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PARTIE II – L’OBTENTION D’UNE PROTECTION INTERNATIONALE

2.2 Les autres formes de protection

2.2.3 Le principe de non-refoulement

Le principe de non-refoulement réfère à l’interdiction des États de renvoyer une personne craignant notamment pour sa vie, sa liberté, son intégrité physique ou le respect de ses droits fondamentaux, hors du territoire où elle a trouvé refuge. Le principe de non- refoulement prévu à l’article 33(1) de la CSR, qui aurait maintenant obtenu le statut de norme de jus cogens656, a été établi dans le but de protéger les réfugiés, et ceux en procédure de détermination de leur statut657, face à une expulsion forcée de leur État d’accueil658. L’utilisation du terme « réfugié » dans le libellé vient exclure ceux qui sont visés par les clauses d’exclusion659. Les conséquences sont donc majeures, car : « Falling within Article 1F means that an individual does not qualify for refugee status and is, therefore, also not within the mandate of UNHCR. Most significantly, it means that he or she does not benefit from protection against refoulement under international refugee law »660.

Le principe de non-refoulement est d’autant plus restreint par l’application de l’article 33(2) de la CSR, qui permet le refoulement de personnes qui ont le statut de réfugié lorsqu’elles sont subséquemment condamnées de crimes sérieux et qu’ils constituent un danger à la

655 Ibid art 17.

656 Gilbert, supra note 48 à la p 462.

657 UNHCR. Avis consultatif sur l’application extra-territoriale des obligations de non-refoulement en vertu

de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de 1967, 26 janvier 2007, en

ligne : Refworld ˂http://www.refworld.org/docid/470ccbb42.html˃ au para 6 [UNHCR, Avis consultatif sur

l’application extra-territoriale des obligations de non-refoulement].

658 Convention relative au statut des réfugiés, supra note 89, art 33. 659 Voir ci-dessus, section 2.1.2, à partir de la p 105.

sécurité de l’État d’accueil661. Toutefois, il est évident que le principe de non-refoulement est beaucoup plus étendu que ce seul article, car ce principe tire ses origines de sources multiples du droit international des droits de la personne662. Ceci se base sur le principe que certains droits absolus couvrent ce qui peut être laissé de côté par d’autres normes plus spécifiques, notamment les normes de protection des réfugiés663.

L’importance du principe de non-refoulement, hors du cadre strict de la CSR et de son application aux seuls réfugiés, est reconnue et garantie par de nombreux instruments internationaux, à commencer par l’article 3 de la Convention contre la torture664, l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne665, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme666, le PIDCP667, et bien d’autres668. Le Comité des droits de l’homme a élaboré sur la question, en indiquant que : « De l’avis du Comité, les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement »669. Finalement,

661 Convention relative au statut des réfugiés, supra note 89, art 33(2). Bien que le libellé de l’article n’en

donne pas d’indication, la jurisprudence démontre que certains États se sont mis à appliquer un principe de balance entre le danger à la société ou communauté d’accueil et les risques inhérents au refoulement. Ceci peut notamment être observé dans l’arrêt Suresh de la Cour suprême canadienne : Suresh c Canada (Ministre

de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 aux paras 45-47 [Suresh c Canada]. Il a d’ailleurs

été établi qu’aucune obligation de jauger de la balance des risques n’existe lors d’un refoulement au sens de l’art 33(2) : Hathaway et Harvey, supra note 471 à la p 294.

662 UNHCR Arusha summary conclusions, supra note 64 au para 38.

663 Gilbert, supra note 48 à la p 474. Voir aussi à ce sujet Lawyers Committee for Human Rights, supra note

576 à la p 323.

664 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10

décembre 1984, 1465 R.T.N.U. 85, en ligne : UNTreaty ˂http://treaties.un.org/doc/publication/UNTS/Volume%201465/v1465.pdf˃ [Convention contre la torture et

autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants].

665 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Parlement européen, 2000/C 364/01, 18 décembre

2000, en ligne : Europarl ˂http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf˃. Sur le principe de non- refoulement en Europe communautaire, voir : Soering c Royaume-Uni, Requête n° 14038/88, C.E.D.H., Cour (Plénière), Arrêt (7 juillet 1989).

