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La question du genre dans le rapport à l’emploi et au travail

Dans le document Médecins là-bas, infirmier-ère-s ici (Page 98-101)

Si nous considérons, en nous appuyant sur S PAUGAM155, que le rapport à l’emploi se traduit par une stabilité du poste ou une incertitude quant au risque de licenciement et que le rapport au travail s’illustre par une plus ou moins grande satisfaction éprouvée au travail, nous pouvons examiner la question du genre dans ces deux rapports pour les quatre diplômé-e-s.

10.4.1 Des hommes assez libres de leur temps et sans contraintes par rapport

à l’emploi et au travail.

Mamadou a une fille de 9 ans dont s’occupe sa femme ; il voit sa fille de temps en temps une à deux fois par mois et le temps d’un repas. Dans ces conditions-là, la charge familiale est sur le plan de la disponibilité limitée. Il participe aux frais d’éducation de sa fille et il dispose de

son temps comme il l’entend. Il envisage de partir à Paris, l’éloignement d’avec sa femme et sa fille ne constitue pas une raison suffisante pour y renoncer.

Mohamed n’a pas d’enfant. Il s’est rapproché de sa mère et de la moitié de sa famille en habitant dans la même ville qu’eux/elles.

10.4.2 Des femmes au rôle familial traditionnel et contraintes par rapport à

l’emploi et au travail.

10.4.2.1 Fathia et un rapport à l’emploi incertain.

Fathia a eu son quatrième enfant fin septembre, elle pense reprendre début mars. Mais elle ne reprendra le travail qu’à une condition : que son dernier enfant soit pris à la crèche et la crèche ne lui gardera l’enfant qu’à la condition qu’il y ait une promesse d’embauche. Son mari est actuellement au chômage, en fin de droit et va retenter cette année le concours d’entrée à l’IFSI. Fathia s’est toujours occupée des enfants et de la maison ; quand elle était en stage et travaillait douze heures d’affilée, elle préparait les enfants les jours de travail et son mari les accompagnait à l’école et allait les chercher au retour de l’école. Dès qu’elle était en repos, à nouveau elle reprenait à sa charge les tâches domestiques. La situation économique de la famille reste en équilibre tant que Fathia touche les indemnités journalières ; par contre à la fin du congé maternité, si elle ne travaille pas, leur situation va devenir précaire car l’admission en crèche est tributaire d’une promesse d’embauche. Fathia a contacté une EHPAD où elle avait travaillé en tant qu’aide-soignante et elle prévoit de contacter une association de soins à domicile près de chez elle. Elle privilégie la proximité géographique pour continuer à assurer les charges domestiques.

Fathia représente une figure d’assignation traditionnelle aux tâches domestiques de la femme hétérosexuelle. Il n’y a pas de remise en question en entretien de ce fait. Le système de la crèche donne la priorité aux parents qui travaillent, la recherche d’emploi se fait sous deux pressions, l’une géographique par rapport au domicile et liée aux conditions socio- économiques du couple (Fathia utilise les transports en commun), l’autre pression est familiale. Comment peuvent se rencontrer dans un temps partagé à la fois une promesse d’embauche, une disponibilité simultanée de la crèche et une proximité géographique de l’employeur-euse ?

[1]« (…) voilà gérer les trois enfants, les accompagner à l’école, ils ne sont pas encore autonomes à 100%, il faut toujours être derrière eux. Mon mari n’a pas l’habitude et moi aussi j’ai toujours fait ça, j’ai continué: les lever le matin.(…) [2]Oui parce que j’étais à la maison, ce n’était pas pareil, pendant que je faisais mes stages, il était obligé, je me levais le matin, je les préparais, ils étaient prêts parce que je quittais le foyer vers 7h15 heureusement j’étais à la clinique S. pas loin de chez moi, je prenais le bus, en 10 mn j’étais à la clinique, je reprenais le service à 7h30 et les enfants je les réveillais plus tôt. (…) [3]Pour le moment, j'ai inscrit la petite à la crèche, maintenant ça a changé, il y a des critères, elle (la responsable de la crèche) m'a dit que je n'étais plus prioritaire: il faut une promesse d'embauche et il y a un système de notation: il y a des points pour chaque situation, ceux qui travaillent sont prioritaires par rapport aux autres. Et dès que j'ai la promesse d'embauche, il faut que je reprenne contact avec elle. (…) [4]J'ai déjà pris contact avec une maison de retraire pas loin de chez moi. Et il y a aussi une association de soins à domicile pas loin de chez moi. (…) [5]Oui car je ne dois être pas loin au cas où il y aurait un souci avec les enfants. Je reprendrai peut- être le travail à partir du mois de mars, j'ai le congé maternité jusqu'à mi-février. Comme c'est le 4ème enfant, j'ai droit à 4 mois de congé maternité. Et je reprendrai à

partir du mois de mars. » (Fathia, entretien Temps 2, P178-L32[1] ; P179- L7 [2] ; P180- L2 [3], L8 [4] et L11[5]).

