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CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE À MONTRÉAL

1. LA GESTION DE LA DIVERSITÉ À MONTRÉAL DANS LES ANNÉES 1980 ET 1990

1.2 U NE ENTENTE DE NATURE CENTRALISATRICE

1.2.2 La centralisation de la gestion de la diversité

Les années 1990 sont marquées par une centralisation, de la part du gouvernement du Québec, des politiques de gestion de la diversité ethnoculturelle mise en place à Montréal. Dès l’automne 1989, la Ville et le MCCI entament des négociations pour conclure une entente qui sera signée en 1991 instituant un cadre général de collaboration entre ces acteurs en matière d’accueil et d’intégration des immigrants et des membres des communautés culturelles (Montréal 1991 : non paginé). Cette entente, d’une durée de trois ans et reconductible, propose la mise en place d’un cadre de collaboration entre le ministère et la Ville concernant un certain nombre de projets. Ce cadre de collaboration répond à des motivations différentes selon les acteurs institutionnels considérés. Pour le gouvernement, il s’agit de susciter la collaboration de

93 En ligne. http://www.formulaire.gouv.qc.ca/cgi/affiche_doc.cgi?dossier=2927&table=0, (consulté le 9

la Ville « en vue de la réalisation des objectifs de l’Énoncé de politique du gouvernement du Québec en matière d’immigration et d’intégration » (Québec et Montréal 1991 : 2). Pour la Ville, il s’agit d’affirmer sa volonté de s’impliquer dans le domaine de la gestion de la diversité ainsi que de bénéficier de l’expertise du ministère afin de faciliter la mise en place de sa politique en la matière et de coordonner cette dernière avec celle du gouvernement. Le texte de cette entente affirme ainsi que la Ville, par son plan d’action, « manifeste également sa volonté de s’impliquer dans le domaine de l’immigration et l’intégration » (Québec et Montréal 1991 : 2). Le mémoire de décision du Comité exécutif de la Ville, qui expose les motivations de cette dernière pour la mise en place de cette entente, mentionne que :

« L’entente proposée permettra à la Ville de mieux adapter ses services aux besoins des immigrants et des membres des communautés culturelles. La collaboration avec le MCCI favorisera la cohérence des approches et permettra une optimisation des moyens » (Montréal 1991 : non paginé).

La programmation pour les années 1991-1992 et 1992-1993 couvre plusieurs axes que nous ne détaillerons pas ici. L’étude de cette dernière révèle que plusieurs mesures adoptées par la Ville de Montréal, et qui constituent des « piliers » de sa politique interculturelle, tels que le programme d’accès à l’égalité et le programme de formation à la gestion de la diversité pour les gestionnaires de la Ville, font l’objet de ce cadre de collaboration (Québec et Montréal 1991 : 7). L’entente entre les deux parties a en effet pour objet :

« [l’] établissement d’un mode de collaboration en vue de faciliter le fonctionnement du programme d’accès à l’égalité (PAE) à la Ville de Montréal (…) [et la] participation à la réalisation et à la diffusion d’un programme de gestion de la diversité pour les gestionnaires et notamment pour le personnel cadre de la Ville de Montréal » (Québec et Montréal 1991 : 7).

Les principes de fonctionnement de cette entente sont marqués par la centralisation des relations entre le ministère et la Ville et la « non déconcentration » du ministère. En termes de pilotage administratif, l’entente met en place un comité conjoint dont le rôle est « d’établir la programmation annuelle et d’en coordonner la réalisation » et dont les règles de fonctionnement sont laissées à la discrétion des membres de ce dernier (Québec et Montréal 1991 : 6). Ce comité conjoint est présidé par le sous- ministre du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, soit le niveau central du ministère, et le Secrétaire général de la Ville (Québec et Montréal 1991 : 6).

En outre, cette entente constitue un cadre de collaboration qui n’est pas marqué par la décentralisation telle qu’elle a pu apparaître à la faveur des ententes signées à partir de la fin des années 1990. Si le Bureau interculturel de Montréal a été « étroitement associé à l’élaboration des contenus du projet d’entente et aux discussions avec les représentants du ministère » (Montréal 1991 : non paginé), cette collaboration ne s’accompagne pas de transferts financiers de la part du gouvernement vers la Ville. Le mémoire de décision du Comité exécutif de la Ville mentionne ainsi que cette entente consiste seulement en un « cadre administratif de collaboration » (Montréal 1991 : non paginé). Les budgets des actions sont imputés aux budgets réguliers des différents services municipaux impliqués dans les projets (Montréal 1991 : non paginé).

