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PARTIE I – L’OBTENTION D’UNE PROTECTION NATIONALE

1.2 L’installation dans l’État hôte

1.2.5 La question de la libération provisoire

Finalement, la possibilité pour un individu accusé, peu importe le stade des procédures, d’obtenir une libération provisoire sur le territoire de l’État hôte soulève des questions similaires. La question ici n’est pas de juger de la pertinence de libérer les personnes inculpées, mais il est marquant d’observer que la détention préventive fut la norme, plutôt que l’exception298, dans les tribunaux ad hoc. Effectivement, aucune libération de ce type n’a été octroyée au TPIR299, et que dans des cas plus rares au TPIY300. Le Statut de Rome rend ce mécanisme plus ouvert301, alors qu’à la CPI plusieurs accusés comparaissent volontairement, tout en étant en liberté302. Il est aussi nécessaire de comprendre que la question est intrinsèquement reliée aux conséquences de la détention. Une longue détention303 rend difficile toute réinsertion dans la société304.

297 Entente Danemark-CPI, supra note 295, art 16. Des articles similaires se retrouvent dans les ententes avec

la Belgique (Entente Belgique-CPI, supra note 292, art 16), la Serbie (Entente Serbie-CPI, supra note 294, art 15), la Finlande (Entente Finlande-CPI, supra note 293, art 15), la Grande-Bretagne (Entente Grande-

Bretagne-CPI, supra note 292, art 14(3)) et l’Autriche (Entente Autriche-CPI, supra note 290, art 15).

298 Trotter, Pre-Conviction Detention in International Criminal Trials, supra note 58 aux pp 354 et 359. Il

faut comprendre que la gravité des crimes dont il est question rend toute libération hasardeuse. Même dans des juridictions internes, la détention est la norme dans le cas de crimes tels que les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Voir notamment Canada, Code criminel, supra note 43, arts 469 (c.1) et 515 (1) et (11). Il ne faut toutefois pas que celle-ci soit automatique : Yaovi Dégli, supra note 62 à la p 445.

299 Voir notamment Rearick, supra note 14 aux pp 577-578 et Caroline L Davidson, « No Shortcuts on

Human Rights : Bail and the International Criminal Trial » (2010) 60 Am. U. L. Rev. 1 à la p 2.

300 Rearick, supra note 14 aux pp 589-590.

301 La détention constitue alors l’exception, contrairement aux tribunaux ad hoc. Voir Trotter, Pre-Conviction

Detention in International Criminal Trials, supra note 58 à la p 358. Voir aussi Statut de Rome, supra

note 10, art 58.

302 Notamment le cas d’Abdallah Banda, William Ruto, Joshua Sang et Uhuru Kenyatta : Rapport de la Cour

pénale internationale, Doc off. AG NU, 68e année, 68e session, A/68/314 (2013) aux paras 26, 32 et 35. 303 D’autant plus que les procès internationaux sont souvent très longs et fastidieux. Pour une analyse

On peut alors se poser la même question que pour les acquittés, car : « the problem this creates for a backlogged international tribunal is simple: to what country can the accused be released? Could we expect the temporary release of an alleged genocidaire to live among his accusers to result in anything short of lynching? »305. Le problème ici est que les individus ne sont pas acquittés, ni ont purgé leur peine, et ce faisant, les États hôtes des tribunaux peuvent être réticents à laisser des individus qui n’ont pas été innocentés en liberté sur leur territoire : « They are often situated in host states that refuse to allow alleged war criminals to take up residence at liberty during their trials, or local political tensions may make their release otherwise diplomatically untenable »306, d’autant plus que ces États auraient des responsabilités supplémentaires à l’égard de ces personnes307. Toutefois, selon certains auteurs : « the privilege of hosting a criminal tribunal should encompass this burden [accueillir les individus libérés provisoirement sur leur territoire], which is part and parcel of every criminal proceeding »308, ce qui obligerait les États hôtes

procès des juridictions pénales internationales, et les statistiques afférentes, voir Natacha Fauveau Ivanovic, « La durée des procès internationaux et le droit au procès équitable » (2010) Rev. québécoise de droit Int’l 243 et David Tolbert et Fergal Gaynor, « International Tribunals and the Right to a Speedy Trial: Problems and Possible Remedies » (2009) 27 Law in Context 33.

304 D’autant plus que la détention provisoire : « [has] stigmatizing effects on the reputation and can result in

severe consequences when the person who is subjected to this deprivation of liberty is acquitted after trial […]. This is the reason why these issues raise concerns in the course of the international criminal justice » (Yaovi Dégli, supra note 62 à la p 443).

