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L'authentification des oeuvres d'art et le droit de la propriété intellectuelle

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L'authentification des oeuvres d'art et le droit de la propriété intellectuelle

DE WERRA, Jacques

DE WERRA, Jacques. L'authentification des oeuvres d'art et le droit de la propriété intellectuelle.

In: Renold, Marc-André, Gabus, Pierre et de Werra, Jacques. L'expertise et l'authentification des oeuvres d'art . Genève : Schulthess, 2007. p. 103-134

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:11758

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III

L'AUTHENTIFICATION DES ŒUVRES D'ART ET LE DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

JACQUES DE WERRA*

1. INTRODUCTION

L'authentification des œuvres d'art soulève un certain nombre de questions juridiques1 tout particulièrement sous l'angle du droit des oblîgations2, qu'il s'agisse de la détermination de la responsabilité du vendeurJ ou de celle d'un expert d'art4 en relation avec la commercialisation de faux artistiques.

Force est de constater que la détermination de l'authenticité des œuvres d'art est une question qui dépasse le domaine du droitS, cette tâche étant souvent accomplie par des experts d'art (parfois avec l'aide de moyens scien- tifiques)6. On notera dans ce contexte que le statut d'expert n'est ni protégé ni surveillé et que par conséquent tout un chacun peut se déclarer expert en art 7.

La détermination de l'authenticité d'une œuvre d'arc ne s'effectue d'ailleurs pas de manière uniforme pour tous les types d'œuvres. Certains facteurs sont toutefois généralement considérés comme importants. Ainsi, l'inclu- sion d'une œuvre d'art dans un catalogue raisonné préparé par des spécialistes

.. Professeur, Université de Genève; directeur, Centre du droit de l'art.

Voir les différentes contributions publiées dans la seconde partie du remarquable ouvrage collectjf The Expert versus the Object -Judging Fakes and Fa/se Attributions in ,Ile Visual Am édité par Ronald D. SPENCER. intitulée cAuthentication and the Law'. p.135-23t.

Voir en générai l'excellente thèse de LEQUETTE-DE KERVENOAËL.

Voir OLSBURGH.

Sur cette question, voir la contribution de C. CHAPPUIS dans cet ouvrage, p.47. et le volume 1 de la collection des Ecudes en droit de l'art, I.:o:pertise dans la IItnte d'objets tI'a1t, Zurich, Schulthess, 1992.

5 Et même la compétence des tribunaux; dans ce sem, voir BUTT, p. 71-85.

ROCKMORE/Lvu/FARID. p. 21-28.

7 Voir LEVY. p. 841; voir aussi SCHACK, p. 62.

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104 JACQUES DE WERRA

reconnus de l'œuvre en causes ou la reconnaissance comme œuvre originale par des institutions spécialisées, notamment par des comités dits «cl 'authen- tification»9, pourront per~ettre d'établir l'authenticité de l'œuvre 10, On notera d'ailleurs que ces tiers sont susceptibles d'engager leur responsabilité dans ce contexte 11 •

La pratique enseigne que, dans le cadre de ce processus d'authentifi- cation, le droit de la propriété intellectuelle (et plus spécifiquement le droit d'auteur) est parfois invoqué dans le but d'authentifier des œuvres. Ainsi, certaines institutions (y compris des institutions publiques) se prévalent du droit d'auteur (et tout spécialement du droit moral)12 pour légitimer leur pou- voir d'authentification des œuvres et délivrent des certificats d'authenticité sur cette baset3

Dans cette perspective, l'objectif de la présente contribution est d'exami- ner le rôle potentiel que peut jouer le droit de la propriété intellectuelle dans le processus d'authentification des œuvres d'art14. A cet égard, il est important

Sur cette question, voir FINDLAY, p. 55-62, et KRAus, p. 63-78, voir aussi le numéro spécial: Catalogues Raisonnés and the Authentication Process - ..: Where the Ivory Tower Meets the Marketplace», IFAR]oumal, vol. 8, n'" 3-4 [2006].

..:Authentication boards», cf. p. ex., le Andy Warhol Art Authentication Board, Site de la Fondation Warhol [en ligne], www.warholfoundation.org/authen.htm.

10 Compte tenu de la réputation et du pouvoir acquis par certaines de ces institutions sur le marché de l'art, un refus d'authentifier signifiant la déclaration de l'absence de valeur de l'œuvre concernée, la question de leur responsabilité sous l'angle du droit de la concur- rence s'est posée, voir les affaires Vitale v. Marlborough Gallery, 1994 U.S. Dist. LEXIS 9006 (S.D.N.Y. 1994) et Kramer v. Pollock-Krasner Foundation, 890 F.Supp. 250 (S.D.N.Y. 1995);

sur cette question, voir la contribution de F. RINGE dans cet ouvrage, p. 135.

11 Pour la responsabilité des auteurs de catalogues raisonnés, voir DURET-RoBERT (2004), p. 199 ss.

t2 V. p. ex. le musée Rodin qui a «pour mission de faire connaître l'œuvre de Rodin et de faire respecter le droit moral qui y est attaché. selon les termes du décret n° 93-163 du 2 févr. 1993 relatif au musée Rodin, Site du Musée Rodin [en ligne], www.musee-rodin.

fr/images/PDF_actualites/decret93_163.pdf.

13 On peut citer à cet égard l'exemple de la Fondation Dubuffet, Site de la Fondation Dubuffet [en ligne], www.dubuffetfondation.com/: «Nommée par Jean Dubuffet titulaire de son droit moral, la Fondation Dubuffet assure le respect du nom de Jean Dubuffet, de sa qua- lité et de son œuvre. A ce titre, et en raison de sa compétence, elle délivre les certificats d'authentification des œuvres et, le cas échéant, assure la saisie des faux •.

14 La présente contribution ne traitera pas de la question de l'utilisation par certains artistes du droit des brevets ou du droit des designs pour protéger leur création, comme ce fut en particulier le cas de Yves Klein et de Jean Tinguely, dès lors que ces moyens de protection ne relèvent pas directement de la question de l'authentification des œuvres; à ce propos, voir l'ouvrage très intéressant de SEMIN comportant des reproductions des brevets d'inven- tion déposés par ces artistes.

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PROPRlfTt INTELLECTUELLE 105

de souligner que ce rôle que jouera le droit de la propriété intellectuelle ne saura en aucun cas être exclusif. En effet, le titulaire du droit de propriété intellectuelle concerné, pas plus qu'une quelconque autre personne d'ailleurs, ne saurait se voir conférer le pouvoir juridique 1) exclusif de trancher la question de l'authenticité d'une œuvre d'art16Dans ces circonstances, personne - pas même l'artiste lui-mêmel7 - ne détient le pouvoir juridique absolu d'authenti- fier des œuvres. Les sources de l'authenticité sont donc multiples et potentiel- lement contradictoires 18.

