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L’exploitation des eaux sal´ ees et ses difficult´ es

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 68-72)

La d´ ecision de construire une nouvelle saline

1.1 Une r´ eponse aux besoins de la Saline de Salins

1.1.4 L’exploitation des eaux sal´ ees et ses difficult´ es

Enfin, l’une des derni`eres raisons qui justifient la cr´eation de la Saline de Chaux est li´ee `a la pr´esence `a Salins de sources sal´ees de faible densit´e, qui ne sont pas assez rentables pour ˆetre exploit´ees directement. La cr´eation d’une nouvelle saline en plaine, sur un site d´egag´e, permettrait alors d’installer un bˆatiment de graduation, charg´e d’augmenter la teneur des eaux en sel avant la cuite par ´evaporation naturelle. Il s’agit d’une construction g´en´eralement en bois, ouverte au passage de l’air. L’eau sal´ee y circule en hauteur puis ruisselle sur des fagots d’´epine de fa¸con `a ce que l’eau commence son ´evaporation sous l’action conjugu´ee du soleil et du vent. Ce type de bˆatiments permet d’augmenter naturel-lement la concentration de sel dans des eaux faibnaturel-lement sal´ees pour que la cristallisation soit plus rapide et plus ´econome en bois.

Il est vrai que les sources de Salins sont instables, leur nombre et leur densit´e varient au fil du temps. Encore `a la fin du XVIIIe si`ecle, de nouvelles sources sont r´eguli`erement identifi´ees, dont certaines de tr`es faible densit´e. Par exemple, un document traitant de la reconnaissance de nouvelles sources au puits d’Armont indique :

«L’an 1770, [. . .] il s’´etoit manifest´e deux sources sal´ees qui ´etoient m´elang´ees `a peu de distance avec des eaux douces ou petites eaux qui portoient dans leur r´eunion

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a deux ou trois degr´es de salure [. . .]»45.

Jusqu’`a la fin du XVIIIe si`ecle, des sources d’une si faible densit´e en sel, appel´ees petites eaux, ´etaient laiss´ees `a l’abandon, le temps de cuite n´ecessaire pour en faire cristal-liser le sel ´etant plus ´elev´e que pour les eaux charg´ees en sel `a hauteur de 16 environ, les bonnes eaux. Mais `a une ´epoque o`u le sel poss`ede une valeur financi`ere particuli`erement

45. Archives d´epartementales du Jura, A 46, Sources et sels, 1723–1784.

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elev´ee, l’id´ee d’abandonner dans la nature une partie de cette pr´ecieuse denr´ee n’est pas acceptable :

«L’on perd `a Salins une quantit´e d’eau depuis trois jusqu’`a six degr´es de salure avec lesquels on peut augmenter la formation de trente mille quintaux. La moindre circonstance peut exiger que l’on en fasse usage, la perte d’une source sal´ee soit en Franche Comt´e soit en Lorraine, un m´elange dans le degr´e par l’introduction des eaux douces, un manque de bois dans l’une ou l’autre saline, une fourniture plus consid´erable dans la vente ´etrang`ere, enfin un nouveau trait´e avec les Suisses ; l’on

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etabliroit pour lors des bˆatiments de graduation pour porter ces eaux jusqu’`a qua-torze degr´es de salure qui seroient bouillies dans cette saline. L’emplacement que l’on choisit y est tr`es propre ; une rivi`ere consid´erable coule dans cet emplacement pour le jeu des ro¨ues, il est dans une plaine spacieuze o`u l’on profiteroit avantageusement de l’activit´e des vents [. . .]»46.

L’auteur de ce m´emoire argumente en faveur de la cr´eation d’une nouvelle saline en faisant intervenir la question des sources de faible densit´e. Il laisse entendre que la production de sel en Franche-Comt´e correspond tout juste `a la demande, ce qui rend fragile l’´equilibre entre les deux, et rend n´ecessaire l’exploitation des petites eaux. Pour ce faire, la m´ethode envisag´ee consiste `a construire un bˆatiment de graduation qui soumet la saumure `a l’action du vent afin qu’elle se concentre en sel. Or, contrairement `a la Saline de Salins qui se trouve dans un espace confin´e, le choix de l’emplacement pour la nouvelle Saline offre la possibilit´e d’installer ce bˆatiment imposant. Le probl`eme est r´esum´e de la mˆeme mani`ere dans un historique plus tardif de la Saline de Chaux :