666 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 2889

UNTC 221, art 3, tel qu’analysé dans : Heller, supra note 29 à la p 672.

667 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, supra note 92, art 7. Voir aussi : Clark et

Crépeau, supra note 467 à la p 397.

668 Voir notamment : Larsaeus, supra note 547 à la p 74, n 18.

669 Observation générale n° 20 – Article 7 (Interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants), HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol. I), Comité des droits de l’homme, 44e session, 10 mars

1992, en ligne : Center for Civil and Political Rights ˂http://ccprcentre.org/doc/ICCPR/General%20Comments/HRI.GEN.1.Rev.9(Vol.I)_(GC20)_fr.pdf˃ au

d’autres situations peuvent empêcher le refoulement, notamment dans le cas Stewart c Canada670, où : « […] the Human Rights Committee interpreted Article 12 (right to leave and return to one's country) ICCPR as prohibiting expulsion and hence refoulement in certain circumstances such as, for example, when the person is stateless »671.

Selon l’article 3 de la Convention contre la torture672, le principe de non-refoulement devient absolu dès qu’il y a : « substantial grounds for believing that he would be in danger of being subjected to torture », peu importe que la personne soit un risque à la sécurité publique ou ait été condamnée d’un crime sérieux673. Le raisonnement derrière ce type d’article est que : « […] it is more repugnant to return any human being to a situation which they would be tortured than it is to protect a persecutor »674.

Ainsi, en raison de son caractère de plus en plus universel675, le principe de non- refoulement ferait maintenant partie intégrante du droit international coutumier et du jus cogens676. L’aspect impératif de certaines normes internationales est clairement établi :

For example, where an individual meets the evidentiary standard in Article 3 of the Torture Convention, return is absolutely prohibited. […] Similarly, the Human Rights Committee held that an individual may not be returned to face the risk of arbitrary deprivation of life contrary to Article 6 of the Civil and Political Covenant, whatever his or her personal circumstances677.

La Cour suprême canadienne a d’ailleurs confirmé la préséance et l’indérogeabilité678 du non-refoulement en cas de risques de torture : « Nous en venons donc à la conclusion que l’interprétation qui s’impose est que le droit international rejette les expulsions impliquant para 9. Voir aussi : Decaux, Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, supra note 90 à la p 221.

670Stewart c Canada, Communication Nº 538/1993, U.N. Doc. CCPR/C/58/D/538/1993 (16 décembre 1996)

(Comité des droits de l’homme).

671 Clark et Crépeau, supra note 467 à la p 397.

672 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, supra

note 664.

673 Clark et Crépeau, supra note 467 à la p 397. 674 Zagor, supra note 89 à la p 25.

675 Aoife Duffy, « Expulsion to Face Torture : Non-Refoulement in International Law » (2008) 20:3

International Journal of Refugee Law 373 à la p 374.

676 Heller, supra note 29 à la p 672. Voir aussi : Conclusion nº 25 (XXXIII)-1982 – Conclusions générales,

Comité exécutif sur la protection internationale, 20 octobre 1982, en ligne : UNHCR ˂http://www.unhcr.fr/4b30a267e.html˃. Voir aussi : UNHCR, Avis consultatif sur l’application extra-

territoriale des obligations de non-refoulement, supra note 657 au para 15.

677 Hathaway et Harvey, supra note 471 à la p 316. 678 Gilbert, supra note 48 aux pp 475-476.

un risque de torture »679. Toutefois, contrairement au cas de procédures d’exclusion au sens de l’article 1F de la CSR, dans le cas d’un non-refoulement sur base de risques de torture (notamment fondé sur l’article 3 de la Convention contre la torture), c’est à la personne voulant faire échec à un éventuel refoulement de démontrer qu’il existe des risques de torture au sens de la Convention680. Elle devra établir ce risque : « on grounds that go beyond mere theory or suspicion. However, the risk does not have to meet the test of being highly probable »681.

