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Quand le Street art met le droit au pied du mur

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Academic year: 2021

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Quand le Street art met le droit au pied du mur

Mémoire

Maxence Perrot

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

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Quand le Street art met le droit au

pied du mur

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maxence Perrot

Université Laval

Québec, Canada

Maîtrise en droit

Sous la direction de :

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Résumé

Si le « Street art » constitue aujourd’hui un élément indissociable du paysage urbain, et si sa reconnaissance du point de vue artistique ne fait aucun doute, son appréhension et son traitement par le droit demeure problématique et soulève de nombreux questionnements. Dès lors que cette forme d’expression répond aux critères du droit d’auteur, l’œuvre est protégée et bénéficie des mêmes droits et prérogatives que d’autres œuvres plus classiques dirons-nous, telles que des peintures de Maîtres, des œuvres littéraires des plus belles plumes de ce monde… Toutefois, lorsque leur créateur décide de mettre en scène son art sans considération pour le propriétaire du support sur lequel il s’inscrit, cette protection même si légitime est remise en cause. Le droit pénal ou encore le droit des biens par exemple se hissent face au droit d’auteur, et des compromis doivent être trouvés pour apaiser les tensions découlant d’une telle pratique. Propriétaire ou auteur, doit-on forcément n’en favoriser qu’un ?

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Abstract

Although « Street art » is today an inseparable part of the urban landscape, and its artistic recognition is beyond doubt, its apprehension and treatment by law remains problematic and raises many questions. As long as this form of expression meets the criteria of copyright, the work is protected and enjoys the same rights and prerogatives as other more classical works, we shall say, such as paintings of Masters, literary works of the most beautiful feathers of this world... However, when their creator decides to stage his art without consideration for the owner of the medium on which he fits, this protection even if legitimate is called into question. Criminal law and property law, for example, rise up to copyright, and compromises must be found to ease tensions arising from such a practice. Owner or author, do we necessarily have to favour only one?

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant aux critères du droit d’auteur ... 17

I. Tags, Graffitis, Street art : une nécessaire distinction terminologique ... 18

A. La naissance du « Street art » : de Pompéi à aujourd’hui ... 18

B. Le « Street art » : une indispensable clarification d’une appellation « fourre-tout » ... 24

II. Le maintien d’une protection par le droit d’auteur pour les œuvres de « Street art » illégales ... 28

A. La notion d’œuvre au sens du droit d’auteur ... 28

B. Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du Tag du régime de protection du droit d’auteur ... 31

C. Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation ... 35

III. Les bénéfices découlant de l’assujettissement des œuvres de « Street art » au régime du droit d’auteur ... 40

A. Les prérogatives dévolues aux street artistes ... 40

B. Les problématiques liées à la détermination de la titularité des droits en présence du « Street art » illégal ... 45

C. L’illégalité du « Street art » : une potentielle entrave à l’exercice du droit d’auteur ... 51

Chapitre 2 La pratique : l’exercice d’une telle protection limitée par d’autres branches du droit ... 55

I. Vandalisme et « Street art » : du règlement municipal au droit pénal ... 56

A. Les règlements municipaux ... 56

B. Le Code criminel ... 65

II. La ferme opposition du droit des biens : la propriété privée ... 71

A. L’appréciation des attributs reliés au droit de propriété : outil essentiel à la compréhension du conflit avec le droit d’auteur ... 71

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B. La propriété matérielle de l’œuvre : droit du propriétaire ou droit

d’auteur ? ... 77

C. Le législateur pour trancher la question... 83

Chapitre 3 : Les biens communs et la protection du patrimoine culturel : vers l’utilisation de régimes sui generis encadrant efficacement le « Street art » ... 86

I. Le régime des biens communs : l’exemple italien d’une gérance ni privée, ni publique... 88

A. Les contours du régime des biens communs ... 89

B. Les biens communs à l’italienne, une solution d’application incertaine en droit Québécois ... 92

II. La transposition d’un modèle préexistant : le régime du patrimoine culturel ... 97

A. L’évolution du régime : un champ d’application en perpétuel accroissement ... 98

B. La transposition du régime du patrimoine culturel aux œuvres de « Street art » ... 103

C. Un régime rétribuant les concessions faites par les propriétaires ... 116

Conclusion ... 120

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« Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c’est dépasser son droit ».

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Remerciements

Je remercie mon directeur de mémoire, Monsieur le Professeur Georges Azzaria, d’avoir accepté de me superviser durant ces deux dernières années et d’avoir pris le temps de répondre tant à mes questions, qu’à mes inquiétudes, et ce, à chacune de mes nombreuses sollicitations.

Je remercie également ma conjointe, pour tous les précieux conseils dont elle m’a fait part tout au long de ce travail.

Et enfin, je remercie mes parents pour leur soutien indéfectible malgré la distance.

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Introduction

« Ce qu’on englobe aujourd’hui sous le nom approximatif de street art est devenu un phénomène quasi universel. Car ce qui était initialement interprété comme du « graffiti » vandale ou rebelle – une pratique d’écriture ou de gravure située dans des rues désaffectées de villes à l'abandon, sur des murs décrépis – , ce qui était initialement des interventions de rue militantes – des mots d’esprit et des affiches insolentes – s'est affirmé en tous lieux et tous milieux »1.

Par ces propos, Christophe Genin illustre à merveille les difficultés entourant le courant artistique qu’est le « Street art ». Une complexité qui découle de sa nature composite, car regroupant sous une même appellation une multitude de genre et styles, soulevant par la même occasion des problématiques sur le plan légal, le droit ne parvenant que difficilement à appréhender une telle notion

Nombreux considèrent que le « Street art » tire ses origines du Graffiti, courant souvent injustement assimilé à différentes techniques artistiques2 n’ayant majoritairement, aux yeux du monde, pour seule similitude qu’un caractère illégal dans leur apposition3. Il a d’ailleurs été longtemps traité au même titre que du vandalisme et tant les mairies du globe que l’opinion publique, n’ont eu de cesse de le réprimer et de le détruire systématiquement. Il n’y avait alors aucune distinction entre les différents styles qu’englobait ce terme4 et les problématiques que générait le Graffiti

1 Christophe GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », Cahiers de Narratologie,

(8 Janvier 2016), p.2.

En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396.

2 Ville de Québec, « Graffiti ».

En ligne : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/propriete/graffiti/index.aspx.

3 Ibid., « Le graffiti est considéré comme un acte de vandalisme lorsqu’il est réalisé sans

consentement ou autorisation légale sur un lieu public ou privé au même titre que toute autre forme de détérioration d’un bien public ou privé ».

4 Public Works and Environmental Services, Ville d’Ottawa, Contrôle des graffitis,

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https://ottawa.ca/fr/vivre-semblaient ainsi facilement solvables : enrailler l’expansion de cette pratique en définissant notamment les sanctions applicables. Entendue à l’époque comme un ensemble, la nécessité d’établir une distinction entre les différents styles que regroupait ce terme n’avait alors à ce moment aucune raison d’exister, car tous étaient appréhendés sur le même pied d’égalité.

C’est à la fin du 20ème siècle qu’une mutation s’opère tant dans les œuvres de rue elles-mêmes que dans leur perception par l’opinion publique. En effet, dérivé de l’esprit du Graffiti, le street art fait peu à peu son apparition, remplaçant l’utilisation de la calligraphie par celle d’images plus significatives, ayant pour effet de toucher un public plus large et davantage réceptif. Par cette mutation, le street art ou post-graffiti5, selon les auteurs, est devenu petit à petit plus populaire et rapidement le terme général « Street art » tel que nous le connaissons aujourd’hui a fait son apparition.