Le but de cette contribution est dès lors de déterminer dans quelle me- sure le droit de la propriété intellectuelle peut intervenir dans le processus d'authentification des œuvres.

La présente contribution commencera par examiner cette question sous l'angle du droit d'auteur (cf ci-dessous Il), avant de la traiter en droit des marques (cf ci-dessous III), et en droit de la concurrence déloyale (cf. ci- dessous IV) ".

On notera d'emblée que certains artistes ont adopté d'autres méthodes, parfois très élaborées, pour assurer le contrôle de l'authenticité de leurs œuvres.

Ainsi, l'artiste Daniel Buren a-t-il mis en œuvre un système d'authentification assez complexe fondé sur l'utilisation d'un document intitulé ~avertjssement>;

15 les pratiques du marché de l'art démontrent toutefois que, pour certains artistes, il n'existe en réalité qu'une seule personne (physique ou morale) qui se voit reconnaître par le matché (et non par la loi) un pouvoir absolu pour se prononcer sur l'authenticité des œuvres.

16 Dans cet esprit, on peut citer un extrait d'un arrêt rêcent de la Cour de cassation fran- çaise (Cass. 2~ civ., tO novembre 2005 pourvoi nO 04J3618) qui a constaté que .)'autorité reconnue et revendiquée par les imimés [qui étaient respectivement auteur du c.1talogue raisonné et titulaire du droit moral] ne leur confèrent [pOIS] un pouvoir discrétionnaire sur l'authentification de ceUe-ci •.

17 A ce propos, on peut se réfèrer à l'affaire Arnold Herstand & Co. v. Gallery, 626 N.Y.S.2d 74 (1995) concernant une œuvre de Balthus dans laquelle le tribunal a constaté que les déclarations de Balthus n'étaient pas déterminantes compte tenu du fait que ce der- nier avait - apparemment - répudié certaines œuvres en guise de représailles envers les propriétaires de ces dernières avec qui l'artiste s'était disputé; voir aussi LEQUETTE-DE KuvENOAÊL, p. 193 s., exposant que certains artistes, qui sont sous contrat d'exclusivité avec un marchand, vont déclarer fausses toutes les œuvres qu'ils ont vendues sans avoir recours à celui-ci.

i8 Voir BOUGLÉ.

19 Même si le droit de la concurrence déloyale ne contêre pas de droit exclusif à quiconque (et ne crée pas formellement de droit de propriété intellectuelle) et n'a donc pas de titulaire, on constatera que son application est envisageable dans le contexte de l'authentification d'œuvres d'art, cf. ci-dessous IV.

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devant impérativement être joint à chacune de ses œuvres 20. Dans un tel cas, la

20 Le texte est le suivant, Site de Dmliel Buren [en ligne], www.danie1buren.com/4_biblio_

ecrits/ecrits_3vertissement1969.htm:

cLe présent avertissement, correspondant à l'œuvre dont la description se trouve ci-après, ne prouve en rien à lui seul la provenance de l'œuvre à laquelle il se rapporte.

Afin que le possesseur du présent avertissement, également possesseur de l'œuvre qui y est décrite, puisse attribuer l'œuvre en question à Daniel Buren, il faut:

1. que le coupon détachable s'étant trouvé au bas du présent certificat, détaché, soit, dû- ment signé par le possesseur, entre les mains de Daniel Buren;

2. que le présent avertissement porte une marque partielle dont le reste doit se trouver sur le coupon détaché en possession de Daniel Buren;

3. que toutes les clauses du présent avertissement soient strictement observées par le pos- sesseur dudit avertissement et de l'œuvre à laquelle il est attaché. Seule la réalisation de ces trois conditions permet d'attribuer l'œuvre décrite ci-dessous à Daniel Buren.

Notamment, aucun marchand, ni intermédiaire ou tiers quelconque n'ajamais été et ne sera habilité à authentifier de quelque façon que ce soit une œuvre qui serait attribuée à Daniel Buren.

C'EST POURQUOI,

a) le possesseur de l'œuvre à laquelle est attaché le présent avertissement s'interdit de re- produire ou de laisser reproduire par tout moyen, photographique, cinématographique ou autre l'œuvre dont il s'agit, sauf autorisation préalable et écrite de Daniel Buren;

b) toute exposition publique de l'œuvre décrite au présent avertissement, dans quelque contexte que ce soit, est interdite, sauf autorisation préalable et écrite de Danid Buren, ceci étant également valable pour toute mise en vente publique de l'œuvre à laquelle le présent avertissement est attaché;

c) toute reproduction du présent avertissement ainsi que son exposition dans quelque lieu que ce soit, avec ou sans l'œuvre à laquelle il est attaché, sont interdites, sauf accord préalable et écrit de Daniel Buren;

d) le possesseur du présent avertissement cédant l'œuvre qui y est décrite doit simultané- ment déclarer à Daniel Buren les nom et adresse du cessionnaire afin que ce dernier reçoive un nouvel avertissement dont il devra signer le coupon détachable, faute de quoi le possesseur du présent avertissement ne pourrait prétendre avoir cédé une œuvre attribuée à Daniel Buren;

e) de même, en cas de décès du possesseur du présent avertissement, ses héritiers et ayants- droit seront également tenus par les termes dudit avertissement, et devront sans délai prévenir Daniel Buren et renvoyer le présent avertissement afin que celui-ci puisse leur adresser un nouvd avertissement pour que soit signé le coupon détachable;

f) les clauses du présent avertissement resteront en vigueur jusque cinquante ans après le décès de Daniel Buren. Les successeurs en ligne directe de ce dernier auront vocation à connaître de la juste observation des clauses du présent avertissement. Ce terme ne saurait toutefois en aucun cas constituer une restriction par rapport aux droits reconnus aux héritiers par la loi, les règlements ou la coutume;

g) après le décès de Daniel Buren, toute cession de l'œuvre décrite au présent avertisse- ment entraînera le versement au profit des héritiers de Daniel Buren de quinze pour cent du prix de cession convenu, à la charge du cédant;

h) il ne sera délivré aucun duplicata au présent avertissement;

i) tout manquement aux clauses du présent avertissement entraîne immédiatement et auto- matiquement l'interdiction absolue d'attribuer l'œuvre qui y est décrite à Daniel Buren;

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PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 107

protection des intérêts de l'artiste sera assurée par un mécanisme contractuel et non pas par des droits de propriété intellectuelle, raison pour laquelle ce type de protection ne sera pas analysé dans cette contribution 21.