Le non-refoulement sur ces bases inclut également l’interdiction pour l’État de refouler l’individu sur le territoire d’un autre État qui risque de le retourner, l’extrader ou le refouler sur le territoire des États où les risques de tortures sont possibles682. De plus, le principe de non-refoulement s’applique au comportement des agents de l’État ou de ceux agissant sous son contrôle, peu importe l’endroit où l’acte aurait eu lieu, dès lors qu’il s’agit de sa juridiction683. Cela peut être notamment à l’extérieur de l’État en cause, aux postes- frontière de celui-ci, dans les zones internationales des aéroports ou dans les zones de transit684.

Concernant la question spécifique des acquittés du TPIR, comme on l’a vu685, la situation dans le cas d’un renvoi au Rwanda reste toujours hautement épineuse et délicate, bien que la situation ait changé depuis les dernières années :

There is great confusion about the fate of those excluded from refugee status. Return to Rwanda is deeply problematic given the great likelihood that anyone forcibly returned would be immediately jailed. Prison conditions in Rwanda amount to torture or cruel, inhuman or

679 Suresh c Canada, supra note 661 au para 75. La Cour Suprême en était auparavant venue à la conclusion

que l’interdiction de la torture était une norme impérative de droit international coutumier, ou jus cogens, aux paras 61-65. Cependant, la Cour Suprême a limité cet aspect impératif en permettant une exception dans des « circonstances exceptionnelles », au paragraphe 78 de l’arrêt. Cette exception est toutefois fortement critiquée : voir notamment Kent Roach, « The Dangerous Game of Complicity in Torture » (2012) 58:3-4 Crim.L.Q. 303.

680 General Comment Nº 01 : Implementation of article 3 of the Convention in the context of article 22,

A/53/44, annex IX, CAT General Comment No. 01, 21 novembre 1997 au para 4 [General Comment No. 01:

Implementation of article 3 of the Convention in the context of article 22].

681 Ibid au para 6.

682 UNHCR, Avis consultatif sur l’application extra-territoriale des obligations de non-refoulement, supra

note 657 au para 7.

683 Ibid.

684 Ibid au para 41.

degrading treatment. A fair trial in the Rwandan justice system, while possible, remains problematic and Rwanda has maintained the death penalty686.

Ainsi, les acquittés du TPIR, même en cas de refus d’une demande d’asile, pourraient se voir protéger, au moins temporairement, par le biais du principe de non-refoulement qui empêcherait l’État où ils se trouvent de les retourner au Rwanda, ou à tout autre État qui risquerait de les retourner au Rwanda ou qui constitue lui-même un risque de torture. Par exemple, certains auteurs disent que même si l’acquitté Ngudjolo de la CPI n’obtient pas une réponse favorable à sa demande de statut de réfugié aux Pays-Bas, il ne pourra pas être déporté en RDC en raison de l’interdiction prévue à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, protection qui est de caractère absolu687.

En conclusion, le problème avec le principe de non-refoulement, lorsqu’il n’est pas appuyé par d’autres normes législatives octroyant certaines protections, est qu’il protège la personne contre le refoulement vers un endroit ou certains de ses droits fondamentaux pourraient être violés, mais il ne lui octroie pas de statut légal dans l’État où il se trouve, et il demeure du ressort de ce dernier de déterminer le statut à lui donner688. Dans cette situation, l’État se retrouve à ne pouvoir refouler l’individu, tout en ne voulant pas le garder. Il se doit alors de trouver des alternatives au refoulement, notamment par le biais de l’obtention d’une protection subsidiaire689. Dans une telle situation :

Like refugees they are allowed to stay in the country of refuge but the rights associated to subsidiary status tend to be fewer in the sense that while the substantive rights such as the right to education, medical care and employment are generally the same the right to remain in the country of refuge is more conditional than for refugees, which is usually expressed in being granted a permit to stay in the country for a limited time period690.

686 William O’Neill, Bonaventure Rutinwa et Guglielmo Verdirame, « The Great Lakes : A Survey of the

Application of the Exclusion Clauses in the Central African Republic, Kenya and Tanzania » (2000) 12 Int’l J. Refugee L. 135 à la p 139. La peine de mort a cependant été abolie en 2007, après la publication de cet article. Voir : Lafontaine, Mugesera, supra note 148.

