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1-1- Le nous exclusif

6- La question rhétorique

Elle joue un rôle primordial dans le processus de persuasion et contribue à rendre les énoncés argumentatifs plus pertinents en matière d‟efficacité, elle constitue un élément clé de l‟argumentation dans le discours politique.

Désignée aussi par l‟interrogation oratoire, elle prend une apparence d‟interrogation, mais en réalité suppose une affirmation. Son originalité demeure dans le fait qu‟elle n‟attend pas forcément une réponse de l'auditoire ou de l‟interlocuteur, car celle-ci est déjà présente dans l‟épisode interrogatoire mais avec un caractère implicite, puisque la manière par laquelle elle est posée ordonne généralement sa réponse.

Son sujet indique généralement des savoirs partagés par l‟ensemble des acteurs présents dans la scène énonciative, mais dans un souci de réfutation inattendue, elle est présente pour éviter toutes sortes d‟objection, ce qui permettra d‟accélérer sa force persuasive, de cette manière le locuteur affirme quelque chose en dissimulant cette affirmation en interrogation.

Ch. Plantin souligne à ce sujet que la question interrogatoire a pour objectif l‟expulsion de l‟interlocuteur, en neutralisant sa pensée et en le poussant à endosser le discours de la question, de la réponse ou bien les deux en même temps. La stratégie est donc de faire du

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récepteur l‟énonciateur d‟un discours alors qu‟il n‟est pas l‟émetteur, une sorte de dépossession de voix et une tactique de déguisement et d‟assertion sous un ton interrogatif218

L‟importance de l‟interrogation rhétorique repose sur le fait d‟adoucir et d‟atténuer un constat, un point de vue ou encore une affirmation susceptible d‟être contestée ou critiquée, en la projetant avec finesse et diplomatie. Chose qui facilitera le passage de son argument et par conséquent, une adhésion inconsciente de l‟auditoire. Cette stratégie discursive renforce le lien avec l‟auditoire, dessinant ainsi une situation interactionnelle forte, en l‟impliquant et en la mettant comme faisant partie intégrante de la scène énonciative

Pour K. Orecchioni « (…) toute question est un appel à l'autre, convié à compléter

sur-le-champ le vide que comporte l'énoncé qui lui est soumis »219

Autre caractéristique de la question rhétorique, c‟est qu‟elle rend le discours plus fascinant à entendre et plus attrayant, procurant chez l‟auditoire une plus grande concentration vis-à-vis du discours, il s‟agit d‟une tactique de captation, car le discours interrogatoire induit un constant changement dans l‟intonation discursive et une vivacité interactionnelle.

Notre locuteur a eu souvent recours aux questions rhétoriques dans son discours comme nous allons le découvrir dans ces extraits :

Ex 01 : « Supposons, un instant, un Maghreb qui aurait basculé dans les fondrières d‟un nouveau Moyen Age. Qu‟adviendrait-il alors de la coopération avec l‟Europe ? Ou qu‟en subsisterait-il ? »

Dans ce premier extrait, nous constatons clairement qu‟A. B a voulu conscientiser l‟auditoire sur l‟impact qui se répercuterait sur la coopération euro-maghrébine si les pays du Maghreb chavireraient vers un climat d‟insécurité totale. Il a utilisé le terme « Moyen-Age » pour dramatiser son discours, vu le caractère obscurantiste que revêt le mot « médiéval » si l‟on se réfère au savoir encyclopédique. Son recours à l‟interrogation avait pour but de ne pas laisser à l‟auditoire le temps de réfléchir à une réponse, et par conséquent l‟endosser dans son discours de manière tacite.

Autre intention imputée au locuteur était de faire passer un message aux Français : l‟Europe en général et la France en particulier n‟auront aucun intérêt à s‟insurger dans les

218

PLANTIN Christian, « Question→ Argumentation→ Réponses », la question, C. KERBRAT-ORECCHIONI éd., Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 75

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affaires intérieures maghrébines et principalement algériennes, faisant une autre fois allusion à la position ambigüe de la France envers la crise algérienne.