Il. L'AUTHENTIFICATION ET LE DROIT D'AUTEUR

C'est sous l'angle du droit d'auteur, et plus spécialement du droit de paternité, que la question de l'authentification des œuvres s'est posée le plus fréquem- ment. Pour déterminer les droits des titulaires du droit d'auteur, il convient en premier lieu de rappeler la portée de la protection du droit d'auteur (cf. ci- dessous A). Il sera ensuite nécessaire de présenter plus spécifiquement le droit de paternité (cf. ci-dessous E). Il sera alors possible de définir le pouvoir de titulaires du droit d'auteur d'authentifier des œuvres (cf. ci-dessous C).

A. Portée de la protection du droit d'auteur

Le droit d'auteur confère au créateur de l'œuvre «le droit exclusif sur son œuvre »22. Ainsi la protection du droit d'auteur ne pourra être invoquée qu'en cas d'utilisation illicite d'une œuvre23

Si la question de la portée de la protection du droit d'auteur (et donc de l'utilisation illicite d'une œuvre) est aisée à résoudre en cas de copie à

j) le droit français gouvernera le présent avertissement et tout litige quant à son interpré- tation ou observation sera soumis aux tribunaux du ressort de la cour d'appel de Paris.

Coupon détachable à ne pas détacher par le possesseur de l'avertissement et de l'œuvre qui y est décrite.

Je soussigné ... demeurant à ... reconnais avoir pris connaissance de l'avertissement ... .

et en conséquence m'engage à en respecter tous les termes et clauses.

J'adresse ce jour ledit certificat à Daniel Buren, 21, rue de Navarin, Paris-9", France, afin de recevoir en retour le texte de l'avertissement auquel je souscris, portant une marque partielle dont le reste se trouvera sur le coupon détachable qui restera en la possession de Daniel Buren.

_ I ... k ... .

Signature précédée de la mention _lu et approuvé.: ...•

21 Sur cette question, voir TREPPOZ, p. 75 ss; sur cette approche dans une perspective d'his- toire de l'art, voir GAYET, p. 66 ss.

22 Art. 9 aL 1 de la loi fédérale sur le droit d'auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (LDA), RS 231.1.

23 Art. 62 al. 1 LDA (<<la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d'auteur [ ... ] .).

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Il

1 , 108 JACQUES DE WERR/!.

l'identique d'une œuvre protégée ou de reprise de celle-ci sous une forme légèrement modifiée, elle deviendra plus délicate lorsque des différences plus importantes existeront entre l'œuvre originale et la création réalisée par un tiers. Dans une telle hypothèse, l'application du droit d'auteur dépendra de savoir si l'œuvre en cause constitue ou non une utilisation illicite de l'œuvre de l 'artiste concerné.

La protection du droit d'auteur ne pourra pas être invoquée en cas de

«libre utilisation »24 de l'œuvre. Selon la jurisprudence, il y a libre utilisa- tion lorsque l'auteur de la nouvelle œuvre s'est seulement inspiré de l'œuvre préexistante et que ses emprunts à celle-ci sont si modestes qu'ils passent à l'arrière-plan de la nouvelle œuvre25La libre utilisation se distingue de la création d'une œuvre dérivée, cette dernière constituant, à teneur de la loi, une «création de l'esprit qui a un caractère individuel, mais qui a été conçue à partir d'une ou de plusieurs œuvres préexistantes reconnaissables dans leur caractère individuel»26. Il y aura ainsi œuvre dérivée en cas de création d'une œuvre nouvelle «à travers laquelle transparaît» l'œuvre initiale 27, La distinc- tion entre libre utilisation et œuvre dérivée pourra parfois être délicate dans le domaine artistique 28, étant relevé que le processus de création artistique com- porte souvent la reprise et l'adaptation créatives d'œuvres préexistantes29,

En tout état, il n'y aura pas d'œuvre dérivée (et partant pas de violation du droit d'auteur) en cas de reprise du seul style d'un artiste 30. Ainsi si seul le style d'un artiste a été copié, aucune protection ne pourra être fondée sur le droit

24 «freie Benutzung »,

25 ATF 125 III 328, 332 (t Si l'architecte intimé s'est contenté de s'inspirer du projet créé par le demandeur et que ses emprunts à l'œuvre préexistante sont si modestes qu'ils s'effacent devant l'individualité de sa nouvelle œuvre, c'est-à-dire si les éléments individuels de l'œuvre du demandeur qui Ont été repris passent à l'arrière-plan de la création dudit dé- fendeur, il y a alors <libre utilisatiOn> (freie Benutzung), laquelle ne porte pas atteinte aux droits d'utilisation de l'œuvre préexistante»).

26 Art. 3 al. 1 LDA.

27 ATF 125 III 328, 332 (<< Si l'architecte précité, sur la base du projet du demandeur, a créé, par des modifications sur le plan qualitatif, une œuvre nouvdle à travers laquelle transpa- raît néanmoins l'œuvre première, il a alors conçu une œuvre dérivée (dite aussi œuvre de seconde main) telle que l'entend l'art. 3 LDA»).

28 Voir p. ex. l'affaire américaine Steinberg v. Columbia PictuTes Industries, 663 F. Supp. 706 (S.D.N.Y. 1987) concernant la reprise du graphisme général d'un dessin de couverture du magazine «The New Yorker» représentant la ville de New York de façon stylisée dans une affiche du film «Moscow on the Hudson»; dans cette affaire, le tribunal a considéré que la reprise violait le droit d'auteur du dessinateur Saul Steinberg.

29 P. ex. le célèbre tableau «Déjeuner sur l'herbe» d'Edouard Manet et les autres exemples cités par SCHACK, p. 136 s.

30 Le style de l'auteur n'étant pas protégeable par le droit d'auteur, voir pour tous DE WERRA (1997), p. 35 et les références citées en note 198.

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PROPRIÉTÉ lNTELLECTUELL'E 109

d'auteur31Par conséquent, la commercialisation d'œuvres qui seraient seule- ment stylistiquement inspirées de celles de l'auteur ne pourra pas être interdite sur le fondement du droit cl 'auteur. Le droit d'auteur et tout particulièrement le droit moral seront impuissants dans un tel cas.

