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Quelle utilisation virtuelle des bibliothèques ?

2. Action culturelle et formation : quelle formule ?

2.3. Valoriser l'après-voyage

2.2.1. Quelle utilisation virtuelle des bibliothèques ?

Nos trois terrains d'enquête proposent des ressources virtuelles spécifiques (la BmL notamment en possède de très nombreuses, dont les bibliothèques numériques « Numelio » et « Photographes en Rhône-Alpes » ; Marguerite Yourcenar a un blog et une page facebook, la BTV a développé un Netvibes et une page facebook, le réseau de la Ville de Paris a également une bibliothèque numérique patrimoniale). Je n'ai pas demandé directement aux usagers s'ils connaissaient et s'ils utilisaient ces ressources puisqu'elles n'entraient pas dans une logique de préparation, mais ils en ont parfois spontanément parlé : deux usagers de la BmL, habitués du département « Documentation régionale » et de ses ressources touristiques, ont évoqué « Photographes en Rhône-Alpes ». Une usagère de la BTV s'est montré intéressée par le Netvibes de la bibliothèque (qu'elle ne connaissait pas). En revanche, j'ai systématisé une question sur l'utilisation du catalogue de la bibliothèque, afin de comprendre comment celui-ci pouvait être utilisé dans une logique de préparation de voyage ou d'escapade. On peut en effet se poser la question suivante : préparer un voyage étant une activité pratique et logistique, une utilisation plus intensive du catalogue peut-elle être constatée de la part des usagers-voyageurs ?

Si l'on s'en tient aux commentaires des interviewés, la réponse est non : les usagers ayant eu recours au catalogue, du moins en amont de leur visite, sont peu

nombreux, et ce, sur les trois terrains d'enquête. Les usagers de la Ville de Paris rencontrés ont été un plus grand nombre à mener à bien une recherche avant leur visite (21 usagers sur 59) qu'à la BmL (8 usagers sur 34). Cela peut sans doute s'expliquer par la pénibilité des déplacements parisiens : si l'on cherche un document en particulier et que celui-ci n'est disponible que dans une bibliothèque qui n'est pas la bibliothèque de quartier, on doit être certain de la présence du document recherché pour risquer le déplacement, surtout dans une perspective d'efficacité logistique et pratique de préparation. Cette logique peut tout particulièrement s'appliquer à un déplacement dédié à la BTV, la bibliothèque spécialisée. D'ailleurs les usagers interrogés à la BTV sont plus nombreux à avoir effectué une telle consultation du catalogue en amont. Comme le soulignent Raphaëlle et Franck (30) : « Oui on avait vu qu'il y avait deux guides... Sinon on

ne se serait pas déplacé » (34 et 35 ans, BTV).

Mais certains n'évoquent le catalogue que pour en dénoncer le fonctionnement peu pratique et contre-intuitif, à Paris, comme à Lyon. Ainsi Valérie (29), grande usagère de l'ensemble du réseau de la Ville de Paris en témoigne : « j'ai appris à aller chercher dans le système de la Ville de Paris, le

système informatique, avant je ne savais pas aller chercher, mais maintenant je sais, je tape le numéro je crois – ici là – [le numéro du topoguide] après vous pouvez vous aider en tapant des mots-clefs. Même si on est jamais sûr d'avoir l'exhaustivité, ça marche mieux pour tout ce qui est classique, roman tout ça, pour le reste c'est pas évident » (29 - Valérie, 42 ans, BTV). Il est vrai que les

combinaisons thématiques du voyageur ne sont pas très bien référencées dans le catalogue de la Ville. Oscar (51) le confirme : « Ce qui serait bien aussi c'est que

dans le catalogue on puisse identifier les films par nationalité, parce que j'ai essayé – je dis n'importe quoi – de taper "Kazakhstan, film", mais ça ne donne rien, on ne peut pas les localiser, il faut avoir le titre ou le nom du réalisateur. Ça doit être possible d'augmenter les données que vous rentrez dans le catalogue, les métadonnées, pour qu'on puisse faire ce type de recherche » (51 - Oscar, 45 ans,

enseignant chercheur, Marguerite Yourcenar). Le même type de critiques a été énoncé à la BmL, à Lyon : Anne et Jean-Philippe (60) sont agacés de ne pas avoir de résultat en tapant « routard » dans la barre de recherche, combiné à une destination, par exemple « Routard Norvège », « alors j'ai trouvé l'astuce, il faut

taper le nom de l'auteur de chaque guide, par exemple Philippe Gloaguen, mais c'est contraignant » (60 - Anne et Jean-Philippe, 53 et 54 ans, BmL).

