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Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du

Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant au

B. Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du

Pour qu’une œuvre artistique soit susceptible de protection par le droit d’auteur, elle doit revêtir un caractère d’originalité. Cette notion essentielle du droit d’auteur est toutefois difficile à établir. Elle n’est définie par aucune convention internationale dont le Canada est signataire, y compris la Convention de Berne86, qui bien que faisant référence à cette notion d’originalité plusieurs fois, ne la définit jamais précisément. Elle n’est pas non plus traitée par les lois canadiennes notamment la Loi sur le droit d’auteur qui bien qu’y faisant toutefois référence à de nombreuses reprises (articles 2, 5(1), 60), ne la définit pas. C’est alors vers la jurisprudence qu’il nous faut nous tourner et notamment vers l’arrêt CCH Canadienne Ltée contre Barreau du Haut-

Canada87.

Dans cette décision, la compagnie CCH Canadienne Ltée. soutient que la copie de ses compilations de sommaires par la Grande bibliothèque d’Osgoode Hall pour les membres du Barreau, constitue une violation de

86 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9

septembre 1886.

En ligne : https://wipolex-

res.wipo.int/edocs/lexdocs/treaties/fr/berne/trt_berne_001fr.pdf.

87 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 RCS 339.

ses droits d’auteur, ceux-ci étant des œuvres originales protégées par le droit d’auteur. Or, la Cour indique que si la compilation de sommaires en elle-même était originale et en ce sens protégeable, les « motifs judiciaires » photocopiés de celle-ci, eux ne l’étaient pas. De ce fait, aux fins de cette affaire, les juges de la Cour ont été amenés à statuer sur une définition plus précise de l’originalité d’une œuvre. C’est alors, au travers d’une combinaison de la définition britannique du « labour and skills »88 et de celle américaine du minimum de créativité89, qu’ils ont interprété la notion d’originalité applicable au Canada. Ils exposent ainsi qu’une œuvre est dite originale dès lors qu’elle reflète le produit de « l’exercice du talent et du jugement » d’un auteur, soit « le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre »90 et « la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre »91. Aussi, ils complètent leur définition en précisant que le travail effectué ne doit pas correspondre à « une entreprise purement mécanique »92, il est donc nécessaire de faire foi d’un minimum de créativité. En application aux œuvres de « Street art », il s’agit donc de déterminer si ces dernières remplissent toutes les attentes de la définition canadienne d’originalité et c’est ici que le tag dans sa forme la plus

88 Sam RICKETSON, The Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic

Works : 1886-1986 (1987), p. 900, cité dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut- Canada, [2004] 1 RCS 339 (Cour suprême du Canada) par. 19. « [L]es pays de common

law comme l’Angleterre ont, en retenant le critère de l’effort et du labeur pour décider de l’originalité, [TRADUCTION] « rompu avec l’esprit, voire la lettre de la Convention [de Berne] », étant donné qu’une œuvre dont la production a nécessité du temps, du travail ou de l’argent, mais qui n’est pas vraiment une création intellectuelle artistique ou littéraire bénéficie de la protection du droit d’auteur ».

89 Feist Publications Inc c. Rural Telephone Service Co, 1991, 499 US 340. 90 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, supra note 87, par. 16. 91 Ibid.

simple93 semble s’écarter du graffiti et du street art. En effet, bien que « l’exercice du talent et du jugement »94 de l’auteur soit éventuellement défendable pour ces types de tag, le caractère répétitif de l’apposition d’une marque reflète plus « une entreprise purement mécanique »95 que l’expression d’un minimum de créativité. Aussi, en observant les motifs qui poussent les auteurs à effectuer ces marques, nous constatons qu’il s’agit généralement, pour cette forme de « Street art », d’apposer le plus rapidement possible et en grande quantité leur pseudonyme sur diverses surfaces, telles que des murs, bancs…, permettant d’étendre leur notoriété, intimement liée au nombre de tags apposés. Ainsi, en ce sens il appert que ce type de tag pourrait majoritairement être exclu de la protection offerte par le droit d’auteur. D’autres formes de tag plus abouties comme le « throw up »96 ou le « piece »97 semblent au contraire répondre à ce critère d’originalité. En effet, ces techniques spécifiques du tag, intégrant des formes et des images propres aux codes du « Street art », se rapprochent fortement du graffiti et du street art en ce sens qu’ils sont l’exercice créatif du talent et du jugement de l’auteur. L’objectif de ces différents styles n’est pas ici d’apposer en nombre quasi-industriel et machinale une marque mais bien de créer une œuvre reflétant la conscience, la rationalité et la créativité de l’auteur98. Il suffit d’ailleurs

93 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 32. « La

signature du graffiteur, son pseudonyme et la forme plus simple de ce genre de graffiti ».

94 Daniel GERVAIS, « Le droit d’auteur au Canada : Le point après CCH », (2005), 203

Revue Internationale du Droit d'Auteur, RIDA 2-61.

95 Ibid.

96 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 12. « Le «

Throw-up » est une forme plus complexe de tag, une signature formée d’un petit nombre de grosses lettres gonflées, habituellement monochrome ou bicolore ».

97 Ibid. « Le « Piece » (ou fresque en français) est la forme la plus achevée. Il couvre de

grandes surfaces, comporte un grand nombre de couleurs et de lettres, et intègre souvent des images. C’est habituellement un ouvrage collectif qui nécessite plusieurs heures de travail et une grande quantité de peinture »

98 Sophie VERVILLE, « La publicité et la signalisation des droits de propriété

intellectuelle : un encadrement à parfaire », (2013), 54 Les Cahiers de droit 689,par. 87.

d’observer les œuvres des plus grands noms du milieu pour comprendre qu’elles témoignent d’autant d’originalité que n’importe quelle autre forme d’expression artistique. Aussi, il est important de préciser qu’originalité n’est pas ici synonyme de nouveauté, en ce sens qu’une œuvre de « Street art » peut-être, et sera surement, très similaire à d’autres sans pour autant que cela nuise automatiquement à sa qualification par le droit d’auteur d’œuvre originale. Pour reprendre l’exemple de la professeure Sophie Verville, plusieurs peintres « qui s’installent côte à côte devant un paysage et qui le rendent sur toile d’une manière similaire mais individuelle peuvent générer, chacun, leur propre droit d’auteur sur leur réalisation »99. Dès lors, sous réserve de reproduction ou copie de l’ensemble ou d’une partie importante d’une des œuvres, elles peuvent toutes être qualifiables comme étant originales, ce qui sera assurément applicable aux œuvres de « Street art ».

Au vu des éléments législatifs et jurisprudentiels précités, il semblerait que le législateur et les juridictions tant canadiennes que québécoises ne prennent pas en compte, pour déterminer l’originalité d’une œuvre, les techniques utilisées par ces différents styles. En ce sens, « Le travail d’un auteur ou d’un créateur devien[drait] une œuvre dès lors qu’il répond au critère de l’originalité et qu’il dépasse le stade de la simple idée »100, ce qui suppose pour ce dernier d’être fixé.

99 Ibid., par. 90.

C. Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation