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Première partie : Cadre théorique

1. Chapitre 1 : Enjeux et contexte socio-historique des médias

1.2. Contraintes, visées et évolution socio-historique des médias

La contrainte socio-politique implique que les médias contribuent aux controverses publiques et aux décisions politiques de la vie d’un pays. L’enjeu socio-politique des médias se manifeste par leur prise de parole sur les lois, les actions des acteurs politiques, locaux, acteurs de la société civile, les citoyens et le fonctionnement des institutions. Le discours médiatique s’inscrit dans « le domaine de l’activité politique dans lequel se trouvent impliqués ceux qui participent à la scène du pouvoir politique, les élus et les autres représentants patentés, censés être des responsables , et que les médias mettent en scène dans divers scénarios qui décrivent la vie du corps social étatique : rapporter les actes et les propos des responsables politiques, soit en les reproduisant de la façon la plus fidèle possible, soit en les mettant en question par des enquêtes, des interviews, des débats controversés, soit en les analysant » (Charaudeau, 2011, p. 117-118). Le rôle ou l’impact sociopolitique des médias se décline dans le choix des sujets et la proposition d’un angle de traitement ou de représentation de ceux-ci pour les lecteurs. « L’une des fonctions latentes des médias dans la vie politique est de contribuer à ce que les sociologues anglo-saxons appellent agenda-setting, c’est-à-dire l’établissement de l’ordre du jour des problèmes » (Cayrol, 1991, p. 455).

Le rôle des médias dans la proposition et l’orientation du débat public est également rattaché à leur fonction de diffusion et ou de partage de connaissances. Frau-Meigs (2010, p. 22) démontre que « dans l’évolution complexe de nos groupes sociaux, les médias ont eu pour utilité sociale de répondre à trois grands objectifs cognitifs : la surveillance de l’environnement, le traitement de l’information issue de cette surveillance, et la résolution de problèmes par la prise de décision à partir des données recueillies ». Ce qui met en perspective 3 formes de processus et d’actions langagières : le choix des sujets à traiter, la sélection des matériaux nécessaires à l’analyse de ceux-ci et l’explication suggérée de l’occurrence publique. Les enjeux socio-politiques sont alors transposés dans des procédés et outils cognitifs visant à suggérer une définition des problèmes doublée d’une volonté des médias d’inciter à l’action. Cependant, les sujets choisis par les médias s’insèrent également dans une logique de captation (construction de messages attractifs) pour faire vendre l’information au regard du fait que l’activité d’information soit aussi économique.

La contrainte socio-économique inclut dans la construction et le choix des unités de discours la dimension marketing (promotionnelle) et commerciale (marchande) au travers de

35 procédés susceptibles de favoriser l’attrait et par ricochet la vente de l’information. Ce qui implique la prise en compte par les médias des besoins, connaissances, modes et outils ou signes de communication du public auquel le média s’adresse. Un autre enjeu du discours médiatique est la portée socio-éducative et socio-culturelle de celui-ci. Dans leur construction du débat public, les médias transmettent des connaissances et des valeurs propres à un contexte socio-culturel et historique donné. Ce qui peut contribuer à la formation d’idées, d’attitudes, de postures, de représentations, d’usages et d’appropriations des messages médiatiques par le public. Ce dernier forme un agrégat d’individus et ou d’acteurs que l’ensemble des médias tente de convaincre au travers de trois contraintes socio-discursives. « C'est que les médias se trouvent dans un champ de pouvoir complexe qui inclut plusieurs autres champs dont le point commun est que leur cible est le plus grand nombre : le champ des rapports socio-politiques dans lequel les médias se légitiment par une double action, de contre-pouvoir vis-à-vis du monde politique en tant que tel, d'interface vis-à-vis de la société civile, au nom de la recherche d'une vérité ; le champ des rapports économiques dans lequel les médias se légitiment par leur aptitude à engranger le plus possible de consommateurs d'information, ce qui les entraîne à séduire cette cible ; le champ des rapports citoyens dans lequel les médias se légitiment par une aptitude à réaliser un projet éducatif de formation de l'opinion publique, ce qui les entraîne à séduire pour informer » (Charaudeau, 1997, p.79-80). Ainsi, le choix des occurrences publiques et leur représentation par les médias intègre la prise en compte de ces trois enjeux professionnels précités.