En cas de violation du droit d'auteur, le titulaire du droit pourra faire va- loir les moyens de protection civils et pénaux qui découlent de la loi et pourra spécifiquement requérir - sur le plan civil32 - fI)a confiscation, la destruction ou la mise hors d'usage des objets confectionnés ou utilisés de manière illicite et qui se trouvent en possession du défendeur »33. Toutefois, la destruction des objets ne pourra être ordonnée que si aucune mesure moins incisive n'est suffisante pour faire cesser la violation du droit en application du principe de la proportionnalité34Ainsi, pour ce qui concerne les copies illicites d'œuvres d'un artiste portant indûment la signature de ce dernier, certains considèrent que la destruction ne devrait pas être automatiquement ordonnée en vertu du principe de la proportionnalité dans le cas où l'on peut exclure tout risque par l'indication indélébile sur l'œuvre indiquant qu'il s'agit d'un faux35. Toutefois, la jurisprudence semble assez restrictive36.

Sur cette base, on peut constater que le titulaire des droits d'auteur peut faire valoir certains droits sur des œuvres qui constitueraient des contrefa- çons des siennes. Il pourra ainsi exclure du marché des contrefaçons de ses œuvres. A ce titre, le titulaire du droit d'auteur pourra participer au processus d'authentification des œuvres. Toutefois, il est clair que ces droits ne pourront s'exercer que sur des contrefaçons. Ainsi des héritiers d'un artiste titulaires du droit d'auteur sur les œuvres de ce dernier ne pourront pas faire saisir, ni en- core moins faire détruire une œuvre qu'ils considèrent comme un faux, alors qu'il s'agit en réalité d'une œuvre originale.

Il peut se produire que la titularité des différents droits d'auteur soit ré- partie entre différentes personn'es (physiques ou morales), ce cas pouvant tout

31 Ainsi, à titre d'illustration, le 'genre cubiste issu de l'intuition créatrice de Pablo Picasso et révélé matériellement pat ses nombreuses œuvres ne peut être l'objet d'un monopole quelconque de propriété artistique que pourraient revendiquer le peintre et ses ayants droit.

Il s'agit plutôt d'un style ou d'une école qui rdève du fonds commun de la création et de la connaissance humaines et reste, à ce titre, inconciliable avec toute appropriation exclusive par quiconque .• Tribunal de Grande Instance de Paris, Gazette du Palais 1998. 2-semestre, Jurisprudence, Sommaires et notes, p. 689,

32 Une confiscation pénale est également possible par application de l'ancien art. 58 du Code pénaJsuisse (RS 311.0; aujourd'hui art. 69 CP). par renvoi de l'arc. 72 LDA, sur cette ques- tion, voir DAVID, nO 1 5S ad art. 72 .

.33 Art. 63 al. 1 LDA.

34 MÜLLER, 20 ad art. 63.

3S SCHAC:K, p. 24.

36 Oberlandesgericht Hambourg, ZeitschrifiJür Vrheber. und Medienrecht 1998, p. 938.

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110 JACQUES DE WERRA

particulièrement se produire après le décès de l'auteur37. Il pourra alors arriver que les dif1erents titulaires des droits d'auteur d'un artiste ne partagent pas la même opinion quant à l'authènticité d'une œuvre donnée. Ainsi, le ou les titu- laires des droits patrimoniaux, tout particulièrement du droit de reproduction (art. 10 al. 2 let. a LDA), pourra (pourront) considérer qu'il n'y a pas violation de son (leur) droit et partant que l'oeuvre peut être qualifiée d'authentique de son (leur) point de vue. Ceci aura pour effet qu'aucune action en contrefaçon ne serait intentée par lui (eux). Par contraste, le titulaire du droit moral à la paternité38 pourra au contraire considérer que l'œuvre ne mérite pas de porter le nom de l'artiste et pourra dès lors requérir, en vertu du droit de paternité.

que le nom de l'auteur ne soit pas apposé sur l'œuvre concernée. Ceci souligne encore une fois le caractère relatif de l'avis (potentiellement divergent) des titulaires des droits quant à la question de l'authenticité cl 'une œuvre.

Une autre question se pose dans les systèmes légaux dans lesquels la durée de protection respective des droits patrimoniaux et des droits moraux n'est pas identique (ce qui n'est pas le cas en droit suisse), et dans lesquels la protection des droits moraux est réputée perpétuelle, comme c'est le cas en droit d'auteur français 39. Dans de tels systèmes, on constate une certaine tendance à étendre la protection à toute utilisation du nom de l'artiste sur une œuvre, même si cette dernière ne constitue ni une copie, ni une œuvre dérivée de l'œuvre originale de l'artiste 40, une telle protection du nom de l'auteur, indépendam- ment de la protection de l'œuvre, comme tel pouvant parfois s'appuyer sur un texte légal plus large. Ainsi, l'art. L.121-1 CPI dispose que l'auteur .jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre », ce qui peut expliquer cette approche extensive de la protection. Sur cette base, certains tribunaux ont admis le pouvoir du titulaire du droit moral d'interdire la com- mercialisation d 'œuvres constituant des copies de tableaux originaux munis de la signature d'un artiste en dépit de l'expiration des droits patrimoniaux sur l'œuvre concernée41Les tribunaux ont considéré qu'une atteinte au droit mo- ral ne pouvait toutefois être admise que lorsque l'apposition de la signature de

37 Sur ces questions, voir BAUMGARTNER.

38 Pour un exposé détaillé de l'application de ce droit, voir ci-dessous B.

39 Cf. art. L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel le droit moral est "per- pétuel, inaliénable et imprescriptible 1.

40 Cf. LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 572 ss.

4\ .. le fait que les droits patrimoniaux soient arrivés à expiration n'autorise pas les tiers à en disposer sans restrictions: il appartient à celui qui l'exploite de veiller au respect du nom de l'auteur et à l'intégrité de l'œuvre_, .. l'imitation de la signature de l'auteur constitu.mt une <atteinte à l'identité artistique de l'auteun dit droit moral qui persiste après l'expiration des droits patrimoniauXl, Tribunal de Grande Instance de Paris, RIDA janvier 1996 (167), p. 282; voir sur cette question LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p_ 570 s.

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PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 111

l'artiste sur une œuvre tombée dans le domaine public pouvait faire craindre une confusion entre l'original et la copie42C'est alors l'existence d'une confu- sion auprès du public qui a constitué le critère déterminant pour juger d'une atteinte au droit moral'~3. Cette approche n'est pas sans susciter une certaine critique, dans la mesure où le droit moral, et plus spécialement le droit de pa- ternité, semblerait devoir être protégé sans égard à l'existence d'un quelconque risque de confusion44. En tout état, ce genre de questions ne se pose pas en droit suisse compte tenu du fait que tous les droits d'auteur (droit patrimoniaux et droit moral) ont la même durée. Il convient désormais d'examiner la protec- tion pouvant résulter du droit de paternité.

