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CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE À MONTRÉAL

2. LE RÉÉCHELONNEMENT DE LA POLITIQUE DE GESTION DE LA DIVERSITÉ ETHNIQUE À MONTRÉAL

2.2 L’ INSTITUTIONNALISATION DU RÉÉCHELONNEMENT DE L ’É TAT DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DE LA

2.2.3 Une politique partenariale à l’échelle de la région de Montréal

Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la CRÉ de Montréal est née suite au projet d’autonomie régionale et municipale du gouvernement libéral. Elle constitue un outil institutionnel destiné à promouvoir le développement de la région administrative couverte par la CRÉ de Montréal, notamment dans sa dimension économique. Nous avons interprété, dans le chapitre 2, sa création comme la preuve de

la maîtrise exercée par l’État provincial sur les politiques à l’échelle locale dans un contexte de rééchelonnement de l’État.

Le rééchelonnement de la politique en matière de diversité ethnoculturelle telle qu’elle se traduit dans l’entente CRÉ-MICC cible l’échelle locale, tout comme l’entente Ville-MICC. L’entente CRÉ-MICC est marquée, selon nous, par le fait qu’il s’agit d’une déclinaison régionale de la politique du MICC127. Le MICC dispose ainsi d’un partenaire jouant le rôle de relais de sa propre politique à l’échelle locale en fonction des caractéristiques de cette dernière. En effet, la CRÉ dispose d’une marge d’autonomie moindre par rapport à la Ville de Montréal dans ses rapports avec la province. Nous rappelons que ces institutions ont été créées afin d’adapter les politiques gouvernementales aux réalités régionales en mobilisant les partenaires locaux et organisant la concertation avec ces derniers. C’est la raison pour laquelle la politique de la CRÉ en matière d’immigration, d’intégration et de relations interculturelles constitue une déclinaison régionale du plan national du MICC en tenant compte des spécificités locales de Montréal, et notamment la nécessité d’améliorer la capacité d’attraction de la région administrative Montréal à l’international.

Dans ce contexte, le positionnement de la CRÉ en matière d’immigration, tel qu’il s’exprime dans son mémoire sur les niveaux d’immigration de 2007 intitulé Capter la mobilité internationale, est que cette dernière est un « levier démographique stratégique » (CRÉDÎM 2007a : 3) pour le Québec. Montréal est la région la mieux placée au Québec pour en capter la mobilité :

« Il nous apparaît donc clair que, si le Québec veut poursuivre son objectif de croissance démographique – et la CRÉ croit que cela est nécessaire dans une optique de développement du Québec au sein du Canada – le gouvernement devra s’appuyer fortement sur la capacité

127 Notre interprétation de cette entente, comme une illustration de la maîtrise du rééchelonnement des

politiques de gestion de la diversité ethnique par l’État dans la région de Montréal, diffère de l’analyse que fait A.-C. Fourot de l’entente entre le MICC et la CRÉ de Laval. Selon cette auteure, l’entente entre la Ville de Laval, la CRÉ de Laval et le MICC reflète l’approche « républicaine » en matière d’intégration des immigrants qui prévaut à la Ville (Fourot 2008 : 254), et qui diffère de l’approche portée par le MICC (Fourot 2008 : 257). L’auteure note que les négociations entre le MICC et les acteurs locaux ont reflété le « renforcement des acteurs locaux » (Fourot 2008 : 257). Ceci s’est traduit par la signature d’une entente tripartite entre la Ville, la CRÉ et le MICC alors qu’au départ, le MICC ne souhaitait signer une entente qu’avec la CRÉ (Fourot 2008 : 258). Toutefois, comme l’auteure l’a noté, le cas de Laval est particulier dans le sens où il existe une congruence entre le territoire de la Ville de la MRC et celui de la CRÉ qui renforce les acteurs locaux (Fourot 2008 : 266). Ceci ne remet donc pas en question notre interprétation pour Montréal. L’auteure n’a pu mener une analyse de l’entente entre la CRÉ de Montréal et le MICC car cette dernière n’était pas finalisée au moment de son enquête (Fourot 2008 : 310). Elle note toutefois, à ce propos, la « complexification des relations intergouvernementales » (Fourot 2008 : 309).

d’attraction de sa métropole et reconnaître et encourager à la hauteur qui s’impose, les rôles et responsabilités qu’elle assume en matière d’immigration internationale » (CRÉDÎM 2007a : 6).

