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Une carri` ere priv´ ee : l’architecte de la noblesse

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 136-161)

La construction de la Saline

2.2 Ledoux, l’architecte de la Saline

2.2.2 Une carri` ere priv´ ee : l’architecte de la noblesse

«J’´etois en ´evidence, j’´etois `a l’apog´ee des faveurs ; il falloit les m´eriter en prenant le parti que la post´erit´e elle-mˆeme n’a pas le droit de r´eprouver. Quand on est inspir´e par le dieu des arts, on ne transige pas avec la Renomm´ee»14.

Ces mots de la main de Claude Nicolas Ledoux t´emoignent largement du succ`es que son style rencontre, notamment aupr`es de la noblesse de cour. En effet, ce ne sont pas moins de 15 chantiers priv´es dont Ledoux obtient la charge entre 1763 et 1773. Si l’objectif ici n’est pas d’en dresser un catalogue exhaustif, il s’agit de s’int´eresser aux commandes les plus marquantes pour mettre en ´evidence l’importance du r´eseau de relations de Ledoux.

Ainsi, d’une commande `a l’autre, Ledoux d´eveloppe de nouveaux contacts dans les milieux de la finance et de la noblesse parisiennes. Il se construit un tissu d’amiti´es pr´ecieuses qui lui apportent la protection n´ecessaire et lui permettent d’ˆetre recommand´e pour des projets toujours plus ambitieux. S’il n’est pas toujours facile de reconstituer le d´etail de ce r´eseau, on peut au moins souligner les connections entre les diff´erents acteurs qui ont contribu´e `a l’ascension de Claude Nicolas Ledoux.

Parmi ses premiers clients, se trouve la famille Hocquart, pr´esente dans tous les milieux et li´ee `a la haute noblesse, avec notamment Jean Hyacinthe Hocquart II (1694–

1764), fermier g´en´eral jusqu’en 1762, devenu seigneur de Montfermeil et de Coubron grˆace au patrimoine foncier qu’il a su se constituer autour de Montfermeil (Seine-Saint-Denis)

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a partir de 173715. En 1764, Ledoux rebˆatit le chˆateau de Montfermeil pour son fils, Jean Hyacinthe Louis Emmanuel Hocquart, pr´esident au parlement, et construit un pavillon sur la Chauss´ee d’Antin (vers la rue Saint-Lazare). Dans ce dernier projet, Ledoux affirme plus ouvertement son style. La salle `a manger circulaire, ´eclair´ee d’en haut par un dˆome, s’inscrit dans un bˆatiment de forme carr´ee, dot´e de porches ioniques `a fronton, inspir´e de la villa Rotonda de Palladio. Ses liens avec la famille Hocquart permettent `a Ledoux de se lier

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egalement avec le marquis de Montesquiou. En effet, Jeanne-Marie, une des filles de Jean Hyacinthe Hocquart ´epouse en 1760 le marquis Anne-Pierre de Montesquiou (1739–1798),

14. LEDOUX Claude Nicolas,op.cit., p. 34.

15. Jean Hyacinthe Hoquart est le fils de Jean Hyacinthe Hoquart Ier, ancien commissaire ordonna-teur du port de Brest, fermier des Cinq Grosses Fermes, intendant de la Marine `a Toulon et au Havre, puis secr´etaire de Colbert. Il ´epouse en 1724 Anne Gaillard de La Bou¨exi`ere, elle-mˆeme fille de fermier en´eral.Cf.DURAND Yves,op.cit., pp. 96–97 et 399.

