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La BTV : se déplacer à la bibliothèque spécialisée

2. Action culturelle et formation : quelle formule ?

2.3. Valoriser l'après-voyage

2.2.2. Une utilisation physique et spatiale différenciée de préparation en

2.2.2.3. La BTV : se déplacer à la bibliothèque spécialisée

La BTV est un espace d'environ 90 mètres carrés situé dans l'enceinte de la bibliothèque du 16e arrondissement de Paris, Germaine Tillion. La BTV a été créée

en 1986, elle compte 20 000 documents patrimoniaux et 15 000 documents en collections « courantes », de référence, dont une grande partie empruntable (1600 cartes et plans, 11 000 livres en prêt), sur le tourisme et les voyages. L'espace tel qu'il existe aujourd'hui est le résultat de travaux effectués en 1995 puis en 2007. Germaine Tillion, qui héberge donc la bibliothèque spécialisée, est une médiathèque de 1 910 m² sur 2 niveaux, ouverte en 1976. Son architecture est typique des années 70 : si l'établissement est très agréable en raison de son jardin intérieur, la bibliothèque occupe le rez-de-chaussée et le sous-sol d'un immeuble, et son entrée est située dans un renfoncement (cf Illustration 8). Au rez-de- chaussée, en entrant, se trouve l'espace jeunesse, puis un grand escalier mène au niveau -1. Celui-ci débouche sur un espace de snacking, un couloir-galerie, puis la BTV apparaît à gauche (illustration 10), en face du jardin, séparé des autres espaces de la médiathèque par un court escalier (illustration 9). La succession des surfaces et l'identité de la BTV ne sont pas nécessairement faciles à comprendre pour un usager novice (bien que cette implantation s'explique par des raisons historiques et notamment le souhait du Touring Club de France de voir son fonds patrimonial rester dans le 16e arrondissement).

Seules 9 personnes (sur les 29 usagers rencontrés) affirment être des habitants du quartier. Les deux tiers des interviewés viennent, soit d'un autre quartier de Paris (12 personnes, dont 4 du 15e arrondissement, 1 personne du 14e, et

1 personne du 19e arrondissement), soit de banlieue ouest (7 personnes, dont 2

personnes de Levallois-Perret, 2 personnes de Clichy, 1 personne de Suresnes et 2 personnes se disent « du 92 » sans précision). Un homme vient de Lyon, pour consulter le fonds patrimonial du Touring Club de France. La BnF l'a redirigé vers ces collections.

Ces personnes sont toutes venues intentionnellement, à la BTV, parce qu'elle est « la » bibliothèque spécialisée des voyages. Tous les usagers qui n'habitent pas le quartier le précisent à chaque interview : ils sont venus spécialement, pour préparer leur déplacement, en France ou à l'étranger, portés par des projets parfois atypiques ou particulièrement motivés. La spécialisation des collections, comptant des ouvrages disponibles nulle part ailleurs dans le réseau (comme des guides pour certains pays d'Afrique) ou des formats uniques (les cartes) est particulièrement appréciée. la BTV est perçue comme un lieu de collections de référence, même s'il arrive à certains usagers de repartir bredouilles faute d'exemplaire disponible pour l'emprunt (13 - Brigitte et Arlette, 54 ans et 73 ans, venues de Levallois-Perret, cherchaient un guide des Pouilles, ceux-ci sont tous empruntés, elles passent néanmoins du temps à parcourir l'exemplaire consultable sur place).

Claire et Jonathan viennent pour la première fois, suite à une consultation du catalogue en ligne du réseau (36 - 24 et 25 ans, 15e arrondissement). Ils

ignoraient qu'il s'agissait d'une bibliothèque spécialisée, ils sont très agréablement surpris par la profusion documentaire : « Nous n'étions jamais venus, on vient pour

des guides, on vient du 15e, on fréquente Yourcenar et Beaugrenelle, on est venu

parce que le seul guide disponible était ici et c'est le plus proche, sur notre ligne. Le catalogue est très très bien on était surpris du nombre de livres, de revues, de DVD, et c'est très très bien rangé ! Très clair ! C'est vrai de loin on voit les pays, les continents, alors que normalement en bibliothèque les espaces tourisme sont assez réduits et tout est entassé, ce n'est pas aussi agréable pour la recherche. On s'attendait à trouver une bibliothèque beaucoup plus petite et elle est très agréable en plus... On a trouvé tout ce qu'on voulait ». Ils se montrent néanmoins sceptiques

quant aux exemplaires en double des guides, ceux consultables uniquement sur place (non empruntables) : « on avait jamais vu ça, sauf pour les revues, c'est...

enfin on ne reviendrait pas exprès pour regarder dans ces guides, mais pourquoi pas, au moins si on veut préparer sur place il y a de quoi faire, nous on préfère faire ça chez nous, les emporter ». Les autres usagers interrogés sont

majoritairement des habitués, ils viennent régulièrement, parfois de loin, avant chaque départ en voyage.