Avant de poursuivre la lecture de ce mémoire, il est important de préciser que l’utilisation de l’expression « Street art » fait référence au terme dans son sens large, il est un terme générique regroupant une multitude de styles urbains, tels que le Graffiti, Tag, street art, ou encore œuvre commandée. Le terme street art quant à lui, est un terme spécifique qui comprend uniquement le style « post-graffiti » tel qu’évoqué précédemment.

ottawa/reglements-licences-et-permis/reglements/reglements-z/controle-des-graffitis-reglement-ndeg-2008-01.

5 Anna WACLAWEK, From graffiti to the street art movement: negotiating art worlds,

urban spaces, and visual culture, c. 1970-2008., thèse de doctorat, Department of art

history, Concordia University, 2008.

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Le « Street art » n’est toutefois pas resté longtemps dans l’ombre de l’image négative que le Graffiti renvoyait et à grand coup de publications dans les réseaux sociaux, il a su conquérir l’opinion publique, passant du statut de paria à celui de martyre. Il devient la source de grandes indignations lorsque certaines de ses œuvres les plus célèbres se font malmener6 et n’est bientôt plus automatiquement assimilé au vandalisme7. Les politiques de gestion du « Street art » des mairies notamment, semblent d’ailleurs évoluer en ce sens et de plus en plus d’entre elles adoptent des politiques d’encadrement8 plutôt que de répréhension systématique9. Les acteurs du milieu de l’art viennent même se mêler au phénomène10 et s’arrachent pour une petite fortune les œuvres des artistes les mieux cotés11. Cette popularité grandissante met en lumière un mouvement longtemps dissimulé dans l’ombre, entrainant toutefois dans son sillage de nouvelles problématiques jusqu’à présent

6 Julien BALDACCHINO, « Un Banksy disparu à Paris : décrocher une œuvre de street

art, c’est du vol ? », France Inter, 28 janvier 2019.

En ligne : https://www.franceinter.fr/culture/un-banksy-disparu-a-paris-decrocher-une-oeuvre-de-street-art-c-est-du-vol.

7 Louise WESSBECHER, « Rétroprojecteur : 30 ans de graffiti en France, de vandalisme

à nouvel art contemporain », France 24, 4 juin 2016.

En ligne : https://www.france24.com/fr/20160604-retroprojecteur-30-ans-graffiti-france-vandalisme-a-nouvel-art-contemporain.

8 Ville de Québec, « Plan de gestion des Graffitis ».

En ligne : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/propriete/graffiti/docs/plan-gestion-graffitis.pdf.

9 Ville de Sherbrooke, « Je suis artiste urbain - Ville de Sherbrooke ».

En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art-culture-et-patrimoine/tags-et-graffitis.

10 Voir classement établi par Art Price, « Le marché de l’art contemporain 2018 ».

En ligne : https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain-2018/top-500-artistes-contemporains/top-500-des-artistes-contemporains-n1-a-n50/.

11 Stéphanie TROUILLARD, « Une vente record pour une toile de Banksy en écho avec le

Brexit », France 24, 4 octobre 2019.

En ligne : https://www.france24.com/fr/20191004-art-contemporain-vente-record-toile-banksy-singes-parlement-britannique-brexit-communes.

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insoupçonnées (vol d’œuvre, introduction dans la sphère de commerce de l’art, contrefaçon, etc…)12.

Qui n’a pas eu en effet l’occasion de lire un article sur l’indignation d’un quartier, lorsque le travail d’un street artiste de sa rue se fit dérober13, ou lorsque le mur sur lequel une création de « Street art » est apposée, se retrouve vendu sur un autre continent14? La situation s’inverse, le vandale est maintenant le vandalisé et se retourne alors vers le droit d’auteur pour se protéger.

Pour saisir l’ampleur des enjeux, il s’avère indispensable à ce stade de notre développement de clarifier et de déterminer de façon précise ce qu’est réellement le « Street art », terme faisant référence à deux nombreux styles, dont l’énumération détaillée n’aurait pas grand intérêt ici. Il a donc fallu choisir ceux qui seraient les plus à même de nous permettre de répondre aux problématiques que soulèvent ce sujet. Dès lors, trois catégories sont selon nous les plus représentatives du « Street art » et se distingueront dans notre mémoire : le Tag, le Graffiti et le Street art.

Tout d’abord, le Graffiti, qui correspond à « des inscriptions et des dessins

non officiels tracés à main levée, et suppose des supports (mur de bâtiment, muraille, colonne, etc.) d'un caractère particulier »15. Souvent

12 Voir par exemple : Berreau v. Mcdonald’s Corp., No. 2:16-Cv-07394 (C.D. Cal. Jan.

30, 2018); Tierney v. Moschino S.p.A., No. 2:15-cv-05900-SVW-PJW, 2016 WL 4942033 (C.D. Cal. Jan. 13, 2016).

13 Léa POLVERINI, « On ne peut pas « vandaliser » un Banksy », Slate.fr, 31 janvier

2019.

En ligne : http://www.slate.fr/story/172875/vandaliser-banksy-street-art-bataclan.

14 Frédéric JOIGNOT, « Street art, le mur de l’argent », Le Monde.fr, 2 mai 2013.

En ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/05/02/street-art-le-mur-de-l-argent_3170069_3246.html.

15 Scott DECKER, Glen CURRY et William MCLEAN, « GRAFFITI », Encyclopædia

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assimilé au tag, duquel il tire sa mauvaise réputation, car trop souvent confondu en raison du style calligraphique qu’ils empruntent tous deux, ils poursuivent toutefois un objectif et une exécution attestant d’une identité propre à chacun. Si d’une part le Graffiti résulte d’un réel travail artistique et original démontrant, tant le jugement que le talent16 de son auteur, d’autre part le Tag, sous sa forme la plus basique, ne serait bien souvent que la signature stylisée de son auteur17. En effet ce dernier n’est généralement qu’une apposition machinale, rapidement exécutée et dépourvue d’originalité18 et c’est d’ailleurs pourquoi, il est régulièrement assimilé aux inscriptions territoriales des gangs ou aux marques faites hâtivement dans le but de laisser une simple trace de son passage. Par ailleurs, certaines villes du Québec, telle que Sherbrooke, le distingue du graffiti en le considérant toujours illégal.

Le street art quant à lui est une version « plus allégorique » du Graffiti, ayant pour objectif de transmettre des idéaux relatant les maux d’une société, et ce, par l’alliance d’images et/ou messages des plus En ligne : https://www.universalis.fr/encyclopedie/graffiti/3-un-art-populaire/.

16 Björn ALMGVIST, Tobias BARENTHIN LINDBALD, Mikael NYSTROM, Le manuel du

graffiti: Style, matériel et techniques, 28 août 2014, Eyrolles.

Le graffiti est art complexe regroupant de nombreuses techniques telles « qu’une pièce, le graffiti pas à pas, peindre vite, le photoréalisme, les caps, les techniques mixtes, graffer sur toile, le croquis » et qui nécessite l’expression d’un talent et d’un jugement particulier de la part de l’auteur.

17 Gabriel ST-LAURENT, « Le graffiti et le droit d'auteur – Réflexions, mise en oeuvre et

considérations juridiques », (décembre 2019), La référence, EYB2019DEV2781, p. 469-512. En ligne : https://www-lareference-editionsyvonblais-com.acces.bibl.ulaval.ca/maf/app/document?&src=rl&srguid=i0ad82d9b00000173f2c1 9b4e15d51921&docguid=m5B3C04BC59044766BD007CF96A8615F2&hitguid=m5B3C0 4BC59044766BD007CF96A8615F2&spos=1&epos=1&td=1&crumb-action=append&context=39&&showSnippets=true#targetfn9.

