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CHAPITRE 2 : LE RÉÉCHELONNEMENT DE L’ÉTAT AU QUÉBEC

2. LES RÉFORMES DU SECTEUR MUNICIPAL SUR FOND DE FAIBLE MARGE DE MANŒUVRE DES MUNICIPALITÉS

2.2 U NE DÉCENTRALISATION « ASYMÉTRIQUE ET PARTENARIALE » VERS LA NOUVELLE V ILLE DE M ONTRÉAL

2.2.2 Le contrat de ville de Montréal : vers une décentralisation « asymétrique et

économique de l’île.

Suite à l’épisode des fusions municipales et à la création de la CMM, la Ville de Montréal cherche à renégocier ses rapports avec le gouvernement provincial. Les fusions municipales ont mené à la création d’une grande Ville, de calibre international, dont le poids, par rapport à la province s’est accru. Ainsi, comme le notent M. Rivard, M. Tomàs et J.-P. Collin :

« À l’échelle du Québec, la réforme [des fusions] aura notamment eu pour effet d’engendrer un réseau de grandes villes qui, ne serait-ce que par leur poids démographique et par l’ampleur des budgets qu’elles administrent, doivent dorénavant être considérées comme des acteurs importants. En effet, lorsque le maire de Montréal prend la parole, il le fait maintenant au nom de 1,8 millions d’habitants et administre un budget de plus de 3,5 milliards de dollars (…) De plus, à titre de président de la Communauté métropolitaine de Montréal, il représente indirectement les 3,4 millions d’habitants d’un territoire approximativement similaire à celui de la région métropolitaine de Montréal » (Rivard et al. 2004 : 33).

En 2002, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a décidé la tenue du Sommet de Montréal. Il s’agissait de mobiliser l’ensemble des acteurs de la nouvelle Ville ainsi que les différents gouvernements afin de les faire participer au développement de cette dernière. Dans le cadre de la préparation de ce Sommet dans les premiers mois de 2002, divers travaux préparatoires sur plusieurs thématiques ont eu lieu63. Parallèlement à ces travaux, des négociations ont pris place entre la Ville de Montréal et le ministère des Affaires municipales. Ces négociations préliminaires ont mené à la signature d’une entente conjointe qui engageait la Ville et le gouvernement pour la rédaction d’un contrat de ville (Québec et Montréal 2002a). Le document mentionnait notamment un certain nombre de principes qui devaient régir à l’avenir les relations entre la Ville et la province : contrôles a posteriori, définition commune des modalités de compte-rendu et de mesures de performance (Québec et Montréal 2002a).

Les motivations de la municipalité afin de négocier ce contrat sont au moins de deux sortes. En premier lieu, la Ville souhaite, au travers de cette entente, une

63 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007, (entretien téléphonique, retranscrit à

autonomie accrue64. En second lieu, la reconnaissance, par le gouvernement, du statut particulier de la métropole n’est pas seulement une question symbolique ou d’autonomie. Elle engage aussi des questions très pratiques et surtout financières. Une fonctionnaire de la Ville a déclaré, au cours d’un entretien, que la Ville a souhaité renégocier certains programmes de financement, notamment dans le domaine foncier65.

Pour la Ville de Montréal, le contrat de ville se voulait un outil de réalisation des priorités du sommet :

« Le Contrat de Ville, convenu avec le gouvernement du Québec, est un outil majeur de réalisation des priorités du Sommet. Le contrat propose une action concertée dans divers domaines névralgiques : l'habitation, le transport, les infrastructures, l'environnement, la culture, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale »66.

Comme l’explique une fonctionnaire de la Ville, le choix d’une procédure de type contrat de ville s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie de redéfinition des rapports entre la métropole et Québec cherchant « à lier le gouvernement sur de grands principes »67. Le ministre des Affaires municipales et de la Métropole d’alors, André Boisclair, avait montré une certaine ouverture en ce sens. Lors d’un discours à la Chambre de commerce de la CMM le 7 mars 2002, ce dernier déclarait :

« Par exemple, je suis personnellement désireux d'établir de meilleurs liens de confiance entre le gouvernement du Québec et les administrations municipales. Comment expliquer qu'encore aujourd'hui le ministère des Affaires municipales et de la Métropole exige la même quantité de contrôle a priori pour Montréal, Laval et Longueuil que pour une municipalité de petite taille. Les administrations municipales des grandes villes sont compétentes. Il faut le reconnaître dans la législation. J'envisage ainsi la possibilité d'en arriver à une nouvelle entente avec les villes centres. Je suis prêt à m'asseoir avec chacune d'entre elles pour élaborer un véritable « contrat de ville ». Un contrat personnalisé qui appuiera leur développement à court et à moyen terme. Un contrat qui pourrait par exemple couvrir les programmes d'aide aux regroupements municipaux, la mise à niveau des infrastructures et le programme de renouveau des quartiers urbains dont je vous ai parlé plus tôt. (…) »68

64 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007 (entretien téléphonique, retranscrit à

partir de nos notes).

65 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007 (entretien téléphonique, retranscrit à

partir de nos notes).

66 En ligne.

http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=2137,2657512&_dad=portal&_schema=PORTAL, (consulté le 18 juin 2008).

67 Entretien, 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, (entretien téléphonique, retranscrit à partir de nos

notes).

68 http://www.ccmm.qc.ca/fr/index.aspx?p=210, consulté le 2 février 2008. André Boisclair proposera

d’étendre les contrats de villes aux Communautés métropolitaines sous forme de « contrats de communautés ».

Une fois le principe d’un contrat de ville acquis par la Ville, la rédaction proprement dite a duré six mois. Le processus est intéressant dans le sens où il reflète les négociations qui eurent lieu à l’époque entre la Ville et le gouvernement. Le comité de rédaction a rassemblé des fonctionnaires du ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM), et de la Ville. Selon une fonctionnaire de la Ville, le contrat de ville se voulait un « projet de développement urbain » qui devait rassembler différents axes intégrateurs. C’est la raison pour laquelle la Direction générale de la Ville a demandé à chaque service de poser un diagnostic à la fois en tenant compte des priorités du Sommet de Montréal (ce qui faisait consensus entre la Ville et le gouvernement) et des besoins de chacun d’entre eux. Le ministère des Affaires municipales a piloté le même exercice avec les ministères impliqués (dix en tout). Le document final a été le résultat de nombreux allers-retours entre les fonctionnaires de la Ville et du ministère des Affaires municipales qui reflète « l’équilibre » des négociations entre la Ville et le gouvernement69. Ensuite, chaque ministère impliqué a négocié sa propre entente avec les services municipaux concernés.

Le contrat de ville mentionne les grands principes devant régir les rapports entre la Ville et le gouvernement et institue un comité conjoint transversal à toutes les ententes particulières. Ainsi, ce dispositif s’inscrit dans un contexte de modification des rapports entre la Ville et la province afin de faire émerger un projet de développement urbain à l’échelle urbaine. Sans décrire l’ensemble du contenu de ce contrat70, il est toutefois intéressant de repérer les dispositions qui tendent à donner plus de marge de manœuvre à la Ville du point de vue du transfert de compétence et de l’assouplissement des contrôles gouvernementaux.

Le contrat de ville consacre une section à la « modernisation » des rapports entre la Ville et le gouvernement dont l’aspect le plus important est la décentralisation71. Afin de mesurer cette dernière, il est nécessaire d’analyser ce dispositif du point de vue des deux critères de la décentralisation retenus en introduction (transfert de compétences et

69 Entretien 39, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 15 novembre 2007 (entretien téléphonique, retranscrit à

partir de nos notes).

70 Le contrat de ville constitue un montage financier de 910 000 000 $. Le gouvernement y contribue à

hauteur de 355 000 000 $ et la Ville à hauteur de 555 000 000 $ (Québec et Montréal 2003 : annexe 1).

71 Le document mentionne également les allègements normatifs et administratifs ainsi que les

de ressources et assouplissement des contrôles étatiques). En premier lieu, la compétence de lutte contre l’exclusion sociale est décentralisée vers la Ville :

« Le gouvernement et la Ville conviennent de la décentralisation immédiate de certaines fonctions à la ville et l’établissement de mécanismes de reddition de compte a posteriori dans des domaines où cette dernière a une capacité évidente d’intervention et où une autonomie décisionnelle accrue aurait des retombées significative sur la rapidité et la qualité des services offerts aux citoyens. Ces domaines sont pour le moment l’habitation et la lutte contre la pauvreté et l’exclusion » (Québec et Montréal 2003 : 13)

Par le biais du contrat de ville, la Ville acquiert ainsi une compétence officielle en la matière (partagée avec le gouvernement). Le document mentionne également que ces principes de décentralisation seront étendus aux autres ententes entre la Ville et le gouvernement : « Dans un deuxième temps, les autres ententes en vigueur entre la Ville et le gouvernement seront examinées de manière à les incorporer dans les nouveaux modes de fonctionnement lorsqu’il sera pertinent de le faire » (Québec et Montréal 2003 : 13).