Ex 02 : « (…) Or, qu‟avions-nous constaté ? Une attitude d‟indifférence, sinon de complaisance, et parfois de connivence, devant le déferlement d‟un terrorisme s‟en prenant indistinctement aux cadres et aux intellectuels, aux villageois innocents, aux ressortissants étrangers et aux hommes de religion, qu‟ils soient musulmans ou chrétiens, comme en témoignent les meurtres de nombreux imams, l‟assassinat de Monseigneur Claverie, évêque d‟Oran, ou l‟inqualifiable massacre de Tibhirine, véritable affront à l‟Algérie, terre d‟hospitalité, et à l‟Islam, religion de tolérance. Permettez-moi, ici, de rendre un hommage particulier à la rare abnégation dont l‟Eglise d‟Algérie a fait preuve, aux pires moments de la tourmente, en poursuivant, sans sourciller, sa mission de témoignage et de solidarité humaine dans mon pays. »

Dans ce deuxième extrait, le locuteur pose une question pour ensuite décréter une réponse pour actionner chez l‟auditoire une imagination lui permettant de la deviner avant même que le locuteur la donne explicitement, un objectif qui vise à appuyer et à renforcer le lien avec l‟auditoire de façon à ce que le message passe dans une bonne fluidité.

Il est à signaler que le contenu de cet extrait déclenche lui aussi une image préalable qui a suscitée beaucoup de problèmes dans les relations bilatérales entre les deux pays, comme l‟affaire de l‟assassinat des moines de Tibhirine qui étaient supposés être sous la protection de l‟État algérien. Par l‟évocation de ce sujet, le locuteur a tenté classer les moines au rang des imams et martyrs tombés en terre algérienne et a insisté par la même occasion sur le fait que l‟Islam et le terrorisme sont deux pôles extrêmement différents, car dans l‟imaginaire et l‟inconscient collectif algérien, l‟Islam est vu, à l‟instar du Christianisme, comme religion de tolérance, laissant entendre que l‟idéologie du terrorisme est contraire aux valeurs portées par l‟Islam

Ex 3 « (…) L‟avenir est aux grands ensembles. La mondialisation nous y contraint. Mais les larges perspectives qui s‟ouvrent à nous ne doivent pas nous faire oublier le concret qui est à nos pieds, un concret vécu et qui réclame son dû : je veux dire ces alluvions d‟une histoire commune sans lesquelles les plus belles constructions se réduiraient à autant de fuites en avant. Faut-il donc se résigner à une relation médiocre ? Parce que sans âme, entre nos deux pays D‟aucuns en seraient déçus. Je

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pense notamment à vos jeunes concitoyens d‟origine algérienne qui conservent l‟espoir d‟une conjonction féconde et non contradictoire entre leur statut de Français et leur attachement à leur patrie d‟origine… »

Dans ce troisième extrait, le locuteur s‟interroge sur la nature des relations entre les deux pays, en posant une problématique et promulguant après une réponse qui fait part de son point de vue envers cette question, il a insisté sur l‟une des principales images préalables des relations algéro-françaises, qui n‟est autre que le passé coloniale, en induisant d‟une manière atténuée et grâce à la question rhétorique, l‟idée de la reconnaissance des torts infligés autrefois au peuple algérien, comme condition préalable pour un avenir meilleur dans les relations bilatérales.

Un autre extrait nous a interpellés dans ce discours et qui traite toujours de l‟interrogation rhétorique comme stratégie discursive capable de faire passer un point de vue d‟une manière atténuée

Ex 4 « (…) Qui dit coopération dit aide réciproque et, pour donner à cette

équation son véritable sens aujourd‟hui, il serait hautement gratifiant de sortir des sentiers battus, d‟imaginer des formules neuves en rapport avec notre commune ambition de faire de la Méditerranée non seulement un lac de paix mais un pôle de développement et une zone de prospérité. L‟une de ces formules est, peut-être, de repenser la question de la dette. Le service de celle-ci constitue, pour mon pays, plus qu‟une contrainte, un élément de blocage. Le moment n‟est-il pas venu d‟atténuer cette pression, à la longue intenable et finalement contre-productive ? »

