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2. Action culturelle et formation : quelle formule ?

2.1. Inspirer

« Je n'ai pas d'inspiration en ce moment, je ne suis pas du genre à organiser, préparer,

le fait d'en parler à tout le monde ça aide » 43 – Christian, M. Yourcenar

2.1.1. Retours d'expérience, rencontres

Pouvoir écouter des voyageurs expérimentés présenter leur expérience de voyage : voici une animation culturelle réclamée par une partie des usagers rencontrés. Cela peut prendre la forme de conférences, ou de projections suivies d'une présentation ou d'un débat avec le réalisateur du film ou des photographies projetées. Florence (27 - BTV) souligne ainsi qu'elle souhaiterait assister à « des

conférences de voyageurs, qui donneraient des conseils personnalisés (…). Ce que j'aime bien ce sont les gens qui peuvent raconter des anecdotes, des petits faits qui marquent ». Or, le modèle de rencontre « classique » en bibliothèque est plutôt à

l'invitation d'auteurs : avoir écrit ou illustré un livre légitime l'événement. On peut voir beaucoup d'écrivains-voyageurs au programme des bibliothèques, parfois dans de petites structures : par exemple Benjamin Flao (auteur de la BD Kililana Song), samedi 19 octobre 2015 à Bibliothèque Georges Perec de Vaux en Velin173, ou

Sandrine Cnudde (auteur de Gravité/Gravedad, traversée des Pyrénées et de

Habiter l'aube) à la médiathèque d'Uzès, le 18 avril 2015174.

Mais la tendance actuelle est à la diversification des horizons des intervenants : les médiathèques acceptent de plus en plus d'encadrer et de modérer des rencontres avec des voyageurs photographes, cuisiniers, associatifs... qui n'ont pas de rapport avec l'écrit (l'animation reposant tout de même, le plus souvent, sur la projection d'un diaporama ou d'un autre support de présentation de leur activité). Ce changement de paradigme est visible, par exemple, à travers l'évolution progressive de la programmation du festival « Le mois du voyage » des médiathèques du Pays de Romans – organisé chaque année en mai, depuis 2011. À cette occasion, les bibliothèques du réseau partagent une programmation culturelle ambitieuse, dont plusieurs rencontres-conférences avec de grands voyageurs : en

172Françoise Rode-Coupeau, Mail du 9 novembre 2015. Responsable espace adulte, Médiathèque de Châtillon, 2

rue Lasègue, 92320 Châtillon.

173Bibliothèque de Vaux-en-Velin, site internet de la bibliothèque, [en ligne], [consulté le 02/01/2016] :

http://bm.mairie-vaulxenvelin.fr/mairie-vaulxenvelin.fr/cms/articleview/id/138

174Agenda culturel de la ville d'Uzès, billet : « Rencontre autour d'un auteur : Sandrine Cnudde - médiathèque

Uzès », avril 2015, [en ligne], [consulté le 02/01/2016]. Disponible sur : http://www.uzes.fr/agenda/Rencontre-autour-d- un-auteur-Sandrine-Cnudde-mediatheque-Uzes_ae343676.html

2011 et 2012 des auteurs-voyageurs avaient été prioritairement invités175, en 2013

et 2014 les globe-trotters « cinéastes » ou « photographes », à pieds et à vélo, ont eu la part belle, alors qu'en 2015 les artistes ont laissé la place à Mathias Dolidon... survivaliste !

Le programme du Mois du Voyage 2015 annonçait ainsi : « Survie dans la nature : 13 mai 2015 - 16h,

rencontre avec Mathias Dolidon, instructeur de survie. Parti à l’étranger superviser des activités de petites équipes en milieu dangereux, Mathias Dolidon a expérimenté différents climats (de la moiteur congolaise à la moiteur écossaise)… Il enseigne la survie depuis presque 10 ans. Il partagera avec nous ses différentes expériences, donnera des conseils pratiques pour se sortir de situations imprévues lors de rando ou de voyages au long cours et fera quelques démonstrations de techniques simples ». La monstration d'une œuvre laisse la place à la

démonstration de « techniques », pratiques, de survie dans les murs de la bibliothèque Simone de Beauvoir : une petite révolution pleine de promesses !

