• Aucun résultat trouvé

Le chantier de la Saline

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 190-195)

La construction de la Saline

2.3 La mise en place de la Saline

2.3.1 Le chantier de la Saline

2.3.1.1 L’acquisition des terres

La construction de la Saline mobilise largement les ressources franc-comtoises pour la r´ealisation des travaux, qui se d´eroulent en plusieurs ´etapes. La premi`ere consiste `a acqu´erir les terrains destin´es `a la production du sel. Selon le trait´e de 1774, la future Saline de Chaux doit ˆetre ´edifi´ee sur la plaine s´eparant les villages d’Arc et de Senans. Il faut donc acheter les terrains au nom du roi pour permettre la r´ealisation du projet. C’est pourquoi un arrˆet du Conseil du roi dat´e du 8 juin 1774 nomme le mar´echal de Longeville, d´ej`a commissaire des salines de Salins et de Montmorot, pour faire :

«[...] les diff´erentes acquisitions de terrains, cours d’eau n´ecessaires pour les

´

etablissements des conduites, bˆatiments de graduations, ouverture de carri`eres et enceinte de la nouvelle saline `a ´etablir pr`es d’Arc-et-Senans, faire dresser les plans et devis, suivre les diff´erentes constructions et l’emploi des bois et mat´eriaux n´ecessaires

`

a cet ´etablissement, et pour juger des contestations que lesdits d´ebats de terrains, et les diff´erents travaux pourroient faire naˆıtre»1.

En cons´equence de cet arrˆet, le mar´echal de Longeville voit ses responsabilit´es ´ eten-dues `a l’ensemble des trois salines franc-comtoises. Il b´en´eficie par ailleurs de la confiance du roi qui lui laisse l’initiative compl`ete quant au choix des terrains comme en t´emoigne

´

egalement l’article 1er de l’arrˆet du 12 juin 1774 qui fixe plus pr´ecis´ement les formes de l’administration de la nouvelle saline :

«Tous les terrains n´ecessaires `a l’´etablissement de la nouvelle saline tant au dedans qu’au dehors mˆeme ceux dont on ne pourra se dispenser de se procurer la propri´et´e pour l’emplacement des corps de conduite destin´es `a l’´ecoulement des eaux sal´ees depuis la Saline de Salins jusqu’`a ladite nouvelle saline et des entrepˆots 1. Archives nationales, E 2508, fol.460, Arrˆet du Conseil du roi du 8 juin 1774.

`

a ´etablir sur les routes tant pour la traite des bois n´ecessaires `a son exploitation que pour l’exp´edition des sels qu’elle pourra fournir `a l’´etranger seront achet´es aux frais de Sa Majest´e et `a dire d’experts qui seront nomm´es par le Commissaire `a qui il luy plaira de confier l’administration de ladite saline et de tout ce qui a rapport

`

a son ´etablissement»2.

Le commissaire des salines a donc un pouvoir d’intervention tr`es large dans la mise en place de la nouvelle saline. Ce sont ses d´ecisions qui conditionnent l’´etendue des d´epenses concernant l’acquisition des terrains pour la Saline. Par ailleurs, il est aussi celui qui repr´esente l’autorit´e royale en cas de litige. Ses comp´etences ´etendues limitent les pouvoirs des financiers qui cautionnent le projet.

Quant aux terres en question, `a la fin du XVIIIe si`ecle, elles sont encore en grande partie la propri´et´e des seigneurs de Roche et Chˆateau-Rouillaud :

«Le trait´e pr´evoyait que la Saline serait r´ealis´ee aux frais de l’entrepreneur sur l’emplacement fix´e par l’arrˆet du Conseil du roi du 29 avril 1773, c’est-`a-dire sur le site des seigneureries de Chˆateau-Rouillaud et de Roche»3.

