen ‘local autonomy’. However this did not mean a reduction in provincial power and an increase in municipal power » (Hamel 2005 : 164). Selon S. Belley :

« Bien que défendables, ces principes nous portent aujourd’hui à conclure, notamment à la lumière des tendances observables ailleurs dans le monde, qu’ils ont (…) contribué à confiner les municipalités québécoises dans leur champs traditionnels de responsabilités (…) » (Belley 2006 : 53).

Ainsi, les réformes du tournant des années 1980, si elles avaient pour but d’augmenter l’autonomie locale des municipalités, ne représentent pas des mesures de décentralisation en regard des critères que nous avons adoptés : elles n’ont pas augmenté la marge de manœuvre des villes par rapport à l’État provincial pas plus qu’elle n’ont accru leurs ressources et ont plutôt empêché ces dernières d’exercer de nouvelles compétences.

2.1.2 Les années 1990 : un contexte de pression financière sur le secteur municipal

Selon J.-P. Collin, « la décennie 1980 n’est pas porteuse de projets visant à structurer l’ensemble du système urbain québécois et le débat sur la décentralisation est mis en veilleuse (…)» (Collin 2002 : 7). Seule une « régionalisation administrative des interventions gouvernementales, sur la base du redécoupage en seize régions de concertation et de développement (…) » (Collin 2002 : 7) a lieu en 1987. Il faudra attendre le début des années 1990 pour que le débat sur la décentralisation resurgisse,

fortement teinté par la « volonté de recomposition et de réorganisation des pratiques relatives à la fourniture de services publics » (Collin 2002 : 8).

Toutefois, ce débat ne donna lieu qu’à des réformes liées à la fiscalité locale qui auront pour conséquence d’alourdir davantage la pression financière sur les municipalités sans accroître leur marge de manœuvre par rapport à la province. À la lumière des critères retenus pour définir la décentralisation (transfert de compétences et de ressources et augmentation de la marge de manœuvre des municipalités), nous montrerons que les années 1990 n’ont pas vu la mise en place de réformes décentralisatrices.

Les années 1990 sont marquées, dans les provinces canadiennes, par un climat de néolibéralisme (Andrew 2003 : 322) qui a eu pour effet de provoquer un « délestage » (« downloading ») des responsabilités du gouvernement fédéral vers les provinces, et de ces dernières vers les municipalités (Andrew et al. 2002 : 10). Si ce processus a pu être interprété comme une « tendance vers la décentralisation »55 (Andrew 2003 : 323), la marge de manœuvre des municipalités par rapport aux gouvernements provinciaux n’a pas augmenté. Comme le notent C. Andrew, K. A. Graham et S. D. Phillips, on assiste surtout depuis 1985 à un processus de « désencastrement » (« disentanglement ») des responsabilités entre les provinces et les municipalités dans un contexte de redéfinition des rapports fiscaux entre ces acteurs qui s’accompagne d’une centralisation des politiques au profit des États provinciaux :

« The reality has been significant downloading of responsibilities to municipalities without financial compensation and a sharp reduction in provincial-municipal transfers. Disentanglement has also been accompanied by a change in provincial-municipal relations on the substance of policy. (…) Provincial governments have asserted centralized control over policy and, in many cases, mandated the level and specifics of how services are to be delivered, while requiring municipal governments to assume full responsibilities for financing and service delivery » (Andrew et al. 2002 : 10-11).

Au Québec, les municipalités ont connu une augmentation de la pression fiscale sur leur budget, imposée par le gouvernement de la province, sans que ceci ne s’accompagne d’un accroissement de leur marge de manœuvre par rapport à cette

55 L’utilisation de ce terme prête à interprétations. Si pour certains auteurs, il est synonyme de

« délestage » (« downloading »), il doit plutôt revêtir, selon nous, une dimension d’augmentation de la marge de manœuvre des municipalités.

dernière. Les années 1990 ont été marquées, au Québec, par un contexte de pression sur les finances publiques dû à une récession économique (Hamel 2002 : 34). En 1990, le ministre des Affaires municipales, Y. Picotte, tente de mettre en place une renégociation du partage des compétences entre les municipalités et le gouvernement provincial pour aboutir éventuellement à une nouvelle entente fiscale, mais l’initiative avorte (Collin, 2002 : 8). La même année, C. Ryan, le nouveau ministre, instaure une réforme qui impose un réaménagement de la fiscalité locale induisant en réalité des coûts supplémentaires pour les municipalités (Hamel 2002 : 35). Selon l’expression de J.-P. Collin, cette réforme a pour conséquence de « refiler certaines factures nouvelles aux municipalités » (Collin 2002 : 8). En 1995, le gouvernement du PQ publie un Livre vert sur la décentralisation dans la perspective d’un référendum sur la souveraineté (Québec 1995) qui n’aura pas de suite en raison du rejet du projet souverainiste lors du référendum (Tomàs 2007 : 170).

En juin 1997, le gouvernement cherche à revoir la fiscalité municipale et le partage des responsabilités, afin de faire participer les villes à l’atteinte du déficit budgétaire zéro (Collin 2002 : 6). Face aux résistances de ces dernières, le gouvernement impose une participation des municipalités à un Fonds spécial de financement des activités locales (Hamel 2002 : 36) à hauteur de 375 000 000 $ par année pour 1997-1998-1999 (Collin 2002 : 6). En contrepartie, le gouvernement instaure la Commission nationale sur les finances et la fiscalité locale, dite « Commission Bédard », dont le mandat consiste en l’analyse de « la problématique financière du secteur local mais également la question de ses responsabilités, de son organisation et de ses structures » (cité dans Collin 2002 : 6). Le rapport de la Commission formule un certain nombre de mesures :

« La Commission Bédard (…) formule d’abord un ensemble de changements à faire (…) aux chapitres du financement et de la fiscalité du secteur local en général et du secteur municipal en particulier, changements qui constituent à ses yeux un rééquilibrage du secteur local pouvant être réalisé relativement court terme. Ce rééquilibrage de la fiscalité municipale, tout en consolidant les acquis de la réforme de 1980 doit y apporter aussi certains correctifs majeurs notamment au chapitre des effets de disparités et des effets d’agglomération au sens large » (Collin 2002 : 6)

Le rapport de cette Commission (1999) proposa plusieurs recommandations en matière de fiscalité locale advenant un remaniement du partage de compétences entre l’État québécois et les municipalités, mais celles concernant la fiscalité et la

décentralisation ne furent pas reprises (Belley 2006 : 53). Selon J.-P. Collin, ceci s’explique par le fait qu’un « comité technique réunissant le ministère des Affaires municipales et l’UMQ avait poursuivi ses travaux parallèlement à ceux de la commission Bédard » (Collin 2002 : 6). Ces travaux serviront de base au « Pacte fiscal » de 2000 (Collin 2002 : 6). Selon P. J. Hamel, ce pacte fiscal reflète le contrôle de l’État central sur les municipalités. Il ne leur accorde pas de marge de manœuvre supplémentaire, voire la réduit (Hamel 2002).

En conclusion, si l’on considère les réformes menées par le gouvernement provincial dans les années 1990, « le Québec est loin de s’engager vers une réelle décentralisation, à tout le moins si on s’en tient à observer ce qui se passe en matière de fiscalité » (Hamel 2002 : 37)56. Toutefois, ces réformes ont pour conséquence de préparer un contexte favorable aux réformes des années 2000, qui seront, elles, marquées par la reconnaissance, par le gouvernement, de la marge de manœuvre de la Ville de Montréal par rapport à la province.

2.1.3 Les réformes des fusions municipales du tournant des années 2000 : le