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L’évolution du régime : un champ d’application en perpétuel

Chapitre 3 : Les biens communs et la protection du patrimoine culturel : vers

A. L’évolution du régime : un champ d’application en perpétuel

Bien que la protection des monuments historiques par l’État ait été réclamée pour la première fois en 1832277, par le célèbre écrivain français Victor Hugo, ce n’est qu’en 1919 qu’un pays, la France, se dote du premier régime général en la matière, au travers de la Loi sur les Monuments

historiques. Cette dernière s’inscrivant dans un contexte post 1ère guerre mondiale, visait alors tant la protection des monuments historiques de guerre, que la lutte contre le pillage des objets d’art278.

Au Canada, la naissance de la protection de ces « monuments historiques » est tout autre. En effet, puisqu’influencé tant par la tradition civiliste française que par la Common Law anglaise, ce dernier tente de composer avec les deux régimes pour en établir un qui lui serait propre. En ce sens, plusieurs initiatives verront ainsi le jour, visant toutefois chacune, à protéger un lieu ou monument bien précis, telle que la protection des fortifications de la ville de Québec ou l’adoption de la Loi

des réserves forestières et des parcs fédéraux279.

277 Victor HUGO, « Guerre aux démolisseurs », (1er mars 1832), Revue des deux mondes.

« Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit ».

278 Xavier PERROT, « Le droit des monuments historiques et la grande guerre :

conservation des vestiges et souvenirs de guerre en question », dans Jean-Pierre BADY, Marie CORNU, Jérôme FROMAGEAU, Jean-Michel LENIAUD, Vincent NÉGRI, De 1913 au

Code du patrimoine. Une loi en évolution sur les monuments historiques, 2018, la

documentation française, p. 32. « [i]l est également rapidement question de protéger et conserver un nouveau patrimoine, le patrimoine de guerre, fait d’installations militaires, d’abris, de tranchées, voire de champs de batailles et de villages en ruine ».

279 Voir en ce sens, Ministère de la Culture et des Communications, « Histoire de la

protection du patrimoine au Québec », (19 novembre 2015). En ligne : https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=5122.

Néanmoins, puisque la propriété mobilière et immobilière est de compétence provinciale, c’est au Québec que revient la gestion et la préservation de son patrimoine culturel. Il faudra cependant attendre 1922, pour qu’une première loi ayant une portée plus générale soit sanctionnée, cette dernière s’intéressant alors à la conservation des

monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique280. Bien qu’il faille le consentement des propriétaires pour que le Conseil

exécutif puisse classer le bien sur recommandation d’une Commission des monuments historiques du Québec, le principe fondamental tel que nous

le connaissons aujourd’hui est bel et bien établi et aucun bien classé ne peut alors être altéré281.

En 1952 une nouvelle loi relative aux monuments, sites et objets

historiques ou artistiques282 est sanctionnée, modernisant la législation en la matière et octroyant plus de pouvoirs à ladite Commission. D’ailleurs, forte de ces nouvelles prérogatives, cette dernière va étendre le champ d’application des biens inclus dans le régime comparativement à l’ancienne loi283, conditionner l’aliénation des biens mobiliers classés et rendre imprescriptibles ceux détenus par la province284. En 1963, la Loi

des monuments historiques est ratifiée285, elle élargit le champ

280 Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt

historique ou artistique, ch. 30, sanctionnée 21 mars 1922.

281 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279.

282 Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques, ch. 24, 1952. 283 Ibid., art. 5. « Sont compris, entre autres, parmi les immeubles susceptibles d'être

classés: a) les monuments préhistoriques, les terrains renfermant des vestiges de civilisation ancienne et les paysages et sites présentant un intérêt scientifique, artistique ou historique; b) les immeubles dont la possession est nécessaire pour isoler, dégager ou autrement mettre en valeur un monument ou un site classé. »

284 Ibid., art. 13. « Les objets mobiliers classés qui appartiennent à la province sont

inaliénables et imprescriptibles; les autres ne peuvent être aliénés, détruits, altérés, restaurés ou réparés qu'avec l'autorisation du secrétaire de la province, sur la recommandation de la commission »

d’application aux arrondissements historiques286 et proscrit toute exportation de biens classés hors de la province287.

La Loi sur les biens culturels de 1972 vient chambouler le régime préétabli288. Le Conseil exécutif n’est plus en charge de classer un bien, cette tâche revenant désormais au ministre des affaires culturelles289 qui peut alors classer tout bien peu importe en quelques mains il se trouve. La Commission de monuments historiques du Québec n’a maintenant plus qu’un avis consultatif290 auprès du ministre et peut émettre des recommandations quant à la conservation des biens classés291.

Du côté du propriétaire, nous constatons aussi des changements puisque son consentement n’est plus une limite au classement d’un bien, le ministre pouvant en effet classer ou reconnaître tout bien292. Cette reconnaissance est d’ailleurs une nouvelle création introduite par cette Loi qui, fortement inspirée du régime français, vient apporter une solution plus souple que le classement293. La procédure est ici simplifiée, le ministre devant seulement inscrire le bien dans un registre et en avertir

286 Ibid., art. 20. « Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, sur la recommandation de

la commission, déclarer arrondissement historique une municipalité ou une partie d'une municipalité où se présente une concentration d'immeubles présentant un intérêt historique ou artistique ».

287 Ibid., art. 13. « Les biens classés ne peuvent être expédiés hors de la province, sans

la permission de la commission ».

288 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279.

