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Les règlements municipaux

Chapitre 2 La pratique : l’exercice d’une telle protection limitée par d’autres

A. Les règlements municipaux

1. Évolution

Le graffiti et plus tardivement le « Street art », se sont développés par l’entremise de la jeunesse des grandes villes nord-américaines169. Ces dernières n’ont, à l’époque, pas entrevu le potentiel de cet art et ne l’ont

166 Voir en ce sens, Ville de Montréal, Ville de Montréal - Arrondissement de Verdun -

Contrôle des nuisances.

En ligne :

http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8637,95835801&_dad=portal&_sche ma=PORTAL.

167 Voir en ce sens, Ville de San Francisco, San Francisco Public Works Code, art. 23.

En ligne : https://sfpublicworks.org/graffiti.

168 Code criminel, supra note 46, art. 430.

alors assimilé qu’à une appropriation illicite de l’espace urbain. Dès lors, cette appréhension du graffiti a immédiatement suscité de virulentes réactions de la part des mairies concernées et dès 1972, des politiques ultra-répressives ont commencé à poindre le jour, avec comme fer de lance la mairie de New-York, gouvernée à l’époque par John Lindsay170. Durant le mandat de ce dernier et celui de ses prédécesseurs, la ville de New-York a été amenée à octroyer plusieurs millions de dollars aux fins de destruction et d’effacement systématiques des graffitis qui jonchaient alors les murs de la métropole171. Les politiques de « tolérance zéro » se suivent, se ressemblent, mais s’essoufflent néanmoins chacune à leur tour, essuyant la même défaite à chaque nouvelle tentative. Des milliers de dollars disparaissent tandis que des milliers d’œuvres continuent d’apparaitre.

En 1995, le Maire Guiliani, renforce la croisade de New-York face au « Street art » et réussit enfin à le bouter hors des murs du cœur de l’île de Manhattan, mais à quel prix ? En effet, si nous faisons le compte des dépenses, nous observons qu’en 1972 la première politique mise en place, visant à l’effacement des graffitis, coûtait déjà 10 millions de dollars. Dix ans plus tard son coût était doublé, pour finalement s’élever à 52 millions par année entre 1984 à 1989172. Effacement systématique des œuvres sur les rames du métro ou encore installations de clôtures électriques, voilà où partaient tous ses moyens financiers qui, selon nous, ne semblent pas vraiment correspondre à l’image que l’on se fait d’une politique victorieuse.

170 Ibid., p. 13. 171 Ibid., p. 14. 172 Ibid., p. 14.

De l’autre côté de la frontière, puisque l’apparition du problème et la gestion qui en résulte sont beaucoup plus tardives, l’on parvient à tirer des enseignements des erreurs du modèle américain et on s’organise au départ afin d’offrir des solutions alternatives pour éviter la récidive et amenuir les coûts d’effacement. Ainsi, bien qu’il soit possible d’observer, dès 1987, des démarches visant à limiter l’apparition d’œuvres de « Street art »173 dans la ville de Vancouver, cette dernière instaure en 1994 les premières mesures répressives canadiennes dans son règlement. Aussi surprenant que ce soit, ce dernier imposait d’ailleurs l’effacement des créations sous 60 jours et ce, à l’initiative des propriétaires (ce délai est aujourd’hui de 10 jours174).

D’autres villes du Canada, telles que Ottawa et Calgary suivront ce mouvement aux mesures coercitives et vont même aller jusqu’à interdire le « Street art » légal consenti par des propriétaires privés, si les œuvres apparaissent à la vue du public.

Article 19. « No person shall create or apply Graffiti on or to any

(a) Premises, (b) Structure, or (c) Other property which is owned or occupied by another Person.

Unless the Graffiti is not in public view and the Person who owns or occupies the Premises, Structure or other property to which the Graffiti has been created or applied has given prior written approval for the creation or application of the Graffiti.

Every owner or occupier of a Premises shall ensure that Graffiti placed on their Premises is removed, painted over, or otherwise blocked from public view »175.