Les terres acquises pour la construction de la Saline sont en effet comprises dans les seigneureries de Roche-en Valois d’une part et de Chˆateau-Rouillaud d’autre part, deux forteresses rivales situ´ees pr`es d’Arc-et-Senans, l’une au bord de la Loue et l’autre

`

a la lisi`ere de la forˆet de Chaux et connues depuis le XIIe si`ecle. Le chˆateau de Roche est d’abord tenu `a partir de 1292 par Andr´e de Roche, puis, `a la suite de mariages successifs, il entre dans la famille Poupet, avec Jean de Poupet seigneur de Roche `a la fin du XVIe si`ecle, puis son fr`ere, Guillaume de Poupet, abb´e de Baume qui h´erite de ses biens. En 1667, la seigneurie est vendue par d´ecret et acquise par la famille de Brun qui modernise le chˆateau et reste propri´etaire des terres jusqu’au moment de la construction de la Saline de Chaux4. L’inventaire d´etaill´e des titres de propri´et´e de Chˆateau-Rouillaud et Roche c´ed´es pour l’´etablissement de la nouvelle saline est r´ealis´e le 16 mars 1779 et remis au Parlement le 25 juin 1779, alors que les travaux de construction ont d´ej`a largement

2. Archives d´epartementales du Jura, C 406, Extraits des d´elib´erations du Conseil d’ ´Etat.

3. HUMBERT Roger,op.cit., p. 201.

4. Archives d´epartementales du Doubs, 7 E 3096, Titres de famille.

d´ebut´e5. L’ensemble des terres est acquis pour la somme de 650 000 livres, auxquelles s’ajoutent 4 000 livres d’indemnit´es servant `a compenser la perte des diff´erents droits et d´ependances associ´es aux seigneureries.

2.3.1.2 Fournitures et main-d’œuvre pour la construction de la Saline

Apr`es l’acquisition des terrains n´ecessaires, l’´etape suivante de l’´etablissement de la nouvelle saline n’est autre que l’approvisionnement en mat´eriaux n´ecessaires `a sa construc-tion. Ainsi, l’article 3 de l’arrˆet du 12 juin 1774 offre la possibilit´e `a l’entrepreneur de se fournir en mat´eriaux de construction `a son gr´e, sans limites financi`eres ou g´eographiques :

«L’entrepreneur pourra ouvrir pour la construction l’entretien, les grosses ou menues r´eparations de ladite saline et d´ependances dont il sera charg´e, des carri`eres de pierre, gypse, plˆatre, des sablonniers [...] propres aux constructions ou `a la fabri-cation de la tuile ou de la brique, partout o`u il en trouvera qui lui conviennent en d´edommageant les propri´etaires des terrains, de gr´e `a gr´e ou `a dire d’experts qui seront `a la nomination des commissaires du Conseil»6.

L’arrˆet du Conseil du 12 juin 1774 pr´evoit donc des dispositions qui permettent aux entrepreneurs de b´en´eficier eux aussi d’une grande autonomie en ce qui concerne les fournitures n´ecessaires au chantier. Les diff´erents articles que le texte comprend listent l’ensemble des mat´eriaux utiles `a cet ´etablissement et prennent le mˆeme type de disposi-tions pour chacun d’entre eux. Ainsi, l’entrepreneur peut ´egalement se fournir librement dans la forˆet de Chaux, mˆeme dans les forˆets affect´ees aux deux autres salines (Salins et Montmorot) sans charges suppl´ementaires, qu’il s’agisse du bois pour la construction des conduites d’eau sal´ee, du bois de charpente, ou mˆeme des ´epines pour la construction du bˆatiment de graduation. Le chantier de la Saline fait donc largement appel aux res-sources r´egionales. C’est ´egalement le cas pour les forges7 dont l’activit´e augmente avec la construction de la Saline. Ainsi en est-il de Chamesin, maˆıtre de forges pr`es de Salins,

5. Archives d´epartementales du Doubs, 7 E 3096, Titres de famille, Inventaire des titres concernant les seigneureries de Chˆatel-Rouillaud et de Roche.

