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Les contours du régime des biens communs

Chapitre 3 : Les biens communs et la protection du patrimoine culturel : vers

A. Les contours du régime des biens communs

Les biens communs, selon Stefano Rodota juriste italien, consistent en des « choses qui expriment une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits

fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne ». Ils

constituent une troisième catégorie de biens, distincts des biens privés ou publics.

La définition des biens communs a d’abord été économique et était alors guidée par deux critères permettant de les différencier des biens publics notamment ; la rivalité d’un côté, et l’excluabilité de l’autre261. Ainsi, la rivalité d’un bien suppose qu’une utilisation de ce dernier puisse être faite sans altérer l’usage ultérieur que toute autre personne pourrait en faire. En ce sens, l’exemple des pâturages utilisé par l’économiste Garett Hardin262 en est la juste illustration : si un berger fait consommer tout le pâturage à ses bovins, le suivant ne pourra plus utiliser ledit pâturage qui serait donc dans cette éventualité un bien rival.

Concernant l’excluabilité, cette notion fait quant à elle référence à la potentielle limitation de l’accès à un bien. Toujours en reprenant l’exemple du pâturage, si son accès est limité à un certain nombre de bergers, le bien revêtira un caractère d’exclusion puisque ceux n’étant pas inclus ne pourront y accéder. À l’inverse donc, si l’accès est libre pour tous, il sera dit non-excluable. Dans le cadre des biens communs et des biens publics, il est donc possible d’affirmer que ces deux types sont dits non-excluables,

261 Alain LÉTOURNEAU, « La théorie des ressources communes : cadre interprétatif pour

les institutions publiques ? », Éthique Publique, vol. 17, n° 2, 2015, par. 16. En ligne : https://journals.openedition.org/ethiquepublique/2284#quotation.

262 Garrett HARDIN, La tragédie des communs, 2018, Éditions Puf, 64, dans F. LOCHER,

« Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la « Tragédie des communs » »,

en ce sens qu’il est possible d’accéder à chacun sans limitation pour un groupe donné. Pour les premiers il s’agira de ne pas en limiter l’accès en raison de leur fonction essentielle pour l’être humain (eau, air, lumière) et pour les seconds du fait de leur importance pour un État donné (culturel ou historique par exemple). En revanche, alors que les biens communs sont rivaux, les biens publics quant à eux ne le sont pas.

Cette dichotomie au travers du critère de rivalité est importante à la compréhension d’une éventuelle gestion du « Street art » par le régime des biens communs, car souvent confondus du fait de leur caractère non- excluable, il sera l’un des seuls éléments nous permettant d’affirmer que les œuvres de « Street art » illégal peuvent être considérées comme des biens communs et non comme des biens publics. Nous l’avons en effet évoqué précédemment, les créations de « Street art », bien qu’illégales pour certaines, peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, conférant à leur créateur un certain monopole juridique qui pourra être opposé aux tiers. Cette opposition suppose ainsi une rivalité qui, alors qu’elle fait défaut aux biens publics, est une caractéristique essentielle des biens communs. Néanmoins, transposé au « Street art », cette vision économique des biens communs, est moins pertinente pour ce dernier que celle, plus institutionnelle, élaborée par la politologue Elinor Ostrom. En effet dernièrement, et c’est ce qui a justifié partiellement ce regain d’intérêt dans cette doctrine émergeante, celle-ci s’étant détachée de la définition purement économique des biens communs, en constatant que leur apparition contemporaine résulterait plutôt d’une « décision collective et des usages qui en découlent »263. Effectivement, alors que la première

263 Ludovic VIÉVARD, « Les (biens) communs : de la définition économique à l’affirmation

politique » (2015), dans Biens publics, biens communs : de quoi parle-t-on vraiment ?, Cahier 20, Les entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’innovation publique, p. 13.

définition s’attarde sur la nature du bien, cette dernière quant à elle, révèle que c’est au niveau institutionnel qu’apparait « une volonté de réappropriation et de réorganisation de l’espace public »264. Un groupe ou une collectivité peut donc être à l’origine de la gestion d’un bien comme s’il faisait partie de la catégorie des biens communs. Concrètement pour reprendre l’exemple du pâturage, cela impliquerait deux points.

Le premier serait qu’un bien commun n’a plus besoin d’être non-excluable pour être défini comme tel, puisque résultant d’un groupe ou d’une communauté, son accès pourrait être limité pour en assurer la préservation. Le second point serait que l’ensemble desdits bergers seraient non seulement à l’origine de cette qualification de communs, mais surtout à l’origine de l’organisation des règles régissant l’usage du bien. Dès lors selon cette nouvelle définition, « pour faire des communs,

il faut une ressource commune + une communauté de commoners + des règles et des normes pour gérer cette ressource »265.

Il est alors possible, en application au « Street art », qu’un quartier, une communauté ou tout autre groupe légitime s’accorde afin de protéger et gérer l’usage qui pourrait être fait d’une œuvre de « Street art » illégalement apposée. Dans le cas du vol de « Slave labor » de Banksy266, cela aurait impliqué par exemple que la communauté concernée puisse maintenir l’œuvre sur son lieu d’apposition initial ou même en légitimer le retour. Le propriétaire, privé ou public, n’est alors plus en mesure d’agir sur cette partie de sa propriété, de même que l’auteur qui semblerait finalement « offrir » au public les droits qu’il détiendrait sur son œuvre.

264 Ibid.

265 David BOLLIER, La Renaissance des communs. Pour une société de coopération

et de partage, Éd. Charles Léopold Mayer, Paris, 2014, p. 146, dans Ludovic VIÉVARD,

« Les (biens) communs : de la définition économique à l’affirmation politique », (2015), dans Biens publics, biens communs : de quoi parle-t-on vraiment ?, Cahier 20, Les

entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’innovation publique, p. 13.

Bien qu’attrayante, cette solution est toutefois difficilement concevable. Peu importe la définition utilisée, permettre d’incorporer des œuvres de « Street art » en tant que bien commun, aurait pour effet de soulever certaines discriminations au sein de ces dernières. En effet, quelle collectivité serait suffisamment légitime pour déterminer lesquelles de ces œuvres pourraient être régies par ce régime, en dépit tant du droit d’auteur que du droit de propriété ? Supposons que l’œuvre soit apposée sur un bien privé, le propriétaire devrait-il pâtir de la décision d’une collectivité ou d’un groupe dont il ne fait pas partie ? Idem si cette apposition avait été faite sur un bien public ? Une fois encore, une partie se retrouve toujours lésée et le problème semble juste être déplacé. Dès lors nous démontrerons en quoi la doctrine italienne en la matière ne devrait pas être la solution « finale » ou idéale pour l’avenir du « Street art » québécois.

B. Les biens communs à l’italienne, une solution d’application