305 Rearick, supra note 14 à la p 580.

306 Trotter, Pre-Conviction Detention in International Criminal Trials, supra note 58 à la p 352. Voir

notamment le refus de la Tanzanie dans le dossier de Léonidas Nshogoza : Le Procureur c Nshogoza, ICTR- 07-91-PT, Decision on Defence Motion for Provisionnal Release (17 décembre 2008) (TPIR, Chambre de 1re

instance) et Le Procureur c Nshogoza, ICTR-07-91-PT, Decision on Defence Motion for Review of

Provisional Measures, or Alternatively, for Provisionnal Release (17 novembre 2008) (TPIR, Chambre de 1re

instance).

307 Les procédures étant souvent très longues, les États s’engageraient alors à les accueillir sur leur territoire

pour une longue période, ce qui pourrait, selon certains, créer certaines tensions locales. De plus, une fois en liberté, ces personnes demeurent soumises aux conditions qui leur sont imposées, notamment l’obligation de se présenter devant les autorités locales fréquemment. Voir : Trotter, Pre-Conviction Detention in

International Criminal Trials, supra note 58 aux pp 372-373. Schomburg, The Role of International Criminal Tribunals in Promoting Respect for Fair Trial Rights, supra note 14 aux paras 42-44.

308 Wolfgang Schomburg et Jan Christoph Nemitz, « International Criminal Courts and Tribunals,

Procedure » (2012) Max Plank Institute for Comparative Public Law and International Law au para 22, n 47, référant à Antonio Cassese, « The International Criminal Tribunal for Former Yugoslavia and Human Rights » (1997) 4 European Human Rights Law Review 329 à la p 334.

à accepter ceux-ci. Cependant, on retrouve, dans l’entente entre les Pays-Bas et la CPI309, un article qui suit une tendance contraire :

1. L’État hôte facilite le transfèrement des personnes bénéficiant d’une mise en liberté provisoire dans un État autre que l’État hôte.

2. L’État hôte facilite le retour et un bref séjour sur son territoire à toute fin liée à la procédure devant la Cour des personnes ayant bénéficié d’une mise en liberté provisoire.

3. La Cour et l’État hôte déterminent les modalités pratiques de la mise en œuvre des dispositions du présent article310.

Cet article démontre notamment que les États hôtes ont comme obligation de faciliter le transfèrement des personnes en liberté provisoire dans un État autre que celui-ci, et prévoit également un « bref séjour » sur son territoire pour des fins liées aux procédures judiciaires. Aucune obligation à long terme n’échoue à ces États concernant l’établissement de personnes libérées, d’autant plus que le premier alinéa indique clairement que les personnes bénéficiant d’une liberté provisoire seront transférées dans un État autre que l’État hôte. Un des exemples d’application de la libération provisoire dans le cas de la CPI est le dossier de l’actuel président kenyan Uhuru Kenyatta, dont les charges devant la CPI pour des actes reliés aux violences postélectorales de 2007-2008 furent confirmées en 2012311. Excluant tout le côté purement politique de la question, Kenyatta et ses coaccusés ont pu, malgré leur inculpation, retourner au Kenya et participer à la vie politique et sociale kenyane312, et ne faire que des allers-retours à la CPI pour participer à certaines procédures, lorsque leur présence était requise313. Dans une situation contraire, malgré une décision de la Chambre

309 Accord de siège, CPI, supra note 82.

310 Ibid art 47 (nos soulignés). Le même type de norme se retrouve dans l’entente entre les Pays-Bas et le

TSL : Accord de siège, TSL, supra note 260, art 42.

311 Muthaura, Confirmation des charges, supra note 167 au para 428. Voir aussi : « ICC: 4 Kenyans to Face

Trial for Post-Election Violence », Voice of America (22 janvier 2012), en ligne : Voice of America <http://www.voanews.com/content/icc-4-kenyans-to-face-trial-for-post-election-violence-

137889033/151022.html>.

