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Le frein à la décentralisation vers la Ville de Montréal : le projet gouvernemental

CHAPITRE 2 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE L’ÉTAT AU QUÉBEC

2. LES RÉFORMES DU SECTEUR MUNICIPAL SUR FOND DE FAIBLE MARGE DE MANŒUVRE DES MUNICIPALITÉS

2.2 U NE DÉCENTRALISATION « ASYMÉTRIQUE ET PARTENARIALE » VERS LA NOUVELLE V ILLE DE M ONTRÉAL

2.2.3 Le frein à la décentralisation vers la Ville de Montréal : le projet gouvernemental

gouvernement libéral

En 2003, l’élection du gouvernement libéral marque un tournant dans les relations entre la province et la métropole. Le projet d’autonomie régionale et municipale lancé par ce gouvernement en 2004 privilégie la création d’institutions à l’échelle des régions administratives du Québec, les Conférences régionales des élus (CRÉ) afin d’assurer le développement régional. Ces réformes ne sont pas neutres en

78 Entretien 34 Fonctionnaire, Ville de Montréal, 2 novembre 2007.

79 Entretien 32, Fonctionnaire, Direction de la diversité sociale, Ville de Montréal, 26 octobre 2007. Ceci

termes de rapports de pouvoir. La création des CRÉ peut être interprétée comme la volonté du gouvernement de limiter le rôle de la Ville de Montréal et son autonomie tout en s’assurant le soutien des élus municipaux pour la mise en place de politiques provinciale à l’échelle locale. Elle révèle que, malgré la signature d’ententes stratégiques avec la Ville de Montréal et le processus de décentralisation asymétrique et partenariale qu’elle induit, l’État souhaite conserver une maîtrise à l’échelle locale80.

Les CRÉ, qui remplacent les Conseils régionaux de développement (CRD)81, constituent un mécanisme de concertation laissant une place prépondérante aux élus locaux (Rivard et al. 2004 : 37) qui peuvent s’adjoindre des représentants de la société civile. L’État fait de ces acteurs ses principaux partenaires institutionnels dans le développement local en organisant un mécanisme de concertation à cette échelle entre les Conférences administratives régionales82 (CAR) et les représentants des CRÉ (Québec 2007c : 19). Le gouvernement du Québec fait ainsi le choix de faire reposer le pilotage du développement local des régions administratives sur des partenariats avec le monde régional et municipal au travers des CRÉ :

« À cet effet, la vision d’avenir du ministère s’articule autour de la concrétisation d’un partenariat renouvelé avec le monde municipal et les acteurs du développement régional misant sur le renforcement du leadership régional et métropolitain et la complémentarité des interventions entre les différents acteurs » (Québec 2005a : 9).

Le gouvernement va ainsi systématiquement développer des ententes avec ces partenaires, dans de nombreux domaines. Le partenariat devient ainsi le nouveau mode d’action de l’État provincial (Divay 2006 : 41).

Cette politique révèle que, à partir de ce moment, l’État tente de s’impliquer beaucoup plus localement à Montréal et de s’assurer une maîtrise des politiques à l’échelle locale. Comme le note G. Divay, la politique du gouvernement en matière de décentralisation considère les élus municipaux comme des « coordonnateurs terrains des activités étatiques » (Divay 2006 : 40). Dans ce cadre, la décentralisation consiste à accroître la maîtrise, par l’État, des politiques mises en place à l’échelle locale :

80 Comme l’explique M. Tomas, « malgré l’acceptation de ce rôle plus stratégique, il y a toujours eu un

certain contrôle exercé par le gouvernement provincial sur sa ‘créature’ la plus imposante » (Tomàs 2007 : 177).

81 Le lecteur pourra se reporter aux travaux de D. Masson pour une présentation de l’historique du

contexte de mise en place des CRD (Masson 2006 : 468-470).

« La décentralisation n’est pas dans la pratique un simple transfert qui retranche au centre et ajoute au local. (…) Elle veut renforcer l’autonomie locale dans la mesure où cet ajout d’autonomie permet aux élus municipaux de devenir des partenaires dans la mise en œuvre d’orientations gouvernementales » (Divay 2006 : 41).

