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bilan des connaissances scientifiques

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V.3. Les méthodes de monétarisation

V.3.4. La question des transferts de valeurs

La mise en œuvre de la plupart des méthodes d’évaluation, notamment à partir de préférences déclarées, est très coûteuse et demande du temps. Aussi, dans une perspective d’aide à des décisions concrètes, il est apparu nécessaire de trouver des moyens de « standardiser » ces valeurs de façon à pouvoir les utiliser dans d’autres situations. Le transfert de bénéfices ou de valeurs environnementales est donc une technique par laquelle les résultats d’évaluations monétaires d’actifs environne- mentaux sont appliqués dans un contexte différent de celui ou ceux dans lesquels ils ont été élaborés. Cette technique est controversée, notamment du fait qu’un certain nombre de scientifiques et de décideurs ont des réserves quant à la pertinence et à la validité des valeurs transférées pour justifier l’importance des enjeux environne- mentaux dans l’évaluation socioéconomique des projets (Brouwer, 2000).

a. Transfert des valeurs : principe et validité

Deux approches sont possibles : soit on transfère la valeur unitaire obtenue sur un site étudié (« study site ») vers un site concerné par les enjeux d’une décision (« policy site ») présentant des caractéristiques similaires ; soit on transfère une équation de demande en appliquant les coefficients estimés sur un site à la valeur que prennent les variables correspondantes sur l’autre site.

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Notamment dans les contributions au numéro spécial consacré par la revue Water Resource Research (dans le cadre du workshop « Benefits Transfer: Procedures, Problems, and Research Needs », organisé par l’Association of Environmental and Resource Economists, Snowbird, UT, en juin 1992.

Pour tester la qualité d’une technique de transfert, on estime les valeurs non marchandes sur les deux sites (d’étude et d’enjeu) en utilisant des données primaires récoltées sur les deux sites ; puis on compare les résultats obtenus avec les données du site au résultat qui serait dérivé de l’utilisation des données de l’autre site. Si les résultats ne sont pas statistiquement différents, on suppose que le transfert de bénéfices est valide. Sinon, l’analyste doit examiner le signe des biais et leur taille pour essayer de les atténuer.

Loomis (1992) a testé la performance du transfert d’une équation de demande pour la pêche récréative dans trois États américains issue d’évaluation par les coûts de déplacement réalisée de façon identique. Le transfert de la fonction de demande a abouti à des différences de 5 % à 15 % ; alors que le transfert de valeurs moyennes d’un déplacement conduisait à des écarts beaucoup plus grands. D’autres études ont montré l’importance de recueillir les données selon des procédures similaires (y compris à la même date, notamment pour la demande récréative), pour des sites présentant la plus grande similarité.

Kirchhoff et al. (1996) ont validé empiriquement le fait que le transfert de valeurs sous la forme de fonction (d’un ensemble de variables explicatives) était plus robuste que le transfert de valeurs unitaires moyennes pour un certain type de sites. Ce n’était pas inattendu, mais les difficultés de l’exercice, notamment en termes de standardisation, justifiaient que la question soit posée. Ils soulignent d’ailleurs que les circonstances dans lesquelles les transferts sont valides et pertinents pour les décisions pourraient être assez limitées et que les erreurs résultant des transferts peuvent être considérables, même entre des sites présentant des aménités assez similaires.

L’un des problèmes récurrents rencontrés dans les transferts de valeur à partir de méta-analyses est la forte variance des résultats qui apparaît largement liée au « design » des enquêtes (plutôt qu’aux caractéristiques des sites ou des usages dont ils sont l’objet).

Brouwer (2000) considère que les tests de transferts de valeur n’ont pas validé leur pratique et que de nombreux transferts publiés dans les revues économiques ne satisfont pas les critères minimaux de robustesse. Mettant en évidence le poids de certains facteurs, il suggère des orientations restrictives sur les pratiques acceptables qui distinguent en particulier les transferts réalisés à partir d’une seule étude, de ceux qui s’appuient sur des études multiples. Ces indications sont résumées par un protocole en sept points :

1. définir clairement les biens et services environnementaux ; 2. identifier les parties prenantes ;

3. identifier les valeurs portées par les parties prenantes ;

4. impliquer les parties dans la validation des évaluations monétaires ; 5. porter une grande attention à la sélection des études ;

6. prendre en compte les effets de la méthode d’évaluation ; 7. impliquer les parties dans l’agrégation des valeurs.

représentation partagée, qui est l’une des motivations d’une approche délibérative de l’évaluation.