«D’ailleurs la diminution dans le produit des sources sal´ees de Salins faisoit regretter depuis longtemps de ne pouvoir employer `a la formation des sels les petites eaux qui en ´etoient rejett´ees par la faiblesse de leur degr´e et par l’impossibilit´e de les aider du m´ecanisme des graduations, attendu le local montueux des environs de Salins qui ne permettoit pas d’y construire des bˆatiments de cette esp`ece ; ce qui fit imaginer aux fermiers g´en´eraux de conduire au moyen de deux files de tuyaux de fontaine en bois de sapin jusqu’au bord de la forˆet de Chaux, une partie des bonnes eaux employ´ees au service de Salins pour y former `a la d´echarge de cette 46. Archives d´epartementales du Jura, C 406, M´emoire sur les am´eliorations `a introduire `a la Saline de Salins et sur la cr´eation d’une Saline `a Arc, ant´erieur `a 1773.

saline 30 mille quintaux de sel quantit´e proportionn´ee au bois qu’il ´etoit question de soustraire `a son affectation, et les petites eaux en entier de cette saline pour augmenter de 30 autres mille quintaux les fournitures en sel de cette province en Suisse»47.

L’int´erˆet de ce second document est aussi d’´emettre l’id´ee que la Saline de Salins connaˆıt une baisse de sa production dans les ann´ees qui pr´ec`edent la cr´eation de la Saline d’Arc, ce qui expliquerait d’autant plus le besoin d’exploiter les petites eaux jusqu’alors perdues. En r´ealit´e, il est difficile de connaˆıtre avec exactitude la production de la Saline de Salins `a cette ´epoque, car les nombreuses ´etudes qui lui sont consacr´ees portent sur des p´eriodes ant´erieures. Cependant, la plupart des textes qui ´evoquent la cr´eation de la Saline d’Arc donnent le chiffre moyen de 130 000 quintaux annuels pour Salins. Seul l’un d’entre eux indique :

«On forme annuellement `a la saline de Salins la quantit´e de cent cinquante mille quintaux de sel avec le produit des bonnes sources qui sont depuis dix jusqu’`a seize degr´es de salure, [. . .]»48.

S’agit-il d’une simple erreur ou d’un chiffre plus ancien ? La comparaison avec un autre document, cette fois-ci dat´e de 1734, semblerait valider la deuxi`eme explication.

En effet, l’´etat des diff´erentes esp`eces de sel en grains conserv´es `a la Saline de Salins en 173449 indique que la quantit´e de sels form´es pendant les mois d’octobre et de novembre s’´el`eve respectivement `a 5 154 charges et 6 804 charges environ. `A l’aide d’un calcul simple50, on peut estimer la production mensuelle moyenne `a pr`es de 12 201 quintaux AR de sel, ce qui donnerait une production annuelle de plus de 146 000 quintaux. Ce chiffre n’est bien entendu qu’une estimation qui ne tient pas compte des variations mensuelles de production. En effet, les mois d’octobre et de novembre sont en g´en´eral des mois de forte production. `A l’inverse, que ce soit `a cause du gel en janvier ou en f´evrier, ou de la s´echeresse en ´et´e, la production est parfois moins ´elev´ee. Il doit donc certainement ˆ

etre revu `a la baisse pour s’approcher de la r´ealit´e. Mais si l’on tient compte du fait qu’il

47. Archives nationales, F 14 4267, Historique de l’administration des Six Salines.

48. Archives d´epartementales du Jura, C 406, M´emoire sur les am´eliorations `a introduire `a la Saline de Salins et sur la cr´eation d’une Saline `a Arc, ant´erieur `a 1773.

