• Aucun résultat trouvé

De la thématique d’impuissance à la thématique de dépendance :

La thématique d’impuissance est de deux ordres dans notre étude :

- l’impuissance du patient par rapport à lui-même, c’est-à-dire la perte de capacité motrice et d’autonomie générée par la contention physique ;

- l’impuissance par rapport à l’équipe soignante, représentée notamment dans notre étude par la thématique de soumission/domination.

Le sentiment d’impuissance du patient envers l’équipe soignante est présent avant même la pose des contentions. Pour certains patients, il s’agit de ce sentiment qui entraine la situation d’agressivité. Ceux-ci justifient leur comportement agressif par un enjeu de pouvoir avec l’équipe soignante : refus d’un traitement médicamenteux, refus d’intégrer un service d’hospitalisation, refus de rester hospitalisé, etc. Il s’agit d’une restriction dans le pouvoir de décider, de faire des choix pour soi-même, ce que J. Palazzolo nomme la contention psychologique (1). Lorsqu’un patient est hospitalisé sans son consentement, tous les actes de la vie quotidienne deviennent des contraintes. L’obtention de permission, d’habits ordinaires, de briquet, d’activité occupationnelle sont soumises à l’approbation du médecin par l’intermédiaire de l’équipe infirmière. Il est retiré au patient sa liberté à décider, à faire ses propres choix, à exercer son libre arbitre. Lorsque le patient dit non, il manifeste son libre arbitre. Cet enjeu de pouvoir renvoie ainsi au modèle situationnel/réactionnel décrit précédemment, où des attitudes strictes de la part de l’équipe soignante contribueraient à entrainer une escalade d’agressivité chez le patient.

J. Palazzolo, dans son étude qualitative du point de vue des patients sur l’utilisation de la contention, retrouve également ce thème du pouvoir, interprété en tant qu’action exercée sur une conduite, dans quasiment tous les récits de patients (119). Il fait ainsi référence à Foucault qui décrit le pouvoir comme « des actions employées dans le but de guider ou contrôler la conduite de quelqu’un et d’ordonner le résultat. Le pouvoir existe alors dans le cadre d’un réseau de relations. » (145)

La réponse à l’agressivité du patient devient la source même de cette agressivité, l’enjeu de pouvoir du patient avec l’équipe soignante, la crainte d’être réduit à l’impuissance. Or

151

l’escalade d’agressivité conduit justement à l’utilisation d’une mesure qui entraine un état de soumission absolue, la contention physique, l’impossibilité même de faire quoi que ce soit. La contention psychologique devient physique. La perte du pouvoir de décider devient la perte du pouvoir de faire. Selon Foucault, si une personne se voit supprimer en totalité sa liberté d’action par une autre personne, il n’y a plus de relation de pouvoir. La relation se transforme alors en contrainte. (146)

Les participants à l’étude évoquent tout d’abord leur impuissance comme une perte de capacité par rapport à eux-mêmes : perte de la capacité à bouger, à se gratter, à se moucher, à changer de position, perte de leur autonomie dans les besoins élémentaires. Cela les renvoie à leur propre impuissance par rapport au monde extérieur, comparant très fréquemment leur situation à celle de la prison. Cette image de l’emprisonnement ne correspond pas seulement à une perte de liberté, mais aussi à un isolement. Car sa propre impuissance entraine inévitablement un rapport de dépendance vis-à-vis de l’autre. Puisque le patient ne peut pas seul assouvir ses propres besoins, le soignant devient le pivot central de sa propre survivance. L’impuissance induit nécessairement une dépendance à l’autre, et celle-ci peut avoir des conséquences dans la relation soignant/soigné. On passe d’un enjeu de pouvoir à un enjeu de dépendance.

Du fait du rapport de dépendance qui s’installe avec le soignant, la capacité du patient à faire devient liée aux passages infirmiers. Cette évolution du lien relationnel pourrait expliquer la perception du patient de se sentir abandonné, vulnérable alors que son enjeu dans la relation avec le soignant était auparavant le choix de sa propre conduite dans la contrainte de son hospitalisation. Car si une part de sa capacité à décider était laissée au patient, par exemple en lui laissant le pouvoir d’alerter les soignants avec une sonnette, la dimension de dépendance en serait peut-être moins angoissante. Or, dans la situation de la contention, les passages des soignants ne sont pas liés à la volonté du patient. Cela peut expliquer la fréquence élevée des thèmes d’abandon, de rejet, de délaissement puisque la maitrise de la relation avec le soignant conditionnerait la réalisation de ses besoins élémentaires, et donc sa propre survivance.