En 2006, la revue Ecological Economics a ouvert ses pages à un ensemble de spécialistes reconnus de l’évaluation et des techniques de transfert pour leur permettre de confronter leurs points de vue sur les forces, faiblesses et améliorations possibles de ces approches. Dans une introduction générale, Wilson et Hoehn (2006) précisent ce qui apparaît actuellement encore comme les principales questions posées par la validation et la standardisation de ces approches et, en particulier, l’importance d’une collaboration interdisciplinaire, tant avec les sciences sociales qu’avec les sciences de la nature. Loomis et Rosenberger (2006) mettent l’accent sur l’importance d’anticiper l’usage futur pour des transferts dans la conception des études d’évaluation. Considérant l’importance de la conception pour limiter les biais liés aux techniques d’évaluation, il importe que ces biais soient pris en compte sous une forme qui facilite le transfert des résultats sur un site différent. Dans le même sens, Bergstrom et Taylor (2006) considèrent que les méta-analyses ne peuvent devenir des outils utiles pour les transferts que si elles sont fondées sur des études réalisées en suivant des protocoles systématiques pour le développement des modèles, la collecte et l’analyse des données, ainsi que leur interprétation. Cela implique de multiplier encore les tests de validation. La force des méta-analyses réside dans leur capacité à combiner et à résumer des quantités importantes d’information ; mais cela pourrait être leur faiblesse si cela implique la perte d’éléments significatifs de spécificités spatiales ou temporelles dans le processus d’agrégation. Pour le transfert de valeurs liées aux services écosystémiques, Hoehn (2006) souligne l’importance des effets de sélection et suggère une procédure en deux étapes, adaptable aux données de panel incomplètes, pour repérer et tester l’importance des biais d’échantillonnage qui leur a permis de diviser par quatre les résultats d’une régression en évitant ce biais dans le choix des sites étudiés.154

En 2006, l’EnvironmentalProtection Agency (USEPA) a réuni un groupe de travail qui a

évalué et résumé 140 méta-analyses issues de 125 études, publiées ou non, dans 17 champs de l’économie de l’environnement et des ressources. Une synthèse critique des travaux de ce groupe a récemment été publiée (Nelson et Kennedy, 2009) qui présente plusieurs modèles génériques de méta-analyses et identifie cinq points sur lesquels l’économétrie doit particulièrement veiller à respecter de bonnes pratiques : la sélection des échantillons ; les données de base ; l’hétérogénéité des

données primaires ; les problèmes d’hétéroscédasticité ; l’indépendance des

observations des études primaires. L’article se conclut par un guide de « bonnes pratiques » et une discussion des principales méthodes utilisées pour transférer des valeurs environnementales issues de méta-analyses.

La littérature économique offre aujourd’hui un grand nombre de méta-analyses pour une pluralité de biens et services liés à la biodiversité et aux écosystèmes :

– valeur de protection des mangroves : Barbier (2000) ;

154

Dans ce même numéro et dans une perspective critique, Spash et Vatn (2006) soulignent l’existence de difficultés qui doivent s’interpréter dans le cadre plus général des questions informationnelles face aux problèmes d’environnement et suggèrent des approches alternatives, plus à même de traiter les multiples valeurs environnementales mettant l’accent sur les approches multicritères et l’importance d’institutions participatives et délibératives.

– forêts : Bateman et Jones (2003), Willis et al. (2006), Brahic et Terreaux (2009), Zandersen et Tol (2009) ;

– zones humides : Brouwer et al. (1999), Woodward et Wui (2001), Brander et al.

(2006), Enjolras et Boisson (2007) ; – paysages : Rambonilaza (2004) ;

– espèces menacées : Loomis et White (1996), Richardson et Loomis (2009) ; – conservation de la nature : Tuan et Lindhjem (2008) ;

– valeur de la biodiversité : Nijkamp, Vindigni et Nunes (2008).

La multiplication de ces travaux a été grandement facilitée par le développement de bases de données internationales qui compilent les travaux publiés, mais aussi les évaluations qui ne le sont pas et restaient autrement difficiles à identifier et à se procurer.

b. Le développement de bases de données

Après au moins quatre décennies de recherches et d’études sur l’évaluation des actifs naturels, l’intérêt de leur compilation est devenu de plus en plus évident et a suscité la création de bases de données dont la plus connue est sans doute l’Environmental ValuationReference Inventory (EVRI). L’EVRI se définit comme « un entrepôt d’études empiriques portant sur la valeur économique des avantages environnementaux et des effets sur la santé. Il a été conçu comme un instrument visant à aider les personnes qui souhaitent évaluer des politiques en utilisant la méthode de transfert d’avantages. Effectuer un transfert d’avantages en utilisant l’EVRI permet d’éviter la mise en place d’une étude complète de valorisation ».