Le bilan de cette action est malheureusement un peu mitigé (par rapport à d'autres et par rapport au bilan global du festival) : organisée à la veille d'un pont de mai, elle n'a

pas attiré autant de publics qu'escompté, pour un coût financier relativement élevé176. Néanmoins, elle vient symboliser la diversité des interventions, et

répondre à l'un des axes majeurs du festival : orchestrer l'exceptionnel (« Les

rendez-vous de l'ailleurs : avec un appareil photo, en chantant, en sari, ou tout nu... des rencontres exceptionnelles pour aborder le monde différemment »). Les

idées de l'équipe pour la future session 2016 viennent confirmer cette volonté de valoriser des façons atypiques de voyager177, selon Jeremy Faurie « les gens viennent pour trouver de l'audace (...) ils sont en quête de sens, de sensation, de voyager différemment, ils sont curieux de l'authenticité », ils cherchent

l'inspiration. Cela peut parfois se faire en partenariat avec des associations locales : là encore, au cours des préconisations du Mois du voyage 2016, l'équipe note « compte tenu du nombre de sollicitations locales, la question se pose de

programmer une après-midi "Voyage à vélo". Jérémy contactera l'association "À pinces et à vélo-Kazacycle" pour voir s'ils veulent organiser cette animation. La médiathèque jouerait un rôle de coordination. On bénéficierait alors de la force du réseau de Romans-Bourg. Pourquoi ne pas imaginer un partenariat avec la revue "Carnets d'aventure" pour cet événement ».

Par ailleurs, des cinq éditions du Mois du Voyage, la rencontre qui a eu le plus de succès fut celle de Bernard Ollivier, le 14 mai 2013178, rassemblant environ

175Pour le détail voir les programmes (Annexe 15) : en 2011, Nadir Dendoune et Erik auteur-journaliste, en 2012

Sébastien Jallade (auteur-voyageur) et David Lefèvre (auteur-voyageur).

176Extrait de la réunion bilan « Mois du voyage », jeudi 25 juin 2015. Compte rendu, envoyé par Jeremy Faurie

(section ado-adulte de la Médiathèque Simone de Beauvoir, Romans) : « Rencontre autour de la survie :Les + :

Intervenant de qualité. Les - : Pas autant de monde qu'espéré / des habitués / pas de jeunes.Coût relativement élevé (280 euros) 27 personnes satisfaites ».

177« Laisser une place également aux voyageurs « atypiques (peu ou pas médiatisés) » (Jeremy Faurie : objectif

du prochain Mois du Voyage 2016).

178Voir la présentation du programme : « 14 mai 18h Marcher pour tenir debout. En 1999, Bernard Ollivier jeune

retraité de 62 ans, décide d'entamer un périple : partir à pied sur la Route de la Soie. D’Istanbul à Xian, le parcours est de 12 000 km. Au retour, il crée l'association « Seuil » qui aide des jeunes en difficulté à se réinsérer par la marche à pied. Auteur de La Longue marche (trilogie), Aventures en Loire, La vie commence à 60 ans et Marcher pour s'en

100 personnes. Or, Bernard Ollivier a la particularité d'être un voyageur « solidaire », il a créé l'association « Seuil » pour la réinsertion par la marche des jeunes en difficulté, et c'est cet aspect solidaire qui a conquis le public de la bibliothèque, venu massivement après la rencontre demander à M. Ollivier comment l'aider dans sa démarche sociale. Nous pouvons déduire de ce bilan que les bibliothèques pourraient plus clairement faire la promotion des initiatives voyageuses solidaires : il y a sans doute un positionnement à défendre (et peut- être, une place à prendre) pour faire la promotion plus directement de l'écotourisme, de l'écovolontariat, et autres expériences de voyages responsables – et procurer, ainsi, une nouvelle forme d'inspiration179.

2.1.2. Café voyageurs

Le rôle, actif, de la bibliothèque peut aussi être celui de mettre en rapport des voyageurs, de permettre les échanges entre usagers, de créer ou du moins de faciliter le dialogue et le lien. Ce rôle hypothétique est évoqué spontanément par Nadège (2 - BmL) lorsque je lui demande ce qu'elle pourrait attendre de la bibliothèque : « participer à la rencontre des voyageurs, par des genres de cafés

ou des choses comme ça qui pourraient... justement favoriser la rencontre. Bon après il y a d'autres formes de rencontres qui existent déjà comme le couchsurfing, mais c'est vrai que sans forcément avoir osé faire la démarche, la bibliothèque serait plus facile d'accès, moins étrangère et moins fermée que ce type de rencontres associatives ». Certaines personnes comme Antoine (3 - BmL) ou