colonel aux grenadiers de France ayant re¸cu la croix de Saint-Louis, premier gentilhomme du Dauphin et futur membre de l’Acad´emie fran¸caise16. Habitu´e `a la compagnie des ´ ecri-vains, le marquis de Montesquiou, avec qui Ledoux d´eveloppe une r´eelle amiti´e, fr´equente de nombreux artistes dans la loge ma¸connique de Saint-Jean d’´Ecosse. Mˆeme si le fait n’est pas clairement attest´e dans les archives, il est donc fort probable que Ledoux ait eu de nombreux contacts avec la franc-ma¸connerie. Cette hypoth`ese est d’ailleurs renforc´ee par d’autres documents ´evocateurs, comme le r´ecit initiatique de l’´ecrivain anglais William Beckford, et sert parfois `a appuyer l’id´ee que Ledoux lui-mˆeme ait pu faire partie de la franc-ma¸connerie17. Quoi qu’il en soit, pour le marquis de Montesquiou, Ledoux recons-truit entre 1763 et 1767 le chˆateau de Maupertuis, au sud de Coulommiers18. L`a aussi, il embellit le chˆateau `a l’aide de colonnes ioniques. Mais dans des gravures plus tardives, l’architecte remplace l’ordre ionique par du dorique. Cependant, grˆace `a quelques vestiges et `a une peinture de Louis-Claude Chˆatelet, l’utilisation du ionique pour la construction a pu ˆetre attest´ee19. Son projet architectural pour le chˆateau de Maupertuis n’est donc pas encore r´ev´elateur du style r´esolument n´eo-classique de Ledoux. De nombreux d´etails le rapprochent de la tradition classique, comme le souligne Michel Gallet :

«Nous sommes encore tr`es loin du cubisme pour lequel Ledoux est c´el`ebre : les angles du bˆatiment portent des chaˆınes de refends, comme en montrent toutes les planches de Blondel, les toits sont `a la Mansart. Seul trait moderne, l’encadrement des fenˆetres est `a crossettes comme dans quelques œuvres de Trouard»20.

Mais le chˆateau de Maupertuis est surtout remarquable pour l’harmonie que l’archi-tecte cr´ee entre le bˆatiment et le site lui-mˆeme. Car c’est tout le plan g´en´eral du parc que Ledoux dessine. Il s’inspire des jardins anglais pour cr´eer un v´eritable paysage pittoresque, dans lequel le v´eg´etal entre en accord avec le min´eral. Ainsi, les d´ependances du bˆatiment principal, comme l’orangerie, la faisanderie, le pavillon pour les gardes champˆetres, dont Ledoux dessine ´egalement les plans, sont dispers´ees au milieu des jardins. `A l’entr´ee, une fontaine rustique en pierres du pays, en forme de fer-`a-cheval, est aliment´ee par un

dispo-16. Ibid., p. 399.

17. RITTAUD-HUTTINET Jacques, Claude-Nicolas Ledoux : les trois temples, Chatillon-sur-Chalaronne : ´Editions La Taillanderie, 2005, p. 10.

18. Le chˆateau de Maupertuis est le lieu dans lequel se situe l’action du roman m´edi´eval,Le Roman de Renart.

19. GALLET Michel,Architecture de Ledoux, In´edits pour un tome III,op.cit., p. 25.

20. Ibid., p. 25.

sitif hydraulique, de mˆeme qu’une autre fontaine dans la cour des communs. Le chˆateau de Maupertuis fait partie des projets d´ecisifs de la carri`ere de Ledoux. De plus, c’est dans ses murs qu’il rencontre nombre de ses futurs protecteurs.