49. Archives d´epartementales du Jura, A 46, Sources et sels, 1723–1784.

50. Un quintal (en mesure Ancien R´egime) ´equivaut `a 49 kg de sel environ alors qu’une charge

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equivaut `a environ 100 kg de sel,cf.ROUSSEL Christiane, BELHOSTE Jean-Fran¸cois,op.cit., p. 111.

n’indique que la formation de sel en grains, tandis qu’on sait que la Saline de Salins fournit

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egalement une partie de ses sels en pains (notamment en Franche-Comt´e)51, alors l’id´ee d’une production moyenne de 150 000 quintaux annuels dans la premi`ere moiti´e du XVIIIe si`ecle semble plausible. Cette id´ee est ´egalement confirm´ee par les ´ecrits de Fenouillot de Falbaire, sur la fabrication du sel au milieu du XVIIIe si`ecle, qui donnent comme chiffre de production `a Salins pour une ann´ee commune 158 000 quintaux de sel52.

Il y aurait donc eu une baisse de la production au cours du XVIIIesi`ecle. Les relev´es de d´elivrances des sels effectu´ees pendant la r´egie Alaterre (1768–1774) ne permettent peut-ˆetre pas avec certitude d’´etayer cette hypoth`ese mais ils apportent un compl´ement d’information53. En effet, ils nous donnent les«Etats des sels tr¨ıes d´elivr´es´ »par la Saline de Salins pendant les cinq premi`eres ann´ees du bail (tableau 1.3, p. 54), c’est-`a-dire la quantit´e de sel en grains vendue.

Tableau1.3 – Quantit´e de sel en grains vendue, 1768–1772.

Ann´ee Livraison de sel tri´e (en quintaux AR)

1768 47 214

1769 27 386

1770 53 193

1771 62 986

1772 46 786

Source : Archives d´epartementales du Jura, A 116 `a A 128, r´egie Alaterre.

Certes, ces documents ne permettent pas de connaˆıtre la production totale de la Saline de Salins pour ces mˆemes ann´ees. Cependant, outre l’´ecart entre les chiffres qui t´emoignent de l’instabilit´e de la production d’une ann´ee `a l’autre, la comparaison entre ces chiffres et les estimations de 1734 signale que la production de sel en grains a forte-ment chut´e. D`es lors, mˆeme si l’ampleur de la diff´erence est telle que l’on peut peut-ˆetre l’attribuer en partie `a une augmentation de la production de sels en pains, on peut n´ ean-moins supposer qu’il y a eu une baisse globale de la production qui expliquerait le passage

51. Ibid., p. 109.

52. Cit´e par BRELOT Claude-Isabelle, LOCATELLI Ren´e,op.cit., p. 65.

53. Archives d´epartementales du Jura, A 116 `a A 128, r´egie Alaterre.

d’un chiffre moyen de production de 150 000 quintaux annuels `a un objectif difficilement atteint de 130 000 par an.

Cette hypoth`ese est corrobor´ee par le texte de l’arrˆet du Conseil d’´Etat de 1773 qui d´ecide de la construction d’une nouvelle saline `a proximit´e de la Forˆet de Chaux, et qui

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evoque une r´ecente baisse de la qualit´e des sources sal´ees de Salins :

«[. . .] lequel dit adjudicataire ne peut faire avec le seul service des bonnes sources de Salins consid´erablement diminu´ees en volume et en degr´e depuis environ dix ans ainsy qu’il en comte par les mesurages et ´epreuves qui en sont juridiquement faits chaque mois par les officiers de Sa Majest´e, en ladite saline [. . .]»54.

On peut y voir l’explication possible d’une baisse de la production de la Saline de Salins `a la fin du XVIIIe si`ecle, qui justifierait d’autant plus la cr´eation de la Saline de Chaux. Alors que la plupart des arguments utilis´es en faveur de sa cr´eation sont li´es `a des questions anciennes, une baisse de la capacit´e de production de la Saline de Salins expliquerait que la d´ecision de construire une nouvelle saline ait ´et´e prise `a ce moment pr´ecis.

Cette d´ecision se pr´esente comme la r´eponse aux probl`emes que rencontre la Saline de Salins. Elle r´epond `a des besoins anciens, li´es d’une part au manque croissant de bois aux alentours de Salins, d’autre part `a l’accumulation des arri´er´es envers les cantons suisses, et encore au manque d’espace `a l’int´erieur des murs de l’ancienne Saline. Mais elle est aussi d´etermin´ee par un contexte plus pr´ecis, celui d’une baisse de production de Salins et `a la n´ecessit´e manifeste d’exploiter des eaux d’une plus faible teneur en sel.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 68-72)