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PARTIE I – L’OBTENTION D’UNE PROTECTION NATIONALE

1.2 L’installation dans l’État hôte

1.2.4 La question particulière du service des peines dans les États tiers

La justice pénale internationale a de particulier le fait que le service des peines prononcées par les juridictions pénales internationales est, en grande majorité269, exécuté dans des institutions pénitentiaires d’États tiers qui ont des ententes avec les juridictions internationales270. En guise d’exemple, en date du 16 juillet 2014, pour le TPIR et la branche d’Arusha du MTPI, les sentences sont, ou ont été, exécutées au Mali, pour 20 condamnés, au Bénin, pour 17 détenus, et en Italie et en Suède, pour 1 condamné chacun271. Du côté du TPIY et de la branche de La Haye du MTPI, les peines ont été servies dans de multiples pays du continent européen, principalement le Portugal, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Norvège et la Finlande272.

Force est de constater que le service des peines dans d’autres États que les États hôtes des juridictions pénales internationales et que les États d’origine ou de résidence des condamnés cause le même type de problème que ce à quoi sont confrontés les acquittés, mais suivant la libération à la fin de la peine. Ces individus, lorsqu’ils ne peuvent retourner dans leur État d’origine, se retrouvent alors pris dans des pays avec les mêmes problèmes d’impossibilité de relocalisation, et fort souvent avec un moins bon support matériel que ce qui peut être offert par le Greffe, notamment par le biais de la « safe-house » d’Arusha273. L’analyse de la situation de ces condamnés éventuellement libérés peut nous inspirer des solutions pour la situation des acquittés, et permet de saisir les problématiques communes.

269 Certains des condamnés ont purgé leur peine entière au UNDF d’Arusha et se retrouvent maintenant avec

les acquittés dans le même refuge. C’est notamment le cas d’Elizephan Ntakirutimana et Vincent Rutaganira. Voir Amoussouga, supra note 31 au para 28.

270 Voir à ce sujet : Édith-Farah Elassal. Coupable! L’exécution des peines prononcées par les instances

pénales internationales : (in)égalité de traitement entre les condamnés? Mémoire en droit (L.L.M.),

Université Laval, 2013.

271 MTPI, « Enforcing of Sentence », en ligne : <http://www.unmict.org/enforcement-of-sentences.html>

[Exécution des peines].

272 Ibid.

273 Pour une démonstration factuelle de la situation de certains des condamnés ayant purgé leur peine, voir :

Par exemple, Emmanuel Imanishimwe, condamné en appel à 12 années d’emprisonnement274, a servi sa peine dans une prison au Mali275, en vertu de l’entente entre le TPIR et le Mali276, et à la fin de sa peine, il a été libéré, mais demeure bloqué au Mali, sans statut juridique, ne pouvant retourner sécuritairement au Rwanda, et n’obtenant pas de coopération d’autres États pour favoriser sa relocalisation277. De l’autre côté de la médaille, le condamné Michel Bagaragaza, qui a purgé sa peine dans une prison suédoise suivant sa condamnation par le TPIR, a demandé l’autorisation de rester en Suède suivant sa libération après avoir purgé sa peine, et y serait toujours au moment d’écrire ces lignes278, malgré un statut inconnu279. Il s’agit d’une situation similaire pour Georges Ruggiu, qui a été libéré par les autorités italiennes avant d’avoir fini de purger sa peine280. Ces précédents exemples démontrent le traitement dichotomique qui favorise certains accusés par rapport à d’autres, en fonction de l’État choisi par le Greffe pour qu’ils servent leur peine, mettant certains de ceux-ci dans une situation fort similaire à celle des acquittés du TPIR. Au contraire, les condamnés du TPIY, au même titre que les acquittés, une fois leur peine servie, peuvent retourner dans leurs États respectifs. C’est entre autres le cas de Vinko Martinović281, Biljana Plavsić282 et Momcilo Krajisnik283.