312 Le Procureur c Muthaura, ICC-01/09-02/11, Décision relative à la requête du Procureur aux fins de

délivrance de citations à comparaître à Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali (8 mars 2011) (CPI, Chambre préliminaire II)

313 Suite à de grands débats sur l’opportunité d’ordonner la présence continue de celui-ci à son procès, la

Chambre d’appel de la CPI a déterminé que le président kenyan devait être généralement présent, mais sans remettre en doute le fait qu’il ne soit pas détenu. Voir : Le Procureur c Kenyatta, ICC-01/09-02/11, Decision

on the Prosecution’s motion for reconsideration of the decision excusing Mr Kenyatta from continuous presence at trial (26 novembre 2013) (CPI, Chambre de première instance V(B)). Voir aussi la décision

préliminaire ordonnant la libération de l’accusé Bemba Gombo314, en attente de son procès, l’individu en question ne put être remis en liberté, aucun État concerné ne se proposant pour le laisser s’établir sur son territoire315. Suite à l’appel du Procureur, la Chambre d’appel n’eut d’autre choix que d’ordonner son maintien en détention, ne pouvant émettre de conditions fixes à sa libération sans savoir quel serait son État d’accueil316, et identifiant clairement ce qui causait de tels problèmes :

[…] [la CPI] is dependent on State cooperation in relation to accepting a person who has been

conditionally released as well as ensuring that the conditions imposed by the Court are enforced. Without such cooperation, any decision of the Court granting conditional release would be ineffective317.

Les récents amendements aux textes de la CPI, suivant la 12e Assemblée des États Parties318, sont venus laisser une certaine marge de manœuvre aux accusés, qui peuvent être dispensés de leur présence physique à leur procès, par le biais d’utilisation de technologie de vidéoconférence, lorsque la Chambre le permet, notamment lorsque l’accusé exerce une fonction publique319. Ces nouvelles règles ont l’avantage de diminuer le nombre d’inculpés

from Continuous Presence at Trial (18 octobre 2013) (CPI, Chambre de première instance V(B)) au para 9.

Voir aussi : CPI, « Case Information Sheet : Situation in the Republic of Kenya, The Prosecutor v. Uhuru Muigai Kenyatta, Case n° ICC-01/09-02/11 » ICC-PIDS-CIS-KEN-02-010/14_Eng, en ligne : ICC-CPI <http://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/publications/KenyattaEng.pdf>.

314 Le Procureur c Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, Décision relative à la mise en liberté provisoire de

Jean-Pierre Bemba Gombo et invitant les autorités du Royaume de Belgique, de la République portugaise, de la République française, de la République fédérale d’Allemagne, de la République italienne et de la République sud-africaine à participer à des audiences (14 août 2009) (CPI, Chambre préliminaire II).

315 Trotter, Pre-Conviction Detention in International Criminal Trials, supra note 58 aux pp 358 et 367-368. 316 Le Procureur c Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08 0A2, Judgment on the appeal of the Prosecutor against

Pre-Trial Chamber II's ‘Decision on the Interim Release of Jean-Pierre Bemba Gombo and Convening Hearings with the Kingdom of Belgium, the Republic of Portugal, the Republic of France, the Federal Republic of Germany, the Italian Republic, and the Republic of South Africa’ (2 décembre 2009) (CPI,

Chambre d’appel), au para109 [Judgment on the appeal of the Prosecutor against Pre-Trial Chamber II's

‘Decision on the Interim Release of Jean-Pierre Bemba Gombo and Convening Hearings with the Kingdom of Belgium, the Republic of Portugal, the Republic of France, the Federal Republic of Germany, the Italian Republic, and the Republic of South Africa’].

317 Judgment on the appeal of the Prosecutor against Pre-Trial Chamber II's ‘Decision on the Interim Release

of Jean-Pierre Bemba Gombo and Convening Hearings with the Kingdom of Belgium, the Republic of Portugal, the Republic of France, the Federal Republic of Germany, the Italian Republic, and the Republic of South Africa’, supra note 316, au para107.

318 Marie Lugaz, « La 12e session de l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale à l’heure

du bilan : retour sur quelques décisions marquantes » (2 décembre 2013), Blogue de la Clinique de droit

international pénal et humanitaire, en ligne : CDPIH ˂https://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/la-12e-session-de-

lassemblee-des-etats-parties-de-la-cour-penale-internationale-lheure-du˃.

en détention préventive, et donc de venir diminuer les risques de problèmes liés à la détention prolongée d’individus accusés.

Finalement, comme on vient de le voir, la situation des accusés détenus qui désirent obtenir une libération provisoire est tout aussi épineuse et complexe, et fondée sur des prémisses similaires à celle des acquittés. L’absence d’État voulant les accueillir, et les réticences des États hôtes des juridictions pénales internationales à les laisser en liberté sur leur territoire, rendent toute libération fort problématique.