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Les prérogatives dévolues aux street artistes

Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant au

A. Les prérogatives dévolues aux street artistes

La protection d’une œuvre par le droit d’auteur fait naître deux types de prérogatives alors dévolues à l’auteur. En ce sens ce dernier sera investi, d’une part de droits dits économiques115 (1) et d’autre part, de droits dits moraux116 (2). Compte tenu de la potentielle apposition illégale de certaines œuvres de « Street art », l’auteur ne serait plus en possession de la maîtrise matérielle de l’œuvre, et ce au profit du propriétaire du support. En ce sens, il est primordial de distinguer ce que ces droits confèrent pour en mesurer, par la suite, les potentielles atténuations.

115 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 3. 116 Ibid., 14(1).

1. Les droits économiques

Initialement présents à la création du droit d’auteur dans le Copyright Act117, les droits dits économiques ou patrimoniaux, sont généralement préférés aux droits moraux par le droit d’auteur canadien. Ce dernier privilégie en effet « l’exploitation économique de l’objet de la création » au maintien du statut de l’auteur en tant que tel118. Cette préférence peut se justifier par la reconnaissance plus tardive par le législateur des droits moraux119, mais surtout comme nous le rappellent les juges de l’affaire

Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., par le fait que le

législateur cherche à maintenir « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur »120.

Dans le cadre d’une œuvre, le « droit d’auteur s’entend du droit visé »121 à l’article 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Par cet article le législateur introduit les prérogatives économiques que ce régime de protection octroie. Il énonce tout d’abord, dans son premier paragraphe, les droits patrimoniaux fondamentaux, puis les précises en en donnant des exemples dans les alinéas le succédant.

117 Copyright Act, 1709.

118 Pierre-Emmanuel MOYSE, « Droits moraux », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit

des affaires », Propriété intellectuelle, fasc. 7, Montréal, LexisNexis Canada, à jour 20 août 2019, par. 68.

119 Ibid. par. 51. « Beaucoup s’entendent pour dire que la loi de 1931 n’a pas consacré

une jurisprudence préexistante mais est plutôt le résultat direct de la ratification du texte de 1928 de la Convention de Berne. Avant cette date, l’existence du droit moral est incertaine »

120 Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc, [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC 34,

par. 30, tel que cité dans Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 2019, Thomson Reuters, p. 279.

Nous retrouvons donc le droit exclusif de produire son œuvre, « c’est-à- dire de confectionner une version sous une forme matérielle quelconque »122; de reproduire, soit « d’en permettre une nouvelle production et d’en reprendre une partie substantielle sous la même forme ou sous une autre forme »123; de l’exécuter ou de la représenter visuellement en public et de la publier en partie ou totalité.

« [l]e droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante » [Nous soulignons]124.

Les alinéas suivants ne sont, quant à eux, que les illustrations de ces droits principaux comme nous l’expose d’ailleurs la juge dissidente Abella dans l’affaire Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc. : « [l]es droits dont la liste figure al. 3(1)a) à 3(1)j) sont des exemples de ces trois droits fondamentaux »125.

Enfin puisqu’ils ont avant tout un intérêt économique, ces droits sont cessibles par leur titulaire. Ce dernier peut en jouir comme bon lui semble et de ce fait les monnayer en suivant toutefois les conditions de formes exigées par la Loi sur le droit d’auteur126, ce qui, nous le verrons dans un prochain chapitre, pourrait avoir un impact sur la titularité des droits conférés à une œuvre de « Street art ».

122 N. TAMARO, supra note 74. 123 Ibid.

124 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 3.

125 Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., [2015] 3 R.C.S. 615, 2015 CarswellNat

6093, EYB 2015-259030, 2015 CSC 57, tel que cité dans Normand TAMARO, Loi sur le

droit d’auteur, texte annoté, 2019, Thomson Reuters, p. 279.

126 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 13(4). « [L]a cession ou la concession

n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet »

Nous l’avons évoqué, les droits économiques ne sont pas les seuls à avoir été instaurés par la Loi sur le droit d’auteur. En effet cette dernière a, bien des années plus tard, été complétée par une construction législative menant à l’insertion des droits dits moraux127.

2. Les droits moraux

Alors que les droits d’auteur revêtent un caractère économique, les droits moraux, quant à eux, sont plutôt axés sur le caractère personnel de l’auteur. Ils viennent compléter ces droits128 mais accroissent le contrôle de l’auteur sur son œuvre, qui, même départi de certains droits économiques au profit d’un autre, serait toujours en mesure de lui opposer ses droits moraux129.

Selon l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur, ces droits moraux sont définis, pour les œuvres, à l’article 14.1(1) de la même Loi. Ainsi, « [l]’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre »130, c’est-à-dire à ce qu’aucune action faite sur l’œuvre ne porte atteinte « d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation »131 de ce dernier. En ce sens, la Haute Cour de justice de l’Ontario a par exemple, dans l’affaire Snow c. Eaton center Ltd.132, reconnu que le fait d’apposer des rubans décoratifs sur des statues que l’artiste Snow avait réalisées pour le centre commercial, constituait une atteinte à l’intégrité des œuvres, bien que le centre Eaton ait acheté lesdites statues. Aussi, « à l’égard de tout acte mentionné à l’article

127 P-E. MOYSE, supra note 115, par. 51.

128 Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc, [2001] RJQ 945 (CA). 129 Les droits économiques étant cessibles individuellement.

130 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 14.1(1). 131 Ibid., art. 28.2(1).

3 »133, l’auteur possède « le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création »134. Le législateur reconnait de ce fait à l’auteur, un droit de paternité sur son œuvre, lui permettant, sauf renonciation de sa part, de toujours être rattaché à cette dernière. Il peut toutefois choisir de conserver son anonymat135.

Selon l’article 14.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur, les droits moraux sont incessibles et sauf renonciation de l’auteur de l’œuvre, ils seront présumés détenus par ce dernier. Aussi, à la différence de la cession des droits économiques, la renonciation des droits moraux n’est pas contrainte par des conditions de forme et peut être effectuée, oralement ou tacitement.

La question de la renonciation tacite des droits moraux est essentielle quant à l’exercice des droits détenus par l’auteur d’une œuvre de street art. En effet, nous l’avons dit, les droits moraux sont intimement liés à la personne de l’auteur et ne recouvrent pas une vocation économique mais bien une vocation préservatrice de l’expression artistique des auteurs (respect de la génétique d’une œuvre). Face à une œuvre de street art illégale, il est légitime de s’interroger quant à l’exercice de ces droits moraux par leur titulaire. Un artiste peut-il valablement prétendre à une revendication globale de ces droits ? L’acceptation du risque de destruction de son œuvre du fait de son apposition non consentie, ne pourrait-elle pas être interprétée comme une forme de renonciation tacite de ces droits moraux ? En effet, il appert que l’ensemble des adeptes de cet art, soient au fait des conséquences que cette apposition illégale implique, continuant malgré tout de s’exprimer de la sorte. Les street-

133 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 14.1(1). 134 Ibid., art. 14(1) et art. 14.1(1).

artistes exerçant ainsi illégalement pourraient, de par la non prise en compte de ces risques, renoncer à l’exercice de leurs droits moraux et, de ce fait, n’interagir avec leur œuvre que par le biais de leurs droits économiques.

Il serait donc nécessaire, afin d’établir si toutes les œuvres de Street art (légales ou non) bénéficient d’une protection par le droit d’auteur, de clarifier les problématiques entourant la question de la titularité des droits, tant moraux, qu’économiques.

B. Les problématiques liées à la détermination de la titularité des droits