173 Mesures incitatives ou préventives.

174 City of Vancouver, Graffiti by-law no. 7343, art. 6. « Every owner or occupier of real

property must remove from that real property any unsightly accumulation of graffiti within 10 days after the Director of Licenses and Inspections causes a notice to be served upon the owner or occupier requiring such removal ».

En ligne : https://bylaws.vancouver.ca/7343c.PDF.

175 Maire de Calgary, by-law no. 5M2004, Being a bylaw of the city of Calgary to regulate

Le Québec suivra rapidement la tendance canadienne plus répressive et des villes comme Montréal ou Sherbrooke adopteront également des politiques de proscription et d’effacement systématique, dès 1996176. Seule la ville de Québec semble conserver, à cette époque, sa propre direction telle qu’établie depuis 1991. Plus souple et déployant bien moins de moyens pour la destruction des œuvres que ses consœurs, elle semble moins impactée par les problématiques qui entourent cet art. Ainsi en 1996, alors que la majorité des municipalités québécoises étaient à leur stade répressif, Québec faisait quant à elle installer sa « graff-zone » sur les piliers Dufferin-Montmorency177.

Ce n’est qu’en 2003 que la ville se dote d’une politique plus répressive, recensant une à une les créations apposées sur les murs de la ville et adaptant la sanction en fonction du nombre d’œuvres que l’auteur aurait supposément apposé. La ville traque les street artistes les plus actifs qui peuvent, selon le nombre d’œuvres réalisées et la gravité des atteintes, écoper d’une simple amende (entre 100 et 3000 dollars) ou faire face à des poursuites judiciaires178.

À l’image de Montréal179, ces plans de gestion instaurés dans le milieu des années 90 demeureront, jusqu’à notre époque, la ligne de conduite des municipalités québécoises en matière de sanction. Dès lors, comment

En ligne :

https://www.calgary.ca/_layouts/cocis/DirectDownload.aspx?target=http%3a%2f%2f www.calgary.ca%2fCA%2fcity-clerks%2fDocuments%2fLegislative-

services%2fBylaws%2f5M2004-CommunityStandards.pdf&noredirect=1&sf=1.

176 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61.

177 Alexandre OLLIVE, Graffitis et graffiteurs dans la ville pratiques spatiales des

graffiteurs de Québec et marquage symbolique de l'espace urbain, mémoire de maîtrise,

Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2006, p. 57.

178 Ibid., p. 60.

179 Voir en ce sens, Ville de Montréal, « Unité graffiti | Banque d’information 311 ».

s’articulent les sanctions introduites par ces plans de gestion du « Street art » ?

2. Les sanctions municipales au Québec

Sanctionner la pratique du « Street art » illégal est un élément qui fédère les mairies du Québec. Que nous soyons à Montréal, Sherbrooke ou encore dans la capitale nationale, toutes ont été amenées à introduire dans leurs règlements respectifs des articles visant à interdire le « Street art » illégal. Toutefois, le degré de sévérité peut varier en fonction des municipalités ou arrondissements (a), de la nature des biens touchés (b), ou encore de la technique utilisée (c), complexifiant la compréhension qui doit être faite de ce qui est prohibé ou non.

a. L’imprécision des règlements municipaux menant à une appréciation incertaine des styles urbains sanctionnés

Nous l’avons constaté dans le chapitre précédant, l’utilisation des termes adéquats est primordiale lorsqu’il s’agit du traitement juridique du « Street art ». Or, à la lecture des divers règlements municipaux des grandes villes du Québec, force est de constater que des flous terminologiques persistent. À titre d’exemple, nous mettons en lumière deux articles de règlements instaurés dans deux arrondissements de la métropole de Montréal.

D’un côté, le Règlement sur la propreté des terrains privés, applicable à l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, interdit en son article 3 les « graffitis » et les « tag » lorsqu’apposés sans consentement du propriétaire privé :

« Il est interdit de tracer des graffitis ou des tags sur un bâtiment situé sur un terrain privé sauf dans le cas de murales ou dessins autorisés par le propriétaire du bâtiment, ou par l’arrondissement conformément à la réglementation en vigueur »180.