La création des CRÉ doit donc s’interpréter dans cette perspective83. Dans le cas de Montréal, l’échelle d’action de la CRÉ se superpose à celle de la nouvelle Ville. Ceci signifie que, dans le cadre des processus de rééchelonnement de l’État à Montréal, l’État reste un acteur très important dans cette ville et tente de maîtriser les politiques mises en œuvre à l’échelle locale. Sans remettre fondamentalement en cause le modèle de décentralisation « asymétrique et partenarial », l’État s’implique plus à Montréal et tente de contrôler, en privilégiant la décentralisation vers la CRÉ de Montréal, l’application des orientations des politiques à l’échelle locale.

Corollairement, la décentralisation vers les municipalités - notamment Montréal - est limitée. Un volet du projet gouvernemental concerne en effet explicitement ce domaine. Ce dernier fait l’objet d’une concertation avec les élus municipaux au sein de la Table Québec-municipalités (TQM) pilotée par le ministère des Affaires municipales et des Régions (MAMER) et rassemblant les acteurs municipaux ainsi que leurs partenaires au sein de l’État : le maire de Montréal, les fédérations des municipalités et des représentants du ministère des Affaires municipales et des Régions (Québec 2005b : 7). Ce dernier publie, en 2004, un document de préparation aux discussions sur la décentralisation et à la réforme du pacte fiscal afin de baliser les négociations avec les partenaires municipaux (Québec 2004b). Pour résumer ce document, le gouvernement du Québec, dans un contexte budgétaire difficile et de déséquilibre fiscal avec le gouvernement fédéral, prône une décentralisation des compétences vers les municipalités. Selon le ministère, ces dernières possèdent une certaine marge de manœuvre financière pour absorber ces changements (Québec 2004b : 53). Le gouvernement reconnaît la nécessité de transférer des revenus aux municipalités, mais ceci ne peut se faire par la concession supplémentaire des ressources fiscales mais plutôt

83 Toutefois, dans le cas de Laval, A.-C. Fourot note que, contrairement à ce que nous soutenons pour la

Ville de Montréal, « la création des CRÉ a donné au maire et aux élus municipaux de nouvelles marges de manœuvre décisionnelles (…) » (Fourot 2008 : 266). Selon cette auteure, ceci s’explique parce que « (…) la situation de Laval est unique avec la superposition des territoires de la municipalité, de la MRC et de la région. Il en ressort que la CRÉ est un véritable nouveau levier d’action pour les élus municipaux » (Fourot 2008 : 266).

par la diversification de leurs revenus (Québec 2004b : 43) et par une participation des gouvernements et un accroissement de celle du gouvernement fédéral (Québec 2004b : 44). Toutefois, le document mentionne que les modalités de ce transfert de ressources restent à définir (Québec 2004b : 46).

Or, la position du monde municipal, au moins d’une partie de ce dernier, est de vouloir davantage de garanties institutionnelles en matière de décentralisation. En avril 2005, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) publie un mémoire prônant une loi-cadre sur la décentralisation (FQM 2005). La position de la FQM est que la décentralisation au Québec doit passer par une loi-cadre qui :

« (…) définirait les grands paramètres de la décentralisation, les niveaux de territoires décentralisés (municipalités et MRC) et les conditions (en termes de ressources financières, humaines et techniques) dans lesquelles de nouvelles responsabilités et compétences seraient attribuées au collectivités territoriales » (FQM 2005 : 20).

À la différence de la concertation menée au sein de la TQR sur les trois autres volets du projet gouvernemental (voir section 1 de ce chapitre), la TQM n’a pas produit de rapport à la date où nous achevons la rédaction. On peut faire l’hypothèse que les discussions entre le monde municipal et le gouvernement se trouvent dans une impasse.

La politique d’autonomie régionale et municipale du gouvernement libéral a donc pour objectif de limiter l’autonomie des municipalités - et surtout celle de Montréal - par rapport à l’État tout en s’assurant du soutien des élus municipaux pour la mise en place des politiques étatiques à l’échelle locale au travers des CRÉ. Alors que, nous l’avons vu, les compromis entre le gouvernement précédent et les élites montréalaises ont eu pour conséquence de faire émerger une nouvelle Ville et de renforcer sa position institutionnelle, le gouvernement libéral décide la création d’une institution à l’échelle locale et surtout d’en faire son partenaire principal dans le développement à cette échelle. Cette réorganisation, qui est le résultat d’un rapport de force entre la Ville de Montréal et l’État différent de celui de la période précédente, a pour conséquence un coup d’arrêt à la décentralisation vers la Ville de Montréal.