18 Ibid., et voir en ce sens : « Différence entre un tag et un graffiti - Ville de

Sherbrooke ». En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art-culture-et-patrimoine/tags-et-graffitis. Celia LERMAN, « Protecting Artistic Vandalism: Graffiti and Copyright Law », (2013) 2 N.Y.U. Journal of Intellectual Property & Ent.

Law 295, p. 308. « For instance, simple tags, signatures and other spray-paint graff iti

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percutants19. Il est à l’instar de son prédécesseur, le Graffiti, le fruit d’une expression artistique originale.

Autrefois inutile lorsqu’il n’existait que le Graffiti et le Tag, la distinction des différents styles que comprend le « Street art » semble aujourd’hui primordiale. Puisque les œuvres de « Street art » sont devenues sources de grandes convoitises, il nous apparait nécessaire que l’appréhension des abus et conflits liés à cet engouement exponentiel se fasse au travers de la protection de certaines d’entre elles.

S’agissant de cette protection, le droit d’auteur offre un régime juridique avantageux, en octroyant, sous réserve de la qualification d’œuvre au sens de la loi20, des droits protégeant tant la matérialisation d’une expression artistique que l’auteur de celle-ci21. Néanmoins, tous les styles regroupés sous l’appellation « Street art » ne peuvent bénéficier du statut d’œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur et dès lors, la distinction des différents styles qu’il comprend permettrait d’établir ceux répondant aux critères mis en place par ladite loi.

Toutefois le caractère illégal résultant de l’apposition de ces créations soulève de nombreux problèmes sur le plan juridique. Si, autrefois, il suffisait à justifier légalement et moralement la destruction des œuvres, et ce, alors même qu’elles étaient protégées par le droit d’auteur, actuellement, nous assistons à une reconsidération de l’importance de ce critère. S’opposent ainsi d’un côté, les partisans d’un tel courant artistique, soutenant que l’illégalité résultant du choix dans l’apposition

19 C. LERMAN, Ibid., p. 298. « [U]nlike spray-paint graffiti, street art is an aesthetic work

that the general public is able to interpret and with which the public can connect ».

20 Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c 42, art. 2. 21 Ibid.

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de cet art ne devrait pas, à lui seul, être à l’origine d’un traitement différent vis-à-vis d’autres créations s’inscrivant dans un environnement plus classique. Et de l’autre les propriétaires, notamment du support sur lesquels ces toiles à ciel ouvert s’inscrivent, qui revendiquent l’irrationalité de conférer un régime protecteur a des œuvres vandales.

Cette reconnaissance par le public et son indignation lors de la destruction d’œuvres, devraient amener le législateur à s’interroger sur la faisabilité d’exercer des droits d’auteur en dépit du caractère illégal découlant de l’apposition de certaines de ces œuvres, et questionne par la même occasion quant aux chevauchements pouvant survenir avec d’autres branches du droit impliquées malgré elles.

Certes le « Street art » est devenu populaire, certes, certaines de ses œuvres sont cotées à plusieurs milliers de dollars mais qu’en est-il du propriétaire foncier? Le droit de propriété privée est un droit reconnu depuis longtemps par tous, un droit fondamental22, pouvant être malmené du fait de l’apposition d’une œuvre et ce sans considération aucune pour les droits préexistants et détenus par le propriétaire du support. Quand bien même une telle œuvre serait protégeable par le régime du droit d’auteur, il n’en demeure pas moins que des intérêts contradictoires s’opposent. Qui de l’artiste ou du propriétaire devrait en pareil cas être préféré23 ? Comment le législateur québécois pourrait-il répondre face à ce conflit de droits?

Le droit criminel se voit aussi bousculé par l’émergence de ces nouvelles problématiques mettant en lumière de nouveaux conflits de droits.

22 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art. 5.

23 Louise WESSBECHER, « Les street artists du mythique immeuble 5Pointz vont toucher

plus de 6 millions de dollars d’indemnisation », France 24, 14 février 2018.

En ligne : https://www.france24.com/fr/20180214-street-artists-mythique-immeuble-5pointz-vont-toucher-plus-6-millions-dollars-dindemnisation.

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Criminalisée depuis la fin du 20e siècle par le biais du « méfait », l’apposition attentatoire est toutefois souvent à la base même du « Street art » illégal, s’écartant des règles régissant notre société et prenant pour support sans requérir une autorisation préalable, les murs de la ville. Si originales, ces œuvres sont alors supposément protégeables, toutefois illégales les droits qui les entourent sont difficilement exerçables.

Au regard de ces divers enjeux, notre question de recherche est la suivante : au Québec, une protection des œuvres de « Street art »

est-elle envisageable malgré le caractère illégal de leur apposition ? Si oui, dans quelle mesure ?

Avant d’apporter une réponse précise à cette problématique, il nous faut répondre à quatre questions de recherche spécifiques que nous développerons tout au long de la démonstration :

1. Est-il nécessaire d’opérer à une distinction entre les différentes techniques incluses sous le terme général de « Street art » ? Si oui, la légalité de l’apposition est-elle le seul élément à prendre en compte ?

2. Le « Street art » est-il éligible au régime de protection octroyé par le droit d’auteur ?

3. Dans quelle mesure le « Street art » entre-t-il en conflit avec des règles qui relèvent d’autres branches du droit?

4. L’avenir juridique du « Street art » pourrait-il résider dans un régime similaire à celui du patrimoine culturel?

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Il découle alors de ces questions sous-jacentes plusieurs hypothèses qui constitueront chacune le point de départ d’une étude plus approfondie du sujet.

Dans un premier temps notre hypothèse est qu’une distinction au sein du terme « Street art » est primordiale pour résoudre notre première question spécifique. En effet ce terme, résultant d’une compilation de différents styles d’art de rue, suggère une appréhension juridique très variée. Il s’agira alors de distinguer les œuvres légales et commandées, qui sont apposées avec l’accord des propriétaires du support, de celles illégalement apposées. Sur ce point, nous excluons directement de notre développement, les œuvres dites « légales », car n’entrant pas en conflit avec d’autres branches du droit que celui-ci ne saurait déjà régler.

Dans un second temps, notre hypothèse est qu’il faut effectuer une distinction pour déterminer les formes de « Street art » illégal potentiellement éligibles au régime de protection du droit d’auteur. Par exemple, si le Tag et le Graffiti se ressemblent énormément, nous l’avons vu précédemment, le Tag est bien souvent écarté du régime de protection, car ne consistant généralement qu’en l’apposition répétée d’une marque. Ainsi, l’éligibilité ou non de ces formes d’expression au régime du droit d’auteur permettra d’établir, lesquelles de ces dernières entrent en conflit avec d’autres branches du droit.

Dans la mesure où une œuvre répondrait aux critères du régime de protection du droit d’auteur, il appert que le caractère illégal de l’apposition reste toutefois problématique. En effet le support n’étant pas la propriété de l’auteur de l’œuvre, le propriétaire matériel de ce dernier pourrait revendiquer la suprématie de son droit de propriété et les prérogatives que ce dernier confère. Ainsi, notre hypothèse est qu’alors

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même que l’œuvre répondrait aux critères du droit d’auteur, le caractère illégal de son apposition expose l’auteur à des poursuites et vient par la même limiter la possibilité d’exercer une partie des prérogatives qui lui seraient dévolues.

