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CHAPITRE III. L’ethos histoire et caractérisation d’une notion

3- L’éthos Goffmanien

Le sociologue américain Erving Goffman a proposé une autre réflexion de l‟ethos, écartant celle de la tradition rhétorique. Selon Amossy109, les travaux de celui-ci consistaient à définir l‟ethos comme étant une présentation de soi que chacun d‟entre nous pratique quotidiennement par le biais d‟interaction sociales, elle n‟a nullement besoin d‟art de persuasion ou d‟une habilité dictée, elle se construit principalement en prenant en considération le contexte, elle peut être volontaire comme elle peut ne pas l‟être, étant donné que les interactions sociales sont parfois incontrôlables.

En effet, que nous soyons médecin, avocat ou jardinier, nous avons tous une tâche à faire et nous essayons de la réaliser dans les meilleures conditions possibles. En ce sens, nous devons effectuer une démonstration de notre propre personne afin de consacrer la meilleure communication possible pour garantir une élaboration de notre performance.

Ce concept de présentation de soi est approximativement similaire aux principes de l‟éthos aristolien car il repose sur une interaction, sauf que la notion proposée par Goffman

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R. Amossy, La présentation de soi. Ethos et identité verbale. Paris : Presses Universitaires de France. 2010, p.p. 25-33

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s‟intéresse à l‟ensemble des actes sociaux qui se réalisent dans différents contextes de la vie en société, alors que l‟éthos aristolien s‟attache uniquement à l‟action orale.

Goffman prend en compte tous les facteurs qui régissent la société, tels que les gestes, la façon de marcher, les mimiques, etc. C‟est tout ce que l‟homme présente en dehors de la langue et qui constitue pour lui une présentation de soi.

Les principes élaborés par Goffman font que l‟homme est en perpétuelle présentation de soi, il construit sans cesse son ethos afin de crédibiliser ses faits et gestes. Goffman souligne en ce sens que « l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions

respectives lorsqu’ils sont en présence physique les uns des autres »110

Selon lui, cette analyse ne réside pas dans l‟activité qu‟exerce l‟orateur sur son destinataire mais se soumet à un face à face, car le centre d‟intérêt de cette analyse demeure essentiellement dans la manière dont se déploie l‟acte réciproque des intéressés dans un contexte donné. L‟identité s‟édifie dans les interférences et non pas à partir d‟éléments préexistants qui se cachent dans l‟efficacité du face à face. Prévost précise dans ce cadre que

« l’identité apparait dès lors comme un processus dynamique qui se réside en situation, plutôt qu’un ensemble fixe d’attributs caractérisant une personne en soi »111

L‟importance de la présentation de soi ne se situe pas à la croisée de ce que sait l‟individu de lui ou de sa catégorisation sociale, mais sur l‟image qu‟il propulse en situation, qu‟elle soit étudié ou involontaire. Il est clair que chaque individu fera appel à son statut individuel ou social pour construire une image de soi, sauf que d‟autres facteurs extérieurs pourraient perturber ou influencer ses données préexistantes, en multipliant les identités, laissant l‟individu se présenter en permanence.

La théorie de Goffman consiste à placer l‟individu au rang d‟acteur théâtral qui doit s‟affirmer en jouant un rôle donné, il doit se manifester constamment pour ne pas être exclu du groupe. Goffman parle de représentation et la définie comme étant « la totalité de

l’activité d’une personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer d’une certaine façon des participants »112

110 R. Amossy, La présentation de soi. Ethos et identité verbale. Paris : Presses Universitaires de France. 2010, p.p. 25-33

111 Ibid.

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Il affirme que chaque personne a une mission à remplir dans le but d‟impressionner les autres et les satisfaire en même temps. Il repose essentiellement sur les aspects non verbaux de la personne, par exemple : la tenue vestimentaire, la gestuelle du corps, les expressions faciales, etc. Etant donné que ce sont des figures que l‟homme répète quotidiennement et faisant partie d‟une routine précise que Goffman définit comme « (…) modèle d’action

préétablie que l’on développe durant une représentation que l’on peut présenter ou l’utiliser en d’autres occasions »113

Ce sont donc des modèles de comportements qu‟effectue l‟individu dans sa vie quotidienne, comme celui qu‟effectue le vendeur dans sa boutique, le juge au tribunal ou l‟enseignant dans sa classe, les contextes sociaux pris en comptes sont aussi officiels et réglementaires que familiers et privés.