274 Ntagerura, Arrêt, supra note 189, au para445. 275 Exécution des peines, supra note 271.

276 Accord entre le Gouvernement de la République du mali et l’Organisation des Nations unies concernant

l’exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, 12 février 1999, en

ligne : UNICTR ˂http://www.unictr.org/Portals/0/English/Legal/Bilateral%20Agreement/English/mali.pdf˃ [Entente Mali-TPIR].

277 « Le lieutenant Samuel Imanishimwe est sorti de prison », Hirondelle News Agency (11 août 2009), en

ligne : Hirondelle News <http://www.hirondellenews.com/fr/tpirrwanda/258-proces-clos/imanishimwe- samuel/14158-110809-tpircondamnes-le-lieutenant-samuel-imanishimwe-est-sorti-de-prison7882>.

278 Van Wijk, supra note 27 à la p 188.

279 Les acquittés du TPIR, SOS pour une réinstallation d’urgence, supra note 145, à la p15.

280 « Genocide-convict journalist Georges Ruggiu set free in violation of ICTR statute », Hirondelle News

Agency (28 mai 2008), en ligne : Hirondelle News <http://www.hirondellenews.com/ictr-rwanda/408-

collaboration-with-states/collaboration-with-states-other-countries/23235-en-en-280509-ictritaly-genocide- convict-journalist-ruggiu-set-free-in-violation-of-ictr-statute1228612286>.

281 M.H, « Bosnia, the return of a war criminal in Mostar », Osservatorio balcani e caucaso (15 février 2012),

en ligne : Osservatorio balcani e caucaso <http://www.balcanicaucaso.org/eng/Regions-and-countries/Bosnia- and-Herzegovina/Bosnia-the-return-of-a-war-criminal-in-Mostar-111732>.

282 « ICTY : Sweden releases Biljana Plavsic » Thijs Bouwknegt, « ICTY : Sweden releases Biljana Plavsic »,

Radio Netherlands Worldwide (28 octobre 2009), en ligne : RNW <http://www.rnw.nl/international-

justice/article/icty-sweden-releases-biljana-plavsic>.

283 Agence France Presse, « Bosnian Serbs give hero welcome to released war criminal Momcilo Krajisnik »

La question de la relocalisation des condamnés ayant fini de purger leur peine n’obtient pas beaucoup plus de réponses dans les conventions et ententes entre les juridictions pénales internationales et les États d’accueil, et ce, bien que d’éminents juristes aient soulevé cette question il y a déjà plusieurs années284. On retrouve dans l’entente entre le Mali285 et le TPIR la simple indication que : « Les autorités compétentes de l’État requis mettent fin à l’exécution de la peine dès que le Greffier les informe de toute décision au mesure par suite de laquelle la peine cesse d’être exécutoire »286. Toutefois, il est prévu que le tribunal prend à sa charge les dépenses afférentes : « au rapatriement du condamné à la fin de l’exécution de la peine »287, mais cette disposition n’édicte aucune règle sur les obligations de rapatriement, c’est-à-dire la période maximale d’attente, s’il y en a une, ou la question de la mise en place d’un soutien matériel ou financier entre le moment de la libération et le moment de la relocalisation ou le rapatriement. Aucune règle concernant le statut légal que ces personnes libérées auront dans l’État où ils ont servi leur peine n’est également émise. Une entente similaire avec l’État rwandais comporte toutefois des règles plus précises :

1. Sauf convention contraire des parties,

A) Le Tribunal prend à sa charge les dépenses afférentes :

i) Au transfèrement de la personne condamnée en direction et à partir du Rwanda;

ii) Au rapatriement de la personne condamnée à la fin de l’exécution de sa peine, dans un pays autre que le Rwanda où elle jouit du statut de résident légal;

[…]

C) Au terme de l’exécution de sa peine, et si la personne condamnée souhaite être rapatriée ou retourner dans un autre pays où il jouit du statut de résident légal, le Gouvernement rwandais hero-welcome-to-released-war-criminal-momcilo-krajisnik-

.aspx?pageID=238&nID=53599&NewsCatID=351>.