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Enfin, dans notre dernière hypothèse nous avancerons le fait que le « Street art » reste toutefois une forme d’art méritant une protection juridique. Dans cette optique, nous mettrons en lumière de nombreuses solutions alternatives, dans le cas où l’exercice du droit d’auteur serait limité à tel point qu’il en deviendrait inopérant. Quelques solutions commencent à poindre, notamment en Italie24 où la doctrine semble étendre le régime de protection des biens communs aux œuvres de « Street art »25. À l’initiative des mairies, de plus en plus de murs légaux26 sont créés afin de partager le paysage urbain avec les artistes du « Street

24 Pierre CHARBONNIER et Daniela FESTA, « Biens communs, beni comuni.

Introduction », (2016), Tracés Revue de Sciences humaines.

En ligne :

https://journals.openedition.org/traces/6622?fbclid=IwAR07ouvWoSb6G_m0u-IwHhmhmvnQx4fNKXVMryZ6Xbrr26u-0GFHPw2sPBc.

25 Eleonora ROSATI, « Street heart: urban murals as common goods », The IPKat.

En ligne : http://ipkitten.blogspot.com/2018/01/street-heart-urban-murals-as-common.html.

26 Voir en ce sens la définition donnée par la ville de Québec : « Un mur légal est un

mur dûment identifié sur lequel la réalisation de graffitis est autorisée d’office, pourvu que soient respectées les heures et la surface d’utilisation, la propreté des lieux, la quiétude des voisins, ainsi que certaines restrictions quant aux contenus haineux ou vulgaires ».

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art »27 (Paris28, Toronto29, Tokyo30, Sanaa31, Sherbrooke32, Aberdeen, Auckland, Dakar, Djerba, Fukushima, Gaza, Guadalajara, Kaboul, Le Caire, Papeete, Pékin, Philadelphie, Reykjavik, Saint Petersburg, Sao Paulo, Sète, Shiraz, Sidney, Soweto, Tananarive, Tel-Aviv, Tunis, Washington33). En l’espèce, notre hypothèse serait d’établir un régime similaire à celui du patrimoine culturel34, faisant peser des devoirs et des droits tant pour le propriétaire que pour l’auteur. Dans certains cas particuliers, le propriétaire lésé pourrait notamment en échange de l’intégrité d’une œuvre recevoir une contrepartie financière sur les bénéfices qui reviennent normalement au titulaire des droits économiques.

Compte tenu de ces enjeux, multiples et contemporains, l’intérêt de notre recherche apparaît comme une évidence, les cas d’espèce entourant les

27 Paul CAUCHON, « « Street Art » : partout sur les murs des villes », Le Devoir, 2018.

En ligne : https://www.ledevoir.com/culture/543519/street-art-partout-sur-les-murs-des-villes .

28 Clotilde KULLMANN, « De l’exposition de la Tour Paris 13 au concept de musée à ciel

ouvert. Le street art au service du projet urbain ? », (2015), Téoros Revue de recherche

en tourisme.

En ligne : https://journals.openedition.org/teoros/2776.

29 National Post, « City of Toronto launches street art map for locals and visitors »,

National Post, 2019.

En ligne : https://nationalpost.com/pmn/news-pmn/canada-news-pmn/city-of-toronto-launches-street-art-map-for-locals-and-visitors. Carte disponible en ligne :

https://streetart.to/.

30 Agence France-Presse, « Un Banksy à Tokyo ? La municipalité mène l’enquête », Le

Soleil, 17 janvier 2019.

En ligne : https://www.lesoleil.com/arts/un-banksy-a-tokyo--la-municipalite-mene-lenquete-a6ff5c3b5df7c52c1a2d41fa1483cacd.

31 Samia METHENI, « Le Street art, une arme de paix au Yémen », France 24, 22 mars

2019.

En ligne : https://www.france24.com/fr/video/20190322-le-street-art-une-arme-paix-yemen.

32 Ville de Sherbrooke, supra note 9.

33 Emma CHAABOUNI, Mur…Mur., Arabesques Éditions, Tunis, 2015, dans Christophe

GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », (8 Janvier 2016), Cahiers de

Narratologie.

En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396.

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œuvres de « Street art » sont nombreux et en font aujourd’hui l’un des sujets favoris de nos médias. Sorties de la rue35, copiées36, détruites37, exposées38, arrachées39, etc., les œuvres de « Street art » ne sont plus en sécurité dans la ville, mettant le droit au pied du mur face à un phénomène hors de contrôle. L’intérêt de notre recherche comporte ainsi deux aspects.

D’une part un intérêt social, le « Street art », nous le répétons encore, est sujet à une importante évolution. Autrefois, les règlements des grandes métropoles du globe, n’avaient pour seul objectif que d’entraver un phénomène populaire, nuisible pour le paysage urbain. Du vandalisme pour tous, il a progressivement acquis l’approbation du plus grand nombre, entrainant corrélativement un accroissement du nombre de victimes. Le public40 se voit privé de ses œuvres fétiches, les street-artistes41 se font piller, les atteintes à la propriété se multiplient et le droit

35 Marion COCQUET, « De Londres à Miami : la mystérieuse affaire du Banksy volé », Le

Point, 20 février 2013.

En ligne : https://www.lepoint.fr/culture/de-londres-a-miami-la-mysterieuse-affaire-du-banksy-vole-20-02-2013-1630220_3.php.

36 Roxana AZIMI, « Banksy devient une marque pour empêcher la vente de produits

dérivés », Le Monde.fr, 8 mars 2019.

En ligne : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/03/08/banksy-devient-une-marque-pour-empecher-la-vente-de-produits-derives_5433013_4500055.html.

37 Amanda HOLPUCH, « Graffiti mecca 5 Pointz painted white as demolition day nears »,

The Guardian, 19 novembre 2013.

En ligne : https://www.theguardian.com/artanddesign/2013/nov/19/5-pointz-graffiti-mecca-new-york-painted-white.

38 Aurélie MAYEMBO, « L’art urbain entre au musée », Le Soleil, 4 octobre 2016.

En ligne : https://www.lesoleil.com/arts/expositions/lart-urbain-entre-au-musee-400d0d851020e8618e0b3a8c93567109.

39 Charlotte GRÉ, Street art et droit d’auteur. À qui appartiennent les œuvres de la rue?,

L’Harmattan, Paris, 2014, p 62.

40 Julien BALDACCHINO, « Un Banksy disparu à Paris : décrocher une œuvre de street

art, c’est du vol ? », France Inter, 28 janvier 2019.

En ligne : https://www.franceinter.fr/culture/un-banksy-disparu-a-paris-decrocher-une-oeuvre-de-street-art-c-est-du-vol.

41 L’Obs et Agence France-Presse, « Space Invader perd son procès contre les arracheurs

d’une de ses mosaïques », L'Obs, 24 mars 2016.

En ligne : https://www.nouvelobs.com/culture/20160324.AFP1011/space-invader-perd-son-proces-contre-les-arracheurs-d-une-de-ses-mosaiques.html.

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n’a jusqu’à présent pas été en mesure de fournir un argument suffisamment conséquent pour réguler ce nouveau « Far West urbain ». En ce sens, il apparait pertinent d’effectuer une recherche fondamentale permettant de clarifier si l’illégalité sera toujours un frein à la mise en œuvre d’une quelconque régulation.