B. Droit de paternité

Le droit de paternité de l'œuvre permet à l'auteur de «faire reconnaître sa qualité d'auteur))45 d'une œuvre donnée. Plus généralement, l'auteur a le droit de décider «sous quel nom» son œuvre sera divulguée 46. L'auteur peut ainsi choisir que son œuvre soit divulguée et utilisée sous son nom véritable ou sous un pseudonyme 47. Il peut également décider que son nom ne soit pas du tout associé à son œuvre en la divulguant de manière anonyme (p. ex. parce qu'il considérerait que l'œuvre n'est pas - ou n'est plus - représentative de sa création)48. Un artiste peut ainsi interdire que son nom figure sur une œuvre pour laquelle il aurait souhaité garder l'anonymat. Toutefois, ce droit à «l'ano- nymat artistique)) n'empêchera pas le marché (et particulièrement des experts) de considérer cette œuvre comme une œuvre originale de l'artiste concerné, ce qui démontre les limites du droit exclusif de l'auteur. En pratique, ce droit permettra donc seulement d'interdire à un tiers d'apposer le nom véritable de

42 Arrêt de la Cour de cassation française, 11 juin 1997, Recueil DaIIoz II, Informations Rapides, 1997, p. 200; voir aussi LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 572; on peut dans ce contexte noter la formulation de l'art. 2 let. a du Code d'Ethique du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d'art, Site du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d~rt [en ligne], www.vsak.org/pdf/ethique.pdfqui dispose que cLa description des objets vendus ne doit pas prêter à confusion •.

43 La référence à la notion de risque de confusion est intéressante à souligner dans le cadre de la présente contribution, dès lors que cette notion constitue un élément central de l'analyse en droit des marques et en droit de la concurrence déloyale, voir ci-dessous cha- pitres III et IV.

44 LUCAS A.I LUCAS H.-j., p. 370.

45 Art. 9 al. 1 LDA.

46 Art. 9 aL 2 LDA.

47 HUG. n° 15 ad art. 9.

48 Ibid.

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112 JACQUES DE WfRRA

l'artiste sur l'œuvre concernée sur laquelle ce dernier n'a pas souhaité le faire figurer49, cette solution étan,t d'ailleurs consacrée dans certaines législations étrangères so.

Sur le plan pratique, l'exercice du droit de paternité par l'auteur (ou les héritiers de ce dernier) peut prendre la forme de l'émission d'un certificat d'authenticité. Ainsi, à titre illustratif, Marguerite Duthuit, la fille d'Henri Matisse, a émis certains certificats d'authenticité pour les œuvres de son père ou a au contraire refusé d'en émettre en exerçant ainsi son droit moral. Elle a d'ailleurs été attaquée en justice devant des tribunaux américains pour avoir déclaré qu'une œuvre n'était pas authentiques1

La question de l'étendue de la protection découlant du droit de pater- nité de l'œuvre sera parfois délicate à déterminer par rapport aux faux qui ne constituent pas des contrefaçons d'œuvres de l'artiste 52 , soit des faux qui ne constituent ni une reproduction, ni une adaptation d'une œuvre de l'artiste (soit une œuvre dérivée). Du point de vue terminologique, le droit concerné serait un «droit de non-paternité», soit le droit de l'auteur d'interdire que son nom figure sur une œuvre qu'il n'a pas créée et qui ne constitue pas une

-49 Par analogie, un écrivain qui publie des ouvrages anonymes ou sous un pseudonyme ne pourra pas empêcher que des tiers (et plus généralement le public) associent son nom à ces ouvrages anonymes ou pseudonymes et le reconnaissent ainsi comme auteur véritable de ces ouvrages, mais il pourra par contre s'opposer à ce que ses ouvrages soient publiés sous son nom véritable en vertu de son droit de paternité.

50 C'est le cas au § 107 al. 1 de la loi allemande sur le droit d'auteur du 9 septembre 1965 (dont le titre est: (Unzulassiges Anbringen der Urheberbezeichnung:t):

.Wer

1. auf dem Original eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung 10 Abs.1) ohne Einwilligung des Urhebers anbringt oder ein derart bezeichnetes Original verbreitet.

2. auf einem Vervielfaltigungsstück, einer Bearbeitung oder Umgestaltung eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung 10 Abs. 1) auf eine Art anbringt, die dem Vervielfâltigungsstück, der Bearbeitung oder Umgestaltung den Anschein eines Originals gibt, oder ein denrt bezeichnetes Vervielfaltigungsstück, eine soIche Bear- beitung oder Umgestaltung verbreitet. wird mit Freiheitsstrafe bis zn drei Jahren oder mit Geldstrafe bestraft, wenn die Tat nicht in anderen Vorschriften mit schwererer

$trafe bedroht ist •.

51 V. Findlay v. Duthuit, 86 AD 2d 789, 446 NYS 2d 951 (1982); pour un autre exemple d'ac- tion en responsabilité contre le titulaire du droit moral, voir aussi le récent arrêt de la Cour de cassation française (Cass. 2e civ., 10 nov. 2005, pourvoi nO 0413618), rendu dans un litige dans lequd la veuve d'un peintre, titulaire du droit moral, avait refusé d'émettre un cer- tificat d'authenticité; la Cour de cassation a rejeté toute responsabilité civile de la titulaire du droit moral (dont se prévalait le collectionneur lésé sur le fondement de l'art. 1382 du Code civil), faute pour la cour d'appel dont l'arrêt est ainsi cassé d'avoir établi que celle-ci aurait agi .avec mauvaise foi ou une légèreté blâmable •.

52 Sur la problématique (sous l'angle du droit allemand), voir BULLINGER.

(12)

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 113

utilisation illicite de son œuvre 53 . La question est ainsi de déterminer si un tel droit de non-paternité découle ou non de la protection du droit d'auteur.

On aura tendance à considérer que ce droit ne relève pas du droit d'auteur.

précisément faute d'utîlîsatîon d'une œuvre sur laquelle l'auteur détiendrait des droits exclusifs. C'est donc sur la base du droit de la personnalité. et sin- gulièrement de la protection du nom, que l'artiste ou ses héritiers pourraient tenter de s'opposer à l'utilisation du nom de ce dernier en relation avec des œuvres qu'il n'aurait pas créées 54. Certains ordres juridiques ont clarifié cette question et sanctionnent expressément les fausses attributions d'œuvres dans le cadre de la législation sur le droit d'auteur". Une telle approche a pour avantage de permettre une protection pendant toute la durée de protection du droit moral, soit au-delà du décès de l'auteur, ce qui n'est souvent pas possible si la protection se fonde sur le droit de la personnalité, ce droit de nature per- sonnelle s'éteignant généralement au décès de l'auteur (même si les héritiers pourront ensuite le cas échéant invoquer la violation de leur propre droit de la personnalité)". Toutefois, sur le plan conceptuel, une telle prérogative sort du domaine du droit d'auteur, et vise en réalité la protection du nom et pas de l'œuvre de l'artiste. Dans cette perspective, elle n'a pas sa place dans une loi sur le droit d'auteurs7.

