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L’exemple de migrant-e-s allant de l’Europe de l’est vers l’Europe de l’ouest, entre

Dans le document Médecins là-bas, infirmier-ère-s ici (Page 32-35)

4.2.1 Migration en blanc, médecins d’est en ouest

« Migrations en blanc64 » dessine une configuration de mobilités de médecins de Roumanie et de Bulgarie vers principalement l’Allemagne, la France et l’Italie. Ce mouvement migratoire s’est majoré avec l’adhésion en 2007 de ces deux pays à l’Union Européenne (UE). Il est à ce moment-là nécessaire de peindre le paysage de la politique française et européenne concernant la migration afin d’en éclairer certaines dimensions.

La France après une période intense d’immigration de travail notamment après la seconde guerre mondiale, a opéré un revirement de sa politique migratoire dans le sens d’une fermeture des frontières fin des années 70 et d’un processus de catégorisation des migrant-e-s en migrant-e-s régulier-ère-s et migrant-e-s clandestin-e-s ; le tout dans un contexte social de récession économique, de chômage de masse et de désengagement progressif de l’Etat de son rôle protecteur. Le modèle républicain d’assimilation « à la française » est en crise.

« Ce qu’on décrit comme une crise du « modèle » d’assimilation est précisément le maintien d’une partie de la population de France dans cette situation de transition continuelle : ni français ni étrangers ; ni immigrés ni membres de la société d’accueil ; ni ceux qui reçoivent l’hospitalité ni ceux qui l’offrent.65 ».

Les récentes politiques migratoires ont privilégié deux axes : celle en faveur d’une immigration « choisie » ou pour le dire autrement élitiste vis-à-vis des migrants et celle qui accentue la lutte contre l’immigration clandestine.

« La loi du 24 juillet 2006, intitulée loi relative à l’immigration et à l’intégration, a pour objectif la maîtrise à la fois quantitative et qualitative des flux migratoires : il s’agirait de "passer d’une immigration subie à une immigration choisie" (comme le précise la motion de synthèse adoptée à l’issue de la convention de l’UMP sur l’immigration, en juin 2005) 66».

63 Ibid, p 93 64

KRASTEVA A et DESPINA V. (sous la dir.),( 2014) « Migrations en blanc, médecins d’est en ouest », Edition L’Harmattan, Collection Local et Global,

65 STREIFF-FENART J., « L e modèle républicain » et ses autres : construction et évolution des catégories de

l’altérité en France », Migrations Société, vol.21-n°122, mars-avril 2009, p227

66

Pour aller vers « l’immigration choisie », une forme de sélection de la main d’œuvre est prévue : des « listes de secteurs tendus où les employeurs pourront faire appel à des étrangers » seront établies. De plus est institué une carte « compétence et talents » valable trois ans et renouvelable, pour faciliter l’accueil des étrangers dont « le talent constitue un atout pour le développement et le rayonnement de la France »

Du point de vue européen, les accords de Schengen et l’élargissement de l’espace européen ont instauré une libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Europe « frontière ». Une des conséquences est l’augmentation des flux de migrants hautement qualifiés comme les médecins de l’Europe de l’Est, Roumanie et Bulgarie, vers la France et l’Allemagne67. La migration intra-européenne s’accroit et représente une concurrence plus importante vis-à-vis des migrants hors européens. Il y a un effet de redoublement des frontières, celle de l’Europe et celle du pays européen. Un cadre législatif européen encadre la mobilité doublé du cadre propre au pays d’installation. Pour les médecins européens, les qualifications professionnelles sont reconnues équivalentes grâce à la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 entrée en vigueur le 20 octobre 2007. Cette disposition législative entraine de facto l’exclusion des migrants non européens dans la reconnaissance de leur qualification.

Cette situation sur le marché du travail introduit une discrimination entre travailleurs au sein de l’espace européen ou hors de cette espace.

« Tout salarié étranger postulant à un emploi est confronté à la question de l’équivalence de ses diplômes dans le pays d’accueil. Ainsi, une fois dans le pays d’accueil, l’étranger n’en a pas fini avec les frontières ( …) pour qu’on le reconnaisse comme un salarié de plein droit, il doit se soumettre à une série de procédures d’équivalence à l’issue desquelles, il sera soit admis au cœur de la profession, soit rejeté à l’extérieur du cercle.68 »

Compte tenu de ce contexte, les médecins migrant-e-s en intra européen voient leur diplôme reconnu. Les raisons migratoires sont liés à plusieurs mouvements ; d’une part une politique de santé du pays d’origine avec peu de moyens économiques et surtout peu de reconnaissance sociale et, en pendant, des pays d‘installation offrant des opportunités de carrière et une reconnaissance de la profession. La migration s’est féminisée et reste urbaine près des grandes villes des pays d’installation. Elle répond en partie à certaines spécialités médicales en déshérence en France comme l’anesthésie ou la pédiatrie mais pas à la désertification médicale du territoire français. Et pour les pays d’origine, la fuite médicale a des impacts négatifs sur l’état de santé de la population et devrait questionner de manière urgente les dirigeants de ces pays à impulser et développer une politique de santé plus attractive et économiquement plus performante. Parfois aussi certaines de ces migrations ne sont en fait que des mobilités. Certains médecins vont envisager de retourner au pays enrichi-e-s d’un capital mobilitaire c'est-à-dire enrichi des ressources et spécialisations acquises durant la migration et qui permettront une fois rentré-e-s une position sociale assurée et prometteuse. Mais il existe une grande variabilité de ces mobilités dont nous parle d’Anna KRISTEVA69

http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/controle-immigration/controle-immigration-vers-immigration- choisie.html consulté le 2/12/2014

67 KRASTEVA A. et DESPINA V(Sous la direction de),(2014)., « Migrations en blanc, Médecins d’est en ouest »,

L’Harmattan, Coll. Local et Global,

68 LOCHARD Y MEILLAND C et VIPREY M, (2007) « La situation des médecins à diplôme hors UE sur le marché du

travail », les effets d’une discrimination institutionnelle, La revue de l’Ires, n°53, , http://cairn.infozen.php?ID_ARTICLE-RDLI_053 _0083 consulté le 16/06/2014, p2

69 KRASTEVA A. et DESPINA V(Sous la direction de)., (2014) « Migrations en blanc, Médecins d’est en ouest »,

dans le chapitre « Mobilité en blanc ».Elle relate à travers des parcours de migrant-e-s six modèles de la mobilité exemplaires de cinq grandes tendances de la mobilité sanitaire.