Enfin, et c’est ici que réside l’intérêt scientifique de notre sujet, il s’agira d’apporter une proposition de réforme, ou encore de développer un régime propre au « Street art », pour actualiser le droit positif en la matière et insuffler les prémisses d’une coexistence entre les acteurs et intérêts en jeu.

Du point de vue méthodologique, notre recherche repose sur une approche dogmatique. À travers l’étude approfondie du droit positif et des différentes branches en opposition, nous nous attacherons à interpréter les règles juridiques existantes en matière de protection des œuvres de « Street art », ce qui nous permettra à l’issue de ce travail de recherche d’apporter « une solution souhaitable »42 pour tous les acteurs concernés et concurrents.

L’illégalité dans l’apposition de ces œuvres est au cœur du débat et ce d’autant plus que la position du droit concernant ses répercussions sur leur potentielle protection est incertaine. D’un côté le droit d’auteur ne semble pas tenir compte de cet élément pour octroyer une protection, ce qui penche en faveur d’un traitement équivalent du street art illégal à celui de toute autre forme d’expression artistique, tandis que du côté du droit pénal et du droit des biens, son caractère illicite semble au contraire

42 Rafael ENCINAS DE MUNAGORRI, Source du droit (théorie des), 2005, Hal sciences

de l'homme et de la société, ffhalshs-02289771, p. 738.

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lui desservir, ne pouvant empiéter sur les prérogatives du propriétaire. La jouissance des droits de ce dernier n’est toutefois pas absolue comme le

Code civil du Québec nous le rappelle43, nous démontrant qu’il sera essentiel de ne pas se borner à une seule lecture exégétique traditionnelle et d’effectuer un réel travail d’interprétation des textes étudiés.

Afin d’explorer une multitude de possibilités, nous serons amenés, au fil de notre recherche, à utiliser une grande quantité de sources touchant plusieurs branches du droit positif. Dans un premier temps, les différents textes législatifs tant canadiens que québécois en la matière constitueront les premières pistes de recherche de ce mémoire. Nous verrons notamment la Loi sur le droit d’auteur44, le Code civil du Québec45, le Code

criminel46 et la Loi sur le patrimoine culturel47.

Dans un second temps, c’est au travers de certains principes et doctrines étrangères que nous finaliserons notre étude du droit. Nous ferons référence, entre autres, à la doctrine émergente des biens communs en Italie48 et au principe des monuments historiques français49, mais aussi à la gestion du « Street art » faite par d’autres pays. Ce mémoire n’est toutefois pas guidé par une approche comparée, il s’agira simplement d’appuyer nos propos sous un angle externe.

Finalement nous adoptons une perspective de recherche interne, combinant tant une étude exégétique traditionnelle des différents textes

43 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 947. 44 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20.

45 Code civil du Québec, supra note 43. 46 Code criminel, LRC 1985, c 46.

47 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34. 48 E. ROSATI, supra note 25.

49 En ce sens voir : Ministère de la culture, « Monuments historiques », France.

En ligne : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiques/Presentation/Les-monuments-historiques.

(25)

législatifs mis en avant précédemment, permettant d’établir la position du législateur à l’heure actuelle, qu’une étude théorique de la doctrine canadienne, semblant être de plus en plus en faveur d’une protection du « Street art ».

(26)

Chapitre 1 Le « Street art » : une forme

d’expression artistique répondant aux

critères du droit d’auteur

Le terme « Street art » suggère autant de réactions qu’il ne possède de formes d’expressions. Il est un art que beaucoup semblent connaitre mais que peu comprennent réellement. Il est donc important lorsque l’on parle « Street art » de s’assurer que l’interlocuteur est bien en connaissance de ce qu’il représente et de ce qui le compose. Ainsi, il s’agira pour ce faire, d’établir les contours du « Street art » en appréciant tant les motivations qui ont mené à sa genèse, que celles qui l’ont sorti de l’ombre et propulsé à son apogée. Néanmoins, bien que fort de cette nouvelle notoriété, il n’en reste pas moins qu’il est encore majoritairement apposé illégalement, nécessitant alors de procéder à une distinction quant à son apposition. Bien que comprises sous la même appellation, les nombreuses expressions qui le composent peuvent être amenées à subir un sort très différent sur le plan juridique (I).

À la lumière de ces précisions, il nous sera alors possible de déterminer les expressions du « Street art » susceptibles d’une protection juridique, le droit d’auteur semblant alors tout désigné pour leur porter secours. Ce régime n’est toutefois pas sans conditions, ce qui nous permettra d’opérer à une ultime distinction au sein des œuvres de « Street art » illégal, en soulevant par la même occasion, un point litigieux essentiel : tout le « Street art » ne peut être protégé par le droit d’auteur (II). Finalement, nous aborderons l’intérêt d’une telle protection pour les œuvres concernées (III).

(27)

I.

Tags, Graffitis, Street art : une nécessaire

distinction terminologique

Le « Street art » est un terme « fourre-tout »50 accumulant en son sein toujours plus de nouvelles formes d’expressions au fil des époques et n’ayant pendant longtemps pour seul dénominateur commun que leur caractère illicite. Ainsi, des « écriture[s] officieuse[s] sur les murs »51 de Pompéi, à la commercialisation démesurée des œuvres d’aujourd’hui, le « Street art », pour être compris, doit être nécessairement éclairci (A). Cette clarification permettra par la suite de comprendre les distinctions qu’il est important d’établir entre le « Street art » légal et illégal premièrement, puis la distinction entre les différents styles du « Street art » illégal deuxièmement (B). Distinctions, rappelons-le, qui auront un impact juridique plus que conséquent quant à l’éventuelle protection des travaux des auteurs de ce dernier.

A. La naissance du « Street art » : de Pompéi à aujourd’hui

Il est difficile d’établir une date précise quant à la naissance du « Street art » et ce pour plusieurs raisons. Puisque de nombreux styles lui ont été associés au travers des époques, il n’est pas évident de déterminer avec exactitude lesquels sont réellement compris dans ce style artistique et de ce fait lequel en est à l’origine, semant la confusion dans l’esprit du public. Aussi, bien que son existence remonte à plusieurs siècles, le terme général « Street art » en lui-même est une création contemporaine apparue qu’à la fin du 20ème siècle. Il est donc nécessaire de clarifier

50 Christian GUÉMY, alias C215, « Graffiti, street art, muralisme… et si on arrêtait de tout

mélanger ? », (2013), dans Christophe GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », Cahiers de Narratologie, (8 Janvier 2016), p. 2.

En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396.

(28)

l’origine et les évolutions ayant mené à ce terme, pour apporter une définition précise de ce qu’il en est réellement aujourd’hui.

1. La genèse du « Street art » : le graffiti

L’origine du « Street art » semble dépendre des styles qui lui ont été rattachés. Certains diront qu’il descend de l’art pariétal (comme celui retrouvé dans les grottes de Lascaux en France52), tandis que d’autres évoqueront les inscriptions retrouvées sur les murs de l’ancienne cité de Pompéi53, ou encore les « sgaffiare » de l’Italie du 16ème siècle54. Mais alors, qu’elle serait réellement la forme originelle du « Street art » ? Il est possible de retrouver des points communs dans chacune de ses formes d’expressions. Concernant l’art rupestre par exemple, nous pouvons constater que le support utilisé est une surface extérieure tout comme pour les travaux de « Street art » et que la technique de peinture soufflée utilisée dans la préhistoire se rapproche fortement de l’effet obtenu avec la bombe aérosol. Mais cela est-il suffisant pour établir un lien de « parenté » entre ces deux styles ? Le « Street art » se résume-t-il simplement à la technicité utrésume-t-ilisée ? Selon nous la réponse est non, en ce sens que ce n’est ni le médium ni la technique qui le définissent mais plutôt l’objectif recherché par ce dernier. L’art pariétal semble être destiné à raconter des hauts faits et des évènements notables de la vie de l’époque, alors qu’il est tout autre pour le « Street art ». Ainsi dans ce

52 Voir en ce sens, « L’art dans la rue », (2012), Médiathèque de Serris.

En ligne :

http://mediatheques.valeurope-san.fr/images/articles/espace_pro/dossierpedagogique/DPartdelarue.pdf.