Au regard de notre corpus d'entretiens, les usagers rencontrés sont assez nombreux à se plaindre du caractère excentré et confidentiel de la BTV. Valérie (29 - 42 ans, BTV), randonneuse des chemins de Compostelle, en témoigne : « quand j'ai découvert qu'il y avait cette petite bibliothèque (ici), c'est comme ça

que j'ai commencé à faire Saint-Jacques en fait, j'ai vu qu'il existait des guides et puis 3-4 ans après avoir bien réfléchi, je suis partie. Moi : et ce n'est pas du tout

ils n'ont rien, et je suis obligée de venir du 19e jusqu'ici, mais bon j'ai pris

l'habitude maintenant. Les guides pédestres, ailleurs on en trouve un par ci, un par là,... donc ça aurait été bien qu'une bibliothèque comme ça, du tourisme, soit située de manière plus centrale dans Paris, parce que vraiment c'est un peu désolant qu'il n'y ait que les gens du 16e qui l'utilisent... Enfin j'exagère mais... Et

encore, moi j'ai découvert que ça existait, mais à un moment je ne savais même pas que ça existait, enfin je l'ai découvert il y a longtemps maintenant,... donc maintenant je fais la démarche au moins une fois tous les deux mois je viens et je regarde ce qui m'intéresse en fonction de mes prochains voyages ». L'impulsion du

départ peut ainsi venir directement de la fréquentation de la bibliothèque, mais celle-ci, aux dires de Myriam (33 - 71 ans, du 92) qui, avec l'expérience, a intégré la BTV à ses stratégies de fréquentation du réseau, est « trop peu centrale, visible et connue » : « c'était un bibliothécaire qui m'avait donné l'adresse il y a quelques

années déjà, du coup maintenant à chaque fois qu'on part en voyage, on fait un petit tour ici. Je viens exprès, je suis de banlieue. En général je m'arrange, j'amortis le déplacement quand je dois venir ici ». Un effort qui peut donner lieu à

déception dans certains cas, même si les bibliothécaires font tout pour répondre aux différentes situations : le samedi 30 mai, Sylvie (16 - 50 ans), se rend compte une fois sur place qu'elle a oublié sa carte d'emprunt (carte des bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris), elle fait des pieds et des mains pour réussir à emprunter ses documents malgré tout, en soulignant qu'elle est venue de loin, « exprès » (argument auquel l'équipe des bibliothécaires est très sensible). Elle m'explique ensuite : « Là je suis venue pour les cartes et du coup j'ai vu qu'il y

avait des films. Ce n'est pas du tout ma bibliothèque de quartier, c'est vraiment une longue distance. Elle est très mal située, même si ça va bien avec le cadre touristique (puisque l'on est à cinq minutes du Palais de Chaillot) mais pour les parisiens ce n'est pas facile. La dernière fois que je suis venue, c'était l'année dernière pour préparer un voyage dans le bassin d’Arcachon avec la carte de rando, et c'était uniquement pour ça, car sinon c'est dissuasif. En plus le quartier n'a aucun intérêt et les transports sont pénibles, aujourd'hui il y avait plein de touristes, c'était horrible (…). Et puis la bibliothèque est mal balisée, la rue n'est indiquée que quand on est quasiment arrivée, et la porte... il y a juste un petit signe au niveau des escaliers mais on ne voit pas de loin, et ça fait parking. Un point café ça manque un peu. Dommage qu'il n'y ait pas de fenêtre dans l'espace tourisme, c'est un local aveugle... mais bon voilà c'est comme ça ». On peut

abonder dans le sens de ces remarques : si la BTV était plus centrale dans Paris (près d'une des grandes gares) elle rencontrerait sans doute un succès démultiplié. Le fait qu'elle réussisse à drainer des publics qui viennent parfois de loin souligne cependant le pouvoir d'attraction d'un établissement de ce type.

