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Première partie : Cadre théorique

3.1. Quelques points forts de la théorie historico-culturelle de Vygotski

Pour Vygotski « le développement mental est le produit de l'appropriation d'outils et d'instruments psychologiques, de systèmes et de conduites sémiotiques élaborés au cours de l'histoire sociale et culturelle des hommes […] » (Rochex, 1997, p. 128). Par cette assertion Vygotski (1985) tente de démontrer que le développement de la pensée d’un sujet est issu du partage et de la transmission d’un ensemble de moyens mais également de processus, et pratiques inscrits dans un environnement socio-culturel ainsi que dans un contexte historique donné. La thèse de Vygotski (1985) stipule que les fonctions psychiques supérieures comme le langage oral et écrit sont le produit d’une réappropriation par les individus d’instruments, normes, signes socialement partagés par un individu et les membres de son environnement socio-culturel. Par fonctions psychiques supérieures Vygotski désigne « des processus cognitifs uniques aux humains et acquis grâce à l’apprentissage» (Bodrova & Leong, 2012, p. 310) . La théorie historico-culturelle nous permet de disposer d’une grille de lecture interprétative des mécanismes de transformation ou d’appropriation des outils langagiers, iconiques et plastiques par chaque journal à propos des campagnes présidentielles inhérent à une période historique spécifique.

Vygotski (1985) soutient l’idée d'une « genèse sociale de la conscience et du psychisme au travers d'activités réalisées avec autrui, et celle de la nécessaire médiation, technique mais surtout sémiotique, de ces activités » (Rochex, 1997, p. 106). Il introduit pour ce faire les notions d’instruments techniques et psychologiques pour expliquer le développement du psychisme ou de la pensée. A la différence de l’instrument technique, l’instrument psychologique a une capacité à « exercer une influence sur le psychisme propre (ou celui des autres) ou sur le comportement » (Vergnaud, 2000, p. 35). En cela, l’instrument psychologique revêt une valeur illocutoire (Searle, 1973/2008). A l’inverse, l’instrument technique a une capacité à agir sur des objets et une activité. L’instrument technique est un « élément intermédiaire entre l’action du sujet et l’objet [représenté] » (Vergnaud, 2000, p. 33). L’instrument technique joue alors le rôle d’un outil nécessaire à la réalisation d’une activité. « […], il est destiné à obtenir tel ou tel changement dans l’objet même » (Bronckart, 1985/1997, p. 43) que nous considérons comme l’opération de représentation des faits publics par les médias. Il tient lieu de traducteur ou de représentant de quelque chose dans une situation

d’interaction sociale. Il peut être également apparenté à un signe ou indice de communication. Ainsi la notion d’instrument technique permet d’envisager les images et leurs outils linguistiques, iconiques et plastiques comme des liants de communication entre les instances médiatiques, les acteurs politiques et les citoyens français au sujet de la question du vote présidentiel.

En introduisant la notion d’instrument psychologique, Vygotski (1985) défend l’idée que de la même manière qu’un outil de médiation a pour but de permettre la matérialisation d’une activité, de la même façon, il est susceptible d’orienter une pensée ou une conduite. Il va alors nommer instrument psychologique « une élaboration artificielle […] destinée au contrôle des processus du comportement propre ou celui des autres, tout comme la technique est destinée au contrôle des processus de la nature » (Vergnaud, 2000, p. 32). Ainsi, la notion d’instrument psychologique traduit le passage d’un processus d’extériorisation des outils techniques à leur internalisation ou leur appropriation propre par un sujet individuel ou collectif dans le but d’orienter sa conduite et celle d’autrui. La notion d’instrument psychologique conceptualisée par Vygotski (1985) conduira à questionner par le biais d’entretiens avec de futurs professeurs des écoles, la perception et l’appropriation de chacun d’eux sur le rôle d’instrument technique et psychologique des outils langagiers, iconiques et plastiques des médias à propos des campagnes présidentielles françaises de 2017. La théorie historico-culturelle de Vygotski (1985) ainsi que les concepts d’instruments techniques et psychologiques vont servir de grille de lecture des messages et langages médiatiques. Ils vont aider au décryptage du développement de la représentation des enquêtés sur le discours médiatique et ses procédés de transmission de savoirs non formels et informels. La prise en compte des notions d’instruments techniques et psychologiques peut guider l’interprétation des discours et des réactions des sujets interrogés face à leurs pratiques de consultation médiatique. Mais elle permet également de fournir des indices de leur activité de décodage des outils langagiers, iconiques et plastiques issus des énoncés et images médiatiques soumis à leur observation.