53 BRASSAÏ (Gyula HALÀZS), Graffiti, 1960, Paris, Les éditions du temps, dans Christian

GERINI, « Le street art a-t-il toujours / n’a-t-il jamais existé ? », (2016), Cahiers de

Narratologie.

En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7492.

54 Giorgio VASARI et Giovambatista ADRIANI, Le vite de’ piu eccellenti pittori, scultori, e

architettori, 1568.

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sens, le muralisme qui souvent injustement rattaché au « Street art », serait lui aussi un style très différent bien qu’utilisant globalement les mêmes codes (surfaces extérieures, peintures, sur les murs des rues pour une grande visibilité, …). L’objectif ici est de relater des évènements remarquables à des fins de propagande55. Concernant la deuxième forme d’expression : des « écriture[s] officieuse[s] sur les murs »56 de Pompéi; puisqu’elles ne correspondent qu’à de simples publicités et outre le fait qu’elles soient apposées sur des murs, nous serions encore bien loin du « Street art » tel que nous le connaissons aujourd’hui, ce dernier ne pouvant se résumer à des créations murales ou un usage publicitaire. De ce fait nous nous dirigeons vers le troisième style d’expression qui semblerait être le plus à même de correspondre à la première apparition d’une forme de « Street art ». Ce type nous viendrait du mot italien « sgaffiare »57 qui, apparu au 16ème siècle, faisait référence à « tous griffonnages, grattages et gribouillis, quels que soient leurs supports »58 et généralement apposés sans autorisation, autrement dit le graffiti. Néanmoins, il ne s’agirait ici que d’une forme très simplifiée nous permettant simplement de définir un point de départ au « Street art ». Si nous nous arrêtions à cela, nous ne rendrions alors pas justice au Graffiti, qui connut réellement son essor avec l’invention de l’aérosol et qui reflète bien plus que de simples gribouillis. D’ailleurs avec le temps, le terme graffiti connut de nombreuses autres améliorations quant à son interprétation pour enfin être défini comme toute inscription et dessins

55 Didier GUÉVEL, « La juridicisation du Street Art : Hymne de gloire ou requiem? »,

dans, Géraline GOFFAUX CALLEBAUT, Didier GUÉVEL et Jean-Baptiste SEUBE, Droit(s)

et street art – De la transgression à l’artification, Édition Lextenso, 2016, p.11.

56 S. DECKER, G. CURRY et W. CLEAN, supra note 15. 57 G. VASARI et G. ADRIANI, supra note 54.

58 Ulrich BLANCHÉ, « Qu’est-ce que le Street art ? Essai et discussion des

définitions », (2015), Cahiers de Narratologie.

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officieux pourvus d’un caractère distinct et ayant pour médiums des supports urbains59. Toutefois cette définition a généré plusieurs amalgames, notamment avec le tag.

2. Le graffiti une pratique populaire réprimée

Le graffiti tel que nous le connaissons aujourd’hui a commencé à se faire connaitre dans l’Amérique des années 1960. Il était initialement pratiqué par de petits groupes d’initiés de Philadelphie, avant d’être majoritairement repris par l’art de gang et les artistes du métro newyorkais dans les années 197060. Toutefois, il est important de distinguer ici deux styles compris sous la même appellation.

Premièrement, bien qu’associés dans l’esprit du public et dans la pratique, ils ont chacun un rôle différent dans ce milieu. Deuxièmement parce que le tag majoritairement repris par les gangs de rue est venu ternir l’image du graffiti, ce qui a eu une grande importance dans l’appréhension de cet art tant par le public que par les autorités. Il apparait en effet que le graffiti correspondrait théoriquement à l’œuvre en elle-même en ce sens qu’il nécessite un travail bien réfléchi de plusieurs heures, tandis que le tag ne serait que le nom stylisé de l’artiste, il « est la signature du graffiteur, son pseudonyme et la forme plus simple »61. Ce dernier serait donc essentiel à la pratique originale du graffiti en ce sens qu’il est initialement destiné à accompagner les travaux du graffiti, mais détourné par l’usage répété des « Gang » qui l’utilisent pour délimiter leur territoire.

59 S. DECKER, G. CURRY et W. MCLEAN, supra note 15. 60 A. WACLAWEK, supra note 5, p.2.

61 Guy BELLAVANCE, avec la collaboration de Daniel LATOUCHE et Culture et société

INRS-Urbanisation, Graffiti, tags et affichage sauvages: évaluation du plan

d’intervention de la Ville de Montréal, Institut national de la recherche scientifique, 2è

éd., Montréal, 2009, p. 12.

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Ce détournement du tag est ainsi venu accentuer la mauvaise image de cette pratique artistique déjà majoritairement illicite, alimentant toujours plus les justifications des politiques de répressions mises en place par les mairies des villes affectées. C’est donc à cette même période que sont nés les amalgames qui perdurent encore de nos jours, à savoir : Graffiti et vandalisme, Tag et violence62.

On observe d’ailleurs corrélativement à ce détournement, la première criminalisation de cette pratique sous le mandat du maire de New-York John Lindsay en 1972, qui rendit « illégale la possession d’aérosols dans les transports en commun et spécifi[a] que nul n’a le droit d’écrire, de peindre ou de dessiner sur les propriétés publiques »63. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard, que cela sera repris par les grandes villes québécoises avec comme pionnière en la matière la ville de Québec en 1991, puis la ville de Montréal en 199664.

Il n’en est pas moins une forme d’art et c’est majoritairement une des justifications qui nous permet de défendre l’idée selon laquelle le « Street art » pourrait être protégé par le droit d’auteur. En ce sens, il a très vite été repéré par le milieu de l’art « légal » qui a su percevoir les qualités artistiques de cette pratique illicite65. Le graffiti franchit d’ailleurs grâce à son association avec la culture hip-hop, les portes des galeries d’art dans les années 1980, faisant de ce fait ses premiers pas tant dans la légalité que dans d’autres villes du globe.

62 C. GRÉ, supra note 39.

63 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61. 64 Ibid.

65 Pierre-Édouard WEILL, La consécration du graffiti par le marché de l’art contemporain,

Wenceslas LIZÉ, Delphine NAUDIER, Séverine SOFIO (dir.), Les stratèges de la célébrité.

Intermédiaires et consécration dans les univers artistiques, Éditions des Archives

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3. La mutation du graffiti en populaire « Street art »

Le « Street art » tirerait donc son origine du graffiti. Néanmoins comme nous l’avons souligné, la définition qui ressort de ce style peut être une source de confusion avec d’autres qui, à l’image du tag, suppose des objectifs différents. En ce sens, le graffiti est la transposition d’une idée sur un support, ayant pour finalité un objectif artistique (bien que souvent seulement compris des initiés), tandis que le tag dans sa version la plus basique correspond à la signature stylisée de l’artiste ou parfois même à la simple marque délimitant un territoire de gang. Mais alors qu’en est-il du terme « Street art », quel est son lien avec le graffiti ?