Il s’agit de privilégier particulièrement l’attraction et la rétention des travailleurs temporaires qualifiés et des étudiants internationaux parce qu’ils « constituent précisément un bassin privilégié d’immigrants potentiels » (CRÉDÎM 2007a : 9) dans un contexte où ces catégories représentent un capital pour lequel les pays occidentaux sont en concurrence :

« Les étudiants internationaux et les travailleurs temporaires sont d’ailleurs déjà dans la ligne de mire de nombreux pays, particulièrement occidentaux, qui y voient une occasion de contrer le vieillissement de leur population et de rehausser rapidement le niveau de qualification de leur main-d’œuvre » (CRÉDÎM 2007a : 9).

De ce fait, le plan d’action de la CRÉ en matière d’immigration, d’intégration et de relations interculturelles publié en juin 2006 s’inscrit dans cette perspective de capacité d’attraction d’une main d’œuvre internationale qualifiée de la région de Montréal. En août 2005, la CRÉ de Montréal signe une entente avec le ministère de l’Immigration afin d’organiser une mobilisation et une concertation des acteurs de la région administrative de Montréal en vue de produire un Plan d’action en matière d’immigration, d’intégration et de relations interculturelles (CRÉDÎM et MICC 2006 : 7). Ce plan d’action, datant de juin 2006, expose les principaux axes de la politique de la CRÉ en la matière. L’examen de ce dernier montre qu’il constitue une déclinaison régionale du plan d’action 2004-2007 du ministère, Des valeurs partagées, des intérêts communs (Québec 2004a). Les quatre principaux axes thématiques du plan ministériel – « une immigration correspondant aux besoins du Québec et respectueuse de ses valeurs » ; « l’accueil et l’insertion durable en emploi » ; « l’apprentissage du français : un gage de réussite » ; « un Québec fier de sa diversité » - constituent ainsi l’armature du plan de la CRÉ, organisé autour de quatre axes également : « une immigration correspondant aux besoins de la région de Montréal et respectueuse des valeurs du Québec » ; « l’accueil et l’insertion durable en emploi » ; « l’apprentissage du français : un gage de réussite » ; « la région de Montréal fière de sa diversité culturelle » (CRÉDÎM et MICC 2006).

Dans cette entente, les besoins de la région de Montréal sont reliés à sa capacité d’attraction d’une main d’œuvre qualifiée dans les domaines d’emploi les plus touchés par un risque de pénurie dans un contexte de vive concurrence internationale :

« Afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre dans plusieurs catégories d’emploi et d’éventuellement pallier les défis liés au vieillissement de la population (pénurie de main- d’œuvre), la région de Montréal mise sur l’attraction des immigrants de la catégorie « économique », c’est à dire, les travailleurs qualifiés et les gens d’affaires. Dans le contexte économique actuel où la compétition se joue à l’échelle mondiale, les métropoles doivent nécessairement s’appuyer sur une main-d’œuvre talentueuse pour s’assurer d’une économie prospère. Il faut alors accorder une attention particulière à l’attraction et à la rétention d’étudiants internationaux, car ceux-ci peuvent non seulement constituer une source d’immigration intéressante pour la métropole, mais aussi contribuer de façon significative à la vie socioéconomique montréalaise à titre de main-d’œuvre qualifiée » (CRÉDÎM et MICC 2006 : 15).