6. Archives d´epartementales du Jura, C 406, Extraits des d´elib´erations du Conseil d’ ´Etat.

7. WORONOFF Denis,Histoire de l’industrie en France du XVIesi`ecle `a nos jours, Paris : Seuil, 1994, pp. 112–134.

qui re¸coit en 1775 l’autorisation d’´etablir un second martinet dans sa forge afin d’´etendre sa production de fer et pouvoir fournir les salines :

«Le Sr. Chamesin propri´etaire actuel de ce martinet s’est essentiellement attach´e

`

a remplir cette condition et il vient mˆeme de se charger envers les entrepreneurs de la construction de la nouvelle saline pr`es de la forˆet de Chaux de la fourniture de tous les liens de fer n´ecessaires pour fretter les tuyaux ou corps de fontaine des deux files de conduite qui doivent ˆetre ´etablies pour amener les eaux sal´ees de Salins `a cette nouvelle saline. [...] Et pour cela il projette de joindre au fourneau dont il jouit actuellement [...] un second fourneau pour y fondre la gueuse et d’´etablir au mˆeme lieu une seconde roue `a marteau ce qui le mettroit en ´etat de fournir aux trois salines de la province toutes les esp`eces de fers dont elles ont besoin `a un bien plus bas prix que ne le peuvent faire les autres maˆıtres de forges d’o`u les fermiers des salines sont oblig´es de tirer ce genre d’approvisionnement»8.

Il en est de mˆeme pour un autre maˆıtre de forge, Alexis Olivier, install´e `a Cham-pagnole, qui lui aussi fait construire un nouveau martinet pour subvenir aux besoins en fer des salines et notamment pour la construction de la nouvelle. Dans un m´emoire du 31 mars 1778, il demande au roi de faire valider les constructions qu’il a dˆu effectuer sur le cours d’eau `a proximit´e de sa forge pour pouvoir satisfaire aux besoins des salines, ses an-ciens martinets n’´etant plus suffisants depuis le commencement du chantier de la nouvelle saline9. La construction de la nouvelle saline b´en´eficie donc aux maˆıtres de forges locaux qui sont associ´es au chantier, et ce dans un p´erim`etre assez large autour du site d’Arc-et-Senans. Le chantier provoque une augmentation de la demande en fer et donc une hausse de l’activit´e du fer dans la r´egion. De plus, le fait que plusieurs maˆıtres de forges pro-posent leurs services pour l’´etablissement et l’exploitation des salines montre bien qu’il s’agit dans ce cas d’une association dans laquelle les forgerons eux-mˆemes trouvent un int´erˆet financier suffisant.

Le chantier de construction de la nouvelle saline fait ´egalement intervenir une main-d’œuvre locale, qu’il s’agisse du personnel de direction de la Saline pendant sa construction

8. Archives d´epartementales du Jura, A 764, fol.132–135, M´emoire du Sieur Chamesin, 1775.

9. Archives d´epartementales du jura, A 765, fol.9–10, Requˆete d’Alexis Olivier, maˆıtre des forges `a Champagnole, 1778.

ou des ouvriers qui y participent. Ainsi, dans une d´elib´eration du 26 d´ecembre 1774, les entrepreneurs nomment les employ´es pour suivre la construction de la nouvelle saline de Chaux10. Par exemple, ils nomment `a la «gestion des deniers qui seront fournis pour cette construction»le Sieur Dorval, qui sera effectivement le premier directeur de la Saline au moment o`u commence la formation des sels, c’est-`a-dire le 5 novembre 177811. Il est accompagn´e dans cette tˆache d’un commis aux exp´editions de bureau du nom de Vielle-fils, sur lequel on ne poss`ede pas d’information particuli`ere. La d´elib´eration confirme ´egalement le rˆole de l’architecte bisontin Le Brun, `a qui avaient ´et´e remis les plans de Ledoux :