Tandis que d’un autre, dans l’arrondissement de Verdun, le Règlement

interdisant les graffitis et exigeant que toute propriété soit gardée exempte de graffiti proscrit toutes techniques se rattachant au graffiti et

ce, alors même que le propriétaire serait consentant!

« Constitue une nuisance et est prohibé pour une personne, le fait :

1° d’écrire, de dessiner, d’apposer, de marquer, de graver ou de tracer des graffitis sur tout immeuble;

2° de laisser ou de permettre que soit laissé sur son immeuble, des graffitis »181.

Les deux arrondissements s’accordent donc sur le fait qu’il faille interdire le graffiti, mais semblent suivre des voies différentes lorsqu’il s’agit de définir le champ d’application des styles prohibés ou la prise en compte du choix du propriétaire.

La première sanctionne en effet les « graffitis » et les « tags » sans réellement poser d’autres limites. Il n’est donc pas aisé de déterminer ce qu’elle entend par ces termes, laissant planer le doute quant aux œuvres de street art. Sont-elles autorisées ou doit-on comprendre au travers de l’utilisation de ces deux termes, qu’il ne s’agit que d’exemples illustrant une interdiction plus globale du « Street art »? «

180 Plateau Mont-Royal, Mairie de Montréal, Règlement sur la propreté des terrains

privés, art. 3.

181 Arrondissent De Verdun, Mairie de Montréal, Règlement interdisant les graffitis et

La seconde quant à elle va procéder par une énumération de certaines techniques d’apposition utilisées par le graffiti, sans pour autant les définir toutes ou faire référence aux autres styles qui se rattachent généralement à ce dernier. Une fois encore, il est difficile d’interpréter l’utilisation limitée de ces termes.

Notre opinion est que ces utilisations ambigües des termes rattachés au « Street art », doivent être interprétées corrélativement à l’importance donnée au consentement du propriétaire. Dans le règlement du plateau Mont-Royal, nous constatons que l’interdiction se cantonne à deux styles, mais qu’ils peuvent néanmoins être légitimés, si consentis par le propriétaire. La municipalité ne cherche alors pas à interdire la pratique dans son ensemble, mais plutôt à la maîtriser, permettant d’interpréter l’utilisation des deux termes au sens propre, soit au graffiti et au tag, excluant les œuvres de street art.

À l’inverse dans le règlement de Verdun, la municipalité détaille des techniques d’apposition et non des styles, tout en interdisant spécifiquement les propriétaires à consentir à l’apposition de telles œuvres sur leur propriété privée. La mairie expose donc de façon suffisamment précise qu’elle s’oppose à toute forme de « Street art ». Les termes utilisés ne permettant pas une appréciation large de ce qui peut être autorisé, mais plutôt de ce qui ne peut pas l’être.

Il est donc important d’identifier les objectifs d’une municipalité afin de comprendre ce qu’elle sanctionne, certaines étant plus enclines au développement maîtrisé de la pratique, tandis que d’autres s’y opposeront dans toutes ses formes. Ces objectifs ne sont toutefois pas les seuls éléments à prendre en compte lorsqu’il s’agit de sanction et d’autres facteurs entrent en compte au moment d’en définir les contours.

b. Propriétaire privé et public : l’importance du choix du support/ La prise en compte du matériau de l’œuvre lors du choix de la sanction

Lorsqu’une œuvre est apposée sur un bien privé ou public, il est possible de constater deux gestions d’effacement diamétralement opposées. Dans des villes comme Sherbrooke182, ou l’arrondissement de Verdun183, il est imposé aux propriétaires de faire effacer les œuvres ou de faire en sorte qu’elles soient enlevées lorsque le directeur des services le requiert. Le problème est toutefois que les frais de nettoyage sont ou peuvent être à la charge du propriétaire. Ce dernier est alors doublement sanctionné pour la faute d’autrui, subissant tant l’apposition sans son consentement d’une œuvre sur sa propriété, que le fait de devoir la faire nettoyer à ses frais. Cette sanction du propriétaire a alors, selon nous, un effet positif pour les politiques anti « Street art », puisqu’ainsi sanctionné le propriétaire sera plus enclin à prendre des mesures visant à limiter cette pratique et ne plus en faire les frais à ses dépens. Cela vient toutefois encore alourdir les tensions qui gravitent autour de cet art.