Les discours médiatiques revêtent par ailleurs une fonction pragmatique car la diffusion d’énoncés médiatiques n’est pas seulement entendue comme une opération de transmission de perceptions autour d’un fait public, mais également en tant qu’une forme d’invitation à l’action à l’endroit des citoyens et des Hommes politiques. Le discours médiatique revêt la double fonction de représentation d’un sujet public et d’une intervention par le biais de la parole ou de l’image. Il est alors susceptible de revêtir le statut d’acte d’information (Charaudeau et Maingueneau 2002), ou d’acte de langage au sens d’Austin (1970) et Searle (1972/2009). « Les actes de langage ont pour caractéristique d’être accomplis par l’énoncé d’expressions qui obéissent à [d]es ensembles de règles constitutives » (Searle, 1970/2009, p. 76).

Les études sur l’évolution des médias (Charon 2013, Chupin 2012) soulignent notamment l’importance du contexte sociohistorique et des conditions sociopolitiques et économiques des journaux sur l’évolution des maquettes des journaux et de la configuration des actualités médiatiques. Pour Chupin (2010, p. 3), si « les médias engendrent d'incessantes

discussions quant à leur place dans la société française, leur rôle dans la vie politique, leur impact sur la population […], certains leur imputent des dysfonctionnements sociaux et d’autres soulignent leur contribution à la vitalité démocratique […] ». C’est parce qu’ils sont susceptibles d’exercer une forme d’influence sur le cours d’une décision, d’une pensée ou d’une action sociale que les médias font l’objet d’étude et de questionnement. Les études sur l’histoire des médias (Chupin : 2012, Poulet : 2007, Charon : 2013 et 2014, Charron J et De Bonville J. : 2004, Jost et al., : 2012, Balle : 2017) retracent l’évolution des mutations socio-historiques de ceux-ci.

Pour Chupin (2012), l’intérêt d’une étude des médias ne peut être dissocié d’une analyse du rapport de pouvoir entre les instances médiatiques et les instances politiques pour mobiliser ou attirer l’attention du public. Les médias « offrent aux gouvernants des ressources (pour prescrire des comportements, légitimer l'action de l’État ou mobiliser la population) mais aussi des contraintes puisque leur activité est virtuellement placée sous le regard d'un public plus ou moins étendu (Thompson, 2000). Instruments de batailles politiques, les médias sont par conséquent l'un des enjeux de ces affrontements » (Chupin, 2012, p. 5). Les médias ont cependant évolué historiquement en fonction des crises économiques successives (2002 et 2009) et des pratiques et modes de consommation de l’actualité. En conséquence, pour Charon (2013, p. 116), les médias ne se positionnent plus seulement comme des acteurs exprimant un pluralisme politique, mais il formule l’hypothèse que « les quotidiens français se rapprocheraient plutôt d’un pluralisme à l’anglo-saxonne : sans identification précise à quelque parti ou idéologie, mais une structuration de l’offre éditoriale selon les grandes sensibilités du pays ». Les médias tendraient alors à différencier leur contenu au travers de leur spécificité (nationale, régionale, internationale, spécialisée). Ces analyses sur l’évolution socio-historique des médias nous induisent à considérer que l’analyse et l’interprétation des outils langagiers, iconiques et plastiques des publications au sujet des campagnes électorales sont susceptibles de fournir des indices de l’identité d’un titre inhérent à une période historique ainsi qu’un contexte socio-culturel.