Parall`element, Ledoux poursuit sa carri`ere parisienne. Apr`es son mariage avec Marie Bureau, en 176421, il quitte son appartement situ´e rue Quincampoix et s’installe rue Plˆ a-tri`ere. Il s’engage dans de nouveaux projets comme l’Hˆotel d’Hallwyll, rue Michel Comte, en 1766–1767. Ce projet, dans lequel il revient aux sources de l’architecture classique fran¸caise, met Ledoux en relation avec un autre type de clients, issu des milieux d’affaires suisses implant´es `a Paris et de la haute noblesse d’´ep´ee. En effet, Franz d’Hallwyl est colonel de la garde suisse du roi. `A ce titre, il est sous la protection du banquier suisse Georges Tobie de Th´elusson (1728–1776), et de son associ´e Jacques Necker (1732–1804), futur ministre de Louis XVI22. Ces derniers font am´enager les anciens bureaux qu’ils pos-s`edent rue Michel Comte pour y installer les ´epoux Ledoux. Il est difficile de savoir avec certitude comment Ledoux est entr´e en contact avec Georges Th´elusson. Les travaux de Daniel Rabreau mettent en valeur une surprenante co¨ıncidence. En r´ealit´e, Th´elusson est un des descendants des seigneurs de Dormans, le village natal de Ledoux23. N´eanmoins, l’explication la plus probable passe par un autre protecteur de Ledoux, le fermier g´en´eral Pierre Andr´e Haudry de Soucy qui, comme Ledoux, r´eside rue Plˆatri`ere et est un ami

21. Le mariage entre Claude Nicolas Ledoux et Marie Bureau, fille de Joseph Gr´egoire Bureau, musicien de la chambre et de l’ ´Ecurie du roi, est certifi´e le 24 juillet 1764, en l’´etude de M. Gilbert, cloˆıtre Sainte-Opportune, et le mariage religieux est c´el´ebr´e le 26 juillet `a Sainte-Eustache. Ensemble, ils auront deux filles, Ad´ela¨ıde-Constance, n´ee en 1771 et Alexandrine-Euphrasie, n´ee en 1775.Cf. Ibid., p. 24.

22. Jacques Necker fait ses d´ebuts chez le banquier Jean-Henri Labhard, qui compte parmi ses clients d’illustres personnalit´es anglaises et hollandaises. D`es 1751, les comp´etences de Necker lui permettent de recevoir de l’avancement et d’int´egrer le si`ege de la banque `a Paris. `A la mort de Labhard en 1753, c’est son gendre, Isaac Vernet, issus d’une famille de bourgeois de Gen`eve, qui prend la rel`eve. Il souhaite confier la direction des affaires hollandaises de la banque `a Necker. N´eanmoins, malgr´e des comp´etences reconnues, Vernet estime que Necker est encore trop jeune pour en partager seul avec lui toutes les responsabilit´es.

Il fait alors appel `a l’un de ses neveux, Georges Tobie de Th´elusson. Ensemble, ils fondent en 1756 la nouvelle soci´et´e en commandite Vernet, Th´elusson et Necker. `A la mort de Georges Tobie, la fortune de la famille Th´elusson est estim´ee `a 7 108 650 livres, que sa veuve d´epense en faisant construire par Ledoux un hˆotel sur la Chauss´ee d’Antin.Cf.DE DIESBACH Ghislain,Necker ou la faillite de la vertu, Alen¸con : Librairie acad´emique Perrin, 1978. R´edition, 1987, pp. 28–30, 38.

23. RABREAU Daniel,Claude-Nicolas Ledoux,op.cit., p. 18.

de Mme Th´elusson24. Il est donc fort probable que ce soit Haudry qui ait recommand´e Ledoux aux Th´elusson.

Ses liens avec la famille Hocquart permettent ´egalement `a Ledoux de se proposer pour le projet de l’Hˆotel d’Uz`es (1768–1769), entre les rues Montmartre et Saint-Fiacre.

En effet, lorsque Fran¸cois Emmanuel de Crussol, neuvi`eme duc d’Uz`es, souhaite faire reconstruire son hˆotel, c’est le pr´esident au parlement Jean Hyacinthe Hocquart qui lui sert de cr´eancier. Ainsi mis en relation, et alors que deux autres architectes (Rousset et Cherpitel) avaient d´ej`a soumis des premiers plans, Ledoux fait une proposition qui semble mieux convenir aux attentes du duc et de la duchesse d’Uz`es. Il choisit en effet un d´ecor all´egorique qui, reprenant certains ´el´ements du caf´e Godeau, c´el`ebre la gloire militaire.

