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La question des livraisons de sel aux cantons suisses

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La d´ ecision de construire une nouvelle saline

1.1 Une r´ eponse aux besoins de la Saline de Salins

1.1.3 La question des livraisons de sel aux cantons suisses

a nouveau un prix de revient de 18 livres aux bois de la quatri`eme lieue :

«Saline de Chaux : Le roi ´etant r´esolu en 1772 de tirer de l’affouagement de la Saline de Salins les bois de la quatri`eme lieue qui y ´etoient affect´es, cette saline se trouvoit par la menac´ee d’en remplir le d´eficit par les bois de la forˆet de Chaux qui par la difficult´e de la traite et par l’´eloignement auroit cout´e rendus `a Salins environ 18 livres par corde au lieu de 9 au plus qu’avoit coˆut´e jusqu’alors les bois consomm´es dans cette saline»34.

La question de l’approvisionnement en bois est donc bien la justification premi`ere de la cr´eation de la Saline de Chaux. Et ce probl`eme que doit imp´erativement r´esoudre la Saline de Salins est l’h´eritage d’une situation qui a empir´e au fil du temps, jusqu’`a devenir une pr´eoccupation de tous les instants. Ainsi, quand les m´emoires en faveur de la cr´eation d’une nouvelle saline s’appuient sur d’´eventuelles ´economies de bois, l’argument est d´ecisif.

1.1.3 La question des livraisons de sel aux cantons suisses

Cependant, la cr´eation de la Saline de Chaux vient s’inscrire aussi dans une autre logique, li´ee cette fois `a la capacit´e de production de la Saline de Salins. L`a encore, le probl`eme est un h´eritage des si`ecles pr´ec´edents. En effet, depuis le XVIesi`ecle, la Saline est charg´ee de fournir du sel aux cantons suisses voisins. Or, incapable d’assurer les livraisons

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a la hauteur demand´ee, la Saline de Salins voit ses dettes s’accumuler. La cr´eation d’une nouvelle saline devient alors le moyen d’augmenter la capacit´e de production de la province

34. Archives nationales, F 14 4267,«etails historiques sur les salines de Lorraine des trois ´evˆech´es et de Franche-Comt´e dont le principal objet est d’exposer les variations que ces mines ont successivement

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eprouv´ees dans leur administration», post´erieur `a 1782.

franc-comtoise pour qu’enfin, les engagements pris vis-`a-vis des cantons suisses puissent ˆ

etre respect´es.

Comme pour le bois, le probl`eme de la livraison de sel aux Suisses n’est pas nouveau en Franche-Comt´e `a la fin du XVIIIe si`ecle. Au contraire, la vente des sels vers l’est du Jura est attest´ee d`es le XVIe si`ecle. Elle s’intensifie cependant au cours du XVIIe si`ecle avec la conquˆete fran¸caise. Vendre le sel franc-comtois `a meilleur prix que celui de Bavi`ere ou de Sardaigne permet au roi de France de s’assurer l’alliance des cantons suisses. C’est pourquoi, d`es 1674, Louis XIV conclut des trait´es de fourniture de sel de Salins aux cantons de Fribourg, Soleure et Neuchˆatel. Par la suite, d’autres trait´es sont sign´es avec les cantons de Berne, Lucerne, etc. Le but avou´e de ces transactions est explicitement illustr´e par le terme qui d´esigne les sels export´es, appel´es sels d’alliance, par opposition aux sels de commerce qui sont vendus `a des prix plus ´elev´es35.

Toute la difficult´e vient de l’incapacit´e de la province `a remplir chaque ann´ee les engagements de la Ferme g´en´erale envers la Suisse. En effet, quand la production chute (par exemple en 1723, 1732 ou 1733, `a cause de la s´echeresse), les sels d’alliance ne sont pas fournis en quantit´e suffisante. De surcroˆıt, `a la fin du XVIIIe si`ecle, la Saline de Montmorot, dont trois quarts des sels partaient pour la Suisse, voit la teneur en sel de ses sources sal´ees diminuer progressivement36. Le probl`eme est encore aggrav´e par les r´eticences des fermiers `a vendre des sels d’alliance pour lesquels leur b´en´efice est quasiment nul, le sel ´etant vendu `a un tarif `a peine sup´erieur `a son coˆut de production37.

Les voituriers jouent ´egalement un rˆole dans l’insuffisance des livraisons de sels vers les cantons suisses. Ainsi, au d´ebut du XVIIIe si`ecle, les prix auxquels ils sont r´emun´er´es ne sont pas assez attractifs pour les inciter `a transporter le sel. Ils se tournent alors de pr´ef´erence vers d’autres produits :

«[. . .] Nous avons ´et´e inform´e que les Voituriers des Communaut´es qui sont sur les routes de Salins en Suisse, et qui voiturent ordinairement les Sels en Bosses et en Pains, destin´es pour les Cantons, n´egligent ce Service, et voiturent par pr´ef´erence 35. FERRER Andr´e,op.cit., pp. 123 `a 127.

36. Ibid.

37. Voir Chapitre 2.1.4.1. ”Les prix du sel”.

des Vins, des Fers et Autres choses ; Que mˆeme certains Voituriers desdites Com-munaut´es ont trait´es avec quelques Villes et lieux plus ´eloign´es pour transporter le Sel d’Ordinaire, le tout au pr´ejudice des Ordonnances de Messieurs Chauvelin, de la Fond et de Bernage [. . .]»38.