L’identité est entendue ici comme la dimension thématique et subjective à partir de laquelle chaque rédaction ou titre de presse entend construire les nouvelles. Elle prend en compte des paramètres matériels, culturels, cognitifs, historiques et psycho-sociaux. L’identité est définie comme « un ensemble de significations (variables selon les acteurs d’une situation) apposées par des acteurs sur une réalité physique et subjective, plus ou moins floue, de leurs mondes vécus, ensemble construit par un acteur. C’est donc un sens perçu donné par chaque acteur donné au sujet de lui-même ou d’autres acteurs » (Mucchielli, 2013, p. 10). L’identité

37 d’un journal, d’un métier rassemble les discours qu’il tient sur lui-même et se traduit par ses énoncés sur les questions publiques. Elle comporte également pour nous une forme de subjectivité qui se résume dans l’interprétation récurrente ou mouvante que chaque rédaction fait des occurrences publiques. L’analyse du discours médiatique et de ses significations repose également fondamentalement sur un contexte socio-culturel et socio-historique dont une analyse diachronique peut permettre d’examiner le renouvellement ou non d’une position énonciative d’une publication à propos des campagnes présidentielles. Toutefois, l’alliance entre le contenu et la forme d’un journal donne également des indices sur la singularité d’une publication.

Mouillaud et Tétu (1989, p. 55) affirment que « la mise en page a progressivement donné à chaque journal son identité propre au point qu’aucun organe de presse actuellement n’ose lui apporter de modification sensible sans s’en expliquer auprès de ses lecteurs : toute modification de la forme d’un journal apparaît comme l’altération violente de son identité ; au reste, chaque fois qu’un journal quotidien modifie sensiblement sa maquette, un important courrier de lecteurs proteste contre ce changement : ces lecteurs ne retrouvent pas "leur" journal et s’en inquiètent. Ce n’est pas le contenu du journal, aujourd’hui, qui impose d’abord sa personnalité, c’est à sa forme qu’on l’identifie ». Les traits de spécificité d’un journal aident les lecteurs à reconnaître une forme de distinction entre les différents supports existants. Bien que les journaux visent à obtenir le maximum de ventes et une diffusion plus large, ils conçoivent néanmoins leurs supports en fonction d’un public cible et de l’évolution des pratiques de consultation des différents publics. Dans ce cadre, l’identité est aussi envisageable comme un ensemble de traits objectifs et subjectifs du discours d’un journal variable selon la situation, le contexte historique et les usages et particularités des lecteurs.

« L’identité discursive [désigne] la figure publique du média, [c’est] cette image constituée exemplaires après exemplaires et incarnant son dessein fondamental » (Esquenazi, 2013, p. 138). De ce fait, la diversité des numéros d’un titre sur un sujet d’actualité s’inscrit dans une complémentarité de sujets et cadrages de l’actualité. « L’actualité du jour est inscrite dans un flux temporel qui traverse plus ou moins le numéro mais qui assure la continuité de la collection. C’est d’autre part, l’œil du lecteur qui va produire une dynamique entre les espaces au fil des pages. C’est ainsi qu’est recréé chaque jour le lien social, à l’articulation de l’identité et de l’altérité : identité dans la maquette, altérité dans sa déclinaison quotidienne » (Mouillaud et Tétu, 1989, p. 35). Aussi, deux analyses de l’identité discursive du journal peuvent être effectuées. Premièrement, le rapport entre un numéro et une collection met en perspective la

dimension inter discursive ou intertextuelle des éditions des diverses productions d’un média au travers d’une temporalité historique. Deuxièmement, la singularité d’un organe de presse est la somme d’une identité pour soi et d’une différenciation vis-à-vis des autres journaux concurrents. Les traits spécifiques du discours d’un support sont également reliés à ceux des autres par l’activité et le sujet de discours qu’ils ont en commun. En ce sens « chaque identité trouv[e] donc son fondement dans l’ensemble des autres identités s’exprimant à travers le système des relations » (Mucchielli, 2013, p. 119).

La personnalité de chaque titre (Voir Tétu et Mouillaud, 1989) se dévoile en partie dans la Une au travers de la mise en page du journal et de ses formes de discours, la nature des informations et les angles de traitement de ceux-ci. Celle-ci peut se traduire en outre comme l’ensemble des idées, significations, visées discursives, valeurs véhiculées, type de signes choisis et leurs caractéristiques proposés par les publications. Chaque titre de presse tente d’exprimer son identité de groupe au travers d’un ensemble de référents culturels (croyances, systèmes de valeurs culturelles, vision du monde) et psycho sociaux (motivations, intérêts, symboles et signes extérieurs, images identitaires des acteurs représentés) recensés par Mucchielli (2013, p. 13-14). L’identité est formée des choix discursifs de chaque journal et se manifeste dans la posture énonciative de chaque titre. « Affichant une identité discursive spécifique, un média définit quel témoin-ambassadeur il entend être. Il indique quel public et quelles valeurs partagées il pense représenter. Il révèle quelle approche des faits il entend privilégier, quels systèmes de modèles d’événements il entend employer pour expliquer les faits rapportés » (Esquenazi, 2013, p. 138).