Les titulaires du droit moral pourront parfois être tentés d'exercer le droit de paternité de manière à favoriser leurs propres intérêts (financiers)5K,

53 Cf ci~dessus A.

54 DE WEARA (2000), p. 695; cette approche est également suivie en droit français depuis un arrêt de la Cour de cassation concernant un tableau faussement attribué à Utrillo, Cass., 1'" civ., RIDA 2001 (188), p. 309;-v. DURET-RoBERT (2004), p. 217; la problématique reste vive en droit allemand, suite à un arrêt du Bundesgrrichtshof concernant des fausses aqua- relles attribuées à E. Nolde (la protection fondée sur le droit général de la personnalité, et

p ... r sur le droit moral, ayant été jugée insuffisante). v. BCHZ 107, p. 384; sur cette ques-

tion, v. NORDEMANN. p. 737 ss.

55 Ainsi, 1 ... section 84 du Copyright, Desig"s and Patents Act 1988 ... ngbis réglemente cette question comme suit: 84.- (1) A penon has the right in the CÎrcumscances mentioned in this seccion-

( ... ) not to have a lîterary, dramatic, musical or artistic work falsely attributed ta bim as author, and

(b) not ta have a film falsely attributed ta him as director;

56 DE WERRA (2000), p. 695.

57 On note toutefois que certaines réglementations de droit étranger protègent spécifique- ment le nom des auteurs, cf. art. L.121-1 CPI, supra texte accompagnant notes 40-41.

58 Ainsi, dans J'affaire Findray v. Duthuit, supra note 51,le tribunal saisi a constaté que Duthuit n'était pas seulement titulaire du droit moral, mais était également propriétaire et vendeur de nombreuses œuvres de Matisse, ce qui créait ainsi un conBit d'intérêts avec les œuvres de Matisse vendues par d'autres marchands.

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114 JACQUES DE WERRA

en contestant l'authenticité d'œuvres appartenant à des tiers. En effet, il n'est pas exclu que certains artistes ou héritiers d'artistes tentent de profiter de la valeur commerciale de leur nom et fassent un exercice abusif du droit de paternité 59,

Dans ces circonstances, on peut se poser la question de la responsabilité d'un titulaire du droit moral (tout 'pécifiquement du droit de paternité) qui refuserait d'authentifier une œuvre donnée et refuserait ainsi que le nom de l'artiste soit apposé sur cette œuvre. A cet égard, on doit constater sur le plan du principe que le titulaire du droit d'auteur (et plus 'pécialement du droit de paternité) est en mesure d'exercer son droit de manière libre (et donc arbi- traire), ce sous réserve d'une violation du droit de la concurrence60, Dans ces circonstances, il paraît très délicat d'admettre une telle responsabilité 61 .

c.

Pouvoir des titulaires de droits d'auteur d'authentifier des œuvres

Comme l'expose M. Duret-Robert, de droit de faire saisir les faux a donné aux héritiers le pouvoir de juger de l'authenticité des œuvres»62. Sur le plan pratique, l'avis des héritiers sera ainsi fréquemment sollicité concernant des œuvres qui n'ont pas encore été divulguées et qui sont encore en possession de la succession de l'artiste concerné (p. ex. dans l'atelier de ce dernier). Ainsi, lorsque les héritiers mettent en vente certaines de ces œuvres 63 (p. ex. dans le cadre d'une vente d'atelier), ils marqueront les œuvres d'un cachet spécial64, ce cachet valant alors authentification des œuvres sur le marché de l'art 65. Dans la perspective du droit d'auteur, l'apposition de ce cachet constituera une mani- festation de l'exercice du droit de paternité 66, soit du droit exclusif de décider

59 V. J'article de BAI LEY.

6(J Sur la question de l'abus de position dominante, voir la contribution de F. RINGE dans cet ouvrage.

61 En droit français, la responsabilité civile d'un titulaire du droit moral qui refusait d'authen- tifier une œuvre semble toutefois pouvoir être engagée en cas d'agissements t: avec mau- vaise foi ou une légèreté blâmable t selon un arrêt de la Cour de cassation du 10 nov. 2005, voir supra note 16.

62 DURET-RoBERT (2004), p. 220.

63 Ce faisant, les héritiers exercent le droit de divulgation sur ces œuvres, cf art. 9 al. 2 LDA.

64 Désigné comme cachets ou timbres d'atelier, cf. LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 209.

65 DURET-RoBERT (2004), p. 220.

66 Voir cependant CARON, comm. 20 (note sous l'arrêt de la Cour de Casso du 10 novembre 2005), pour qui. [ ... ] le pouvoir d'authentifier un tableau ne relève pas de l'exercice du droit à la paternité. Si c'était le cas, seul le titulaire de cette prérogative pourrait procéder à des authentifications •.

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PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 115

«si, quand, de quelle manière et sous quel nOIn son œuvre sera divulguée))67.

Les marchands d'art n'ont dès lors pas manqué de requérir spontanément l'avis des héritiers (un avis positif se concrétisant sous la forme de certificats) pour authentifier des œuvres inconnues d'un artiste, ce afin d'éviter le risque d'une saisie des œuvres concernées par les héritiers sur le fondement d'une violation du droit d'auteur68Aux yeux des professionnels du marché de l'art, cette pratique est souvent considérée comme une obligation, les héritiers étant ju- gés incontournables pour se prononcer sur l'authenticité des œuvres69C'est donc pour se protéger contre tout risque d'une action judiciaire intentée par les héritiers au titre d'une violation du droit d'auteur que les marchands d'art tenteront d'obtenir un certificat d'authenticité de ces derniers 70, un avis né- gatif du titulaire de droit moral pouvant avoir des conséquences désastreuses pour un tableau 71.

