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Quelles que soient les sociétés, elles reposent toujours sur des imaginaires sociaux. C‟est ces derniers, pense Charaudeau141 qui caractérisent les valeurs communes se différenciant d‟un contexte à un autre et qui influencent par là même l‟ethos d‟identification des hommes politiques faisant, à leur tour, partie de la société vu que c‟est à travers elle qu‟ils seront élus.

L‟ethos d‟identification est le produit d‟une alchimie complexe faite de caractéristiques personnelles, de manières d‟être, et d‟énonciations verbales. Cependant l‟homme politique est toujours à la recherche d‟une image exemplaire dans le but de convaincre et de faire adhérer son auditoire. En effet, à l‟intérieur d‟un processus de construction d‟ethos existe un rapport trilatéral entre soi, l‟autre et un tiers absent qui symbolise l‟image idéale et étymologique sur laquelle se base la majorité des acteurs politiques pour accomplir leurs missions dans les meilleures conditions possibles.

Dans une rhétorique politique, les configurations d‟ethos sont à la fois orientées vers soi-même, vers le destinataire et vers les valeurs d‟image idéale et notamment référentielle de chaque société. Cette image est la cible principale de l‟ethos d‟identification, car elle représente les émotions sociales qui permettront au citoyen de s‟identifier à l‟orateur.

La problématique qui se pose dans l‟élaboration de ce genre d‟ethos est l‟aspect complexe des modèles d‟images qui classifient l‟ethos d‟identification, étant donné que les imaginaires sociaux changent au sein d‟une même société au cours du temps, ce qui amène l‟homme politique à adopter certaines stratégies opposées, comme se présenter à la fois comme un homme de traditions et un homme de contemporanéité, catégorique mais aussi astucieux, agissant autant que modeste, etc. Toutes ces figures sont incarnées dans le but de convaincre et de persuader un plus grand nombre de destinataires.

En dépit de cette diversification d‟images, certaines sont beaucoup utilisées dans l‟ethos d‟identification qui se nourrit, à l‟intérieur du discours politique, et sont souvent centrées vers le soi-même, tels que l‟ethos de puissance, de caractère, d‟intelligence, d‟humanité et de chef,

140 P. Charaudeau, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 102

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alors que d‟autres sont axées vers l‟autre, c‟est-à-dire le citoyen, dans l‟intention de créer une relation de complicité avec lui.

1-2-1- L’ethos de puissance

Le mot puissance dans ce titre ne doit pas être confondu avec celui de pouvoir, ce dernier provient d‟une activité dimensionnelle ayant pour but l‟élaboration de la vie collective, dans ce sillage, Hannah Arendt souligne que « le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ;

il appartient à un groupe et continue de leur appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé »142

La puissance concerne donc l‟individu et non pas la collectivité, l‟ethos de puissance est exposé via plusieurs aspects, comme le fait de se montrer comme un homme de virilité sexuelle, non pas d‟une façon exprimée, mais implicitement, par exemple, se laisser aller dans des aventures extra conjugales.

Il faut néanmoins prendre en considération le contexte culturel dans lequel s‟affirme cet ethos, autrement dit, il existe des environnements culturels où les systèmes de valeurs interdissent catégoriquement ce genre de comportements et plus particulièrement dans les régions orientales.

Aussi, cet ethos pourrait s‟exprimer par un engagement physique considérable, il y a même des hommes politiques qui peuvent aller jusqu‟à utiliser leurs coups de poing pour affirmer leurs puissances et leurs engagements, on le constate souvent dans les sénats, les parlements ou encore dans les meetings, mais également par l‟utilisation d‟injures et d‟insultes, notamment dans les débats télévisés.

Ceci dit, ce genre de comportements est généralement plus masculin que féminin, sauf dans les cas exceptionnels. Il existe aussi d‟autres façons plus nuancées pour exprimer son ethos de puissance. A titre d‟exemple, certains hommes politiques sont capables de faire des discours durant des heures, dépassant largement la moyenne énonciative, ce qui témoigne d‟une endurance remarquable. Aussi, d‟autres politiciens peuvent faire différents déplacements en un laps de temps pour faire preuve de détermination et d‟énergie dans l‟exécution des tâches politiques.

