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CHAPITRE 2 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE L’ÉTAT AU QUÉBEC

2. LES RÉFORMES DU SECTEUR MUNICIPAL SUR FOND DE FAIBLE MARGE DE MANŒUVRE DES MUNICIPALITÉS

2.2 U NE DÉCENTRALISATION « ASYMÉTRIQUE ET PARTENARIALE » VERS LA NOUVELLE V ILLE DE M ONTRÉAL

2.2.1 De la compétitivité internationale aux ententes stratégiques

Comme nous l’avons évoqué dans la section précédente, le développement économique de la région urbaine de Montréal est au cœur des préoccupations des experts – politiques et économiques – dans les années 1990. Ces préoccupations vont mener aux réformes des fusions organisant le rééchelonnement de l’État vers la région urbaine de Montréal. Ce rééchelonnement a renforcé la position institutionnelle de la Ville de Montréal. Cette section analyse comment la préoccupation du développement économique de cette dernière conduit à la signature d’ententes entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec qui vont avoir pour effet de modifier les relations entre ces deux acteurs. La question de la compétitivité économique internationale de la

métropole ainsi que l’ambition et les pressions des acteurs municipaux de la Ville de Montréal sur le gouvernement provincial en matière de stratégie de développement économique dans un contexte de réformes institutionnelles vont constituer le contexte favorable à la signature d’ententes particulières entre la Ville et le gouvernement provincial au tournant des années 2000.

La question de la compétitivité économique internationale de la Ville de Montréal

Selon A. Germain et D. Rose, les industries basées sur l’économie du savoir se sont développées rapidement à Montréal depuis la fin des années 1980 (Germain et Rose 2000 : 4). Comme l’a noté A. Faure, dans les années 1990, les élites économiques et politiques sont préoccupées par la question de la compétitivité internationale de Montréal afin de positionner avantageusement cette dernière dans la concurrence que se livrent les villes nord-américaines. Cette préoccupation va, par exemple, mener, en 1996, à la naissance de Montréal International. Fruit d’un partenariat entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal - et plus tard la CMM - et plusieurs membres du secteur privé (Montréal International 2006 : 1), Montréal International a pour mission de promouvoir les atouts du « Grand Montréal ». Cet organisme a pour mandat de favoriser l’attraction de capitaux étrangers, d’organisations internationales, de travailleurs « stratégiques » étrangers ainsi que le développement de « grappes industrielles stratégiques »59, notamment dans les domaines

59 La notion de « grappe industrielle » ou de « cluster » en anglais correspond à un regroupement localisé

d’acteurs économiques dont la proximité est censée produire de forts rendements en raison des externalités - effets de la production d’un tiers sur la production d’un agent économique - qu’elle génère. Elle est issue des travaux d’un économiste américain, M. E. Porter, qui la définit ainsi :

« We define a cluster as a geographical proximate group of interconnected companies, suppliers, services providers and associated institutions in a particular field, linked by externalities of various types. (…) Clusters are important because of the externalities that connect the constituent industries, such as common technologies, skills, knowledge and purchased input” (Porter 2003 : 562).

Comme l’explique P.-P. Proulx :

« La proximité géographique entre les entreprises, leurs fournisseurs, dont ceux des services aux entreprises, et les autres acteurs de la grappe, permet des flux d’information et de connaissance accrus, l’établissement de normes partagées, et l’établissement d’une confiance mutuelle plus élevée entre les acteurs, d’où un processus d’apprentissage collectif et davantage de concurrence et de collaboration entre les grappes industrielles des régions » : (Proulx 2006 : 23-24).

Pour une analyse de la compétitivité des villes canadiennes dans l’économie nord-américaine au travers des concepts de grappes industrielles et de systèmes productifs régionaux, voir Proulx (2006).

des sciences de la vie et des technologies de l’information (Montréal International 2006 : 8). Historiquement, la Ville centre de Montréal est liée aux élites économiques de l’île (Boudreau et al. 2007 : 41). Ceci explique que cette dernière entreprend des démarches vis-à-vis du gouvernement provincial en vue de conclure une entente stratégique pour financer des infrastructures et des projets pour le développement de Montréal.