La CRÉ et le MICC ont convenu de financer un certain nombre de projets afin de mettre en œuvre ce plan d’action. Certains de ces projets, soutenus par la CRÉ via l’enveloppe financière du MICC, sont portés par des acteurs économiques de la grande région de Montréal. Par exemple, Montréal International est impliqué dans projet de « rétention des travailleurs temporaires spécialisés dans la grande région de Montréal »(CRÉDÎM 2007b : non paginé). Le plan d’action en matière d’immigration, d’intégration et de relations interculturelle mis en place par la CRÉ consiste en une déclinaison, à cette échelle, des priorités de l’État provincial.

Ainsi, après 2004, la gestion de la diversité ethnoculturelle fait l’objet d’une politique à l’échelle locale de Montréal par le biais de la CRÉ marquée par un contrôle de l’État central.

CONCLUSION

Ce chapitre a permis de démontrer que, dans un contexte de rééchelonnement de l’État au Québec, la gestion de la diversité ethnoculturelle à Montréal connaît une recomposition à l’échelle locale. Au cours des années 1980, les politiques de gestion de la diversité ethnoculturelle mises en place à Montréal sont des politiques municipales. Ces dernières vont être encadrées par l’État central, alors que la province construit une politique nationale. Ce n’est qu’à la suite de la mise en place de réformes ciblant l’échelle de Montréal afin d’en stimuler la compétitivité internationale à la fin des années 1990 que la politique nationale de gestion de la diversité ethnoculturelle prend pour cible l’échelle locale. Plusieurs ententes sont ainsi signées entre la Ville de Montréal et le MRCI, puis le MICC. Ces ententes sont marquées par un accroissement de la marge de manœuvre de la Ville et de l’échelon local du ministère par rapport à l’État central. Par la suite, le rééchelonnement de l’État s’est manifesté au travers de l’entente entre la CRÉ et le ministère.

Pour autant, le rééchelonnement de l’État ne signifie pas une érosion des capacités de régulation de ce dernier dans le domaine de la gestion de la diversité ethnique. L’État est toujours un acteur majeur des politiques de gestion de la diversité ethnique, même si ces dernières ciblent l’échelle locale : l’État provincial (central ou déconcentré suivant les cas et les périodes) a une importance notable dans la mise en place de ces politiques. Nous avons observé, dans le cadre de l’entente Ville-MICC, une reprise de contrôle par l’État central. L’État déconcentré est un acteur majeur de la mise en place de l’entente Ville-MICC. Suivant les périodes, l’État central lui laisse une latitude plus ou moins grande. Enfin, l’entente CRÉ-MICC reflète l’implication de l’État provincial à l’échelle locale, puisque le plan de la CRÉ est une déclinaison régionale du plan national.

Les conclusions que l’on peut tirer de ces résultats quant à la citoyenneté sont les suivantes. Ce chapitre a montré que, dans un contexte de rééchelonnement de l’État au Québec, se mettent en place, à Montréal, des politiques publiques à l’échelle locale s’adressant aux immigrants. Ces dernières organisent des modalités particulières de reconnaissance des citoyens et sont donc, suivant la perspective développée par J.

Jenson et S. D. Phillips (1999), des politiques centrales du point de vue de la citoyenneté. L’État conserve un rôle important dans le cadre de ces politiques et la Ville de Montréal ainsi que les services déconcentrés de l’État ont acquis une marge de manœuvre par rapport à l’État central dans la mise en place de ces dernières. Ces résultats permettent d’affirmer que, dans un contexte de rééchelonnement de l’État au Québec, l’État provincial est un acteur majeur de la régulation de la citoyenneté et que la Ville de Montréal et l’État déconcentré ont acquis une marge de manœuvre par rapport à l’État central dans la mise en place de politiques à l’échelle locale régulant la citoyenneté.

Il reste à analyser le contexte français afin de vérifier si, dans un second pays, différent du point de vue de l’organisation de la citoyenneté et de la forme de l’État, ces conclusions se confirment.

CHAPITRE 4 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE