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Réflexion sur l’omniprésence de la thématique d’agressivité et de violence :

Les notions d’agressivité, de violence, de dangerosité sont omniprésentes dans le discours des patients tout au long du processus de contention et de part et d’autre du rapport soignant/soigné.

Il faut préciser que cette perception de la violence des soignants est évoquée alors que les patients sont interrogés dans une phase de stabilisation clinique de leur maladie. Bien évidemment, il s’agit d’un discours empreint de subjectivité. Peut-être perçoit-il cette

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agressivité de manière projective, interprétative, hallucinatoire. Peut-être cette perception s’appuie-t-elle sur des éléments de réalité. Néanmoins, distinguer la réalité de ces perceptions n’est pas l’objet de cette étude. Il s’agit au contraire de réfléchir sur la manière dont le patient a construit et reconstruit son expérience de contention, aussi subjective soit-elle. Ainsi, on l’a vu au cours des entretiens, même si certains patients critiquent leur délire de persécution, ils ne critiquent pas leur perception d’avoir subi une expérience violente, et cela à distance de la situation et alors qu’ils se trouvent en phase de stabilisation clinique.

La violence est présente avant, pendant et après la contention. Une revue de la littérature récente nous avait appris que l’hétéro-agressivité représentait effectivement le motif le plus fréquent de mise sous contention (42). Il serait alors intéressant d’étudier ce que nous montre la littérature médico-scientifique en ce qui concerne les conduites agressives dans les services de psychiatrie, et notamment si les facteurs communs sont identiques ou différents de ceux en rapport avec l’utilisation de contention. Une étude réalisée en 2010 fait une large revue de littérature des incidents agressifs et violents en psychiatrie. Celle-ci montre que les facteurs les plus fréquemment retrouvés sont les antécédents d’épisodes similaires, le caractère impulsif des patients, la longueur de l’hospitalisation, l’hospitalisation sans consentement, le diagnostic de trouble psychotique et de mésusage d’alcool/autres substances, le jeune âge, le risque suicidaire et la cible préférentielle de soignant de même sexe. (142) Il n’est pas fait mention ni du sexe masculin, ni de l’origine ethnique, alors que ces caractéristiques sont retrouvées dans les travaux étudiant la contention physique.

Cette étude permet de faire un parallèle et de faire émerger des explications quant à certains facteurs communs à l’utilisation de la contention physique, notamment le diagnostic de trouble psychotique, le jeune âge, la longueur des hospitalisations et l’hospitalisation sans consentement qui serait en lien avec un comportement plus fréquemment agressif du patient. De même, l’utilisation de contention plus fréquente en cas de présence de soignant masculin dans l’équipe peut être mise en lien avec la cible plus fréquente de soignant de même sexe lors de passage à l’acte hétéro-agressif. (42)

Ce que cette étude n’explique pas, c’est l’absence de mise en évidence du sexe masculin et de l’origine ethnique dans le comportement agressif et violent en psychiatrie. En effet, cette revue de littérature répertorie 42 études qui ont recherché une corrélation statistique entre genre et conduite agressive, seules neuf études ont montré un lien significatif, mais de nature

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contradictoire, puisque six sont en faveur du sexe masculin et trois en faveur du sexe féminin. Une étude norvégienne confirme cette constatation, l’utilisation de la contention physique est préférentiellement choisie pour les patients de sexe masculin plutôt qu’un traitement pharmacologique sédatif (47). Les résultats de ces différentes études laissent émerger la constatation suivante : les patients de sexe masculin et d’origine ethnique différente sont plus fréquemment traités par contention physique en cas de conduite agressive.

Ainsi deux hypothèses émergent pour expliquer ces multiples dénominateurs communs en lien avec l’utilisation des contentions mécaniques : les facteurs qui sont directement en lien avec le comportement agressif dans un service de psychiatrie et donc en lien avec l’utilisation des contentions physiques par ce qui les a motivées ; et les facteurs en lien non pas avec le motif des contentions, mais avec le choix d’avoir usé de cette mesure plutôt que d’une autre. De nombreuses théories ont été élaborées pour expliquer les raisons de l’agressivité des patients dans les services psychiatriques. Certains auteurs proposent une théorie en trois modèles constitué d’un modèle interne, un modèle externe et un modèle situationnel/interactionnel :

- Le modèle interne explique la conduite agressive par la pathologie mentale ;

- Le modèle externe inclut tous les facteurs environnementaux qui contribuent à la survenue d’un comportement agressif : espace de soin, modalité d’hospitalisation, lieu d’hospitalisation, nombre de patients admis dans le service, etc. ;

- Le modèle situationnel/interactionnel est lié aux contre-attitudes négatives de l’équipe médicale et soignante envers le patient : une pauvreté de la communication, des attitudes intolérantes, des méthodes de contrôle punitives, etc. (143). Une étude récente a ainsi pu mettre en évidence qu’une politique de tolérance zéro peut encourager une attitude stricte et intolérante par l’équipe soignante, ce qui peut alors induire une escalade de violence dans le service. (144)

Ce modèle suggère ainsi que les situations de violence et d’agressivité résultent d’une combinaison de facteurs environnementaux et interpersonnels, associés à la psychopathologie du patient.

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4. De la thématique d’impuissance à la thématique de