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Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation

Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant au

C. Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation

matériel quelconque101. On parle alors ici, d’une œuvre qui « est écrite ou

autrement attestée sous une forme raisonnablement permanente (« fixée ») »102. Ainsi, concernant le critère de fixation, sa détermination pour les œuvres de « Street art » n’apparait pas comme étant entièrement problématique. En effet, alors même que la Cour suprême nous rappelle que la fixation « sert à distinguer les œuvres susceptibles

d’être protégées par le droit d’auteur des idées générales »103, il apparait que ce critère est assez facilement atteint en matière de « Street art » puisque exprimé sous une forme visuellement perceptible104.

Toutefois il apparait important d’apporter quelques précisions en matière de « Street art », puisque la destination éphémère de ses œuvres pourrait soulever des interrogations. En effet, certains styles du « Street art » peuvent s’avérer très fugaces du fait de leur fixation. Par exemple, il est courant de trouver des œuvres faites à la craie, via des affiches en papier ou bien encore à l’aide de déchets urbains105 qui, aux premières intempéries ou en raison d’un nettoyage, seront vouées à disparaitre.

101 Marc BARIBEAU, « L’opinion juridique et le droit d’auteur », (1996), Conférence des

juristes de l'État, p. 4.

En ligne :

https://www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca/files/documents/3l/71/lopinionjuridique etledroitdauteur.pdf

102 Hugh LADDIE et Peter PRESCOTT, The Modern Law of Copyright and Designs, par.

1.2, 3è éd, 2000, Tel que cité dans Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc.,

[2002], 2 RCS 336.

103 Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002], 2 RCS 336.

En ligne : https://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2002/2002csc34/2002csc34.html.

104 Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd, [1988], 2 RCS 209, par. 703. 105 Dominic BRASSARD et Danny BRAUN, « Quand les déchets des uns font le bonheur

de l’artiste Romain Boz », Radio Canada, 5 juin 2017.

En ligne : https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/le-15-

Aussi, bien que la majorité des autres types d’œuvres de « Street art » soient apposés de façon plus permanente, il n’en est pas moins qu’elles sont aussi considérées comme éphémères, puisque apposées dans la rue ces dernières ne sont pas destinées à traverser les époques ou du moins plus difficilement qu’une peinture conservée dans un musée. De ce fait, le caractère éphémère de l’ensemble de ces œuvres pourrait-il s’avérer être une entrave à l’octroi d’une protection juridique par le droit d’auteur ?

Afin de répondre à cette question, il est important de distinguer ce que le caractère éphémère sous-entend outre sa signification générale106. Dans un premier temps, l’éphémérité concerne le choix du support et rejoint la notion de « forme matérielle quelconque » introduite par l’article de 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Le support peut être choisi sans réelle condition de durabilité, permettant l’utilisation de supports voués à une destruction inéluctable, telle qu’une affiche en papier, un bloc de glace ou encore des déchets urbains. Dans l’affaire Équipe de recherche opérationnelle en

santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique CGI inc. 107, le juge Tremblay-Lamer nous le rappelle d’ailleurs :

« [l]e droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque (article 3 de la loi). Or, il n’y a pas de définition de ce qu’est une forme matérielle, Il faut donc s’en tenir au sens ordinaire des mots. Une forme matérielle est une forme palpable, tangible, perceptible ».

106 Dictionnaire Larousse, s.v. « éphémère ». « Qui ne vit qu'un jour, un temps très

court ». En ligne :

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9ph%C3%A9m%C3%A8re/303 11

107 Eros - Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et

De ce fait, tant que le support constitue une forme matérielle perceptible, il est en mesure de répondre au critère de fixation exigé par le droit d’auteur.

Néanmoins, dans un deuxième temps, il est question d’appréhender le caractère éphémère d’une œuvre dans la temporalité de son apposition. En effet, les auteurs de « Street art » ont conscience qu’en choisissant d’apposer leurs travaux aux yeux du monde, ils exposent leurs œuvres aux aléas extérieurs tant météorologiques, qu’humains. De ce fait, ils ont conscience du caractère temporaire de leurs travaux. Toutefois, ici encore, l’éphémérité de l’œuvre qui viendrait à être produite ne serait-ce que pour une journée, ne saurait contrevenir à sa protection. En ce sens le juge Tremblay-Lamer a retenu par exemple que « l’affichage à l’écran des parties importantes des formulaires CTMSP n’est pas éphémère »108, retenant ainsi que la temporalité d’une œuvre n’est pas prise en compte dans l’appréciation du critère de fixation, puisque le simple affichage sur un écran peut s’avérer relativement bref et ne faisant pas obstacle à une protection par le droit d’auteur.