Les prémisses d’une entente générale amenant de nouveaux principes

La fin des années 1990 est marquée par des revendications particulières de la part de la Ville de Montréal qui se traduiront par la négociation de deux ententes à portée générale introduisant des modifications substantielles et continues dans les rapports entre cette dernière et le gouvernement du Québec. A minima, le développement de dispositifs partenariaux amorce au moins des changements « de ton » (Divay 2008 : 281), mais, selon cet auteur, il peut également avoir pour effet de recomposer en profondeur le paradigme des politiques publiques. Seule une étude monographique de ces partenariats permet de déterminer l’ampleur et la portée de ces derniers (Divay 2008 : 290). Nous allons donc examiner les ententes stratégiques successives conclues entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal afin de déterminer si un tel changement a eu lieu. Notamment, nous nous attacherons à analyser cette entente du point de vue des critères de décentralisation exposés en introduction (transfert de compétences et de ressources et augmentation de la marge de manœuvre de la Ville par rapport à l’État au travers d’un assouplissement des contrôles de ce dernier).

Il existait déjà de nombreuses collaborations formelles entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec. Ces collaborations ciblaient des projets particuliers et n’étaient pas intégrées au sein d’un cadre général, stratégique, de partenariat. Dès l’automne 1989, par exemple, la Ville et le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration entamaient des négociations pour proposer des collaborations en matière d’accueil des populations issues de l’immigration. Une entente, signée en 1991, d’une durée de trois ans et reconductible, mettait en place de projets variés et ciblés impliquant une collaboration entre ces deux institutions (Montréal 1991)60.

Le 1er février 1999, l’ancien maire de Montréal, Pierre Bourque, rencontre le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, afin de lui exposer « le portrait général des principaux besoins de Montréal » (Montréal 1999 : non paginé). Suite à cette entrevue, le premier ministre confie à la ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole la tâche de « coordonner un effort sans précédent des ministères afin de mettre en place des mesures répondant aux demandes de la Ville » (Montréal 1999 : non paginé). De ces négociations entre la Ville de Montréal et le ministère des Affaires municipales, est née, en 1999, l’Entente-cadre entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal concernant l'établissement d'un partenariat pour la mise en œuvre d'initiatives stratégiques à l'occasion d'un plan d'action conjoint. Cette entente-cadre est organisée autour de trois principes centraux :

- des partenariats financiers concernant des infrastructures en vue d’améliorer la compétitivité internationale de Montréal ;

- des programmes de financement conjoints ;

- l’instauration de modalités institutionnelles organisant les rapports entre la Ville de Montréal et la province.

En premier lieu, cette entente s’inscrit dans la perspective d’améliorer la compétitivité internationale de Montréal. Elle a pour objectif de « positionner avantageusement la Ville de Montréal par rapport aux grandes villes nord-américaines afin que l’ensemble du Québec puisse pleinement profiter des retombées de la mondialisation de l’économie » (Québec et Montréal 1999a : 2). Trois grands projets sont ainsi ciblés par le gouvernement et la Ville. Le premier est un projet de Quartier international (soutenu financièrement par le gouvernement à hauteur de 24 000 000 $), le second un projet de Cité du multimédia (4 000 000 $) et, enfin, un soutien au développement culturel de la Ville est négocié, d’un montant de 40 000 000 $ (Québec et Montréal 1999a : 5-7).

En second lieu, l’entente chapeaute un ensemble de mesures couvrant trois domaines spécifiques au sein desquels la Ville a négocié des transferts financiers de la part du gouvernement ou de nouvelles modalités d’application de programmes. Ces trois domaines feront l’objet d’ententes séparées entre les services de la Ville concernés et leurs équivalents ministériels. Il s’agit d’initiatives de développement

social (4 000 000 $ sur quatre ans pour le programme des « quartiers sensibles », 500 000 $ pour des activités d’intégration en français des nouveaux arrivants, un examen des besoins de l’Office municipal d’habitation de Montréal en matière de modernisation d’immeubles et une révision à la hausse des paramètres du Programme de revitalisation des vieux quartiers pour les immeubles abandonnés ou barricadés) (Québec et Montréal 1999a : 4-5).