Les résumés des études de valorisation de l’EVRI fournissent les grandes lignes des questions pertinentes sur les évaluations et des résultats qu’un chercheur doit obtenir pour pouvoir identifier les meilleures études applicables à un transfert d’avantages éventuel. Il y a six principales catégories d’information comprises dans plus de 30 domaines.

1. Sujets d’étude - l’information bibliographique de base ;

2. Région de l’étude et caractéristiques de la population - l’information sur le lieu de l’étude et les données relatives à l’endroit et à population ;

3. Points clés environnementaux de l’étude - les secteurs où sont décrits les atouts environnementaux qui sont évalués, les facteurs de stress sur l’environnement et l’objectif spécifique de l’étude ;

4. Méthodes de l’étude - l’information technique sur l’étude en cause, les techniques spécifiques utilisées pour les résultats obtenus ;

5. Valeurs estimées - les valeurs monétaires représentées dans l’étude et l’unité de mesure spécifique ;

6. Résumé en d’autres langues - un résumé de l’étude est disponible en anglais et en français.

Actuellement, l’EVRI recense plus de 2000 études, classées suivant plusieurs systèmes de catégories. La biodiversité n’apparaît pas en tant que telle, mais on

utilisée pour préparer des méta-analyses et certaines analyses y font explicitement référence (Rambonilaza, 2004 ; Zandersen et Tol, 2009). Développée par Environment Canada, l’EVRI fait l’objet d’un accord avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la France. Des négociations sont en cours avec la Nouvelle-Zélande et la Suisse.

L’EVRI (www.evri.ca) est accessible gratuitement pour les citoyens des pays membres du « Club EVRI ». Il existe d’autres bases, accessibles plus ou moins librement : la base australienne Envalue (www.epa.nsw.gov.au/envalue), l’Ecosystem Services Database (www.esd.uvm.edu) développée par le Gund Institute for Ecological Economics de l’université du Vermont ou la Review of Externality Data de la Commission européenne (www.red-externalities.net). Il existe plusieurs autres initiatives (McComb et al., 2006) parmi lesquelles la base Biodiversity Economics de l’UICN – The World Conservation Union – WWF (www.biodiversityeconomics.org) et

Ecosystem Valuation (www.ecosystemvaluation.org) développée par D. King (U. Maryland) et M. Mazzotta (U. Rhode Island) avec le soutien de l’USDA et de la NOAA. Citons également deux bases développées en France, l’une sur l’eau (www.economie.eaufrance.fr/), l’autre sur la forêt (http://lef.nancy-engref.inra.fr/).

V.3.5. Pour conclure

La biodiversité et les services écosystémiques constituent un « bien complexe » (les agents en retirent de l’utilité par plusieurs voies) avec lequel les agents n’ont pas nécessairement de familiarité. D’où une réticence à fonder la mesure de la valeur sociale de ces actifs sur les seules préférences des agents. L’idée est donc d’associer des informations provenant des agents-citoyens et d’autres issues des compétences des « experts ». Le problème étant qu’il n’existe pas a priori de méthode générale pour agréger ces informations dans un cadre cohérent ayant une signification non ambiguë. Cette articulation peut cependant être réalisée par une démarche associant une phase d’élaboration, dans laquelle une information détaillée est fournie à un groupe d’agents en présence d’experts ; ce qui permet de définir conjointement les enjeux ; puis de mettre en œuvre une enquête par questionnaire, a priori dichoto- mique, qui conduit les agents à déclarer des préférences dans un cadre devenu plus familier.

Il faut souligner ici le fait qu’évaluer la biodiversité (ou les services écosystémiques globaux ou à l’échelle d’un continent ou d’un pays) est une question très différente de celle qui consiste à chercher des valeurs de référence pour évaluer l’impact d’un projet localisé. La première question soulève des problèmes fondamentaux, notamment liés à la trajectoire des sociétés humaines et au caractère imprévisible des changements à long terme provoqués par des transformations à grande échelle de la biosphère (voir par exemple Vitouzek et al., 1997 ou Diamond, 2000 ; 2006). Les exercices dans lesquels se sont lancés plusieurs groupes de scientifiques (Costanza

et al., 1997 ; Pimentel et al., 1997) reposaient sur des hypothèses très simplifi- catrices155 et ne prétendaient qu’à des valeurs conservatrices156. Plus récemment, des