On y retrouve les lambris sculpt´es et les bas-reliefs dor´es, r´ealis´es par Joseph M´etivier, mais aussi les miroirs dans lesquels se refl`etent les troph´ees militaires et les embl`emes de la guerre ou des arts qui servent de d´ecoration au salon. De fa¸con g´en´erale, le travail de Ledoux pour l’Hˆotel d’Uz`es est largement critiqu´e par Blondel, que ce soit pour l’utilisation de d´ecors militaires dans un salon ou pour l’utilisation de grandes colonnes d’inspiration grecque qui, selon le maˆıtre, ´etouffent les ´el´ements mineurs de l’ordonnance25.

Les critiques de Blondel n’empˆechent pas Ledoux de poursuivre sa carri`ere. En 1769, il installe son cabinet rue Neuve-d’Orl´eans, dans un quartier du nord de Paris o`u une sp´eculation fonci`ere dynamique contribue `a l’urbanisation du secteur et `a l’ouverture de nouveaux lotissements26. Ledoux trouve ainsi sa place entre propri´etaires et promoteurs, grˆace auxquels il rencontre de nouveaux clients. L’architecte n’est donc pas ´etranger `a une certaine forme de sp´eculation immobili`ere qu’il pratique ponctuellement :

24. Pierre Andr´e Haudry de Soucy (1736–1817) appartient `a une famille originaire d’Ile-de-France qui a acquis ses lettres de noblesse `a la g´en´eration pr´ec´edente, lorsque Andr´e Haudry p`ere ach`ete en 1746 la seigneurie de Soucy et celle de Fontenay-l`es-Briis. `A sa mort en 1770, la fortune du p`ere est estim´ee `a pr`es de 1 051 795 livres. Adjoint de 1756 `a 1768, Pierre Andr´e Haudry est fermier g´en´eral entre 1768 et 1781. Int´eress´e par les arts, notamment la musique, il est l’un des plus importants soutiens du«concert des amateurs» qui se tenait tous les mercredis `a l’hˆotel de Soubise depuis 1770. Les r´eunions de cette soci´et´e passionn´ee de musique s’arrˆetent en 1781, lorsque Haudry, ruin´e par sa liaison avec Melle Laguerre, danseuse `a l’Op´era, fait faillite. Le nom des Haudry continue n´eanmoins de briller avec Andr´e Haudry de Soucy fils (1765–1844), administrateur des salines royales, devenu d´eput´e de Seine-et-Oise en 1815, puis baron en 1819. Cf.DURAND Yves,op.cit., pp. 167, 545 et 663.

25. GALLET Michel,Claude-Nicolas Ledoux, Picard, Paris, 1980, p. 55.

26. DURAND Yves,op.cit., pp. 217–220.

«Entre les premiers acqu´ereurs de terrain et les architectes s’interposait un r´ e-seau complexe de prˆete-noms et de sous-traitants. Des princes du sang, comme le duc d’Orl´eans, ne d´edaign`erent pas la sp´eculation. Dans plusieurs cas, les architectes ac-quirent eux-mˆemes des parcelles pour ˆetre plus sˆurs d’y bˆatir ; Ledoux devait le faire quelquefois. Ces pratiques sont plus anciennes que le XVIIIe si`ecle ; elles ont encore cours. En 1769, pour l’hˆotel de Montmorency, Ledoux prit avec un agent immobilier ce qu’il appelle un«arrangement». Ce Florent-Joseph Lenormand de M´ezi`eres fut son premier promoteur. Il ´etait financi`erement solidaire de sa femme et confia aussi

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a Ledoux la construction de quelques maisons de campagne `a Eaubonne»27.

