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Connaissances lacunaires et réponses incertaines face aux risques et menaces

X X X Non-usage Valeurs d’existence, d’héritage et valeurs

II. 2.3 sous l’effet de pressions croissantes

II.2.4. Connaissances lacunaires et réponses incertaines face aux risques et menaces

Notre connaissance de la biodiversité, de sa relation avec les fonctions et services que les sociétés humaines s’y procurent, de sa magnitude et des processus qui régissent son évolution reste cependant largement lacunaire, ce qui rend complexe les évaluations en support à la prise de décision.

Si l’on considère la seule dimension « espèces » de la biodiversité, sur les 10 à 15 millions d’espèces estimées, seules 1,8 million d’espèces (soit de 12 % à 18 %) ont été décrites et nommées, et environ 16 000 espèces nouvelles sont décrites chaque année. La connaissance est très hétérogène selon les groupes taxonomiques : pour les vertébrés (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères), qui représentent – avec environ 50 000 espèces – une infime partie de la biodiversité, on estime que 95 % des espèces existantes ont déjà été décrites, alors que seuls 10 % des insectes seraient actuellement connus, essentiellement parmi les espèces de

milieux tempérés. C’est parmi les invertébrés des forêts tropicales, les organismes marins des grandes profondeurs et les micro-organismes que les lacunes de connaissances sont les plus importantes. Or la partie « inconnue » de la biodiversité est sans doute la plus importante, non seulement en termes de nombre d’espèces mais de biomasse et de divergences évolutives et donc de fonctions (par exemple, en savane africaine, la biomasse totale des discrets termites est supérieure à celle des grands herbivores). C’est pour beaucoup cette « partie invisible de l’iceberg » qui fait tourner la biosphère par son rôle dans les cycles des matières organiques et des minéraux, la régulation des populations et même comme support à la vie des « grandes espèces » animales et végétales via les symbioses microbiennes.

Les décisions politiques en matière de protection de la biodiversité se réfèrent très largement à des notions patrimoniales, qu’elles concernent les espèces protégées au niveau national ou les espèces et les habitats d’intérêt communautaire ; et ce du fait de leur statut juridique. Or, même pour ce nombre limité d’espèces et d’habitats patrimoniaux, on s’aperçoit que les données disponibles en France en termes de répartition sur le territoire national, abondance et dynamique des populations, état de conservation, sont lacunaires. Ce constat est particulièrement frappant à la lecture du rapport de synthèse de la Commission européenne (en cours de finalisation) relatif à l’état de conservation des quelque 1 800 espèces d’habitats et d’espèces d’intérêt communautaire, tel que rapporté par les 25 pays membres de l’Union européenne au titre de l’article 17 de la directive Habitats.

Au-delà de la connaissance des espèces et de leur évolution, de nombreuses questions scientifiques demeurent quant à la place et au rôle d’espèces individuelles et d’assemblages d’espèces dans le fonctionnement, la performance et la capacité de résilience des écosystèmes. Dans quelle mesure les espèces sont-elles complémentaires entre elles pour la fonctionnalité de l’écosystème ? Certaines d’entre elles sont-elles redondantes pour assurer les services écologiques utiles à la société? Si elles sont redondantes, ne représentent-elles pas par ailleurs une « assurance-vie » en cas de disparition ou de déclin d’autres espèces dont elles assurent des fonctions similaires ? Plus généralement, notre compréhension de la dynamique des écosystèmes et des seuils de résilience des écosystèmes à des stress répétés reste limitée. Le devenir de la biodiversité par rapport aux perturbations peut ainsi faire l’objet de scénarios extrêmes, des plus optimistes tablant sur la résilience des écosystèmes et la redondance fonctionnelle entre espèces, aux plus pessimistes s’appuyant sur la théorie des dominos.

Ces questionnements prennent une acuité particulière dans la perspective de profonds bouleversements liés aux changements climatiques, posant ainsi un enjeu socioéconomique majeur. Se pose notamment la question de la capacité des écosystèmes à s’adapter à des changements environnementaux rapides et à en atténuer les effets.

À titre d’exemples :

– les récoltes tendent à être plus précoces : les vendanges sont d’un mois plus précoces qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (García de Cortázar Atauri et al., 2007) ;

n’ont pas encore formé suffisamment de feuilles, elles sont décimées, ce qui nuit aux populations de mésanges, qui à leur tour déclinent (Blondel, 2004). Il arrive toutefois que des espèces se resynchronisent. Ainsi des orchidées de Méditerranée qui ont éclos un mois plus tôt que d’habitude en 2007, mais ont également fleuri un mois de plus, attendant l’arrivée des pollinisateurs pour faner (Feldmann, 2007) ;

– dans les écosystèmes forestiers, l’équipe de Christian Körner (Körner, 2005) a mis en évidence que l’accroissement du CO2 dans l’atmosphère engendrait des effets de seuils au-delà desquels les arbres voyaient leur durée de vie raccourcir ;

– des hivers plus chauds et des saisons de végétation plus étendues peuvent favoriser l’explosion de certaines « pestes », rendues plus vulnérantes sur des arbres déjà fragilisés par la sécheresse (Rouault et al., 2006) ;

– dans les océans, la pêche s’exerçant surtout sur des espèces carnivores, espèces de fin de chaîne trophique, les écosystèmes en sont fortement perturbés et on observe de plus en plus des espèces à vie de plus en plus courte, telles que poulpes ou méduses (Cury et Miserey, 2008). En mer du Nord, on observe déjà l’implantation d’espèces d’eaux chaudes, dont certaines entrent en compétition avec les espèces locales, telles que les moules (Marbaix et van Ypersele, 2005).

Ces évolutions des écosystèmes exploités pèsent lourdement sur l’évolution socioéconomique. En outre, certaines activités humaines qui dégradent les écosystèmes contribuent à aggraver les émissions de CO2, notamment en limitant leur capacité d’agir comme puits de carbone. Ainsi le rapport du GIEC 2007 évalue à 20 % des émissions globales de CO2 le résultat de la déforestation. Des travaux récents menés sur des prairies permanentes dans le cadre des programmes européens « GreenGrass » et « Carbo-Europe » montrent que ces prairies sont d’autant plus aptes à stocker le CO2 qu’elles ont une diversité floristique, favorisée par une gestion plus extensive. À l’inverse, une gestion intensive de ces prairies en réduit le rôle de puits de carbone (Soussana et al., 2007).

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