Par ailleurs le contexte économique et les changements de direction au sein d’une rédaction ont également des impacts sur l’identité discursive d’un journal. Hubé (2008), Charon (1994) et Toussaint-Desmoulins (1994) expliquent en quoi la baisse des revenus publicitaires des journaux entre 1990 et 1995 ont conduit ces derniers à repenser leurs maquettes (Voir Hubé, 2008, p. 93). L’étude de Falgueres (2008, p. 9) au sujet de l’interactivité des lecteurs sur les forums des sites de quotidiens nationaux entre 2005 et 2006 renforce l’idée que « la presse quotidienne est confrontée à une consommation plus occasionnelle et plus irrégulière des journaux et peine à maintenir sa singularité face à la concurrence des journaux gratuits et nouveaux instruments d’information (Internet, téléphone mobile, chaines d’information en continu, etc) mis à la disposition des citoyens aujourd’hui ». Dans le même ordre idées, Hubé (2008, p. 96) émet l’hypothèse que les transformations des maquettes de certains journaux visent à pallier une perte de lecteurs. « Au cours des années 1990, beaucoup de journaux français procèdent à une révision de leur maquette : Le Parisien en 1989,

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Libération en 1994, 1996 et 2003, Le Monde en 1989,1995, 2002, et 2005, l’Alsace en 1992 et

en 2000, Le Figaro en 1999 et en 2005 et Le Progrès en 2004 » (Hubé, 2008, p. 7).

Un autre facteur non négligeable dans l’évolution des supports médiatiques est celui de la multiplication des médias numériques ainsi que le développement des modèles de gratuité de l’information à l’instar des journaux gratuits. Ces supports encouragent l’interactivité, la rapidité de consultation de l’information appelant les journaux à multiplier les stratégies de captation des lecteurs. « L’usage généralisé des tics implique de repenser l’organisation des médias papier en particulier. En effet, ils sont contraints de s’adapter aux changements de comportements généralisés des consommateurs, initiés par ces mêmes technologies et de mettre en place de nouvelles stratégies pour survivre : c’est en tout cas ce qui ressort des discours souvent pessimistes des professionnels qui affirment que les supports électroniques sont aujourd’hui les nouveaux maîtres du jeu » (Delavaud, 2009, p. 224). La possibilité d’une mutation des pratiques des acteurs médiatiques et des usages et comportements des consommateurs nous incite à souligner le rôle du contexte historique dans l’explication et la compréhension de la nature des outils et schèmes que sont à même d’employer les rédactions pour proposer aux lecteurs une lecture des périodes de choix électoral.

Dans son ouvrage intitulé l’Archéologie du savoir Foucault (1969/2008) se pose notamment la question de l’écart, de la dispersion ou de la différence entre les discours inhérents à plusieurs périodes historiques. Plus spécifiquement, Foucault questionne les lois de structuration susceptibles de donner lieu à la production de discours homogènes et hétérogènes au cours de plusieurs périodes historiques qu’il regroupe sous la notion d’archéologie. Cette dernière consiste en une représentation de l’archive entendue comme « […] le jeu de règles qui déterminent dans une culture l’apparition et la disparition d’énoncés, leur rémanence et leur effacement, leur existence paradoxale d’évènements et de choses » (Foucault cité par Maingueneau, 1994, I, p. 708). Pour Foucault (1968/2008), il existe des règles implicites de discours qui guident le choix de celui-ci. Le concept d’archéologie revêt ainsi un enjeu pour comparer les formes d’appropriation des outils langagiers, iconiques et plastiques des couvertures de journaux au sujet des campagnes au cours des années 2007 et 2012.

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