L’hˆotel de Montmorency (1769–1771), `a l’angle de la rue Basse-du-Rempart et de la rue de la Chauss´ee d’Antin, est assez r´ev´elateur du rˆole que jouent ces financiers dans la relation entre de nobles propri´etaires et les architectes en vue comme Ledoux. En effet, le prince Louis Fran¸cois Joseph de Montmorency (1737–1781), brigadier des arm´ees du roi, colonel du r´egiment de Touraine et descendant de conn´etables de France, s’adresse d’abord pour sa maison `a un homme d’affaires, le financier Joseph Florent Le Normand de M´ezi`eres (1719–1793, issu d’une famille de fermiers originaire de l’Orl´eanais), qui compte Ledoux parmi ses architectes. Le Normand confie le chantier `a Ledoux, qui propose une architecture de caract`ere. Le bˆatiment carr´e offre un contraste entre un soubassement rustique et des ´el´evations reprenant les codes des grands ordres antiques. L’´etage sup´erieur est d´ecor´e de huit statues repr´esentant les conn´etables de Montmorency et prend ainsi une signification sociale particuli`ere `a une ´epoque o`u les grandes familles aristocratiques se retournent vers leurs origines lointaines. Ledoux met en place un circuit entre la cour des remises et l’entr´ee d’honneur qui permet aux voitures de d´eposer leurs passagers

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a couvert. Si cet ´el´ement de confort existait d´ej`a dans quelques hˆotels parisiens avant Ledoux, l’architecte sait l’utiliser pour valoriser son architecture. `A l’int´erieur, les salles de r´eception s’alignent selon une disposition angulaire soulign´ee par un grand escalier en diagonale. L`a encore, les bas-reliefs sont sculpt´es par M´etivier et repr´esentent des muses, des vases, etc. Dans la d´ecoration, on trouve cette fois de nombreux symboles comme les compas, les globes, les caduc´ees, utilis´es pour souligner les liens qui unissent la famille

27. GALLET Michel,Architecture de Ledoux, In´edits pour un tome III,op.cit., p. 28.

Montmorency `a la franc-ma¸connerie. Mais le rˆole de Le Normand de M´ezi`eres ne s’arrˆete pas l`a puisque, ensuite, comme le souligne Michel Gallet, il confie `a Ledoux les plans d’un pavillon dans son domaine d’Eaubonne, `a proximit´e de la ville de Montmorency (Val-d’Oise). Il y fait construire une demeure `a l’architecture de type palladienne pour le po`ete Charles Fran¸cois de Saint-Lambert, ami de Ledoux.

Le d´eveloppement du march´e immobilier dans les quartiers nord de Paris conduit

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egalement Ledoux `a rencontrer un autre fermier g´en´eral, qui compte parmi ses principaux protecteurs. Il s’agit de Jean-Joseph de Laborde (1724–1794), fermier g´en´eral attir´e par les arts. Amant de Melle Guimard grˆace `a qui il rencontre l’architecte, Laborde est un musicien jou´e `a la cour, ancien ´el`eve de Jean-Philippe Rameau (1683–1764) et de Pietro Antonio Locatelli (1695-1764). C’est `a la fois un parfait courtisan et un bon repr´esentant du milieu financier par les nombreuses alliances auxquelles il est rattach´e28. Les pro-jets de Laborde sont multiples. Par exemple, il fait construire les nouveaux quartiers des rues d’Artois et de Provence (aujourd’hui Laffitte), il ouvre deux portes sur le boulevard Montmartre. En 1781, en tant que conseiller de Choiseul, il participe ´egalement `a l’´ eta-blissement du th´eˆatre italien dans les jardins de l’hˆotel de l’ancien ministre. Ainsi, c’est une figure majeure du d´eveloppement de la sp´eculation immobili`ere dans les nouveaux quartiers de Paris, comme le souligne Yves Durand :

«Quelques fermiers, peu nombreux, ont pratiqu´e une v´eritable sp´eculation im-mobili`ere dans les deux quartiers o`u se font au XVIIIe si`ecle les nouveaux hˆotels de la haute noblesse et des financiers, et vers o`u se d´eplacent les commerces de luxe et les quartiers `a la mode. [. . .] Les sp´eculations les plus importantes furent r´ eali-s´ees par Jean-Joseph de Laborde, fermier g´en´eral, banquier de la Cour, armateur, propri´etaire `a Saint-Domingue et l’un des plus riches possesseurs de seigneuries de tous les financiers. Ses premi`eres acquisitions dans la r´egion des boulevards vinrent de Jacques Bouret de V´ezelay, puis il lui succ´eda dans l’am´enagement et le lotisse-ment des rues nouvellelotisse-ment perc´ees. Laborde eut l’assistance des architectes Perlin et Ledoux pour lotir les environs de la rue de Provence. [. . .]»29.

