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concepts et indicateurs biologiques

IV.1. Les concepts de la biodiversité

IV.1.4. Les apports de l’écologie fonctionnelle

De manière assez indépendante de l’émergence de la pensée évolutive, le développement de l’écologie, et en particulier de l’écologie fonctionnelle57

, a permis de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et le rôle qu’y jouaient les différents organismes vivants, le plus souvent considérés en termes d’espèces homogènes58. Comme précédemment, le groupe de travail s’est borné à identifier les nouveaux concepts issus de ces travaux qui sont désormais à prendre en compte dans la notion de biodiversité.

Le premier concept, qui semble aujourd’hui évident, est de considérer la diversité des écosystèmes et la répartition des êtres vivants sur la planète comme une dimension clé de la biodiversité. Alors que Linné voyait dans cette répartition le résultat immuable de la providence divine, l’écologie se propose d’en comprendre les déterminants, en particulier environnementaux. La fameuse carte de l’étagement de la végétation sur les flancs du volcan Chimborazo (figure IV-1), issue de l’ascension par Von Humbolt et Bonpland en 1802 de ce qui était considéré à l’époque comme la plus haute montagne du monde, est souvent tenue comme l’acte fondateur de cette vision déterministe de la répartition de la biodiversité. Plus récemment, la prise en compte de la dimension historique et contingente des peuplements des écosystèmes est venue moduler ces approches strictement déterministes (voir par exemple Hubbel, 2001) : pour paraphraser Jacques Monod, les écosystèmes apparaissent désormais comme les produits du hasard et de la nécessité.

Le second concept est celui de l’importance des interactions fonctionnelles de tous ordres entre les espèces, liées à de multiples échanges : échanges alimentaires, qui assurent la circulation de l’énergie au sein de l’écosystème, mais aussi échanges de signaux physiques ou chimiques qui vont conférer à un écosystème des propriétés spécifiques et émergentes. Cette notion d’émergence signifie que ces propriétés ne peuvent être prédites à partir de la connaissance, même fine, de la biologie de chaque espèce et ne résultent pas de la simple addition des activités propres à chacune de ces espèces. Sans utiliser le terme de « super organisme »59

, il est clair que l’ensemble du peuplement biologique d’un écosystème

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Branche de l’écologie qui étudie les écosystèmes sous l’angle des grands échanges de matière et d’énergie entre les êtres vivants qui les peuplent.

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L’examen de la diversité génétique entre les individus de la même espèce et du rôle éventuel de cette diversité a peu motivé, jusqu’à une époque récente, l’écologie fonctionnelle, même si Haeckel, inventeur du mot « écologie » était proche de Darwin.

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Même si la définition de Rio laisse à penser que les écosystèmes sont des organismes (« variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes… »), le terme nous semble à réserver à des associations extrêmement étroites et quasi indispensables entre des espèces, comme les symbioses (comme les lichens, qui sont des associations d’algues et de champignons).

(sa « biocénose ») constitue un système biologique intégré et original60. Outre la nécessité de décrire ce nouveau niveau d’organisation du vivant (la « diversité écologique »), ce constat amène à la nécessité de préserver globalement ces ensembles co-adaptés que sont les biocénoses au sein de leurs écosystèmes et non pas seulement de conserver leurs composantes indépendamment et en dehors de ces écosystèmes. Pour prendre une analogie, il faut décrire non seulement les instruments de l’orchestre mais la musique qu’il joue, et l’idée de détruire toutes les partitions musicales du monde au prétexte que l’on connaît les notes relèverait du cauchemar de « Fahrenheit 451 ».

Figure IV-1 : Répartition de la végétation sur les flancs du volcan Chimborazo (carte publiée en 1805 par A. Von Humboldt et A. G. Bonpland)

Enfin, le troisième concept amène à revenir sur les limites de l’utilisation des espèces comme métrique de la biodiversité. En effet, l’écologie fonctionnelle, en se proposant d’identifier le rôle que joue chaque espèce au sein d’un écosystème, est amenée à regrouper des espèces jouant un rôle similaire, par exemple, si l’on étudie le cycle de la matière organique, des producteurs primaires, secondaires, des prédateurs, des décomposeurs, etc. Ces « groupes fonctionnels » peuvent rassembler des espèces très proches sur un plan évolutif (par exemple les différentes espèces de pics dans une forêt) ou au contraire appartenant à des lignées évolutives très différentes (par exemple les sauterelles et les moutons, deux espèces mangeuses d’herbe dans une prairie)61

. Autre proposition de l’écologie fonctionnelle, l’idée qu’au sein d’un groupe fonctionnel donné, il existe souvent une certaine redondance entre les espèces, autrement dit que, au sein d’un groupe relativement riche en espèces,

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En particulier parce que, du fait de ces co-adaptations, la même espèce dans deux écosystèmes différents pourra avoir des caractéristiques biologiques sensiblement différentes, par exemple en termes de résistance aux maladies.

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Inversement, des espèces évolutivement proches peuvent avoir des rôles fonctionnels très différents : parmi des espèces de poissons de la même famille, on trouvera des filtreurs de plancton, des mangeurs d’herbes, des consommateurs d’invertébrés, voire des prédateurs d’autres

l’augmentation du nombre d’espèces ou la disparition de l’une d’entre elles n’auront pas d’influence notable sur le fonctionnement de l’écosystème et sur les services écosystémiques qui en découlent ; en revanche, si une fonction clé n’est assurée que par une seule espèce, la disparition de celle-ci devra au contraire être considérée comme une perte majeure de biodiversité. On voit donc que cette approche fonctionnelle prendra en compte de manière très différenciée les diverses espèces d’un écosystème et proposera une mesure de la biodiversité qui pourra être très différente de celle fondée sur les divergences évolutives.

IV.1.5. De la description des entités à la mesure de la diversité :

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