Enfin, l’entente prévoit la mise en place d’un comité conjoint de gestion co- présidé par le sous-ministre des Affaires municipales et de la Métropole et par le Directeur général de la Ville. Pour la Ville, la mise en place de ce comité apparaît comme un « gain relativement aux leviers dont nous disposons dans nos rapports avec Québec » (Montréal 1999 : non paginé). Ce comité devait assurer le pilotage transversal de l’entente.

L’entente-cadre de 1999, négociée entre le ministère des Affaires municipales et la Ville de Montréal, a donc pour but de mettre en place des projets à l’échelle urbaine afin de positionner avantageusement la Ville de Montréal dans la concurrence internationale. Afin d’organiser le pilotage de cette entente, des règles de gouvernance partenariales sont négociées par la Ville et le gouvernement. Le rééchelonnement de l’État amène donc un contexte favorable à la renégociation des rapports entre le gouvernement de la province et la Ville de Montréal.

Si la position interne de la Ville est que cette entente « confirme le statut particulier de la Ville de Montréal auprès du gouvernement » et est jugée comme un « gain net important dans nos négociations avec le gouvernement du Québec » (Montréal 1999 : non paginé), cette entente ne s’est pas accompagnée, toutefois, d’une décentralisation vers la municipalité, dans le sens d’une marge de manœuvre accrue au travers de l’assouplissement des contrôles de l’État. Selon une fonctionnaire de la Ville interrogée au cours de l’enquête de terrain, l’entente-cadre de 1999 ne donnait pas une marge de manœuvre suffisante à la Ville pour définir les paramètres de programmes négociés entre Montréal et certains ministères. Cette entente-cadre constituait un résumé des programmes appliqués ainsi que des engagements financiers et tentait d’introduire

un aspect transversal61. Comme les rédacteurs du contrat de ville de Montréal l’ont noté ultérieurement à propos de l’entente-cadre, « cette entente respectait une formulation plus classique, énumérant une série de projets et d’investissements que chacune des parties s’engageaient à réaliser, mais introduisait aussi le principe de la transversalité (…) » (Québec et Montréal 2003 : 10). La marge de manœuvre de la Ville s’inscrivait dans le cadre des paramètres de ces programmes. Les gains issus de l’entente-cadre de 1999 n’avaient pas été jugés suffisants du point de vue de la Ville.

Selon une fonctionnaire, la Ville souhaitait négocier le droit de définir les paramètres des programmes adaptés à la Ville de Montréal, les moyens ainsi que l’attribution des fonds (l’arbitrage de leur utilisation). Ceci impliquait la mise en place d’un principe de reddition de compte a posteriori contrôlé par des indicateurs de performance définis en commun par la Ville et le gouvernement62. Il s’agissait donc d’une véritable volonté de redéfinition des rapports entre la métropole et le gouvernement.

Si l’entente-cadre de 1999 a organisé des transferts de ressources de l’État vers la Ville et constitue l’amorce d’un changement de principes dans les rapport entre ces deux acteurs institutionnels, elle n’assouplit cependant pas les contrôles de l’État sur la Ville. La marge de manœuvre de la Ville par rapport à l’État n’est donc pas vraiment accrue. Elle n’est donc pas, en ce sens, décentralisatrice. C’est la raison pour laquelle la Ville souhaita rouvrir les négociations à l’échéance de l’entente-cadre afin d’en renégocier les principes dans un rapport de force plus favorable dû à la création de la nouvelle Ville de Montréal.

61 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007, (entretien téléphonique, retranscrit à

partir de nos notes).

62 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007, (entretien téléphonique, retranscrit à

2.2.2 Le contrat de ville de Montréal : vers une décentralisation