Le locuteur recourt à l‟interrogation rhétorique négative pour protester contre la pression subie par l‟Algérie au sujet de sa dette extérieure qui constitue l‟un des obstacles freinant son évolution. Il a commencé son extrait par une définition du substantif « coopération » et a vanté, par la suite, les atouts de la Méditerranée et les avantages qu‟elle constitue si toutes les forces s‟organisent ce qui lui a permis d‟aborder le problème de la dette. S‟il nous vient à expliciter cette insinuation, nous la traduirons en ces termes très simples « Si vous voulez une

grande avancée en matière de coopération économique avec nous, relâchez cette pression »

Nous avons vu comment le locuteur arrive à faire passer des messages et des propositions à l‟auditoire dans les meilleures conditions possibles tout en se focalisant sur l‟un des objectifs clé de sa visite : la réhabilitation de l‟image de l‟Algérie sur la scène internationale

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d‟autant plus que la France, de par son poids dans les rapports de force internationaux, constitue un allié clé face aux ambitions du président qui veut redonner à l‟Algérie son image d‟autrefois, c‟est-à-dire, celle qui précédait sa crise.

Par la voie de cette stratégie discursive, notre locuteur renforce sa construction de l‟ethos, affirme ses points de vue et ses positions tacitement, ce qui n‟a pas manqué de favoriser les insinuations, le but étant de ne pas brouiller l‟intérêt de son discours qui vise à la fois à mettre l‟accent sur des questions délicates, d‟ordre commun avec la France, et pour rétablir les relations bilatérales avec elle.

7- Synthèse

En redoutable tribun, le locuteur Abdelaziz Bouteflika, dans un discours mémorable, a fait étalage d‟un savoir dire cousu de soie et servi dans un emballage doré. Tel un virtuose, il a joué une partition qui le place au firmament de son talent de narrateur et d‟orateur. Choisissant avec habilité ses mots, il a cherché, en chacun d‟eux, la force nécessaire pour transmettre son message, aidé en cela, par sa maîtrise des subtilités offertes par la langue française.

L‟occasion pour lui de rappeler que le devoir d‟assistance envers tout pays décolonisé ne se suffit point d‟un simple « signe de bénédiction », mais par son accomplissement à travers des mesures dont le processus irréversible doit aboutir à mettre en place les instruments de son développement. Insistant sur son rôle prépondérant, le locuteur A. B fait savoir que la France a une responsabilité entière, après la longue nuit coloniale, vécue et marquée par des relations étroites entre les deux peuples algérien et français.

Évoquant la traversée du désert qu‟a connue l‟Algérie durant sa décennie noire et dénonçant la non-assistance de la communauté internationale face à cette crise, le locuteur associe l‟impact de cette crise sur le comportement des individus, freinant ainsi leur élan dans la voie du développement.

Pour toutes ces raisons, le Président algérien a fait miroiter un partenariat débarrassé de toute intention de subordination ou d‟aliénation dont les relents ont fait réagir le génie de ceux qui mettent en garde contre toute forme de néo-colonialisme.

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Le colonialisme n‟a jamais été ni invité, ni toléré, pour finalement être combattu. La question qui reste posée est que seraient devenus, sans lui, les pays colonisés ? N‟a-t-il pas freiné leur cadre d‟évolution ?

Au-delà des réponses à ces questions et face aux défis réels auxquels fait face le monde, le locuteur A. Bouteflika a estimé que tous les indicatifs favorables au rapprochement sont réunis, qu‟ils soient de nature économique ou culturelle.

De manière général, nous avons constaté, à travers ce discours, que dans sa profession de foi, le locuteur a su confirmé son éthos préalable, à savoir son art d‟orateur, en critiquant la France mais d‟un ton moralisant, jouant sur les émotions mais aussi sur les implicites langagiers et cela dans l‟intention de ne pas perdre le principe de cette visite qui s‟inscrit dans le processus de rétablissement des relations algéro-françaises.

En somme, le locuteur A. B a tenu aussi à mettre en avance un éthos collectif qui incarne l‟Algérie et un éthos individuel qui symbolise un chef d‟état légitime et crédible. Nous déduisons aussi que le discours politique développe bien des stratégies qui œuvrent pour la garantie de sa réussite illocutoire, l‟enjeu est en effet de taille : convaincre avec des arguments et persuader en procurant des émotions qui dessinent de manière claire une image, un ethos signifiant et agissant sur l‟auditoire.

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Le discours du Président français Jacques Chirac lors du diner offert au