Les notions d’instrument et de signe nous apparaissent nécessaires afin de tenter de dégager la finalité des images et de leurs titres rattachés aux campagnes présidentielles. Pour ce faire Vygotski différencie signe et outil. « Une différence fondamentale entre l’outil et le signe […] est la manière distincte dont ils orientent l’activité humaine. La fonction de l’outil est celle de servir de conducteur dans l’objet de l’activité ; elle se trouve orientée de manière externe et doit réaliser des changements dans les objets (décryptage et interprétation des élections présidentielles) […] D’un autre côté, le signe ne change absolument rien à l’objet

59 d’une opération psychologique de moyens à l’activité interne, les signes sont des médiateurs externes, des instruments » (Vygotski 1934/1978 cité par Rivière, p. 55).

Par ailleurs le concept de zone proximale de développement (ZPD) élaboré par Vygotski constitue une potentielle perspective de décodage des discours des enquêtés pouvant servir à identifier la distinction entre les postures individuelles des sujets d’étude face à leur exposition aux médias et celles qui sont construites en fonction d’autres instances de socialisation à l’instar de leur groupe d’appartenance et ou de référence ; ou d’autres variables encore. La ZPD « définit l'espace dans lequel peuvent et doivent prendre place les processus d'apprentissage et les activités d'enseignement, lesquels en retour transforment et déterminent le développement en lui donnant forme et contenu » (Rochex, 1997, p. 130). L’usage du concept de ZPD va servir de cadre d’interprétation afin de comprendre le processus de construction de la décision électorale des enquêtés au regard de leur interaction avec leur environnement social mais également des connaissances ou savoirs dont ceux-ci disposent pour proposer leur représentation du discours médiatique. Ce qui met en exergue la question du processus de formation ou d’acquisition d’une éducation aux médias et à la politique. « L'apprentissage donne donc naissance, réveille et anime chez l'enfant toute une série de processus de développement internes qui, à un moment donné, ne lui sont accessibles que dans le cadre de la communication avec l'adulte et de la collaboration avec les camarades, mais qui, une fois intériorisés, deviendront la conquête propre de l'enfant » (Vygotski cité par Rochex, 1935/1985, p. 112). Pour autant Vygotski n’affirme pas une reproduction par imitation systématique chez le sujet qui développe sa pensée à partir des conduites et de la culture des membres de son groupe d’appartenance et de référence.

La théorie historico-culturelle va permettre de forger une hypothèse sur le processus d’apprentissage des savoirs non formels véhiculés dans les médias. Le mécanisme de transmission d’outils cognitifs opère toujours si l’on intègre la perspective de Vygotski d’une appropriation externe des outils vers une appropriation interne de ceux-ci par un individu. Les discours médiatiques étant également des formes de savoirs amenés à être connus, puis à être déchiffrés qu’ils soient sous forme verbale ou écrite, nous nous demandons en quoi ceux-ci peuvent constituer des outils visant d’une part à intégrer des instruments propres à leur activité, leur rôle, ou encore leur statut dans un espace socioculturel et historique, et d’autre part de quelle manière ils peuvent faire l’objet d’une appropriation singulière par les citoyens dans un moment de transition présidentielle électorale.

L’analyse que fait Vygotski (1935/1985) des rapports entre apprentissage, langage et pensée concourt à envisager le processus de représentation du choix présidentiel par les journaux comme un ensemble d’opérations de constructions intellectuelles associées à des procédés de communication et d’interaction au cours desquels les acteurs impliqués choisissent des outils pouvant être déchiffrables par leur(s) partenaire(s) de communication.

3.2. Les questions de la pensée, du langage écrit et de la signification selon

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