Pour rem´edier `a cette situation, l’ordonnance du 13 janvier 1715 met en place deux mesures. L’une, punitive, tente de contraindre les voituriers `a effectuer leur devoir sous peine d’amende :

«Tous les Voituriers des Communaut´es qui sont sur les Routes de Salins en Suisse, et qui ont jusqu’ici voitur´e des Sels en Pains ou en Bosses pour les Cantons, seront tenus de Voiturer incessament et par pr´ef´erence `a toute autre chose, tous les Sels qui sont dans les Magasins, Granges et Villages desdites Routes, et dans les Salines de Salins. Et de continuer `a voiturer aussi par pr´ef´erence `a toute autre chose, ceux qui seront fa¸conn´es dans la suite auxdites Salins pour lesdits Cantons, et ce `a peine de Cinquante livres d’Amende et de Garnison Militaire [. . .]»39.

L’autre, incitative, consiste `a augmenter les prix des voitures des sels sur chaque section du parcours :

«En leur payant par le Fermier des Gabelles et Domaines de la Province, sans tirer `a cons´equence pour l’avenir, le prix ci-apr`es r´egl´e, tant par rapport `a la raret´e des Voitures, caus´ee par la mortalit´e arriv´ee sur le B´etail, qu’`a cause de la chert´e extraordinaire des denr´ees, et de celles des fers et autres choses n´ecessaires pour l’entretien des ´Equipages, Harnois et Chevaux»40.

L’augmentation des prix est calcul´ee par bosse41. Ainsi, on passe de 12 ou 16 sols par bosse entre Pontarlier et Les Fourgs `a 20 sols entre Andelot et Censeau. Parfois, autour de Salins notamment, l’augmentation est moindre, car elle prend en compte les voitures de bois qui peuvent ˆetre livr´ees `a la Saline en retour. Par exemple, on passe de 18 sols `a 20 sols entre Salins et Villeneuve. Cette ordonnance t´emoigne de l’ant´eriorit´e et de l’ampleur du probl`eme de la livraison de sel aux cantons suisses. Mais ce n’est pas l`a son seul int´erˆet, puisqu’elle nous permet ´egalement de connaˆıtre les routes et les ´etapes

38. Archives d´epartementales du Jura, C 1217, Ordonnance du 13 janvier 1715.

39. Ibid.

40. Ibid.

41. Terme qui d´esigne les tonneaux de bois dans lesquels le sel en grain ´etait transport´e.

du sel, depuis Salins jusqu’aux cantons. Au XVIIIe si`ecle, le sel de Salins suivait ainsi deux routes principales : la route de Pontarlier jusqu’`a Sainte-Croix et celle de Jougne jusqu’`a Lignerolles. Ces chemins du sel comtois vers la Suisse sont compl´et´es par les routes principales qui desservent la province elle-mˆeme et conduisent le sel sur le territoire fran¸cais. Parmi les plus importantes, on peut noter celle de Salins `a Lons-le-Saunier, celle de Salins `a Dole pour la livraison de sel en Bourgogne, celle de Salins `a Besan¸con, ou encore celle de Salins `a Pont-de-Roide en passant par Valdahon, qui a longtemps servi

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a d´elimiter les zones de livraison du sel dans la province42. Bien que le r´eseau routier de distribution du sel autour de Salins ´evolue au fil des si`ecles, ces axes majeurs sont incontournables et continuent d’ˆetre emprunt´es jusqu’au XIXe si`ecle.

Cependant, malgr´e les mesures prises pour am´eliorer la livraison des sels vers les cantons suisses, les arri´er´es s’accumulent, jusqu’`a hauteur de 200 000 quintaux en 1773 pour le seul canton de Berne43. Car la Saline de Salins atteint les limites de sa capacit´e de production. Par cons´equent, la cr´eation de la Saline de Chaux doit apporter une nouvelle solution au probl`eme. En effet, sur les 60 000 quintaux de sel qu’elle doit produire annuel-lement, 30 000 sont suppos´es remplacer une partie de la production de la Saline de Salins, qui abaisserait sa production de 130 000 `a 100 000 quintaux annuels. Les 30 000 quintaux restants de sel produits `a Chaux serviraient alors `a augmenter de fa¸con globale la capacit´e de production de l’ensemble des salines comtoises. Le projet est ainsi r´esum´e dans l’arrˆet de 1773 qui d´ecide de la construction d’une nouvelle saline `a proximit´e de la forˆet de Chaux :

«[. . .] Le projet ayant pour objet d’´etablir dans l’emplacement indiqu´e une nou-velle saline et y former annuellement avec une partie des bois de ladite forˆet qu’il plairoit `a sa majest´e d’y affecter et `a l’aide du bˆatiments du graduations qu’il est ais´e d’y construire pour suppl´eer au faible degr´e des petites eaux soixante mille quintaux de sel dont trente mille au soulagement et `a la d´echarge de Salins et le surplus en augmentation de produit qui devient n´ecessaire pour mettre le dit adjudicataire en

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etat de compl´eter les fournitures en sel aux quelles il s’est engag´e envers les louables cantons suisses et d’acquitter celles qui sont arri`eres, [. . .]»44.

42. ROUSSEL Christiane, BELHOSTE Jean-Fran¸cois, op.cit., p. 110.

43. FERRER Andr´e,op.cit., pp. 123–127.

44. Archives d´epartementales du Jura, C 406, ˆArrˆet de 1773.

L’accumulation des arri´er´es envers les cantons suisses contribue `a justifier la d´ecision de construire une nouvelle saline. `A la veille de sa cr´eation, la Saline de Chaux semble alors ˆetre une solution efficace pour augmenter la capacit´e de production de sel de la province et tenir des engagements fix´es plus d’un si`ecle auparavant.

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