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Morbidité et mortalité liées à la contention mécanique :

3. Revue de la littérature médico-scientifique :

3.4. Morbidité et mortalité liées à la contention mécanique :

L’existence d’effets indésirables graves, à la fois physiques et psychologiques, liés à l’utilisation de la contention physique en psychiatrie est décrite depuis l’importante revue de la littérature réalisée par Fisher en 1994. (56)

Quelques années plus tard, une série d’articles est publiée en 1998 par des journalistes d’investigation dans le journal américain Hartford Courant dénonçant 142 décès de patients atteints de pathologie mentale en lien avec l’utilisation de la contention physique entre 1988 et 1998, et notamment le décès de jeunes enfants. (57) La cause de ces décès serait à imputer, selon les journalistes, à des complications respiratoires et cardiaques, des intoxications et interactions médicamenteuses, des hématomes d’origine traumatique, des strangulations, des inhalations de fumée et des incendies. Ces publications créent un tumulte dans les médias et dans l’opinion publique aux Etats-Unis. L’organisme gouvernemental General Accounting office report confirme en 1999 qu’un risque de décès en lien avec les contentions physiques existe. Une loi est votée pour inciter les hôpitaux américains à signaler les décès survenant sous contention. (58) Depuis lors, la Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO), organisme américain d’accréditation des structures de soins, rapporte plus de deux décès par mois en lien avec les contentions physiques. (59)

Ces dernières années, des études de la littérature gériatrique, urgentiste et de médecine légale centrent leurs travaux sur la recherche d’hypothèses étiologiques et physiopathologiques dans la survenue d’effets indésirables graves et de décès sous contention physique. Les articles de la littérature psychiatrique reste néanmoins étonnamment rares sur la question. Les études menées sont très majoritairement des travaux rétrospectifs de médecine légale réévaluant les rapports d’autopsie de patients décédés sous contention. Très peu de travaux prospectifs ont été réalisés dans ce domaine.

3.4.1.Décès et contention physique, hypothèses étiopathogéniques :

En 1998, dans les suites de l’article dans le Hartford Courant, le JCAHO Sentinel Event Alert étudie le cas de 20 patients décédés sous contentions physiques. 40% de ces décès sont liés à

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une asphyxie, les autres causes sont en lien avec une strangulation, un arrêt cardiaque ou un incendie. (60)

Une large étude rétrospective a été menée par Berzlanovitch en 2012 et recherchait les causes de tous les décès sous contention survenus à Munich entre 1997 et 2010. Les auteurs ont retrouvés 26 décès. 22 étaient directement imputables aux contentions mécaniques. 11 des patients seraient décédés d’asphyxie et 8 de compression thoracique causée par une contention ventrale. (61)

Mohr fait l’hypothèse de plusieurs pathologies et mécanismes physiopathologiques dans une revue de la littérature d’études post-mortem de patients décédés sous contention : asphyxie positionnelle, inhalation, hématome thoracique, trouble du rythme cardiaque provoqué par une décharge de catécholamines, maladie thromboembolique veineuse et rhabdomyolyse. (62)

3.4.2.« Restraint asphyxia » :

L’asphyxie provoquée par la contention, nommée « restraint asphyxia » dans la littérature de médecine légale, est la cause la plus fréquente de décès sous contention physique. (62) Une étude de médecine légale évaluant trente ans de décès inexpliqués sous contention physique dans des services de gériatrie montre que l’asphyxie mécanique est le mécanisme du décès dans 70 % des cas. En outre, les auteurs suggèrent que les décès sous contention physique sont probablement sous-représentés du fait des implications médico-légales. (63) D’autres publications de médecine légale montrent que les décès en lien avec une asphyxie positionnelle sont plus fréquents lorsque le patient est placé en position ventrale, position dans laquelle le patient a davantage de risque d’obstruer les voies aériennes supérieures. (64) En effet, certains auteurs ont étudié les conséquences physiologiques d’exercices physiques sous contention physique posée en position ventrale. La saturation en oxygène a été mesurée chez 10 sujets sains durant ces exercices. Neuf sujets sur 10 ont présenté une désaturation prolongée en oxygène. (65) Les facteurs potentiellement en cause pourraient être une restriction des mouvements respiratoires thoraciques, une obstruction des voies aériennes supérieures et une libération d’hormones catécholamines durant l’effort physique. Ces

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phénomènes sont ici étudiés chez des sujets sains, il est légitime de faire l’hypothèse qu’ils sont accentués chez les patients suivis en psychiatrie, présentant des comorbidités somatiques et addictologiques plus importantes que dans la population générale.

Concernant la mise en cause d’une origine positionnelle à la restraint asphyxia, une étude a évalué 63 cas de décès par asphyxie dans les suites d’une contention physique chez des patients âgés de 26 semaines à 98 ans. Les auteurs ont constaté que les contentions avaient été correctement installées en position dorsale pour 57 patients sur 63. Ces travaux suggèrent que le risque de décès sous contention existe quelle que soit la position dans laquelle elles sont posées. (66)

3.4.3.Complications thromboemboliques veineuses :

La contention physique prolongée est également mise en cause dans la survenue de complications thromboemboliques pour certains patients décédés sous contention. En effet, une publication rétrospective de 2009 met en évidence trois patients décédés d’embolie pulmonaire dans les suites d’une contention physique, et cela sans qu’aucun trouble de la coagulation ou facteur de risque thromboembolique n’ait été présent. L’immobilisation de ces trois patients avait été comprise entre trois et cinq jours. (67)