28. DURAND Yves,Les fermiers g´en´eraux au XVIIIesi`ecle,op.cit., p. 522.Cf.´egalement DURAND Yves, Finance et m´ec´enat, les fermiers g´en´eraux au XVIIIesi`ecle, Paris : Hachette, 1976, p. 218.

29. DURAND Yves,Finance et m´ec´enat,op.cit., pp. 217–218.

Pour lui, Ledoux effectue plusieurs commandes rue de Provence, mais il transforme aussi un hˆotel rue du Sentier en 1775 et construit un pavillon au 38, rue du Faubourg-Poissonni`ere, pour le beau-fr`ere de Laborde, sur un terrain lui appartenant.

A cette p´` eriode, et pour reprendre l’expression de Ledoux, l’architecte est r´eellement

«`a l’apog´ee des faveurs»30. Les commandes se succ`edent rapidement. Ainsi, sur un terrain contigu au pavillon Hocquart, il construit un autre pavillon pour Melle Saint-Germain ; il d´ecore un appartement pour le baron Crozat de Thiers, place Vendˆome ; il transforme la maison de la marquise de Foucault, rue Basse-du-Rempart.

Hors de Paris, Ledoux est aussi l’architecte de la reconstruction du chˆateau de B´ e-nouville (1769–1771), dans la campagne de Caen, pour le marquis de Livry, ancien cheva-lier de Malte, maˆıtre de camp de cavalerie et sous-lieutenant des gendarmes de Bretagne, par ailleurs fils du premier maˆıtre d’hˆotel de Louis XV. Le chˆateau de B´enouville, dont le chantier dure plusieurs ann´ees, ce qui aurait conduit le marquis de Livry `a la faillite, est inspir´e par le voyage de Ledoux en Angleterre. Ce voyage n’est pas facile `a dater mais il se situerait entre 1763 et 1774. Ledoux aurait profit´e de ce voyage pour dessiner des plans de villa pour Lord Clive (1725–1174), gouverneur de l’Inde, mais aussi pour d´ecouvrir l’industrie, l’agriculture, les sports ´equestres, etc31. Ce voyage en Angleterre, d’ailleurs

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evoqu´e `a plusieurs reprises dans l’œuvre ´ecrite de Ledoux, n’a rien de surprenant. `A cette

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epoque, il est en effet d’usage courant pour les artistes de cultiver des liens avec l’Angle-terre dont le rayonnement culturel touche la France. Ledoux y puise son inspiration pour le chˆateau de B´enouville qui exprime une conception du prestige aristocratique dont les chˆateaux fran¸cais n’offrent pas encore l’´equivalent. Ainsi, le bˆatiment, sans fronton, est mis en valeur par des verticales fortement affirm´ees. Avec le chˆateau de B´enouville, Ledoux se tourne vers une architecture imposante, plus d´epouill´ee, ce qui traduit une recherche

epoque, il est en effet d’usage courant pour les artistes de cultiver des liens avec l’Angle-terre dont le rayonnement culturel touche la France. Ledoux y puise son inspiration pour le chˆateau de B´enouville qui exprime une conception du prestige aristocratique dont les chˆateaux fran¸cais n’offrent pas encore l’´equivalent. Ainsi, le bˆatiment, sans fronton, est mis en valeur par des verticales fortement affirm´ees. Avec le chˆateau de B´enouville, Ledoux se tourne vers une architecture imposante, plus d´epouill´ee, ce qui traduit une recherche

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