À l’inverse, nous observons dans des municipalités comme la ville de Québec, et pour les œuvres apposées sur des biens publics que l’effacement est à la charge de la ville. Cette dernière fait en effet appel à des entreprises privées de nettoyage ou aux street artistes eux-mêmes lorsqu’ils se font interpeler. L’objectif est alors ici de sensibiliser les adeptes du « Street art », en leur faisant prendre conscience de l’impact négatif de leur travail si exécuté sans consentement.

182 Voir en ce sens, Ville de Sherbrooke, « Tags et graffitis ». « [R]esponsable de faire

disparaître les tags et les graffitis illégaux de [sa] propriété ».

En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art-culture-et- patrimoine/tags-et-graffitis.

183 Arrondissement de Verdun, supra note 178, art. 11. « Le Directeur peut, en cas de

défaut du propriétaire de se conformer à l’article 3, en plus de tout autre recours prévu par la loi, faire ou faire faire aux frais du propriétaire, toute chose que le présent règlement lui impose de faire en rapport avec cet immeuble ».

La distinction entre bien privé et public ne semble toutefois pas avoir d’impact dans l’établissement de la sanction, du moins au stade des sanctions municipales. Par exemple, à la lecture du Règlement sur la

propreté des terrains privés184 et du Règlement sur la propreté et sur la

protection du domaine public et du mobilier urbain185 de l’arrondissement du plateau Mont-Royal, nous avons constaté que les amendes encourues sont similaires que ce soit apposé sur un bien public ou privé. D’autres éléments déterminent alors la sévérité de la sanction qui peut résider par exemple dans la récidive du street artiste interpelé. Depuis 2011186 dans l’arrondissement de plateau Mont-Royal, l’amende peut aller pour une première infraction de 1000 à 2000 dollars, pour une première récidive de 2000 à 3000 dollars et enfin pour toute récidive additionnelle de 3000 à 5000 dollars (Il est à noter que ces amendes s’inscrivent parmi les plus élevées au Québec). « Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain »

Enfin, la nature des inscriptions est aussi un élément à prendre en compte pour l’établissement de la sanction. En effet, des inscriptions dites « légères », moins permanentes (affiches, craie, ...), seront traitées par les municipalités et leurs nombreux règlements municipaux existants,

184 Mairie de Montréal, supra note 177, art. 11. « Quiconque contrevient à l’article 3 du

présent règlement commet une infraction et est passible : a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000 à 2 000 $; b) pour une première récidive, d’une amende de 2 000 à 3 000; c) pour toute récidive additionnelle, d’une amende de 3 000 à 5 000 ».

185 Plateau Mont-Royal, Mairie de Montréal, Règlement sur la propreté et sur la protection

du domaine public et du mobilier urbain, art. 29.1. « Quiconque contrevient à l’article 7

et au paragraphe 3˚ de l’article 21 du présent règlement commet une infraction et est passible : a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000$ à 2 000$; b) pour une première récidive, d’une amende de 2 000$ à 3 000$; c) pour toute récidive additionnelle, d’une amende de 3 000$ à 5 000$ ».

186 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 26. Avant

2011, les auteurs d’œuvres illégalement apposées étaient « passibles d’une amende de 100 $ à 300 $ s’il s’agit d’une première infraction, jusqu’à 500 $ dans le cas d’une première récidive, et jusqu’à 1 000 $ pour toute récidive additionnelle ».

tandis que les inscriptions dites « lourdes », ayant un caractère plus permanent (peintures, gravures, …), seront sanctionnées au niveau du droit criminel au travers du méfait187. Les règlements municipaux ne sont donc pas seuls à entrer en conflit avec le « Street art » illégale et semble alors simplement constituer la première barrière limitant l’exercice du droit d’auteur, en ce sens qu’une exposition à des amendes pouvant s’élever jusqu’à 5000 dollars peut rapidement devenir un motif de réflexion même pour les auteurs de « Street art » les plus téméraires.