Certains usagers choisissent de consulter le catalogue sur place, sur les ordinateurs mis à disposition. C'est le cas dans les trois établissements : trois personnes à la BmL, deux personnes à la BTV, une personne à Marguerite Yourcenar, Thomas (6 - BmL) notamment, fait de la consultation du catalogue une étape clef de son parcours d'occupation de la bibliothèque : alors même qu'il se dit « pas vraiment organisé », il note consciencieusement toutes les références qui l'intéressent sur un petit papier, puis va vérifier en rayon si elles sont disponibles : « tout ce que je cherchais est prêté, je pense que c'est la période (…) là du coup

j'ai pris plein de références en vrac en me disant que dans toutes ces références je prendrais ce que je trouve, du coup je n'aime pas trop être sur les ordinateurs à la bibliothèque debout, ce n'est pas très agréable, donc à la limite je préfère repasser du temps chez moi si je dois réserver des ouvrages, et je repasserai » (6 - Thomas,

31 ans, informaticien, BmL). Le catalogue, même perçu comme peu pratique et inconfortable, devient ainsi un outil décisif du processus de préparation du voyage. Son utilisation peut aussi donner lieu à un dialogue avec les bibliothécaires à la suite, par exemple, d'un échec partiel d'interrogation du catalogue.

Mais surtout, comme cela a été évoqué par Thomas, le catalogue peut également être utilisé pour faire des réservations de documents lorsqu'ils ne sont pas disponibles en rayons. Parmi les usagers rencontrés, 10 personnes à Paris, et 4 personnes à Lyon ont témoigné faire régulièrement des réservations, voire de multi-réservations, essentiellement de guides de voyage : ceux-ci étant souvent déjà empruntés, surtout à certaines périodes de l'année. Ainsi, le dimanche 31 mai, Mélanie (23 - 34 ans, professeur documentaliste, Marguerite Yourcenar) est venue chercher les quatre guides existants sur l'Afrique du Sud, elle les a réservés il y a plusieurs semaines : « je trouve ça bien que les guides soient mis en avant, qu'il y

en ait un maximum, car ça tourne beaucoup, j'ai attendu 3 semaines pour pouvoir obtenir les guides sur l'Afrique du Sud ! ». Mélanie ne part pourtant qu'en août.

Une telle réservation, quatre mois à l'avance, demande une grande organisation, mais permet souvent d'éviter les déplacements : Mélanie insiste sur le fait que Marguerite Yourcenar est sa bibliothèque de quartier, elle connaît la BTV mais elle n'a pas envie de se déplacer, elle préfère attendre les guides disponibles ici.

Au contraire, les usagers qui m'ont répondu ne pas consulter le catalogue en ligne invoquent tous la possibilité de trouver ce qu'ils cherchent en rayons, faire une recherche est perçu comme une action inutile. Sydney (12 - BTV) souligne ainsi : « non on ne regarde pas le catalogue en ligne, on regarde ce qu'il y a sur

place. Ça m'est arrivé (…) mais comme ici c'est la bibliothèque spécialisée voyage... de toute façon, autant venir ». Cet argument est repris par plusieurs

usagers de la BTV. Plus étonnant, on le retrouve, adapté, à la BmL : celle-ci est présentée comme la bibliothèque centrale, la plus grosse bibliothèque du réseau, et donc comme la « caverne d'Ali Baba » de Lyon. C'est du moins ainsi que l'entend Christina (64) : « je fais des réservations parfois, en général je regarde sur le

catalogue par avance et je sais ce que je vais trouver, mais, ici c'est la Part Dieu, donc je me suis dit que je n'aurais pas vraiment besoin. Ça ne m'est pas vraiment arrivé de ne rien trouver sur une destination » (23 ans, ingénieure en biologie,

BmL). Le plaisir de fouiller et de feuilleter dans les rayons est également évoqué. Mais c'est bien l'idée de l'offre documentaire pléthorique et la possibilité de venir à la bibliothèque quand on peut qui priment parfois : c'est le cas pour Nadège (2 - 28 ans, BmL) : elle prépare un voyage en Irlande, et lorsqu'elle prend le temps de répondre à mes questions il est presque 19h, l'heure de la fermeture. Elle m'explique qu'elle est venue à la Part Dieu car elle sort d'un train (la BmL est en face de la gare), elle devait rendre des livres et elle en a profité pour passer chercher des guides. Elle s'était déjà déplacée une première fois à la BmL pour en emprunter (alors même que la BmL n'est pas sa bibliothèque de quartier), mais et il n'y avait plus rien sur l'Irlande, elle serait repartie sans rien si elle n'en avait pas trouvé cette fois-ci. Son passage a été dicté par ses déplacements plus que par sa préparation.

Loin d'avoir systématiquement du sens comme entité virtuelle, la bibliothèque est donc avant tout une entité physique, ancrée dans une géographie territoriale importante pour les usagers-voyageurs. On peut se demander si le fait de préparer un voyage (et d'utiliser des segments de collections spécifiques) implique une sensibilité particulière aux données spatiales des terrains d'enquête.

2.2.2. Une utilisation physique et spatiale différenciée de préparation en