À la lumière de nos entretiens, on peut enfin s'interroger à propos de la convergence entre les usages concernant le fonds patrimonial hérité du Touring Club de France et ceux du fonds courant de guides, livres illustrés, cartes et récits de voyage. Si la thématique du voyage trouve ses fondements historiques dans le fonds du Touring Club de France, ce ne sont pas nécessairement les mêmes usagers qui consultent les deux fonds. Nous avons rencontré Loïc (42 - 53 ans, Lyon), venu pour consulter les fonds anciens de la BTV. Chercheur du dimanche sur le vélocipède, économiste, il n'a jamais pensé à se servir de la bibliothèque pour préparer un déplacement touristique. Pourtant il arrive que ce fonds intrigue les voyageurs : Charles (35) profite de notre entretien pour me poser des questions à ce sujet, « je crois que vous avez un fonds ancien et je ne sais pas comment on y

accède, ce serait intéressant de simplement dire que ça existe et de le montrer pour donner envie de le découvrir. Par exemple j'ai un copain qui habite dans le 15e et il veut préparer un voyage en Mongolie et je voudrais l'aider dans cette

préparation en lui donnant rendez-vous ici, et on pourrait chercher ensemble, peut être aussi pour voir des choses plus anciennes, car souvent, voyager, c'est voyager aussi avec les traces du passé, des explorations passées. [je lui donne une

explication sur le Touring Club de France et la composition du fonds qui en a été hérité]. Ah bah ça, ça m'intéresse parce que je suis photographe et je travaille

dans l'arrière pays niçois et je fais un travail à la chambre et je sais que le Touring Club s'intéressait à la construction des routes et je cherche des informations sur cette histoire, sur comment ont été faites les routes, etc. Et je me dis, bon moi j'ai des bouquins que j'ai chiné sur des brocantes mais ça pourrait être intéressant que je vienne voir un truc ici (...) je ne sais pas s'il y a un catalogue en ligne pour le fonds ancien ? Là c'est accessible si j'y vais ? ».

Charles envisage deux usages possibles du fonds ancien, mais ceux-ci s'opposent (il s'agit de deux démarches de recherche très différentes) et ne présentent pas nécessairement le même degré de pertinence par rapport au fonds en question. Par ailleurs, il n'a, pour l'instant, jamais sauté le pas de la consultati on alors qu'il vient à la BTV depuis plusieurs années. Marie (41), accompagnatrice bénévole pour l'Agence Arts et Vie, a, quant à elle, cherché et produit de la documentation touristique sur les traces d'auteurs célèbres, comme Montaigne. Ses recherches se sont plus appuyées sur le fonds courant que sur le fonds patrimonial, qu'elle dit n'avoir consulté qu'une fois. Tous les deux (Marie et Charles) soulignent l'intérêt des expositions historiques organisées par la BTV.

En tout cas, tous les usagers interrogés défendaient la pertinence d'avoir accès à une bibliothèque spécialisée « tourisme et voyages » contemporaine, courante et actualisée au sein du réseau de la Ville de Paris. Certains allaient même plus loin comme Charles (35), à nouveau : « le concept de bibliothèque

spécialisée ? je trouve que c'est important. À Paris il pourrait clairement y en avoir plusieurs sur le voyage ! ».

On peut donc remarquer que le statut des établissements (bibliothèque centrale, bibliothèque de quartier, bibliothèque spécialisée), influe sur les usages de préparation de voyage. Les usagers ont tous identifié ou pressentis ces statuts, et se comportent en conséquence. Cette identification laisse supposer que les choix politiques, territoriaux, sont déterminants, et qu'un modèle de bibliothèque spécialisée moins périphérique que celui existant actuellement à Paris augmenterait sans doute ses chances en matière de fréquentation.

3. P

RÉPARER UNVOYAGE ÀLABIBLIOTHÈQUE

:

TYPOLOGIE DES USAGES

Après cette exposition des spécificités de nos trois terrains d'enquête et des diverses utilisations qui pouvaient en être faites. Passons les portes des bibliothèques, engageons nous désormais, de manière indifférenciée, dans les rayonnages, pour qualifier les usages observés et décrits, et tenter un essai de typologie.

3.1. Consommer ?

« c'est presque plus fourni qu'à la Fnac ! » (11 – Clara et Eric, BTV)

La consommation n'a pas bonne presse en bibliothèque130, les collections à

fort taux de rotation, rarement « nobles » ou d'une grande qualité littéraire, tels que les best-sellers, les biographies politiques, les mangas, et... entre autres, les guides touristiques, suscitent des interrogations sur le rôle de la bibliothèque et le budget à consacrer à ces ouvrages. Dans le cas des guides, on peut se demander si la nature pratique et datée (les éditions étant actualisées tous les ans ou tous les deux ans par les maisons d'édition) de ces collections induit nécessairement des usages consuméristes. La quasi-totalité des usagers rencontrés cherchaient avant tout l'appui d'un support pratique, mais pour quelle utilisation et selon quelle logique d'usage ?

3.1.1. Avoir la liberté du choix : l'importance d'une offre diversifiée