289 Loi sur les biens culturels, 1972, art. 15. « Le ministre peut, sur avis de la

Commission, reconnaître tout bien culturel dont la conservation présente un intérêt public ».

290 Ibid., art. 2. « Un organisme de consultation est institué sous le nom de « Commission

des biens culturels du Québec » avec siège social à Québec ».

291 Ibid., art. 5. « […] Elle peut aussi faire au ministre des recommandations sur toute

question relative à la conservation des biens culturels ».

292 Ibid., art. 8. « Tout bien culturel, y compris tout bien du domaine public, peut être

reconnu ou classé en tout ou en partie par le ministre conformément à la présente section ».

293 Ann CHOUINARD, « La législation en matière de biens culturels en droit français et

le propriétaire ou celui qui en a la garde294, de même que les prérogatives et obligations que confère ce régime, ce que nous aborderons dans la partie suivante.

Ce régime, bien qu’améliorant la protection des biens culturels, reste toutefois peu efficient lorsqu’il s’agit d’intervenir rapidement. En effet, puisque ce dernier est dépendant du ministre, il suppose un processus fastidieux aux termes duquel, lorsqu’un bien est immédiatement menacé, n’arrive souvent pas à temps. Ainsi en 1985, lorsque le législateur révise son texte de loi, il prend en compte une demande qui persiste depuis une trentaine d’années, à savoir la possible intervention des municipalités295. Ces dernières sont alors en mesure de protéger leur patrimoine immobilier et, puisqu’à moindre échelle, de le faire beaucoup plus rapidement. Le chapitre les habilitant prévoit alors deux mesures fortement similaires au classement : la citation d'un monument historique296 et la constitution d'un site du patrimoine297.

La dernière étape législative venant parfaire le régime est survenue en 2011, avec l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel298. Cette

294 Loi sur les biens culturels, supra note 288, art. 16. « La reconnaissance d'un bien

culturel est faite au moyen d'une inscription sur le registre visé à l'article 11. Avis de cette inscription doit être signifié à celui qui a la garde du bien culturel […] ».

295 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. « (…) les

municipalités réclamaient depuis longtemps des pouvoirs supplémentaires. Leur intérêt pour la conservation du patrimoine s'était manifesté dès le 4 juillet 1956 par le décret du Vieux-Trois-Rivières comme « zone historique » par la Ville, et par la création de la Commission Jacques-Viger à Montréal en 1962 ».

296 Loi sur les biens culturels, supra note 288, art. 70. « Une municipalité peut, par

règlement de son conseil et après avoir pris l’avis de son comité consultatif, citer tout ou partie d’un monument historique situé dans son territoire et dont la conservation présente un intérêt public ».

297 Ibid., art. 84. « Une municipalité peut, par règlement de son conseil et après avoir

pris l’avis du comité consultatif, constituer en site du patrimoine tout ou partie de son territoire où se trouvent des biens culturels immobiliers et dans lequel le paysage architectural présente un intérêt d’ordre esthétique ou historique ».

évolution terminologique est le résultat d’une impulsion internationale allant dans le sens d’une protection plus large, ce à quoi le Québec se devait d’adhérer. Dès lors, la nouvelle Loi prend en compte dans champ d’application tant « la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission des biens patrimoniaux (mobiliers et immobiliers) »299, que « des paysages culturels patrimoniaux, du patrimoine immatériel, des personnages, des événements et des lieux historiques »300. Il ne s’agit donc plus simplement de protéger les biens mobiliers et immobiliers. Cette loi introduit également un nouvel acteur dans le schéma décisionnel, découpant ce dernier en deux, avec d’un côté le ministre de la Culture et des Communications et le Gouvernement du Québec (chapitre III), puis de l’autre les municipalités locales (chapitre IV).

On retrouve aussi plusieurs nouveaux statuts légaux qui se distinguent quant à la nature de l’élément à préserver et qui s’élèvent à présent au nombre de cinq. Ainsi, la désignation et l’identification sont utilisées pour tout élément du patrimoine immatériel, personnages historiques, évènements ou lieux historiques, la première étant relative au ministre et au Gouvernement (dans le cadre d’un paysage culturel patrimonial) tandis que la seconde est effectuée par les municipalités. Le classement et la

citation sont aussi deux statuts dont la nature du bien est similaire, en

ce sens qu’ils vont tous deux porter sur un site ou bien patrimonial. Néanmoins, alors que le premier relèvera de la compétence du ministre, le second sera la prérogative des municipalités. Enfin, la déclaration se rattache uniquement aux sites patrimoniaux et confère un régime, à l’initiative du gouvernement, qui est moins important que celui du classement.

299 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. 300 Ibid.

Finalement il apparait que « le bilan des gestes posés antérieurement par les autorités (…) constitue une fenêtre sur le passé et une image des préoccupations à différentes époques. Il s'agit d'un itinéraire qui contribue à sa façon à assurer une meilleure compréhension de notre histoire et de notre identité culturelle »301. Cet extrait reflète ainsi parfaitement les raisons qui nous ont poussé à appréhender ce régime pour une éventuelle protection du « Street art ». Comme l’auteur le rappelle, la préservation du patrimoine culturel est le fruit d’une multitude d’actions qui ont pris en considération des problématiques propres à chaque époque. De ce fait, au vu des nombreuses questions soulevées par cette pratique, ne serait- il pas envisageable de modifier le régime une nouvelle fois et d’en étendre l’application aux œuvres de « Street art » ?

B. La transposition du régime du patrimoine culturel aux œuvres de