Ainsi, peu importe l’éphémérité de la fixation due au choix du medium, du matériau utilisé ou de la durée d’apposition. L’œuvre est protégeable dès qu’elle dépasse le stade de la simple idée et qu’elle est matérialisée. Toutefois bien que le critère de fixation ne soit pas une source de problème dans sa détermination, l’emplacement du support utilisé aux fins de cette dernière reste au cœur du débat. En effet, s’il advenait qu’une œuvre de « Street art » soit reconnue par la protection du droit d’auteur, elle octroierait pour l’auteur de cette dernière divers droits et

notamment le droit à l’intégrité de son œuvre109. Dans le contexte du « Street art » qui est un art in situ110, c’est-à-dire qui trouve sa qualification dans l’emplacement de son apposition, cette intégrité de l’œuvre pourrait alors être interprétée en fonction de son lieu de fixation. En effet, il appert que la fixation d’une œuvre de « Street art » réside, comme n’importe quelle œuvre, dans l’apposition de cette dernière sur un support matériel. Toutefois ce dernier à l’inverse d’œuvres plus classiques, se situe dans un ensemble urbain spécifique qui souvent résulte d’une recherche méthodique de l’auteur souhaitant apporter une signification supplémentaire à son œuvre, dépendamment du contexte qui l’entoure. De ce fait, il est possible de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre soit en altérant son contenu, soit en altérant sa fixation.

Concernant l’atteinte à l’intégrité du contenu de l’œuvre, elle est facilement déterminable si le régime de protection du droit d’auteur venait à s’appliquer puisque la simple preuve d’une altération ou détérioration suffirait à justifier le caractère préjudiciable111. Néanmoins lorsqu’il s’agit de prouver une violation de l’intégrité de l’œuvre quant à sa fixation cela se complexifie, car le contenu de l’œuvre et donc l’œuvre en elle-même pourrait ne pas avoir été altérée112. C’est au travers des critères d’appréciations du préjudice que cela causerait à l’auteur que nous pouvons alors apporter une réponse. La jurisprudence reconnait en effet, tant le caractère subjectif qu’objectif d’un préjudice, permettant la prise

109 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20.

110 Peter BENGSTEN, Street art World, 2014, Lund : Almendros de Granada Press, p. 11

dans Ulrich BLANCHÉ, « Qu’est-ce que le Street art ? Essai et discussion des définitions », (2015), Cahiers de Narratologie, par. 13.

111 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 28(2)(3).

112 Sarah LYALL, « Borough Searches for Missing Boy, Last Seen on Wall », The New

York Times, 28 février 2013. Sur l’arrachage d’une œuvre de Bansky, « Slave labor »,

du mur d’un magasin sans l’endommager. L’emplacement de cette œuvre prenait tout son sens du fait de son emplacement sur ce mur spécifique.

en considération de facteurs tels que « les réactions provenant de l’entourage de l’auteur, les opinions du public ou des experts » 113. De ce fait, au vu de l’évolution de l’image du « Street art », il serait par exemple aisé d’invoquer les réactions d’une communauté pour justifier une atteinte à l’intégrité d’une œuvre, si celle-ci venait à être retirée de son emplacement de fixation114. Ce critère serait donc dans le cadre du « Street art », la dernière condition sine qua non de l’octroi d’une protection par le droit d’auteur, mais aussi un outil pour l’exercice des droits qu’il octroie.

Aussi, au vu des éléments du présent chapitre, nous sommes dorénavant en mesure d’affirmer que les œuvres de « Street art » sont, au même titre que toutes œuvres, susceptibles de protection si elles remplissent les critères exigés. Il reste néanmoins à déterminer si l’exercice des droits octroyés ne serait pas remis en question par l’illégalité de l’apposition, ce que nous verrons dans cette prochaine partie.

113 N. TAMARO, supra note 74, p. 723.

114 Voir en ce sens l’indignation face à l’arrachage de l’œuvre de Banksy sur la porte du

III. Les bénéfices découlant de l’assujettissement des

œuvres de « Street art » au régime du droit

d’auteur

L’intérêt d’octroyer une telle protection pour les œuvres de « Street art » réside dans les prérogatives que le droit d’auteur confère aux titulaires d’œuvres originales et donc protégeables. En effet, une fois sous l’égide de ce régime le propriétaire d’une œuvre peut notamment s’opposer à toute utilisation non consentie de son art (A). Bénéficiant d’une présomption de titularité (B), l’auteur est également investi de droits économiques et moraux. Néanmoins, si de telles énonciations constituent la règle en théorie, qu’en est-il face aux œuvres de « Street art » illégales (C) ?