Le processus de réalisation d‟une présentation doit se faire à travers « une façade », cette dernière constitue le coté individuel de la personne, avançant d‟une manière statique et standard pour chaque individu, symbolisant des traits qui ont des caractères fixes. On a aussi « le décor », ce dernier accompagne la façade et constitue le cadre dans lequel doit s‟exécuter la représentation.114 C‟est la scène qui contextualise la façade, par exemple : le matériel qui accompagne un médecin chirurgien dans son cabinet ou le matériel qui entoure l‟enseignant dans sa classe, etc.

Goffman conçoit le décor comme une partie scénique de la façade, ajoutant à cela, la partie individuelle qui contient les indices indiquant par exemple : la religion, le sexe, la morphologie, l‟habillement, la langue, les expressions du visage, etc. Elle est répartie en deux structures qui sont : l‟aspect physique et l‟attitude, le premier relève du statut social, la seconde communique l‟intervention que compte accomplir l‟individu dans l‟interaction future.

A partir de tous ces éléments, le constat fait par Goffman ne suppose nullement que l‟individu doit être conscient de jouer un rôle quelconque car la présentation de soi est soumise aux règles qu‟impose l‟interaction dans l‟action sociale, à titre d‟exemple, le rôle que joue l‟enseignant dans la tâche qui lui est réservée ne lui impose pas d‟être conscient qu‟il est en train de construire une image de soi, car ce qui est important pour lui, c‟est le

113 R. Amossy, La présentation de soi. Ethos et identité verbale. Paris : Presses Universitaires de France. 2010, p.p. 25-33

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besoin d‟entretenir le fil de ses idées et l‟intelligibilité de son cours, tout en prenant en compte le décor qui l‟accompagne et c‟est ce qui va contribuer à l‟efficacité de son cour.

En effet, il est impossible pour un enseignant d‟effectuer la même interaction dans un autre décor, par exemple, un parc d‟attraction, un bar ou un jardin, toute fois, il existe d‟autres objets qui pourront compléter le décor principal et projeter une image personnalisée de l‟enseignant, comme la tenue vestimentaire par exemple, un enseignant qui choisit de porter des costumes pour faire son métier, qui au départ n‟exige pas un habillement type, aura tendance à projeter une image d‟un enseignant sérieux et appliqué. Un enseignent qui utilise un data show en classe, aura quant à lui tendance à propulser une image d‟un enseignant moderne.

Dans les échanges sociaux, chaque individu essayera de contenir sa présentation de soi si possible, et cela, même en étant inattentif. De ce fait, entamer une discussion avec son voisin sur un problème d‟ordre commun ou une conversation avec un gendarme qui nous met une contravention s‟inscrivent dans ce qu‟a appelé Goffman « la gestion d’impression ». L‟individu est donc obligé de se présenter constamment, même dans la mise en scène où le moi est tout à fait inconscient qu‟il est en train de se présenter.

Cependant, une présentation consciente est synonyme d‟une recherche d‟efficacité dans les interactions, ainsi, les filles qui veulent séduire le sexe opposé auront une conscience élevée à l‟ordinaire, et cela, dans le souci d‟être le plus efficace possible, pareillement pour un humoriste en scène qui veut faire rire les spectateurs par tous les moyens possibles.

Sur la base de tous ces éléments, nous remarquons que le sociologue Goffman a donné un renouveau à la notion d‟ethos, en centrant ses études sur les échanges extra-verbaux, ainsi qu‟à la production de la présentation de soi dans un cadre interactionnel, dans lequel l‟identité s‟édifie dans la mise en scène que chaque personne construit de sa personne pour satisfaire une interférence. Le but étant de ne pas se référer littéralement à une identité antérieure, mais de la construire dans un échange palpable.

Un autre facteur pourrait influencer une présentation de soi, c‟est l‟image préalable du sujet, qu‟elle soit positive ou négative, elle peut être mise en perspective afin d‟appuyer la performance de sa présentation dans un but d‟efficacité ou de tromperie aussi, elle demeure généralement sur la réputation, le passé discursif, le statut social, etc.

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La focalisation de Goffman sur la performance en situation, adhère à la pensée d‟Aristote, même si le cadre conceptuel diffère. Pensé comme tel, la présentation de soi se réalise pendant l‟interaction même sans que l‟image préalable soit prise en considération.