142 H. Arendt cité dans P. Charaudeau, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 106

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1-2-2- L’ethos de caractère

Contrairement à l‟ethos de puissance qui réside dans la puissance physique, Charaudeau143 pense que l‟ethos de caractère réside dans la puissance de l‟esprit. Ce dernier peut s‟exprimer via de multiples apparences, comme c‟est le cas pour les hommes politiques critiqueurs qui montrent constamment leurs indignations contre leurs adversaires et contre des événements contraires à leurs convictions. Ces derniers s‟expriment avec force et ardeur mais d‟une manière étudiée et contrôlée, montrant ainsi leur forte personnalité et leur fort caractère.

Certains hommes politiques utilisent la provocation pour faire réagir l‟autre, sans pour autant savoir si le contenu de la provocation est vrai ou faux car ce qui est important dans cette stratégie est le fait de déstabiliser son adversaire et de ce fait se mettre au-devant de la scène.

1-2-3- L’ethos d’intelligence :

Appartenant aux ethos d‟identifications, l‟ethos d‟intelligence consiste à susciter chez

l‟opinion publique admiration et déférence. P. Charaudeau144

estime qu‟il est difficile d‟évaluer l‟intelligence chez une personne mais nous pouvons l‟apercevoir à travers différentes images susceptibles de le rendre perceptible. En voici quelques images :

- L‟image d‟un homme politique capable de comprendre et de raisonner avant de prendre une décision d‟intérêt général.

- L‟image d‟un homme politique cultivé qui expose sa richesse culturelle dans les différents événements de sa vie politique, comme par exemple, les débats télévisés, les émissions audiovisuelles ou encore les meetings.

En effet, l‟opinion publique fait souvent référence au cursus scolaire de l‟homme politique afin d‟évaluer approximativement son taux d‟intelligence. Comme il peut se référer à son passé discursif, les ouvrages qu‟il a publiés auparavant ou encore les gens qu‟il a côtoyés durant sa carrière politique.

Cependant, il existe une autre forme d‟intelligence qui est en quelque sorte complexe pour l‟opinion publique. Cette forme se situe dans la ruse, considérée chez l‟homme politique comme un moyen stratégique de tromperie, l‟objectif étant de dissimuler son intention afin de brouiller les pistes et déstabiliser ses adversaires pour réaliser ses ambitions politiques.

143 P. Charaudeau, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 107

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Charaudeau définit la ruse comme étant « un savoir jouer entre l’être et le paraître :

savoir dissimuler certaines intentions, faire croire que l’on a certaines intentions pour mieux arriver à ses fins »145

Mais parfois, la ruse peut être inscrite dans le registre de la malhonnêteté et du mensonge, en particulier, quand les conséquences s‟avèreraient négatives et contraires aux principes de la bonne foi.

1-2-4- L’ethos d’humanité

Parler d‟humanité, c‟est parler de sentiment, un des éléments les plus difficiles à manipuler. D‟après Charaudeau146, l‟ethos d‟humanité relève de l‟imaginaire social de représentation, ceci dit, être humain c‟est pouvoir approuver des sentiments envers ceux qui sont dans le besoin et ceux qui souffrent quelles que soient les causes de leurs souffrances.

L‟ethos d‟humanité est lié à la personnalité de l‟homme politique qui n‟a pas peur de montrer ses sentiments et ses faiblesses même s‟ils concernent sa vie privé. Mais le mot faiblesse et l‟exercice politique sont deux univers opposés car un homme faible n‟est pas un homme fait pour la politique. Quoique, « pour être un homme public, on n’en est pas moins

homme »147pour reprendre les propos de Charaudeau.