On a qualifié ce pouvoir des héritiers d'«autorité de fait:.72. Toutefois, il apparaît que ce pouvoir ne résulte pas d'une situation de fait, mais plutôt de la protection juridique découlant du droit d'auteur73Dans ces circonstances, on doit considérer que le pouvoir des héritiers est un pouvoir juridique et non pas factuel. Cependant, reconnaître un te1 pouvoir aux héritiers ne signifie pas que ce pouvoir soit exclusif ou absolu. Bien au contraire, comme déjà souli- gné, les titulaires de droits d'auteur (et tout spécialement du droit moral) ne disposent pas du droit exclusif de se prononcer sur la question de l'authenticité des œuvres d'un artiste. En réalité, comme

ra

constaté un auteur, «[a]s far as the law is concerned, the holder of the droit moral is just another legal expert whose opinion is only as good as his qualifications and the arguments he puts forward»74. Ainsi, l'avis du titulaire du droit d'auteur ne sera pas toujours suivi au profit de celui d'experts plus autorisés75

67 Art. 9 al. 1 LDA.

68 DUR ET-RoBERT (2004), p. 220.

69 DORET-ROBERT (2004), p. 220; LEQOETTE-DE KnvENoAËL, p. 204, parlant de «point de passage obligélt.

10 LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 206.

71 Cf. pour un exemple, voir l'affaire GrUfiwood v. KOVfn. 880 F. Supp. 186 (S.D.N.Y. 1995).

n DURET-RoBERT (2004), p. 220.

13 LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 203 s. constatant que les jugements portés par les héritiers d'un artiste sur l'authenticité des œuvres ont .Ieur racine dans les prérogatives que la loi leur attribue»; un pouvoir de fait pourra par contre exister lorsqu'un seul expert d'art sera reconnu par le marché comme faisant autorité pour se prononcer de manière définitive sur l'authenticité des œuvres d'un artiste donné, voir supra note 15.

74 LEVY, p. 844.

15 Voir l'aTr~[ (inédit) de h. Cour de Paris du 9 novembre 1988 exposé par LEQUELTE-DE KERVENOAËL, p. 194 s.

(15)

116 JACQUES DE WERRA

Le pouvoir des héritiers résultant de l'exercice du droit d'auteur, et plus spécialement du droit moral ne doit toutefois pas être négligé pour autant, ce pouvoir résultant de leur prérogative de faire interdire ou cesser toute viola- tion des droits dont ils sont titulaires76Ainsi, (Ile fait d'avoir un certificat de l'héritier et ami du peintre accompagnant l'œuvre permet au vendeur de ne pas être poursuivi en contrefaçon *77. Aussi a-t-on pu concevoir l'obtention d'un tel certificat comme un «contrat d'assurance contre le risque de saisie »78. Pour que ce certificat remplisse cette fonction protectrice, il pourra être nécessaire de s'assurer que tous les titulaires des droits concernés l'aient établi ou y aient consenti. En effet, l'exercice du droit d'auteur par les héritiers pourra requé- rir l'unanimité entre ces derniers. Or, il peut se produire que les héritiers ne soient pas d'accord entre eux. Dans ces circonstances, un certificat d'authenti- cité obtenu d'un seul des cohéritiers sans l'aval des autres n'offrira pas toujours la protection souhaitée79. Toutefois, ce risque juridique dépendra du droit na- tional de la propriété intellectuelle qui sera applicable dans le cas d'espèce et pourra ainsi évoluer en fonction des déplacements géographiques de l'œuvre concernéeso. Ainsi, en droit d'auteur suisse, prévaut le principe de l'unanimité dans l'exercice du droit d'auteur par les cotitulaires du droit (souvent les co- héritiers). Des cohéritiers qui deviendraient titulaires de droits d'auteur après le décès de l'artiste ne pourront donc pas agir en justice individuellement pour faire valoir une violation de leur droit, mais seront au contraire tenus d'agir tous ensemble81Par conséquent, dans la perspective du droit suisse, même si un seul des cohéritiers a délivré un certificat d'authenticité pour un tableau donné et donc considère que ce tableau ne viole pas le droit d'auteur (dont il est cotitulaire) , les autres cohéritiers ne pourront pas invoquer une violation du droit d'auteur devant les tribunaux, faute de pouvoir agir à l'unanimité.

La situation pourra se compliquer lorsque les droits d'auteur auront été attribués à differents titulaires (notamment dans le cadre d'actes à cause de

76 Ce pouvoir se concrétisant en France par la - puissante - sanction de la saisie-contrefàçon, cf LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 205 s.

77 Arrêt inédit de la Cour de cassation française du 28 février 1991 cité par LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 206.

78 DURET-RoBERT (1990), p. 123.

79 LEQUETTE-DE KERVENOAËL, p. 210, citant en exemple un avis publié dans la Gazette de Drouot (du 13 février 1976) dans lequel la famille du peintre Renoir exprimait que le droit moral afférent à l'œuvre de ce dernier ne pouvait s'exercer qu'indivisément et que toute dis- position prise par l'un des héritiers, sans le concours des autres, serait taché d'irrégularité.

80 n n'est malheureusement pas possible d'examiner les questions - complexes - de droit international privé de la propriété intellectuelle dans le cadre de la présente contribu- tion, au-delà de la mention du principe généralement reconnu du c pays de protectiom (cSchutzland.), en vertu duquel le droit applicable sera le droit de l'Etat pour lequel la protection est revendiquée, cf. p. ex. art. 110 al. 1 LDIP.

81 En vertu des règles du droit successoral (art. 602 CC), cf ATF 121 III 118.

(16)

PROPRlhÉ INTELLECTUElLE J17

mort). Il pourra en effet se produire que l'auteur transmette ses droits patrimo- niaux à certaines personnes (p. ex. ses héritiers) tout en confiant son droit mo- ral (notamment le droit de paternité) à une personne de confiance extérieure au cercle de ses héritiers. Dans un tel cas, il sera nécessaire d'obtenir l'aval des titulaires respectifs des deux types de droits afm d'éviter le risque d'une action judiciaire intentée par l'un ou l'autre de ces derniers. En effet. chacun des deux groupes de titulaires pourrait tenter de faire valoir la violation de ses propres droits. Ainsi, même à supposer que les titulaires des droits d'exploitation sur les œuvres d'un artiste considèrent que l'œuvre dont l'authenticité est en jeu est authentique (et donc ne viole pas les droits d'exploitation exclusifs, notamment le droit de reproduction)82, les titulaires du droit moral (particulièrement du droit de paternité) pourront considérer que le nom de l'artiste ne doit néan- moins pas être apposé sur celle-ci en vertu du droit de paternité.

III.

L'AUTHENTIFICATION ET LE DROIT DES MARQUES

Sous l'angle du droit des marques, la question de l'authentification d'une œuvre d'art se pose essentiellement en relation avec la protection du nom de l'auteur, et spécifiquement de sa signature, par le droit des marques. Le nom d'un artiste peut en effet être considéré comme une marque identifiant ses œuvres 83. Dans ce cadre, il convient de s'arrêter en premier lieu à la fonction d'identification de la signature artistique et de la marque (A), avant de traiter du principe de l'utilisation du droit des marques pour authentifier des œuvres d'art (E), de sa portée (C) et de ses limites (D),

Il convient de noter qu'au-delà du nom et de la signature d'un artiste, le droit des marques pourra également être utilisé pour protéger d'autres élé- me ms caractéristiques de la création cl 'un artiste. par exemple la forme tri- dimensionnelle de sculptures ou la couleur utilisée par un peintre (p. ex. le célèbre bleu utilisé par Yves Klein)",

8~ Cf. art. 10 :11. 2 let. a LDA.