4.2.2 Une migration exceptionnelle

Avant d’aborder ces modèles, l’auteur-e insiste sur le quadruple capital social des médecins qui en fait une migration exceptionnelle :

-« professionnel. Les médecins font partie des cerveaux mobiles mais ne se fondent pas dans la masse (…) ; - humanitaire. (…) qui souligne le caractère exceptionnel de la médecine au service de la communauté ;

- économique. (…) Le paradoxe positif de la profession médicale est qu’elle reste faible avec une demande- nationale et internationale- de médecins même en temps de crise économique ;

- démocratique. Les « Médecins sans frontières » sont le visage global de l’implication de la médecine dans les conflits, guerres, crises, de son engagement pour les droits de la personne. (…) 70»

4.2.3 Entre migration et mobilités

Puis viennent les six figures de la mobilité déroulées par Anna KRASTEVA 71

Le premier assimilé à « les mobiles sans intention de migrer » : « Je n’ai jamais pensé rester en France. J’y suis allée pour développer ici [mon domaine] (…). La mobilité se cristallise en capital mobilitaire ». La mobilité est égrenée de déplacements d’un pays à un autre et accompagnée de spécialisations et d’innovation avec un retour au pays d’origine marqué par une évolution de carrière satisfaisante. La situation de Mamadou peut faire songer à ce type de mobilité, nous l’évoquerons en parlant de « revenir couvert de diplôme ».

Le second appelé « les mobiles avec intention de migrer » : le motif migratoire n’est pas d’emblée professionnel, la temporalité échappe au/à la migrant-e, le vécu de la migration est difficile. Il y a plusieurs allers et retours entre pays d’origine et pays d’accueil. La mobilité peut se transformer en migration selon la durée de résidence dans le pays d’installation

Le troisième nommé « La migration Second life » : soit la routine soit le manque de reconnaissance professionnelle poussent le /la migrant-e à changer de pays pour trouver éventuellement de nouveaux défis ou une meilleure reconnaissance professionnel. Cela peut passer par plusieurs pays. La mobilité se transforme en migration.

Le quatrième intitulé « Les nouveaux Européens » : le point de départ est la mobilité universitaire Erasmus qui finalement a entrainé une fin des études dans le pays « Erasmus » et une carrière en suivant. « Ils sont la génération de l’intégration européenne dont le début de la carrière est facilité et accéléré par la libre circulation du travail72 » ; génération valorisée et soutenue car bénéficiaire des dispositifs européens et nationaux d’échanges des étudiants dans les formations initiales.

70

Ibid, p 125

71 Ibid, p 136-148 72 Ibid, p 144

Le cinquième identifié « Les retournés » : c’est une figure spécifique marquée par le retour mais un retour nuancé ; ce peut être un retour après un changement de régime politique plus favorable et qui répondra alors à des aspirations existentielles, de rapprochement des siens, de ses « racines » ; ce peut être aussi un retour temporaire qui va être utilisée comme « pause réflexive » afin de bien préparer la nouvelle migration ; ce peut être un retour définitif dont l’aboutissement sera une promotion professionnelle ou au contraire des échecs liés à des impossibilités par exemple de réconcilier vie familiale et vie professionnelle.

Le sixième et dernier repéré « Transnational » : ce dernier modèle traduit un attachement fort de la personne à son pays d’origine et des allers retours incessants entre différents pays, la pratique professionnelle peut avoir lieu là-bas et ici, la migration est promue en terme de reconnaissance personnelle et professionnelle et la personne est en recherche de toujours plus. De ces six figures, l’auteure conclut en soulignant l’émergence de quatre tendances de la mobilité sanitaire :

« (…) l’augmentation des flux migratoires inévitable sur le marché des services sanitaires de plus en plus européanisé et mondialisé ; (…) les rapports dynamiques entre migration et mobilité ; l’émergence de formes innovantes de mobilité comme le transnationalisme et l’émergence de la figure du médecin mobile capable de gérer son capital mobilitaire et qui devient l’auteur de son projet migratoire.73 »

Nous avons réfléchi avec ces recherches sur deux aspects de la migration : l’aspect « intégration professionnelle » et l’aspect « diversité des modes de mobilité sanitaire ». Ces approches ont en commun d’exposer la variabilité des dynamiques migratoires qui nécessite une étude précise et singulière des parcours de migrant-e-s en tricotant les politiques de migration, les contextes politiques et socio-économiques des pays et la capacité des individus à faire leur place professionnelle eux-mêmes insérés dans des réseaux de relations.

Nous aimerions à présent décrire le contexte français d’intégration professionnelle des médecins non européens. Nous commencerons par expliciter le contexte actuel des professions médicales ; ainsi que le parcours réglementaire de reconnaissance du diplôme. Nous énoncerons ensuite les autres éventualités professionnelles d’exercer en restant dans le milieu du soin en regardant les professions d’infirmier-ère et d’aide-soignant-e.

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L’intégration professionnelle dans le milieu de la santé en France

pour les médecins non européens

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