En second lieu, le contrat de ville assouplit, dans le champ de cette compétence décentralisée, les contrôles gouvernementaux sur les fonds que la Ville reçoit de l’État. Afin d’illustrer cet accroissement de la marge de manœuvre de la Ville, il est nécessaire d’analyser le fonctionnement des ententes entre la Ville et le gouvernement dans le domaine de la lutte contre l’exclusion sociale. L’entente-cadre de 1999 prévoyait la mise en place d’un projet pilote sur les « quartiers sensibles » qui a fait l’objet d’un protocole d’entente entre le ministère des Affaires municipales et de la Métropole, le ministère de la Solidarité sociale (MESS) et la Ville de Montréal. Dans le cadre de l’entente-cadre de 1999, il s’agissait de mener des « interventions ciblées dans les quartiers défavorisés (…) à travers des activités d’intégration sociale et de lutte contre les effets urbains de la pauvreté »72. Le périmètre des quartiers sensibles avait été défini au moyen d’un certain nombre d’indicateurs utilisés par diverses institutions (recensement, Ville de Montréal et INRS-Urbanisation)73. Dans le cadre de l’entente 2000-2003, le choix des projets était effectué par un comité rassemblant des représentants de la Ville et du gouvernement du Québec74. En revanche, le fonctionnement de l’entente Ville-Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS), intégrée au contrat de ville, est différent

72 Source : Document interne de la Ville de Montréal sur l’entente Ville/MESS, p. 2. 73 Source : Document interne de la Ville de Montréal sur l’entente Ville/MESS, p. 9. 74 Source : Document interne de la Ville de Montréal sur l’entente Ville/MESS, p. 10.

dans le sens où la Ville s’est formellement vue accorder une autonomie, contrôlée a posteriori, dans le choix des projets subventionnés. Dans le cadre du contrat, le ministère confie 5 000 000 $ par an à la Ville, qui sélectionne, seule, les actions à financer. Toutefois, en plus d’être contrôlée a posteriori par le ministère75, cette autonomie est encadrée par deux mécanismes.

Le premier consiste en des balises prédéfinies encadrant le choix des actions par la Ville. Cette disposition est formellement mentionnée dans l’entente Ville-MESS (Québec et Montréal 2006b : 3). Ces balises ont été négociées en commun entre la Ville et le MESS au début de l’entente et ont été constantes tout au long de la durée de cette dernière76. En plus de préciser les objectifs et contenu de ces actions, (« offrir des activités et des services à des individus et à des familles, démunis et/ou exclus, qui vivent des problématiques en lien avec les situations de pauvreté ou d’exclusion sociale »), il est précisé que les actions financées dans le cadre de l’entente doivent être cohérentes avec les politiques gouvernementales : « Les projets financés s’inscrivent dans les grandes politiques et orientations du gouvernement » (Québec et Montréal 2006b : 6).

En second lieu, le MESS a rationnalisé la définition des zones prioritaires d’intervention sur lesquelles doivent se concentrer les actions subventionnées en donnant pour consigne à la Ville d’utiliser un indice précis de « défavorisation », l’indice de « défavorisation matérielle et sociale Pampalon et Raymond » (Québec et Montréal 2006b : 6) du nom de deux chercheurs. Cet indice a été introduit dans l’entente car il s’utilise dans les services du ministère77. Le Service du développement social de la

Ville répartit le montant de la subvention entre les différents arrondissements en proportion de l’importance des zones prioritaires d’intervention au sein de ces derniers. La sélection des projets se fait à partir de comités locaux qui sont composés de différents acteurs référents présents sur ces territoires et pilotés par l’arrondissement et validé par le service du développement social. La Ville fait un rapport annuel au MESS

75 « La Ville transmet à la Ministre, le 31 mai de chaque année, un rapport d’activités pour la période

allant du 1er avril de l’année précédente au 31 mars de l’année en cours » (Québec et Montréal 2006b : 3). 76 Entretien 34, Fonctionnaire, Ville de Montréal, 2 novembre 2007.

sur l’utilisation des fonds confiés78. Parmi les projets financés, certains concernent d’ailleurs les populations issues de l’immigration.

Ainsi, comme le notent A. M. Séguin et G. Divay, en dépit de l’instauration de mesures de reddition de compte, « (…) le contrat accentue la tendance antérieure qui consiste à accorder une plus grande autonomie à la Ville dans la mise en œuvre de solutions concrètes (…) » (Séguin et Divay 2004 : 833). Le contrat de ville de Montréal marque donc un accroissement institutionnel de la marge de manœuvre de la Ville de Montréal par rapport à la province. Si cette autonomie a pu être acquise dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et de l’habitation sociale, ces principes n’avaient pas, à l’époque, irrigué l’entente Ville-MRCI concernant les immigrants qui restait formellement soumise aux règles de gestion qui avaient été négociées lors de l’entente-cadre de 199979.

Le contexte de rééchelonnement de l’État au Québec, qui a eu pour résultat de faire émerger une métropole de calibre international au tournant des années 2000, a donc eu pour conséquence un accroissement de la marge de manœuvre de la Ville de Montréal par rapport à la province. Toutefois, ceci ne signifie pas un retrait de l’État qui conserve une forte maîtrise des politiques à l’échelle locale, comme en témoignent les réformes introduites par le gouvernement suivant.

2.2.3 Le frein à la décentralisation vers la Ville de Montréal : le projet