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Emigrer pour revenir couvert de diplôme, le choix de Mamadou

Dans le document Médecins là-bas, infirmier-ère-s ici (Page 77-81)

Dans cette optique de la sortie par le haut de la migration, Mamadou peut espérer obtenir une reconnaissance sociale à son retour ; cette reconnaissance viendra couronner un parcours de migration semé de cumul de diplômes universitaires, d’expériences professionnelles mais

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LE BRETON D., (1995),« Anthropologie de la douleur », Traversées, Métaillié, Paris, p11

141 Ibid. p208 142 Ibid. p211

aussi d’embuches, de crises, d’hésitations. Nous pouvons penser que dans l’imaginaire de Mamadou, ce projet du retour l’aide à supporter les épreuves ici présentes. C’est le double sens que prend le terme d’expérience, l’expérience comme « acquisition » et l’expérience comme « épreuve143 ». L’expérience comme « acquisition » s’entend pour Mamadou au sens des différentes expériences de travail acquises mais aussi des formations universitaires accumulées et du réseau social constitué ; l’expérience comme « épreuve » est celle qui englobe les contingences intervenues dans sa vie, l’adaptabilité dont il a fait preuve pour retomber sur ses pieds dans une trajectoire sinueuse, les stratégies déployées et les efforts ad hoc afin de renouveler les visas et stabiliser sa situation en France. La réflexivité dont fait preuve Mamadou et le sentiment de fierté qu’il retire de son parcours reflètent sa capacité à surmonter les épreuves et à les convertir en ressources ultérieures. C’est un capital qu’il espère valoriser en Afrique ; à ce moment-là le parcours de vie, le parcours professionnel deviennent porteurs de sens et constituent des ressources mobilisables dans le futur ; le passé, le présent servent à l’avenir. Du point de vue de l’analyse croisée genre, « race » et classe, nous pouvons supposer que parmi les siens, rendu à une position sociale haute, il retrouve les attributs communs à la masculinité : la position de pouvoir, le prestige social, la force tirée de sa maturité.

Mamadou se marie à Conakry en 2003, sa femme va parfaire son apprentissage de la langue anglaise en plus de son BTS dans un pays voisin de la Guinée Conakry afin d’obtenir un meilleur poste à son retour. Et dans le couple il est décidé qu’à son retour ce serait lui qui partirait pour développer ses compétences. Le développement des compétences professionnelles est un projet de couple et c’est la femme qui l’initie.

« (…) ma femme travaillait, elle a fait comment on fait ça, elle a fait secrétariat de direction ensuite elle est bilingue, elle parle français/anglais puisqu’à un moment donné elle est partie se former un an pour apprendre l’anglais, l’informatique, tout ça puisqu’elle avait le BTS d’informatique chez nous, dans la gestion de notre couple, on s’est dit « voilà tu apprendras l’anglais, l’informatique quand tu seras revenue tu auras encore plus de chance d’obtenir un boulot. » (Mamadou, entretien Temps 1, P158-L29).

En 2008 il part pour la Chine après avoir obtenu une bourse pour un master en quatre ans ; il revient dans son pays au bout d’un an car il n’a pas supporté les conditions de vie, d’apprentissage de la langue chinoise, l’isolement et la difficulté à voir les perspectives de ce projet au bout des quatre ans. Il semble que la Chine ait fonctionné comme un eldorado à double tranchant et que Mamadou n’a pas réalisé le changement que cela supposait que de faire des études en Chine.

[1]« (…) c’était extrêmement difficile non seulement du point de vue de la langue chinoise, il faut apprendre, la 1ère année, on n’a apprend que la langue, c'est-à-dire le chinois, on ne parle même pas de la médecine, tu apprends comment communiquer avec les uns et les autres, comment dire « bonjour », comment aller au marché, la 1ère année elle n’est consacrée qu’à ça, comment parler et on vous mettait dans des cours de langue avec les chinois, vous êtes là, vous apprenez, d’abord la Chine et particulièrement dans cette ville-là on ne parle pas français, on ne parle que chinois, anglais, et nous dans notre pays on ne parle pas ou peu l’anglais donc le français ça disparait, vous n’en parlez pas, donc maintenant tu es obligé de te débrouiller un peu avec l’anglais, avec ceux qui parlent anglais, parce que