Lorsqu’il fait son entrée dans le monde de l’art dans les années 1980, le graffiti connait une fulgurante notoriété insufflée par la proximité qu’il entretient avec la culture hip-hop. Toutefois, cela ne sera que de courte durée puisque toujours très mal perçu par les mairies des grandes métropoles nord-américaines, il continua de subir la « tolérance zéro » de leurs programmes anti-graffiti. Néanmoins, nous détaillerons plus précisément ce point dans un chapitre ultérieur.

Ce n’est qu’au travers d’une mutation dans la forme même du graffiti que ce dernier a pu se faire accepter. En effet, en substituant les lettres stylisées propres à cet art, par des logos ou des images figuratives plus significatives66, il a engendré un nouveau style attirant un public plus diversifié et plus enclin à supporter cette expression artistique à la mauvaise réputation. C’est ainsi que nous sommes passés du graffiti sanctionné, au « post graffiti »67 encensé. Ce terme n’a toutefois que très

66 A. WACLAWEK, supra note 5. 67 Ibid.

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peu été utilisé et a rapidement été remplacé par son appellation anglaise : street art.

À la fin des années 1990, grâce à des artistes comme Keith Haring ou Jean-Michel Basquiat, le graffiti connu ainsi son deuxième épisode de gloire fort de cette nouvelle version de lui-même qu’est le street art, attirant plus d’adeptes qu’il n’en avait jamais eu. Il est toutefois ici important d’apporter une précision terminologique pour l’utilisation du terme street art. L’artiste américain John Fekner en donnait une définition négative en le décrivant comme « tout ce qui n’est pas du graffiti »68, mais cette définition ne fait référence qu’au sens restreint du terme. Or, tel qu’il est utilisé de nos jours, le terme « Street art » est compris majoritairement dans le sens large du terme, englobant tant le tag, que le graffiti ou encore le post-graffiti. D’un point de vue plus juridique, cela aurait donc pour conséquence d’inclure sous la même bannière une multitude de styles qui seraient jugés et appréciés de façon équivalente alors même que certains ne sont pas illégaux ou même encore protégeables.

B. Le « Street art » : une indispensable clarification d’une appellation « fourre-tout »69

Le « Street art », nous l’avons vu, se compose d’une multitude de styles qui, bien qu’ayant de nombreux dénominateurs communs, ne possèdent pas toujours une même finalité. Certains d’entre eux vont par exemple être apposés légalement telles que les œuvres commandées, ou sur différents médiums ou supports ce qui va influer sur leur situation

68 John FEKNER cité dans C. LEWISOHN, Street art. The Graffiti Revolution. Cat. Exp. à

la Tate Modern, Londres, Abrams, 2008, p. 23.

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juridique. Il serait donc pertinent de procéder à plusieurs distinctions afin de déterminer les différents styles qui posent réellement un problème. Aujourd’hui, nous l’avons vu, nous regroupons de façon assez simpliste l’ensemble des styles d’arts visuels de rue sous un même terme « fourre-tout »70 : le « Street art ». Cet amalgame n’a aucun impact majeur si l’on reste dans un cadre artistique et est même compréhensible lorsque l’on se penche sur les critères communs et l’évolution corrélative de ces différents styles. Toutefois d’un point de vue juridique cela implique de nombreuses conséquences, impactant la protection de certains travaux de cet art.

Il est donc nécessaire d’établir certaines distinctions. La première à opérer réside dans l’apposition des œuvres. En effet, même si la plupart sont illégalement apposées dans le paysage urbain, beaucoup le sont néanmoins fait de façon légale. Loin des politiques de répression, les mairies d’aujourd’hui sont en effet de plus en plus enclines au dialogue et ont compris que la meilleure façon de gérer cette forme d’expression résidait dans le compromis. Ainsi, de nombreux murs légaux ont commencé à poindre le jour dans le paysage urbain. L’une des premières villes à utiliser cette méthode fut Philadelphie, qui en 1984 développa son

Murals arts program71 offrant des alternatives légales aux adeptes de ce milieu. L’idée fut ensuite reprise à New-York avec le célèbre 5 pointz72, regroupant tous les grands noms du graffiti de l’époque ou encore à Montréal avec son plan de gestion des graffitis de 1996 alliant

70 Ibid.

71 Véronique COLAS, Amine Ali BABIO, Soumaya FREJ et Conseil jeunesse de Montréal,

Les graffitis: une trace à la bonne place? : les jeunes montréalais et le graffiti signé,

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008, Montréal, p. 26.

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sensibilisation et création de murs légaux73. Quelles années plus tard, fort du regain de notoriété généré par l’émergence du street art, de plus en plus d’œuvres se sont vues être commandées par les mairies, promoteurs ou autres particuliers permettant ainsi d’embellir les espaces urbains sans s’exposer aux divers conflits que cet art dans sa forme illégale suppose. De ce fait, bien que comprises sous l’appellation « Street art », les œuvres légales ou commandées régies par des contrats et/ou le droit d’auteur, n’empiètent aucunement sur des règles qui relèvent d’autres branches du droit impliquées par cette forme d’expression. Aux fins de ce mémoire, nous ne traiterons donc pas de ces œuvres de « Street art » puisqu’elles ne semblent générer aucun conflit que le droit des contrats ou le droit d’auteur ne sauraient résoudre.

Ce mémoire a en effet pour objectif de traiter les formes du « Street art » qui entrent potentiellement en conflit avec d’autres branches du droit. De ce fait, comme nous l’avons vu précédemment, les styles dits légaux du « Street art » sont à écarter de notre recherche. Toutefois, sont-ils les seuls à ne pas générer de conflit que le droit ne saurait déjà résoudre ? Parmi les différents styles que le « Street art » illégal englobe, certains semblent refléter l’expression d’une intention artistique, qui pourrait conduire à la reconnaissance d’une protection via le droit d’auteur, tandis que d’autres, ne seraient que l’expression de la volonté de laisser machinalement une trace dans le paysage urbain et, de ce fait, sont exclus d’office de toute protection du droit d’auteur. En effet, ce régime, nous le verrons prochainement, ne saurait accepter sous sa protection, des œuvres qui ne résulteraient que d’une apposition machinale ou dépourvue de toute créativité.

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Cette distinction, tout comme la première, ne semblerait alors primordiale que d’un point de vue juridique, en ce sens qu’elle permettrait de distinguer au sein du « Street art » illégal, les formes qui poseraient un réel problème.

Pour qu’il y ait conflit de droits, il apparait évident que cela suppose une opposition entre différents droits. Ainsi, si nous nous penchons sur les critères d’admissibilité requis par le régime de protection des œuvres du droit d’auteur, certains styles du « Street art » pourraient y répondre tandis que les autres ne seraient reconnus par le droit que comme du vandalisme. C’est donc ici que le droit d’auteur fait son entrée dans ce mémoire, puisqu’il permettra de définir quels styles seraient sujets à une protection juridique par ce dernier et de ce fait quelles œuvres pourraient potentiellement se prévaloir de droits face aux autres branches du droit. À contrario, les expressions artistiques ne répondant pas à ces critères ne seraient pas titulaires de droits et de ce fait ne seraient pas la cause de conflits de droits.