155

La notoriété de l’étude de Costanza et al. (1997) chez les non-économistes ne l’a évidemment pas protégée des critiques virulentes de multiples économistes (Toman, 1998 ; Boskstael et al., 2000, etc.). En montrant qu’une estimation conservatrice des services apportés par les écosystèmes représentait une valeur d’un ordre de grandeur de 1 à 3 fois le produit brut mondial, elle a cependant constitué un moment important dans la mise en évidence des enjeux.

initiatives plus institutionnelles (Braat et ten Brink, 2008 ; Sukhdev, 2008) s’efforcent de définir des approches plus compréhensives, mais n’obtiennent des résultats numériques qu’au prix de simplifications drastiques.

Notre propos est plus limité, il s’agit de définir des indicateurs ayant la dimension de prix, reflétant les pertes de services subies par la société du fait de la destruction, de la dégradation ou de la perturbation d’écosystèmes par des projets définis. Pour plus limitée qu’elle soit, cette question n’en soulève pas moins des difficultés redoutables : – comment identifier les impacts d’un projet sur des écosystèmes en évolution,

y compris sous l’influence d’autres actions humaines ? – quelles valeurs prendre en compte ?

– comment identifier la population concernée (et question de l’agrégation) ? – à quelles unités de surface les appliquer ?

– comment partager la responsabilité de coûts provoqués conjointement par plusieurs actions humaines… ?

Renforcer la familiarité des sujets, tant avec les actifs à évaluer que dans les modalités de détermination des CAP, est une nécessité argumentée par de nombreux auteurs. Schläpfer (2008) suggère trois voies de solution :

– aider les agents à formuler des préférences cohérentes en faisant apparaître des coûts hypothétiques de scénarios politiques réalistes dans un ordre de grandeur crédible pour les sujets (par exemple, en rapportant les prix affichés dans les choix dichotomiques à des montants déjà acquittés, comme un pourcentage d’accroissement des taxes) ;

– offrir aux sujets la possibilité de communiquer avec des pairs et des experts ; – donner accès à une aide crédible générée par une concurrence politique par

rapport à laquelle les sujets ont une certaine familiarité et présenter les options en les situant relativement aux positions adoptées par certains groupes d’intérêt bien identifiés.

La question de l’hétérogénéité des préférences des agents, en fonction notamment de leur revenu (Jacobsen et Hanley, 2009) et de leurs usages, doit parfois faire l’objet de traitements spécifiques. Cette hétérogénéité peut concerner des préférences contradictoires pour des éléments auxquels certains agents attribuent des valeurs positives, alors que d’autres les perçoivent principalement comme la cause de problèmes. Chacun peut penser sur ce sujet aux situations conflictuelles liées au

156

Le caractère a priori illégitime d’une extension à grande échelle de résultats locaux est la première critique qui peut être adressée aux études qui ont calculé des valeurs pour l’ensemble des services rendus. Mais ces deux études (Costanza et al., 1997 ; Pimentel et al., 1997) reposent principalement sur des approches simples en termes de coût (coût de remplacement, impact sur les fonctions de production) et obtiennent donc une valeur de contribution à la richesse produite et pas une évaluation de ce que représenteraient les pertes de ces services. Une approche totalement différente de l’évaluation des services écosystémiques à l’échelle globale a été proposée par Alexander et al. (1998) qui considèrent que cette valeur est majorée par le produit brut mondial dont on retire les dépenses d’entretien de la population mondiale. Cette démarche met peut-être en évidence que face à des enjeux aussi importants, les analystes ne savent plus à quelle situation se

retour ou à la réintroduction de certains grands prédateurs (loup, lynx, ours). Mais les zones humides sont aussi associées à des nuisances, comme la présence de moustiques157

(Westerberg et Lifran, 2008), et une plus grande biodiversité peut aussi signifier la multiplication des adventices et autres ravageurs des cultures (Zhang et al., 2007). Pour des agents dont les intérêts sont particulièrement affectés (agriculteurs, économie du tourisme…), un accroissement de la biodiversité peut donc se traduire, au moins à court terme, par une augmentation des coûts ou des pertes.

On doit par ailleurs souligner que le changement d’affectation d’une unité de surface peut avoir des effets directs et indirects sur la biodiversité avec des mécanismes d’effets en cascade (voir par exemple Kinzig et al., 2005) ou de « non-convexités » (Dasguptha et Mäler, 2003) difficiles à résumer dans une évaluation sur un site, sauf en apportant aux sujets une information appropriée sur l’ensemble des conséquences prévisibles.

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