La tendance à la décentralisation vers la Ville de Montréal est ainsi remise en question. En effet, le contrat de ville de Montréal, qui organisait la décentralisation vers cette dernière, n’a pas été renouvelé. Seule une entente concernant la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale a été signée fin 2008. La loi 22 instaurant la

reconnaissance officielle du caractère métropolitain de Montréal est adoptée en juin 2008. Cette loi modifie plusieurs dispositions législatives concernant Montréal. En premier lieu, « la loi introduit dans la Charte de la Ville de Montréal la reconnaissance du fait que la Ville de Montréal est la métropole du Québec et un de ses principaux acteurs en matière de développement économique » (Québec 2008 : 2). Ensuite, la loi octroie à la Ville de Montréal un « pouvoir général de taxation sous réserve de certaines restrictions et conditions » (Québec 2008 : 2).

De plus, une entente est intervenue en juin 2008 entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal destinée à reconnaître la spécificité des besoins de la métropole84. Toutefois, cette dernière ne s’accompagne pas d’un accroissement de la décentralisation. Afin de le montrer, deux types de dispositions retiennent notre attention. La première série concerne les dispositions financières afin de diversifier les sources de revenus de la Métropole. Un transfert est introduit (soutien financier de 25 000 000 $ annuellement de la part du gouvernement) et les pouvoirs de taxation de la Ville sont élargis dans des limites définies par la loi85. Ainsi, en privilégiant les transferts directs, dont les montants sont inférieurs à ceux qui avaient été négociés dans le cadre du contrat de ville, et en encadrant les pouvoirs de taxation de la municipalité, la pression financière sur cette dernière est augmentée. La deuxième dimension concerne l’allègement des contrôles administratifs de la province sur la Ville, et ce à deux niveaux. Le premier point est celui des ententes entre Montréal et le gouvernement fédéral. Le texte mentionne que les contrôles exercés par la province sur ces ententes seront allégés. Le second point concerne les relations entre la métropole et la province. Aucune mesure concrète n’est inscrite à ce sujet au sein de l’entente. Seule la création d’un comité, dont le mandat est d’étudier cette question, est mentionnée :

« Dans le but d’une amélioration continue du fonctionnement de la Ville de Montréal, le gouvernement mettra en place une table de travail composée de représentants du ministère des Affaires municipales et des Régions et de la Ville de Montréal. Les travaux toucheront notamment la simplification des relations gouvernement-métropole, les contraintes et contrôles qui nuisent à l’efficacité de la Ville et l’examen de tout autre enjeu dont les parties conviendront »86

84 En ligne. http://www.mamrot.gouv.qc.ca/metropole/metr_ente_mont.asp, (consulté le 6 avril 2009). 85 En ligne. http://www.mamrot.gouv.qc.ca/metropole/metr_ente_mont.asp, (consulté le 6 avril 2009). 86 En ligne. http://www.mamrot.gouv.qc.ca/metropole/metr_ente_mont_fich.asp (consulté le 6 avril 2009).

Si les contrôles opérés par la province concernant les relations avec le gouvernement fédéral sont allégés, cette entente n’a pas permis à la Ville de Montréal d’approfondir fondamentalement la modification de ses rapports avec Québec.

Ainsi, cette étude des réformes municipales au Québec a permis de caractériser le rééchelonnement de l’État au Québec. Les décennies 1980 et 1990 ont été marquées par de nombreuses discussions et négociations entre les acteurs institutionnels (municipaux et gouvernementaux) en matière de fiscalité. Si elles ont abouti à des réformes, elles n’ont pas pour autant accru la marge de manœuvre de la Ville de Montréal par rapport à la province. En revanche, les réformes du tournant des années 2000 ont profondément modifié le paysage municipal à Montréal. Adoptées en partie pour stimuler compétitivité internationale de Montréal dans la concurrence que se livrent les villes nord-américaines, elles ont été adoptées dans un contexte marqué par des rapports de force et de négociations entre la Ville de Montréal et la province. Elles marquent le rééchelonnement de l’État au Québec et ont conduit au renforcement de la position institutionnelle de la Ville de Montréal. La nouvelle Ville de Montréal est ainsi reconnue, par la province, comme un acteur essentiel du développement économique à l’échelle locale, ce qui va conduire à la signature de plusieurs ententes entre cette dernière et le gouvernement du Québec. Ces ententes partenariales ciblent des projets d’investissement et financent des programmes induisant une marge de manœuvre accrue de la Ville de Montréal.