143 ZIMMERMANN B., (2011),» Ce que travailler veut dire », Une sociologie des capacités et des parcours

peu de gens comprennent le français, c’était le 1er choc (…), [2]les francophones rencontraient plus de difficultés que les anglophones puisqu’en Chine, les anglophones ont plus de facilités d’intégrer la communauté, ils ont plus de facilité voilà de comprendre les choses avec eux puisqu’eux, la plupart des chinois, pas tous, en tout cas ceux qui sont en poste là essaient de parler l’anglais et donc ils peuvent se comprendre plus facilement que nous là-bas. Mais ce n’est même pas ça, il y a dans tout ça, il y a une objectivité que les gens ne voient pas, comme l’Afrique c’est un continent pauvre et encore avoir une bourse en Afrique, sortir pour aller en Chine c’est un rêve pour la plupart des familles. Donc quand les parents se battent parce que ça ne se fait pas comme ça, quand les parents se battent pour te sortir de là et que tu vas en Chine voilà on pense que tout le monde parle de la Chine. Mais une fois que t’es là mais c’est inimaginable dans la mentalité des parents que tu puisses dire « non je préfère rentrer… ». (Mamadou, entretien Temps 1, P150-L30[1] et P151-L22[2]).

Revenu au pays n’est pas simple dans ce cas-là car quitter le pays est déjà en soi une chance inespérée et ne pas en profiter suscite de l’incompréhension.

« Etant donné que la Guinée est un pays extrêmement pauvre et pour les gens du pays, sortir de la Guinée même prendre un vol et aller en Chine c’est déjà un rêve pour certains donc ils peuvent pas comprendre comment tu peux démissionner de la Chine et entrer en Guinée ; sauf que moi j’ai dit « non non j’ai un objectif si je trouve qu’au bout de 4 ans je n’ai rien à apprendre, je vais rentrer tel que je suis venu ». (Mamadou, entretien Temps 1, P151-L20).

Le retour fut difficile notamment sur le plan personnel au niveau du couple. Mamadou avait lancé des demandes en France pour poursuivre ses études dans sa spécialité, la gynéco obstétrique. Quand il reçoit des réponses positives de Nancy et de Paris pour des Diplômes Inter Universitaires de fœtopathologie, il entame les démarches pour obtenir un visa étudiant. Mais le contexte politique n’est pas favorable aux visas car ils viennent d’être annulés par l’ambassade de France. Enfin il arrive à obtenir un visa mais il lui faut rassembler une importante somme d’argent pour partir en France.

[1]« (…) le pays était mouvementé du point de vue politique, l’ex président était décédé, il y avait les militaires qui étaient au pouvoir, c’était dans la tourmente là et l’ambassade de France l’était aussi parce que pour venir il faut s’inscrire, pour venir ici tu es obligé de passer par l’ambassade de France pour le visa. (…)il se trouve que l’ambassade de France venait d’annuler des visas qu’ils avaient octroyés aux étudiants (…) [2]Mais tout ce qu’ils avaient donné avait été annulé parce qu’il y avait eu un évènement au stade, c'est-à-dire chez nous là-bas il y a eu des tirs donc tout a été arrêté, ça c’était septembre 2009 ; moi ça a été un coup de chance parce que je suis venu à l’ambassade en novembre comme ça, je savais que ça n’allait pas marcher, un jour je passais devant l’ambassade demander au gardien « est-ce qu’il peut me passer le contact du secrétaire d’ambassade ? » il m’a dit « non tout ce qui est études est annulé », j’ai tenté voilà je voulais avoir le contact, il m’a dit « ah bon comme tu y tiens », il m’a donné le contact conseillé, j’ai appelé, la secrétaire a pris, j’ai expliqué un peu, je voulais avoir un RDV avec le chargé culturel , elle m’a dit « bon d’accord, elle va voir, elle ne me garantit rien » ; le même jour, le soir, cette dame m’a rappelé « oui voilà j’ai contacté le chargé, tu peux passer tel jour à 11h », je suis venu à 11h avec tous mes papiers, il m’a accueilli, il m’a écouté, il a demandé mon parcours, il a regardé mes papiers, il a dit « je trouve que c’est assez courageux de partir en Chine ,tu as démissionné donc je prends les deux inscriptions que tu as là, je ne te garantis rien et je vais voir auprès de l’ambassadeur, est -ce qu’on peut faire une exception pour toi ? je ne te garantis rien ». Il a saisi tout ce que j’avais fait, mon parcours, après je suis parti, bon pour moi, ça n’allait pas tenir parce qu’on a annulé pour d’autres, une semaine après on m’a appelé à l’ambassade pour que je vienne chercher un courrier qui m’attendait, je suis venu le prendre, c’était les formulaires qu’il fallait pour passer l’interview, je suis venu chercher ça, on m’avait donné une semaine pour venir chercher les papiers et surtout il y avait une question d’argent, il fallait qu’on bloque environ 7000 euros, il fallait les mettre dans un compte bloqué, tu n’y touches plus sauf quand tu viendras, c’est ce qui te permet de tenir l’année

ici en France. Vous imaginez 7000 euros pour un pays comme le nôtre ! Je ne travaillais pas, où est-ce qu’il faut les prendre ? 7000 euros ça fait environ 65 millions de francs là-bas, c’est énorme donc je ne savais pas. Mais quand même peut-être la chance était là, de par mes connaissances, des camarades de promo, je leur ai dit « voilà je suis rentré à l’ambassade, je pense que peut être, c’est bon. » Je me suis accroché à la famille, aux connaissances, j’ai réuni sur mon temps-là à la veille vers 16h, j’ai mis à la banque, j’ai emprunté un peu partout, j’ai mis dans le compte et voilà(…) » (Mamadou, entretien Temps

1, P152-L29[1]

et P153-L3[2]).