Dans notre étude, le patient montre une certaine ambivalence dans la description de la relation soignant/soigné. Celle-ci est tantôt perçue positivement, tantôt négativement, très souvent au sein d’un même entretien. Cela peut différer en fonction de l’instant du processus

152

de contention, les relations sont perçues plus fréquemment négatives en début d’entretien et positives au fur et à mesure du processus de contention. Cela peut différer également en fonction de l’interlocuteur, en fonction des équipes soignantes, de la fonction de médecin ou d’infirmier des soignants. Le plus souvent néanmoins, l’ambiguïté de la perception des soignants coexiste sans schéma chronologique ou identificatoire relevé, ce qui peut renvoyer encore une fois au rapport de dépendance qui s’est établi avec le soignant. Ce dernier est à la fois celui qui décide – dans le cas du médecin – ou celui qui se sert de la contention – dans le cas de l’infirmier – et celui qui va permettre au patient d’assouvir l’ensemble de ses besoins vitaux. Il est également celui qui va décider de la fin de ce rapport de dépendance. Ce rapport de dépendance absolue au soignant permet-il cependant de préserver une relation thérapeutique ? Car cette dépendance est temporaire, la contention sera levée tôt ou tard. Néanmoins, cette ambiguïté dans la perception du soignant est-elle levée dans le même temps que la contention ? Ou cette expérience laisse-t-elle des séquelles dans la relation thérapeutique établie ou en voie de s’établir entre le patient et le soignant ?

Les patients, au cours des différents entretiens, soulignent cet état de dépendance au soignant lorsqu’ils suggèrent des améliorations dans l’utilisation de la contention physique. La première amélioration évoquée, par la fréquence et la chronologie de l’entretien, est le souhait d’un passage infirmier plus fréquent et plus régulier. Ils établissent parfois le lien sur la difficulté de rester seul, le sentiment d’être abandonné et cette volonté de voir davantage les infirmiers. Au cours du même entretien, l’infirmier peut être perçu avec des sentiments de haine, de mépris lorsqu’il s’agit de décrire la situation de pose des contentions, puis être perçu comme un élément rassurant. Si l’on considère la contention comme thérapeutique par l’instauration d’une relation de dépendance installée à la place du rapport de force avec le soignant, il serait alors légitime de permettre au patient de dépendre du soignant. En effet, si le patient n’a pas de moyen d’alerter les soignants, s’il a l’impression que ceux-ci ne passent pas régulièrement, il n’a pas la possibilité de se rendre dépendant aux soignants. Ainsi, et les patients le répètent au cours des entretiens, la contention semble vécue de façon moins angoissante si les soignants – médecins et infirmiers – sont présents et disponibles tout au long du processus de contention. Cela rejoint le concept psychanalytique de contenance décrit dans la première partie. Si l’on considère la contention comme un soin, il ne s’agit pas des sangles ou des murs de la chambre d’isolement qui assurent cette fonction contenante, mais bien des soignants

153

eux-mêmes par leur présence et leur disponibilité auprès du patient. L’aspect thérapeutique alors ne résiderait pas dans l’acte d’attacher le patient sur un lit mais dans la contenance psychique permise par la disponibilité physique et psychique des soignants.

La thématique de non-humanité a été évoquée par onze patients au cours de l’étude. Pour J. Palazzolo, la thématique de déshumanisation est en lien avec celle de l’impuissance, notamment par la perte de la capacité des patients d’assumer seuls leurs propres besoins naturels (119). Nous constatons dans notre étude que lorsque les patients évoquent leur perception de déshumanisation pendant la contention, ils prennent en compte la dimension relationnelle. Les participants ne disent pas : « j’ai l’impression d’être un chien », mais : « j’ai l’impression d’être traité comme un chien ». Le patient inclut ainsi quasi-systématiquement le soignant dans cette perception. Ce n’est pas lui qui se considère comme un animal, mais c’est la manière dont il imagine être considéré par le soignant. La déshumanisation ne concerne alors pas la perte de ses capacités motrices mais plutôt les conséquences de cette impuissance, c’est-à-dire la dépendance absolue aux soignants, ou la perception d’un rapport de soumission et de domination avec le soignant. Le sentiment de ne plus être considéré comme un être humain ferait alors référence à la soustraction par le soignant, et non la perte, de la capacité à décider pour soi-même. La soustraction concerne le soignant par rapport au patient, alors que la perte ne concernerait que le patient.

5. Réflexion sur les thématiques d’utilisation non éthique de la