284 André Tremblay. The Rights of the Accused Persons and Convicted Prisoners After Completion of the

ICTR’s Mendate, Conférence internationale de la défense sur le droit pénal international, 14-16 Novembre

2009, en ligne : ICTR Heritage Defence

<http://www.heritagetpirdefense.org/papers/Andre_Tremblay_rights_of_accuse_persons_and_convicted_pris oners_after_ICTR_mandate.pdf> à la p 11.

285 Considérant que toutes les ententes sont fort similaires, l’exemple du Mali est utilisé ici considérant les

nombreux condamnés qui y ont été transférés. Voir : Exécution des peines, supra note 271.

286 Entente Mali-TPIR, supra note 276, art 9(3). 287 Ibid art 11(1)(a) (nos soulignés).

lui délivre tous les documents de voyage nécessaires et une autorisation de sortie du Rwanda, conformément à la législation rwandaise applicable à tous les citoyens rwandais288.

On voit que l’entente avec le Rwanda ajoute la question du rapatriement dans un pays autre que le Rwanda où la personne libérée jouit du statut de résident légal, et oblige le Rwanda à émettre les documents nécessaires pour la sortie du territoire rwandais. L’éventuelle absence de tout statut de résidence légale des condamnés ayant purgé leur peine remet toutefois en question l’effet concret de cette norme. Cette question est toutefois hypothétique, considérant qu’aucune application de cet accord n’a eu lieu, et qu’aucun condamné d’Arusha n’a servi sa peine au Rwanda289.

Du côté de la CPI, des ententes de coopération pour faciliter le service des peines ont été signées avec l’Autriche290, le Royaume-Uni291, la Belgique292, la Finlande293, la Serbie294, le Danemark295 et le Mali296, toutes des ententes globalement très similaires. On retrouve, dans chacune de ces ententes bilatérales, un article régissant la question de la relocalisation des individus lors de leur libération :

1. Une fois sa peine purgée, une personne qui n’est pas un ressortissant danois peut être transférée, conformément à la législation danoise, dans un autre État qui accepte ou est tenu de l’accueillir, ou dans un autre État qui accepte de l’accueillir en réponse au souhait qu’elle a formulé d’être transférée dans cet État, à moins que le Danemark n’autorise cette personne à demeurer sur son territoire.

288 Entente Rwanda-TPIR, supra note 226, art 11. 289 Exécution des peines, supra note 271.

290 Accord entre la Cour pénale internationale et le Gouvernement fédéral autrichien sur l’exécution des

peines prononcées par la Cour pénale internationale, ICC-PRES/01-01-05, 26 novembre 2005 [Entente Autriche-CPI].

291 Accord entre le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Cour

pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale, ICC-

PRES/04-01-07, 8 décembre 2007 [Entente Grande-Bretagne-CPI].

292 Accord entre la Cour pénale internationale et le gouvernement du Royaume de Belgique sur l’exécution

des peines prononcées par la Cour, ICC-PRES/06-01-10, 1er juin 2010 [Entente Belgique-CPI].

293Accord entre la Cour pénale internationale et le Gouvernement finlandais sur l’exécution des peines

prononcées par la Cour, ICC‐PRES/07‐01‐11, 24 avril 2011 [Entente Finlande-CPI].

294 Agreement between the Republic of Serbia and the International criminal court on the Enforcement of

Sentences of the International Criminal Court, ICC-PRES/09-03-11, 28 mai 2011 [Entente Serbie-CPI].

295 Accord entre le royaume du Danemark et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines

prononcées par la Cour, ICC‐PRES/12‐02‐12, 5 juillet 2012 [Entente Danemark-CPI].

296 Accord entre la Cour pénale internationale et le Gouvernement de la République du Mali concernant

2. […] le Danemark peut également, en application de sa législation, extrader ou remettre de quelque autre manière la personne à un État qui a demandé son extradition ou sa remise aux fins de jugement ou d’exécution d’une peine297.

En somme, similairement à la situation des acquittés, les condamnés ayant purgé leur peine n’ont pas de perspective d’installation à long terme, avec un statut officiel, dans leurs États pénitentiaires, par le biais des ententes actuelles entre les juridictions et ces États.