Cette période pour Mamadou fut une véritable épreuve entre le séjour infructueux en Chine, une crise conjugale et la ténacité à faire valoir pour obtenir et le visa et l’argent. Nous pouvons penser qu’en imposant une telle somme d’argent, l’ambassade française espérait voir échouer la plupart des candidats à la migration. Nous faisons aussi l’hypothèse que passer et surmonter de telles épreuves peuvent susciter chez le/la migrant-e une détermination à poursuivre malgré les obstacles et c’est ce que nous vérifierons chez Mamadou par la suite. Deux éléments sont également à noter, l’un en rapport avec les accords de coopération entre des pays d’Afrique et la Chine pour le commerce, les études supérieures via des séjours linguistiques et professionnels dans le sens Afrique-Chine. Ce sont les africains qui apprennent le chinois Nous supposons que des enjeux financiers et politiques sous-tendent ces accords. Le deuxième élément est la configuration particulière d’obtention des visas ; et à quel point le contexte politique africain interfère sur les relations avec la France quand il s’agit d’obtenir des visas pour la France.

Mamadou arrive en France mi-janvier 2010 avec un visa étudiant pour deux diplômes universitaires dans deux villes Paris et Nancy. Le fait de choisir pour la même année universitaire deux villes aussi distantes l’une que l’autre que Paris et Nancy indique soit une méconnaissance des réalités de transport et logement ; soit une projection stratégique en attendant de voir sur place. Par ailleurs, l’idée d’accumuler des diplômes de spécialité va s’articuler avec l’intention de constituer un capital mobilitaire en vue d’un retour au pays enrichi de ce capital. Il sera alors peut-être possible de négocier un poste dans les hautes sphères de l’Etat.

Mamadou a dû réunir une très importante somme pour bénéficier d’une caution auprès des autorités guinéennes et de l’ambassade française. Nous pouvons dire qu’il possède un capital social dans son pays notamment dans le groupe de collègues de promotion de médecine. C’est à eux qu’il a pu demander de l’argent. Le capital social s’exprime dans cette situation par l’appartenance et l’identification de Mamadou à un collectif homogène (promotion de médecins), qui partage une communauté d’intérêts et de valeurs. Et au niveau individuel le capital social fait référence à des relations entre les pair-e-s faites d’engagement et de confiance. Le capital social et culturel de Mamadou se cumule au capital social.

Dans cette optique de la sortie par le haut de la migration, Mamadou peut espérer obtenir une reconnaissance sociale à son retour ; cette reconnaissance viendra couronner un parcours de migration semé de cumul de diplômes universitaires, d’expériences professionnelles mais aussi d’embuches, de crises, d’hésitations. Nous pouvons penser que dans l’imaginaire de Mamadou, ce projet du retour l’aide à supporter les épreuves ici présentes. C’est le double

sens que prend le terme d’expérience, l’expérience comme « acquisition » et l’expérience comme « épreuve144 ». L’expérience comme « acquisition » s’entend pour Mamadou au sens des différentes expériences de travail acquises mais aussi des formations universitaires accumulées et du réseau social constitué ; l’expérience comme « épreuve » est celle qui englobe les contingences intervenues dans sa vie, l’adaptabilité dont il a fait preuve pour retomber sur ses pieds dans une trajectoire sinueuse, les stratégies déployées et les efforts ad hoc afin de renouveler les visas et stabiliser sa situation en France. La réflexivité dont fait preuve Mamadou et le sentiment de fierté qu’il retire de son parcours reflètent sa capacité à surmonter les épreuves et à les convertir en ressources ultérieures. C’est un capital qu’il espère valoriser en Afrique ; à ce moment-là le parcours de vie, le parcours professionnel deviennent porteurs de sens et constituent des ressources mobilisables dans le futur ; le passé, le présent servent à l’avenir. Du point de vue de l’analyse croisée genre, « race » et classe, nous pouvons supposer que parmi les siens, rendu à une position sociale haute, il retrouve les attributs communs à la masculinité : la position de pouvoir, le prestige social, la force tirée de sa maturité.

7.8 Quand le lien mère - enfant se resserre avec la migration et les expériences de

Dans le document Médecins là-bas, infirmier-ère-s ici (Page 77-81)