«Le grand nombre de plans et de calculs g´eom´etriques que ce mˆeme ´ etablisse-ment exigera a fait pr´evoir par les cautions de Monclar dans leur d´elib´eration qui engage M. Deschˆenes `a suivre l’objet des constructions, la n´ecessit´e d’avoir quelqu’un au fait de ce genre de connaissances, et ils ont nomm´e par la mˆeme d´elib´eration le Sr. Le Brun, qui se conformera aux vues et aux fonctions qui y sont ´enonc´ees»12. Les entrepreneurs nomment ´egalement un contrˆoleur des bois, charg´e de l’exploita-tion de la forˆet de Chaux et de toutes les op´erations li´ees `a l’exploitation des bois n´ e-cessaires d`es le commencement des travaux. Ils choisissent pour cette fonction un tailleur de bois originaire de la forˆet de Joux du nom de Alix. La suite de la d´elib´eration permet

´

egalement de connaˆıtre les salaires de ces diff´erents employ´es. Ainsi, Dorval touchera an-nuellement 2000 livres, son commis aux exp´editions, 750 livres, tandis que Le Brun re¸coit un appointement annuel de 600 livres et Alix, un de 80013. On peut noter d’ailleurs ici l’importance minime accord´ee au rˆole de l’architecte Le Brun, dont les responsabilit´es sont limit´ees puisqu’il doit se contenter de suivre les instructions qui lui sont donn´ees, par rapport notamment `a celui d’Alix, contrˆoleur des bois, dont le rˆole est essentiel pour la bonne gestion de la Saline.

Le chantier a ´egalement un impact sensible sur la population des villes d’Arc-et-Senans pour laquelle il cr´ee des emplois, ce que montre la comparaison des m´etiers recens´es

10. Archives nationales, G1 93, d´elib´eration du 26 d´ecembre 1774, nomination des employ´es pour suivre les constructions de la Nouvelle Saline de Chaux.

11. LAURENS A.,Annuaire statistique et historique du d´epartement du Doubs, Besan¸con : Impri-merie Daclin, 1827, pp. 380–383.

12. Archives nationales, G1 93, d´elib´eration du 26 d´ecembre 1774.

13. Ibid.

dans les registres d’´etat-civil des deux paroisses de dix ans, 1760–1770 et 1774–178414. Certes, la marge d’erreur est importante car le m´etier n’est pas syst´ematiquement indiqu´e mais les informations fournies par l’´etat-civil sont int´eressantes. Curieusement, le nombre de menuisiers ou de ma¸cons n’a que faiblement augment´e puisque, d’une p´eriode `a l’autre, il est pass´e de trois `a quatre pour les premiers et de deux `a trois pour les seconds, ce qui paraˆıt peu. Par contre, il en va tout autrement de m´etiers tels que manœuvres ou tailleurs.

On passe en effet d’une dizaine de manouvriers `a 60, et d’un seul tailleur mentionn´e `a 22. Bien sˆur, tous les manœuvres et tailleurs ne sont pas n´ecessairement affect´es `a la Saline ou `a sa construction. N´eanmoins, l’augmentation est suffisamment importante et co¨ıncide si ´etroitement avec le commencement de la construction de la Saline pour qu’il y ait forc´ement un lien entre les deux. Il s’agit vraisemblablement de tailleurs de pierre et de manœuvres qui travaillent sur le chantier de construction. De la mˆeme mani`ere, on voit apparaˆıtre sur la seconde p´eriode 10 terrassiers et 4 tuiliers, alors qu’aucun n’´etait mentionn´e auparavant. Le chantier de la Saline a donc attir´e une main-d’œuvre sp´ecifique qui a contribu´e `a l’augmentation de la population d’Arc-et-Senans `a la mˆeme p´eriode15. Par ailleurs, `a partir de 1774, les registres d’´etat-civil recensent de nouveaux m´etiers, sp´ecifiques `a l’exploitation du sel et attestant de l’activit´e de la Saline. On peut relever ainsi dans la seconde p´eriode 7 commis aux fourneaux, 1 contrˆoleur `a la d´elivrance des sels, 9 employ´es des fermes du roi, 2 gradueurs `a la Saline, 19 ouvriers `a la Saline qui attestent de la mise en service de l’exploitation des sels `a Arc-et-Senans et du chantier de construction.

Le chantier de construction de la Saline fait donc intervenir toutes les ressources disponibles alentour, qu’il s’agisse de bois, de fer ou de main-d’œuvre.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 190-195)