Toutefois, cette décentralisation vers la Ville de Montréal s’est vue ultérieurement limitée par le choix du gouvernement du Québec de ne pas renouveler le contrat de ville et de privilégier le développement local à Montréal au moyen d’un partenariat avec une autre structure, la CRÉ. Au terme de ces trois décennies de négociations et de réformes, le rééchelonnement de l’État s’est donc mis en place au Québec en créant un contexte institutionnel qui n’est pas encore stabilisé et est marqué par une forte maîtrise de l’État.

CONCLUSION

L’approche institutionnelle et l’attention portée aux acteurs institutionnels a donc permis une lecture fine du rééchelonnement de l’État au Québec. Il ressort de ce chapitre que ce processus, qui a pris place au cours des dernières décennies, se traduit par une série de réformes institutionnelles dans un contexte de rapports de négociation entre acteurs municipaux et gouvernementaux. Il se caractérise par une double tendance. En premier lieu, à partir des années 1970, le Québec a mené une déconcentration de ses différents ministères. Cette dernière s’est effectuée à des degrés divers en fonction des secteurs concernés. Le ministère de l’Immigration a connu une déconcentration tardive (début des années 1990) qui a impliqué une réorganisation scalaire et territoriale de ses institutions et un fonctionnement plus autonome de ses agents locaux. Les résultats obtenus ici démontrent que la théorie du rééchelonnement de l’État développée par N. Brenner a avantage à être complétée par l’étude des réformes de déconcentration afin de permettre une description plus exhaustive des phénomènes de recomposition des États.

La deuxième tendance est la mise en place, à partir de la fin des années 1990, de politiques de développement à l’échelle locale afin d’améliorer la compétitivité de la Ville de Montréal dans un contexte de concurrence internationale accrue. Ce processus a permis l’émergence d’une nouvelle Ville de Montréal dont le périmètre est élargi, et qui s’est vue reconnaître, par la province, un rôle d’acteur important en matière de développement économique. Une tendance à la décentralisation « asymétrique et partenariale », pour reprendre les mots de S. Belley, se met progressivement en place. Ceci explique la signature d’ententes - notamment le contrat de ville - qui ont contribué à redéfinir les rapports entre la Ville et le gouvernement par la décentralisation et surtout l’assouplissement des contrôles étatiques concernant les transferts financiers gouvernementaux.

Cette tendance a néanmoins été limitée par la suite en raison de la politique mise en place, à partir de 2004, par le gouvernement suivant, qui a privilégié le développement local à Montréal par le biais de partenariats avec une autre structure institutionnelle : la Conférence régionale des élus. Ce changement opéré par l’État central dans le choix de ses partenaires démontre que la décentralisation dite

« asymétrique et partenariale », qui constitue un élément du rééchelonnement de l’État, sans être remise en question, bénéficie moins à la Ville de Montréal que dans la période précédente. Cette capacité de l’État à redéfinir ses partenariats traduit la place importante de ce dernier, et notamment la capacité de l’État central à maîtriser les politiques mises en place à l’échelle locale. L’État provincial, loin de connaître un déclin ou une érosion, reste un acteur majeur des politiques publiques à cette échelle.

Le chapitre suivant est consacré aux conséquences de la mise en place de ce contexte institutionnel sur la citoyenneté, au travers d’une analyse des pratiques des acteurs institutionnels dans le domaine des politiques de gestion de la diversité ethnoculturelle à Montréal. Nous y verrons que, dans un contexte de rééchelonnement de l’État, l’État reste un acteur majeur dans le cadre de ces politiques, et que la Ville de Montréal ainsi que l’État déconcentré ont acquis une marge de manœuvre par rapport à l’État central dans la mise en place de ces dernières à l’échelle locale.

CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES DE GESTION DE