En 2013, une étude japonaise prospective a recherché chez des patients sous contention physique une augmentation des D-dimères, marqueur biologique de maladie thromboembolique veineuse. Si celles-ci étaient augmentées, un écho-doppler veineux des membres inférieurs était systématiquement réalisé. Parmi les 181 patients contenus durant la période d’inclusion, une thrombose veineuse profonde a été retrouvée chez 21 d’entre eux, soit 11,6% de l’échantillon. Tous les patients avaient reçu un traitement préventif par bas de contention et héparinothérapie. Les facteurs qui ont été significativement mis en évidence chez ces 21 patients étaient une durée de contention supérieure à 72h, une sédation médicamenteuse plus importante et une hospitalisation médicale récente. (68)

Les patients sous contention physique sont d’autant plus à risque de complications thromboemboliques qu’il a été mis en évidence un lien significatif entre traitement antipsychotique et survenue de maladie thromboembolique dans certaines études. Et,

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comme le montrent plusieurs publications citées précédemment, la contention physique est associée à de plus forte dose de traitement sédatif, et notamment neuroleptique. (69) (70) Une revue de la littérature incite à rechercher les facteurs de risque thromboemboliques afin d’évaluer la nécessité de mettre en place un traitement préventif anticoagulant. Ainsi, Maly propose un algorithme décisionnel de prévention de la thrombose veineuse chez les patients hospitalisés en psychiatrie, et conseille la mise en place d’un traitement anticoagulant préventif, après recherche de facteurs de risque, à partir d’un score supérieur ou égal à 4. L’immobilisation continue supérieure à 8 heures et le traitement antipsychotique représentent des facteurs de risque dans cet algorithme. (71)

3.4.4.Contention et risque d’inhalation :

Tandis que la contention en position ventrale prédispose à la survenue de « restraint asphyxia », des études montrent que la position dorsale prédispose à la survenue d’autres complications, et notamment au risque d’inhalation et à toutes les conséquences potentiellement graves qui peuvent en résulter. (62)

Le risque est d’autant plus grand que le patient présente des troubles de la vigilance en lien avec son état psychique ou avec le niveau de sédation du traitement médicamenteux.

A ce jour, aucune étude n’a évalué le choix préférentiel d’une position dorsale ou ventrale lors de la pose des contentions physiques afin d’éviter la survenue d’effets indésirables potentiels.

3.4.5.Troubles du rythme cardiaque :

Certaines études décrivent une massive décharge d’hormones catécholamines pouvant entrainer des troubles du rythme cardiaque chez des patients présentant un état d’agitation sévère et ayant dû être maîtrisés par l’équipe soignante. (62) Une revue de la littérature de 2010 qui décrit les causes de décès sous contentions physiques pendant des gardes à vue policières confirme que certains décès sont provoqués par des troubles du rythme cardiaque secondaires à un haut niveau de catécholamines. Les auteurs font le postulat que le mécanisme de ces décès serait multifactoriel : asphyxie positionnelle en lien avec la

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contention, surdosage de toxiques et stress responsable d’une décharge d’hormones catécholamines. (72)

Des cas de patients ayant présenté sous contention un arrêt cardiaque en lien avec une acidose métabolique sévère ont également été rapportés. Les auteurs émettent l’hypothèse que l’acidose métabolique était en lien avec un mécanisme impliquant les hormones catécholamines, et ce notamment en cas de contention ventrale qui limiterait une compensation physiologique réflexe et provoquerait l’acidose métabolique. (73)

3.4.6.Autres complications sous contention :

D’autres causes de décès en lien avec la contention mécanique sont citées par différentes études :

- Syndrome confusionnel : une étude réalisée dans un service de soins intensifs met en évidence une augmentation de la survenue de syndrome confusionnel parmi des patients sous contention mécanique, et notamment dans son utilisation avec absence de lumière du jour visible, absence de visites et transfert multiple dans divers services de soin (74) ;

- Rhabdomyolyse (75) ;

- Hématome thoracique d’origine traumatique (62) ;

- Inhalation de fumée et incendie (62) ;

- Traumatismes physiques : certaines publications (76) (77) ;

- Déshydratation (59) ;

3.4.7.Contention et abus de substance :

Une étude menée en 2010 par Alshayeb décrit une série de cas d’acidoses lactiques sévères chez des patients contenus mécaniquement et présentant une intoxication aigue en cocaïne. Les auteurs émettent l’hypothèse que l’activité musculaire excessive en lien avec l’agitation du patient et la contention mécanique, le stress et l’intoxication en cocaïne ont provoqué cette acidose lactique sévère. (78)

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3.4.8.Contention et traitement psychotrope :

Certaines études mettent en garde contre des posologies médicamenteuses trop importantes associées aux contentions mécaniques. Divers mécanismes cités précédemment peuvent accroitre le risque de décès : diminution du niveau de vigilance pouvant favoriser les troubles respiratoires et les risques d’inhalation, augmentation du risque thromboembolique. (59) En outre, l’organisme anglais National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) recommande une grande vigilance dans l’association d’une contention physique à un traitement psychotrope devant le risque important de survenue de complications potentiellement graves. (79)

Une étude de cas rétrospective a également montré une association entre contention physique et hépatites d’origine médicamenteuse. En effet, cette étude montre un taux d’hépatite à 8,5% chez les patients contenus contre 1,9% chez les patients non contenus. (80)

3.4.9.Mauvaise utilisation de la contention :

Une étude menée par Berzlanovitch en 2012 a analysé les autopsies de tous les décès sous contention physique survenus à Munich entre 1997 et 2010. Les auteurs ont identifié 26 décès sous contention et constatent une mauvaise utilisation des contentions pour 19 patients. Les causes de ces décès étaient dans la plupart des cas des asphyxies et des compressions thoraciques causées par la contention ventrale. (61)