Enfin, une ultime distinction est à mettre en lumière quant aux styles compris dans le « Street art » illégal, puisque les médiums, matériaux ou surfaces utilisés auront un impact dans l’appréciation de la sanction encourue par les auteurs. Le droit pénal et les règlements municipaux, nous le verrons dans une prochaine partie traitant les conflits, sanctionnent en effet différemment les œuvres de « Street art » illégal dépendamment de là où elles sont apposées, du support utilisé ou encore de la permanence de l’inscription sur le support. En ce sens une œuvre apposée sur un immeuble privée ou sur un lieu de culte ne sera pas traitée de la même façon, de même qu’une œuvre apposée avec de la peinture versus une inscrite à la craie.

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II. Le maintien d’une protection par le droit d’auteur

pour les œuvres de « Street art » illégales

La Loi sur le droit d’auteur 74 confère une protection pour toutes œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques, à la condition qu’elles soient originales et fixées. Ce régime octroie des droits au titulaire d’une œuvre protégeable lui permettant de s’opposer à quiconque violerait le monopole intellectuel ainsi acquis. Face à la problématique du « Street art » illégal, il est donc nécessaire de déterminer si toutes les créations artistiques qu’il recoupe, correspondent à la définition d’œuvre que le droit d’auteur retient (A), répondant aux conditions d’originalité (B) et de fixation (C) qu’il exige. Le fait de déterminer ce qui est protégeable ou non dans le « Street art » permettrait, au même titre que la distinction entre « Street art » légal et illégal, de préciser les styles qui posent réellement problème.

A. La notion d’œuvre au sens du droit d’auteur

À l’image du terme street art, la notion d’œuvre suppose deux interprétations. La première établissant la distinction entre propriété matérielle et intellectuelle75, la seconde permettant d’établir le sens à donner à une œuvre76. La notion d’œuvre dans le sens large du terme suppose deux types de propriété. On retrouve ainsi, la chose matérielle correspondant à l’œuvre tangible qui correspondrait dans le cadre du « Street art » au support utilisé (tel qu’un mur, une porte, un wagon, …),

74 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art 5. « Sous réserve des autres dispositions

de la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si l’une des conditions suivantes est réalisée »

75 Millar c. Taylor, 1769 CA.

76 Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 2019, Toronto, Thomson

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puis la chose incorporelle correspondant au contenu de l’œuvre et au travail de réflexion que la création sous-entend77. Cette distinction est, en plus d’être un principe fondateur de la propriété intellectuelle, primordiale afin de saisir les conflits que le « Street art » engendre sur le plan juridique : la propriété matérielle n’opérant en aucun cas cession des droits d’auteur au profit du propriétaire du support. De fait, l’apposition d’une œuvre sur son mur ne permet pas d’être investi des droits qui l’entourent, au même titre que l’acquéreur d’une toile ne sera pas subrogé dans les droits de l’artiste. Par ailleurs, cette distinction est également la cause d’une superposition de droits de propriété ; ainsi lorsque l’artiste appose son travail sur un support qui ne lui appartient pas ou sans l’accord du propriétaire de la chose matérielle en question, il vient ajouter une propriété sur une propriété préexistante. Le support initial reste la chose du propriétaire mais deviendrait, par la même occasion et du fait de l’apposition, la propriété immatérielle de l’auteur, générant dès lors une première source de conflit. En effet, l’article 13(1) de la loi sur le droit

d’auteur semble instaurer une présomption selon laquelle l’auteur est

supposé être le premier propriétaire du droit d’auteur sur l’œuvre78. En ce sens, le droit de propriété ainsi conféré viendrait se juxtaposer et se confronter au droit de propriété détenu par le possesseur originel du support sur lequel s’incorpore l’œuvre de street art. Il est donc primordial de déterminer si toutes les créations du « Street art » illégal sont des œuvres selon le droit d’auteur et c’est au travers du sens restreint du terme qui nous est possible de le faire.

« [L]e mot « œuvre » employé dans la Loi sur le droit d’auteur englobe toute chose au sujet de laquelle la Loi déclare qu’il y aura droit d’auteur, que cette chose soit une production artistique ou un produit de

77 Ibid.

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manufacture ou de technologie »79. Ainsi, une œuvre serait comprise comme étant tout ce que la Loi sur le droit d’auteur définit comme tel. Soit en l’espèce, tout travail fixé qui révèlerait d’une originalité selon l’article 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur 80.

Le droit d’auteur distingue quatre types principaux d’œuvres; littéraire, dramatique, musicale ou artistique 81. Toutefois les définir toutes dans le cadre de ce mémoire, n’aurait aucune pertinence. En effet, les œuvres littéraires82, dramatiques83 ou musicales84 ne comprennent, au vu de leur intitulé, vraisemblablement pas des œuvres de « Street art » et seule la définition d’œuvre artistique semble ici opportune.

Au sens de la Loi sur le droit d’auteur ce type d’œuvre comprend ainsi: « les peintures, dessins, sculptures, œuvres architecturales, gravures ou photographies, les œuvres artistiques dues à des artisans ainsi que les graphiques, cartes, plans et compilations d’œuvres artistiques »85. De ce fait, cette définition très large semble permettre de venir englober l’ensemble des styles compris dans le « Street art » illégal. En effet, que l’on soit en présence de tags, de graffitis ou de street art, il n’y a dans cette définition de l’œuvre artistique aucun point qui les exclut.

79 Fly by Nite Music Co c. Record Wherehouse Ltd, 1975 CF 386 (1ère inst). 80 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 5.

81 Ibid., art. 5(1).

82 Ibid., art. 2. « œuvre littéraire : Y sont assimilés les tableaux, les programmes

d’ordinateur et les compilations d’œuvres littéraires. »

83 Ibid. « œuvre dramatique : Y sont assimilées les pièces pouvant être récitées, les

œuvres chorégraphiques ou les pantomimes dont l’arrangement scénique ou la mise en scène est fixé par écrit ou autrement, les œuvres cinématographiques et les compilations d’œuvres dramatiques »

84 Ibid. « œuvre musicale : Toute œuvre ou toute composition musicale — avec ou sans

paroles — et toute compilation de celles-ci »

(40)

Les œuvres de « Street art » sembleraient donc déjà mériter, à tout le moins dans leur ensemble, la dénomination d’œuvre au sens juridique du terme. Néanmoins, il s’agirait désormais de se pencher sur les critères d’originalité et de fixation, pour établir si ces œuvres pourraient bénéficier d’une protection juridique reconnue par le droit d’auteur.

B. Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du Tag du régime de protection du droit d’auteur

Pour qu’une œuvre artistique soit susceptible de protection par le droit d’auteur, elle doit revêtir un caractère d’originalité. Cette notion essentielle du droit d’auteur est toutefois difficile à établir. Elle n’est définie par aucune convention internationale dont le Canada est signataire, y compris la Convention de Berne86, qui bien que faisant référence à cette notion d’originalité plusieurs fois, ne la définit jamais précisément. Elle n’est pas non plus traitée par les lois canadiennes notamment la Loi sur le droit d’auteur qui bien qu’y faisant toutefois référence à de nombreuses reprises (articles 2, 5(1), 60), ne la définit pas. C’est alors vers la jurisprudence qu’il nous faut nous tourner et notamment vers l’arrêt CCH Canadienne Ltée contre Barreau du

Haut-Canada87.

Dans cette décision, la compagnie CCH Canadienne Ltée. soutient que la copie de ses compilations de sommaires par la Grande bibliothèque d’Osgoode Hall pour les membres du Barreau, constitue une violation de

86 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9

septembre 1886.

En ligne :

https://wipolex-res.wipo.int/edocs/lexdocs/treaties/fr/berne/trt_berne_001fr.pdf.

87 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 RCS 339.

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