687 Former ICC Defendant – Ngudjolo – Applies for Asylum in the Netherlands, supra note 170. Cependant,

les Pays-Bas ont retourné des témoins en RDC, et ce, malgré une situation pouvant être similaire à celle de Ngudjolo. Voir : IJMonitor, Dutch Court Upholds Rejection of Witnesses’ Asylum Claims, supra note 88.

688 Larsaeus, supra note 547 à la p 75. Les personnes dans cette situation n’ont donc pas accès à l’exercice de

tous leurs droits. Voir à cet effet l’analyse de cette situation aux Pays-Bas : Reijvens et van Wick, supra note 479 aux pp 259 et suivantes.

689 Joseph Rikhof, The Criminal Refugee : The Treatment of Asylum Seekers with a Criminal Background in

International and Domestic Law, Dordrecht, Republic of Letters Publishing BV, 2012 à la p 459 [Rikhof].

Bien entendu, les protections offertes par certaines normes impératives de droit international s’appliquent à tous les êtres humains et les droits fondamentaux de ces personnes doivent donc être respectés par les États, car les normes de Jus Cogens sont indérogeables691. En 1985, l’Assemblée générale des Nations Unies a émis la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent692, déclaration non contraignante qui, bien que certains la considèrent « watered down »693, peut servir de base à l’établissement d’un certain cadre juridique pour ces personnes dans l’attente d’un statut juridique réel.

Les solutions à moyen ou long terme sont donc plus limitées dans une telle situation. On peut en citer quatre : la poursuite pénale de ces individus, l’extradition vers un autre État, la détention à long terme, ou l’installation sur place pour des considérations humanitaires694. Les acquittés ne peuvent évidemment pas être poursuivis de nouveau, car cela irait à l’encontre du principe non bis in idem vu plus tôt695. Pour la même raison, l’extradition vers un autre État ne saurait être envisageable, en plus des considérations juridiques associées à une extradition dans de telles conditions696. La détention est une solution qui n’en est pas une, considérant qu’une détention à long terme risque de violer les normes internationales ou nationales697, d’autant plus que : « […] persons who have committed war crimes or crimes against humanity typically will come to a country of refuge to ‘retire’ and will not represent a danger to the community, which […] will not make them good candidates for any type of detention, let along long term detention »698. Finalement, les solutions humanitaires représentent probablement les solutions les plus envisageables pour les acquittés des juridictions pénales internationales. Ces solutions sont disponibles, exceptionnellement, dans des cas où la situation de précarité persiste699, et sont uniques à

691 Arbour et Parent, supra note 392 à la p 38.

692 Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans

lequel elles vivent, Doc. off. AG NU, 39e année, 116e séance plénière, Doc. NU A/RES/40/144 (1985). 693 Larsaeus, supra note 547 à la p 93.

694 Ce sont les quatre solutions proposées dans : Rikhof, supra note 689 aux pp 460 à 481. 695 Voir ci-dessus, section 1.1.4, à partir de la p 36.

696 Rikhof, supra note 689 aux pp 469 à 473.

697 Pour différentes normes nationales régissant la détention, voir : Ibid aux pp 473 à 477. 698 Ibid à la p 460

chaque État, qui peuvent être.plus ou moins favorables à une telle solution700. Dans le cas des Pays-Bas, qui nous intéresse particulièrement considérant que la CPI se situe sur son territoire, une politique interne permet aux personnes qui ne peuvent être expulsées et qui ont passé un « long-term stay » en territoire néerlandais de demander un permis de résidence, octroyant un statut à long terme701.

En conclusion, le principe de non-refoulement permet de protéger l’individu contre le retour dans un État où il risque la torture, selon la Convention contre la torture, la persécution, selon la CSR, ou tout autre comportement ciblé par d’autres conventions internationales ou régionales. Pour les acquittés des juridictions pénales internationales, ce principe, bien que nécessaire, se doit d’être suppléé par une solution durable leur octroyant un statut à plus long terme, notamment par le biais des solutions humanitaires.