83 Sur cette approche, voir GINS6URC; pour une approche d'histoire de l'an de l'utilisation du droit des marques dans le domaine artistique, voir WON YIN WONC.

84 L'examen de la validité de ce type de marques (non traditionnelles) dépasserait le cadre de cette contribution. ces nurques paraissant moins intéressantes à étudier dans la mesure où elles ne permettraient d'identi6er que certaines œuvres de l'utiste, au contraire des marques poTtant sur son nom etlou sa signature supposées protéger sa production artistique comme telle; toutefois, on doit constater qu'à titre exceptionnel des marques de couleur peuvenc caractériser la production artistique d'un artiste. Td sera particulièrement le cas de l'artiste Yves Klein qui a créé le. [ntemational Klein Blue_ (IKB) et l';} utilisé pour ses célèbres monochromes d'un bleu tuJtramarin,.

(17)

118 J .... CQUES DE WERRA

A. Fonction d'identification de la signature artistique et de la marque

Dans le domaine des beaux-arts, la signature d'une œuvre par son auteur est supposée indiquer que l'œuvre a bien été exécutée par l'artiste concerné et que cette œuvre est considérée comme achevée85La signature constitue ainsi un indice de l'authenticité de l'œuvre. Il ne s'agit toutefois pas d'une preuve absolue de l'authenticité, compte tenu de la relative facilité d'imitation de la signature d'un artiste et des abus potentiels qui peuvent être commis86

Dans cette perspective, la signature a une fonction d'authentification des œuvres. Or cette fonction est très proche de la fonction distinctive de la marque. Ainsi, da marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises»87. La marque a ainsi pour fonction d'identifier l'origine de produits ou de services pro- venant d'une entité particulière par rapport à ceux offerts par d'autres en- tités. Similairement, la signature d'un artiste a pour fonction de distinguer ses œuvres de celles d'autrui. Par conséquent, signature et marque sont très proches 88, ce qui se vérifie conceptuellement dans certains courants artistiques récents dans lesquels la qualification comme œuvre d'art découle essentielle- ment du processus d'apposition d'une signature89Cette proximité entre si- gnature et marque est d'ailleurs reconnue tant du point de vue juridique90 que dans la pratique du monde de l'art91Plus généralement, le droit reconnaît

85 LEQUETTE-DE KERVENO .... ËL, p. 186.

86 L'exemple de Salvador Dali, qui a apposé sa signature sur de nombreuses feuilles blanches, est bien connu, cf. LEQUETTE-DE KERVENO .... ËL, p. 188, et les autres exemples qui y sont cités.

87 Art. 1 al. 1 de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance du 28 août 1992 (LPM), RS 232.11.

88 Dans ce sens également GINSBURG, p. 2, considérant que «the author's name is in fact a term that "identifies and distinguishes" goods or services, that allows consumers to choose among works of authorship on the basis of the author's reputation».

89 Voir EOELMAN, p. 100; pour une discussion plus générale, voir TREPPOZ, p. 61 ss.

90 On peut citer à cet égard la définition du faux dans les titres figurant à l'art. 251 ch. 1 CP:

«1. Celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre, sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l'emprisonnement .•

91 Cf. art. 2 let. a du Code d'Ethique, Site du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d'art [en ligne], www.vsak.org/pdf/ethique.pdf: t: [d]ans le commerce de l'art un objet est considéré comme authentique lorsque son style correspond à l'époque mentionnée, ou que le poinçon de maître (estampille, marque, poinçon, signature) spécifie son auteur plus précisément •.

(18)

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 119

une certaine fonction de marque (soit d'identification de produits) au nom d'artistes92

Au-delà de cette proximité d'objectif entre marque et signature (ou nom) d'un artiste, il convient désormais d'examiner si un artiste peut se fonder sur le droit des marques pour protéger son nom et sa signature afin de renforcer la fonction d'identification de sa production artistique et de lutter contre les faux artistiques en complément aux moyens (incomplets) 93 découlant du droit d'auteur.

B. L'utilisation du droit des marques en matière artistique

Force est tout d'abord de constater sur le plan pratique que des marques ont déjà été déposées pour protéger le nom et/ou la signature de certains artistes renommés94 et que la violation du droit à la marque a été invoquée pour lut- ter contre une utilisation abusive faite par des tiers de marques correspondant au nom d'artistes célèbres, notamment dans des noms de domaine95

Une question préalable à résoudre à propos de l'utilisation potentielle du droit des marques par un artiste ou par ses ayants-droits pour authentifier ses œuvres concerne la fonction même de la marque. En effet, à teneur de l'art. 1 al. 1 LPM, «la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise par rapport à ceux d'autres entreprises». Ainsi, la fonction d'identification de la marque doit porter sur les produits ou services d'une

«entreprise». Or, dans le contexte artistique, cette fonction d'identification portera sur les œuvres d'un artiste individuel (ou d'un collectif artistique) et pas sur ceux d'une entreprise comme telle, l'entreprise pouvant être définie comme une «organisation autonome de production de biens ou de services

92 Voir GINSBURG et L"'STOWKA.

93 Comme exposé (cf. ci-dessus II.A), le droit d'auteur ne sera d'aucun secours dans le cas où l'œuvre dont l'authenticité est disputée ne viole pas le droit d'auteur de l'artiste, soit p. ex.

lorsque cette œuvre n'imite que le style de ce dernier.

94 On peut ainsi citer la marque internationale IR 755 712, propriété de l'indivision. Picasso »,

qui porte sur une marque combinée reproduisant la signature manuscrite de l'artiste et a été enregistrée pour de nombreux produits et services, notamment pour du .matériel pour artistes. en classe 16; on peut également citer la m:uque internationale «Chagall, IR 758 063 dont la titulaire est l'Association pour la Défense et la Promotion de l'Œuvre de Marc Chagall dite. Comité Marc Chagall., et qui est enregistrée pour de nombreux produits et services, notamment pour du «matériel pour artistes. en classe 16.

95 Voir p. ex. la décision de l'expert concernant le nom de domaine .www.picasso.biz».

Picasso Estate v. Yours, WIPO Case No. DBIZ2002-00032, Site du Centre d'arbitrage et de médiation dl' rOMPI [en ligne], www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/ht11ll/2002/

dbiz2002-00032.html.

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