Cette entente ne marque donc pas une décentralisation de la compétence « intégration des immigrants » vers la Ville avec transfert financier, mais plutôt la prise de contrôle de ce champ de compétence par l’État provincial, qui s’assure ainsi de la collaboration d’un acteur central en la matière : la Ville de Montréal.

En 1996, cette entente ne fonctionne plus, en dépit du fait qu’il existait de nombreuses collaborations entre la Division des affaires interculturelles de la Ville et le ministère pour différents projets, associant également des fonctionnaires fédéraux. Des groupes de travail relatifs à divers projets, récurrents et soutenus (semaine de lutte contre le racisme, mois de l’histoire des Noirs). En revanche, aucun mécanisme formel ne régissait ces relations. Selon une ancienne fonctionnaire de la Ville :

« E : Quand vous étiez en fonction à l’époque y’avait pas de contacts entre la Ville de Montréal et le MICC relatifs à ces questions, ou il y en avait dans le cadre d’autre chose ?

PI : Écoutez, il y a eu toujours beaucoup de contacts entre le ministère (…), le MRCI (…), il y a eu toujours beaucoup de contacts entre la Ville et en particulier entre la Direction, enfin la Division à l’époque (…) des affaires interculturelles, DAI…

E : dans le cadre de quel …? Est-ce qu’il y avait des mécanismes formalisés qui régissaient ces contacts ou est-ce que c’était des ententes, des contacts plus informels et puis, si oui, sur quel type de projet ?

PI : euh écoutez… E : Ça date un petit peu…

PI : Ça date, parce que l’entente 1999 est venue tellement formaliser les choses, j’ai de la misère à voir, à me souvenir avant… On avait des contacts très réguliers… La Ville siégeait officiellement, attendez que je me souvienne, entre autres sur des tables qui étaient organisées sur la question des communautés noires, la discrimination subie par des communautés noires, la Ville et le ministère et Patrimoine Canadien collaboraient sur beaucoup de projets dont la semaine d’action contre le racisme, le soutien au mois de l’histoire des Noirs, alors c’était beaucoup autour de projets… On a eu à répétition aussi des projets de … un musée de la communauté noire à la Petite Bourgogne. Donc on avait vraiment comme des groupes de travail,

je dirais. Et des contacts soutenus sur différents aspects des travaux. Là moi, je suis arrivé en 1996, donc avant ça, euh…

E : donc vous savez pas.

PI : Ben beaucoup moins. C’est vague.

E : Donc, dans tous les cas, cette entente en 1991, vous n’en avez jamais entendu parler, ça faisait absolument pas partie du menu de vos discussions ….

PI : J’en ai probablement entendu parler mais ça fait déjà un moment, là… Mais je n’ai pas souvenir que ça mettait la table à nos relations de travail »94.

Ainsi, si l’entente de 1991 vient mettre en place un cadre d’échange organisant des rapports entre le ministère et la Ville, elle ne traduit pas une décentralisation, en regard des critères définis dans le chapitre 1 (marge de manœuvre accrue de la Ville en raison d’un assouplissement des contrôles de l’État, et transfert de moyens de la part de ce dernier). D’une part, aucun transfert financier de la part du gouvernement n’a eu lieu. D’autre part, la politique de la Ville de Montréal s’inscrit dans le cadre de l’atteinte des objectifs du gouvernement du Québec, notamment de son énoncé de politique datant du début des années 1990.

Pour conclure cette section, les politiques de gestion de la diversité ethnique à Montréal sont mises en place au cours des années 1980 par la CUM et la Ville de Montréal. Ceci s’explique par les tensions entre certaines minorités et les services de police et de transport d’une part, et l’élection du RCM d’autre part. Par ailleurs, la mise en place de ces politiques s’inscrit dans une période de construction de la politique de l’État provincial en la matière, dans un contexte de centralisation des relations entre ce dernier et la Ville de Montréal. La combinaison de ces facteurs explique que l’entente entre le MCCI et la Ville est marquée par une centralisation de la part de l’État provincial.

En revanche, comme nous le verrons dans la partie suivante, les rapports entre les acteurs dans le domaine des politiques de gestion de la diversité culturelle à Montréal changent à partir de 1999. Ceci s’explique parce que l’État québécois se rééchelonne au tournant des années 2000. Montréal fait l’objet de politiques à l’échelle urbaine destinées à accroître sa compétitivité internationale. Ceci va se traduire par la mise en place d’une politique en direction des immigrants à l’échelle de l’île impliquant la Ville

94 Entretien 45, Ancienne Chef de la Division des Affaires Interculturelles, Ville de Montréal, 17

de Montréal et l’État déconcentré et se caractérisant par une marge de manœuvre plus grande par rapport à l’État central.

2. LE RÉÉCHELONNEMENT DE LA POLITIQUE DE GESTION DE LA