10.4.2.2 Nadia et un rapport au travail contraint

Nadia a pris un poste à la clinique où elle travaillait avant comme aide-soignante, c’était un élément facilitant pour accéder à l’emploi. Elle, également, tient le rôle traditionnel de prise en charge des tâches domestiques mais on perçoit un agacement ressenti spécialement les jours de travail où en son absence la maison n’a pas la même tenue qu’en sa présence. Sa très forte contrainte réside dans l’obligation d’avoir à amener sa fille à l’école le matin car son mari travaille dans la sécurité et débute très tôt son poste. Elle peut faire appel à des personnes ressources comme sa voisine ou ses beaux-frères mais elle ne veut pas trop dépendre de ces personnes. Nadia se limite à des postes qui ne commencent pas trop tôt. Par-là elle se ferme à d’autres possibilités de travail. Néanmoins nous ignorons la politique de l’emploi du groupe de cliniques et d’autres éléments nous échappent de ce fait. Nadia est actuellement en CDD renouvelables selon une réglementation peu orthodoxe, c’est du « permanent temporaire journalier ». Il y a autant de contrats CDD signés que de jours travaillés d’affilée ! Et la gestion du temps de travail de Nadia a perdu de sa souplesse et de sa cohérence ; quand il y avait une personne qui centralisait les demandes et les disponibilités, la gestion pouvait être cohérente et personnalisée, maintenant ce poste n’existe plus et c’est chaque cadre demandeur-euse qui est l’interlocuteur-trice de Nadia sans vue d’ensemble et avec un lien social lâche. L’évolution de l’organisation sur ce point particulier révèle la non prise en compte et la non reconnaissance des personnes sur de tels postes.

Le poste que vise Nadia est un poste sur la journée 9h- 17h, sans weekend de travail, pour elle

« l’idéal pour la vie de famille ». Mais ce poste présente des difficultés, sur le plan du travail, il est écartelé entre plusieurs missions dont celle de remplacer les collègues du service voisin de soins intensifs, il est peu reconnu du fait de ses compensations horaires et les personnes ne restent pas longtemps dans ce service. De plus il est retenu à moyen terme sur un poste de titulaire d’une infirmière particulière mais pour Nadia, ce serait un CDD stable sur ce poste en attendant la prise par l’infirmière titulaire.

[1]« Le plus compliqué pour moi c’est de commencer tôt. Le problème c’est surtout d’amener ma fille à l’école le matin. (…) [2]Avant c’était une seule personne qui gérait tous les remplacements, maintenant ça a changé, cette personne est partie en remplacement d’une cadre dans un service, donc maintenant il faut appeler toutes les surveillantes si on a envie d’avoir des heures pour travailler, si on veut travailler plus. Et si je veux décaler juste un jour, j’appelle la surveillante responsable du service où je travaille. C’était plus simple avant quand il y avait une seule personne qui faisait votre planning. Et là c’est plusieurs personnes qui vous gèrent votre planning. Chaque cadre gère mon planning, et la cadre de garde est là pour changer les WE ou les jours fériés et qui vous appelle. (…) [3]elles travaillent toutes de la même façon, elles ne cherchent pas à comprendre si vous dites que vous ne pouvez pas faire tel ou tel jour, elles ne vont pas demander pourquoi, elles n’insistent pas. C’est chacun ses disponibilités. Elles savent très bien elles aussi qu’elles suppriment des jours alors qu’elles n’ont pas le droit, c’est pour ça elles ne disent rien aussi. (…) [4]C’est ponctuel, par exemple, la surveillante de médecine, elle me donne pour deux jours ou trois jours, je vais signer un contrat. Si je travaille par exemple 7 jours en médecine, si je ne les travaille pas d’affilée, c'est-à-dire je travaille 3 jours à part, je vais signer un contrat pour les trois jours et deux jours et je vais signer un contrat pour deux jours et si ces deux jours sont séparés eh bien je signe deux contrats différents. (…) [5]j’ai plein de papiers à la maison, c’est comme ça que ça marche. Si ce sont des jours successifs, on signe un contrat pour ces jours successifs et s’ils sont séparés,

cela va être des contrats séparés. (…) [6]Si ça marche pour ce poste car ils ont besoin de quelqu’un de très rapide. Je n’ai jamais essayé ce type de poste, c’est comme de l’ambulatoire, ce n’est pas exactement de l’ambulatoire, ce sont des hospitalisations très courtes donc ça tourne énormément, ils font beaucoup d’entrées. C’est pour prendre ce poste en fait. C’est un service de 30 lits d’urologie mais ils prennent d’autres spécialités aussi je crois, de la chirurgie esthétique par exemple. Ça tourne énormément, quand on a un peu de temps, il faut aider dans les soins intensifs mais on n’est pas vraiment dans les soins, par exemple, quand les infirmières des soins intensifs prennent leur pause, il faut aller la remplacer sur ses 45 minutes. Donc je ne sais pas ; il y a des personnes qui ont essayé qui m’ont dit que c’est dur, qu’on n’a pas vraiment sa place. Je vais essayer, je vais voir ce que ça va donner. (…) [7]c’est 9h-17h mais je ne suis pas sûre que le travail me plaise. Tous les jours 9h -17h et le vendredi on finit à 13h et on ne travaille pas samedi et dimanche, pour la vie de famille c’est intéressant mais après est-ce que ça va me plaire, je ne sais pas. » (Nadia, entretien Temps 2, P217-L5[1] ; P213-L7[2], L17 [3], et L24 [4] ; P219- L1 [5]

et L8[6] ; P220- L2 [7]).

Après cette analyse succincte de la question du genre dans le rapport à l’emploi et au travail, nous souhaitons terminer l’analyse thématique de ce temps 2 en évoquant le regard que portent les personnes sur leur parcours, regard empli de fierté, de satisfaction mais aussi de souffrance existentielle dans le rapport à soi et aux autres.

Dans le document Médecins là-bas, infirmier-ère-s ici (Page 98-101)