Dès lors, l‟homme politique doit montrer ses sentiments, mais doit aussi les contrôler, c‟est là où l‟ethos d‟intelligence rejoint l‟ethos d‟humanité dans le but d‟élaborer des stratégies discursives qui consistent à produire des émotions. Elles doivent être perçues dans des moments donnés, telles que les visites aux plus démunis de la société, dans les drames, les catastrophes naturelles, les attentats terroristes ou les divers accidents.

L‟homme politique doit adresser ici des mots de compassion pour les victimes afin de laisser apparaitre ses émotions. Ainsi, il donnera l‟image d‟un homme solidaire et qui fait partie du groupe dans les moments difficiles.

Souvent les hommes politiques cachent des visées illocutoires dans le maniement de leurs émotions, comme c‟est le cas dans les commémorations d‟événements nationaux entre autres les fêtes d‟indépendances, les fêtes de révolutions, les mémoires de génocides, etc.

145 P. Charaudeau, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 113

146 Ibid. p114

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L‟objectif étant de marquer les esprits en se positionnant au rang des hommes politiques protecteurs, patriotiques et paternalistes.

1-2-5- L’ethos de chef

Il est communément connu que l‟ethos est à la fois orienté vers soi-même et vers les autres. L‟ethos de chef est orienté uniquement vers le citoyen comme l‟estime Charaudeau148

. Cet ethos, interpelle les caractères qui mettent en avant la relation d‟attachement entre l‟homme politique et le citoyen, il s‟affiche à travers de multiples figures :

1-2-5-1- La figure du guide suprême :

Pour la conservation d‟un groupe social, il était impératif pour lui, d‟être guidé par un être supérieur. Ce dernier peut être du/ou extérieur au groupe, autrement dit, il est humain comme eux mais avec des capacités hors normes, comme il peut être un être irréel comme à l‟époque de la mythologie grecque, symbolisant une voix qui préconise la direction à prendre. Cette voix était figurée et caricaturée dans des personnages mythiques et légendaires. Cette figure connait diverses formes :

1-2-5-2- La figure du guide berger :

Elle est synonyme d‟un unificateur, celui qui est là pour réunir le troupeau et non pas pour le disperser, celui qui escorte le troupeau et illumine son chemin avec sagesse et persévérance. C‟est la figure aussi de l‟homme qui sait où mettre ses pieds et le meneur d‟hommes qui sait se faire suivre.

1-2-5-3- La figure du guide prophète :

Cette figure correspond aux mêmes critères du guide berger, et plus particulièrement en ce qui concerne le rôle de rassembleur. Sauf que contrairement au guide berger qui se trouve dans l‟ici-bas, celui du guide prophète se situe dans l‟au-delà. Aussi, il est à noter qu‟à l‟inverse du guide berger qui est considéré comme étant un être de silence, le guide prophète est un être de voix.

Cependant, tous ces attributs qui caractérisent la figure du prophète ne sont pas adaptés pour élaborer l‟ethos de l‟homme politique.

Synthèse

Nous déduisons à partir de ce chapitre que les ethos politiques se divisent en deux catégories à savoir, les ethos de crédibilité et les ethos d‟identification. La première catégorie

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est constituée de trois types d‟ethos (l‟ethos de sérieux, l‟ethos de vertu, et l‟ethos compétence). La seconde catégorie, celle des ethos d‟identification, est constituée quant à elle de six types d‟ethos, à savoir, l‟ethos de puissance, l‟ethos de compétence, l‟ethos d‟humanité, l‟ethos d‟intelligence, l‟ethos de chef et l‟ethos de solidarité.

La particularité des ethos de crédibilité est qu‟ils s‟appuient sur un discours de raison et doivent respecter trois conditions nécessaires : la franchise, l‟accomplissement et l‟intensité. Pour ce qui est des ethos d‟identification, ils sont souvent centrées vers le soi-même, tels que l‟éthos de puissance, de caractère, d‟intelligence, d‟humanité et de chef, alors que d‟autres sont axées vers l‟autre, c‟est-à-dire le citoyen, dans l‟intention de créer une relation de complicité avec lui.

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CHAPITRE V

L’AUDITOIRE : DESCRIPTION