Thomas (6 - BmL) ont déjà participé par ailleurs à ce type de rencontres, organisées par des associations de cyclisme, Elsa (37 - BTV) est déjà allée à un pot de couchsurfers. Tous sont de jeunes actifs, avides de communautés physiques plutôt que virtuelles, pour échanger sur le sujet du voyage. Même si par ailleurs des réseaux numériques sont cités puisque Laure (69) est par exemple inscrite à « Kawa » un réseau numérique orchestrant des rencontres autour d'un sujet. D'autres personnes, plus âgées, sont aussi réceptives à de tels projets de rencontres entre voyageurs, par exemple Gabriel et Dominique (4 - BmL) pour discuter de destinations lointaines (comme le Laos), ou Sandra (23) qui remarque que ce serait « une autre façon d'avoir des informations ». Quelques usagers se montrent particulièrement enthousiastes, prêts à participer sur le champ comme Clara et Eric (11 - BTV) ou Charles (36 - BTV), ils soulignent que ce type d'initiatives manque dans le paysage social actuel : « très bonne idée. Ce serait génial, à mi-chemin

entre des rencontres organisées par une ambassade et un voyageur lambda, quelque chose de plus détendu, moins officiel, cela pourrait créer du lien, des gens du quartier, il y a plein d'étrangers dans le quartier, comme des étudiants Erasmus par exemple, souvent isolés. » (Clara, 11).

Cette idée suit son cours également dans le milieu professionnel des bibliothécaires. Lors des entretiens qui m'ont été accordés, elle a été évoquée trois fois comme une idée ou un potentiel projet futur : par Jérémy Faurie de la

sortir ».

179D'autres exemples de festivals du « voyage » en bibliothèques (avec des rencontres de grands voyageurs)

peuvent être cités, comme « Littératures voyageurs » des bibliothèques d'Albertville, dont le programme d'octobre 2015 est disponible ici : http://www.mediatheque-coral.fr/opacwebaloes/Images/Paragraphes/LV/LV2015/programme.pdf [consulté le 02/01/2016]. Ou encore des festivals spécialisés d'une destination tels que « Voyages en Afrique » à la médiathèque de Florange en mai 2015 : http://documents.florange.fr/docs/programme-mai-mediatheque.pdf ou même le festival à venir « Histoires d'Amérique Latine, le Chili » à la médiathèque Rhöne-Crussol, du 18 janvier au 06 février 2016 : http://www.aylluvalence.org/animation/histoires2016/2016_saint_peray_ha_depliant_reduit.pdf.

médiathèque Simone de Beauvoir à Romans, par Rémy Nouvene de la future bibliothèque La Canopée à Paris, et par la directrice de la bibliothèque de Venelles, Elisabeth Arquier. Pour autant, je n'ai pas trouvé d'exemples de rencontres déjà menées à bien en bibliothèque. On pourrait néanmoins facilement imaginer un système similaire aux « cafés de langues ». Sur ce modèle, l'association « Les Passeurs d'Aventure » organise des « apéro voyageurs », avec une programmation et un certain nombre d'outils d'animation développés (autocollants, éléments de déguisements etc.) : des éléments méthodologiques d'organisation sont disponibles sur internet180.

Pourtant lorsque j'évoque la possibilité d'organiser de telles rencontres à la bibliothèque, quelques usagers s'inquiètent de la faisabilité de ce type d'événements. Renée (17 - M. Yourcenar) explique : « je crois que chacun voyage

avec son imaginaire, déjà que voyager en groupe c'est compliqué... les gens n'ont pas les mêmes attentes. Même si les échanges sont stimulants, les gens n'ont pas envie de s'arrêter aux mêmes endroits, de faire les mêmes choses, dès lors pourquoi et comment en discuter ? ». Les différences d'âge entre usagers et donc,

potentiellement les différences de mode et de style de voyages, inquiètent par ailleurs certaines personnes rencontrées, au point de donner lieu à une discussion entre Suzanne et son mari Pierre (22 - M. Yourcenar) : « Suzanne : oui un café

voyageurs ça nous intéresserait, mais peut être avec des choses différentes en fonction de l'âge, les attentes des jeunes ne sont pas forcément les mêmes que des personnes plus âgées. C'est vrai que nous on ne va pas du tout être attirés par tout ce qui est bar disco, c'est derrière nous. Pierre : Mais, regarde, quand on y pense, notre dernier voyage on l'a fait avec pas mal de jeunes... C'était difficile de savoir où aller, comment y aller, et surtout combien de temps rester. Dans le Routard ils ne donnent pas de durée. Tous les jeunes qu'on a rencontré ils nous demandaient "alors vous avez fait quoi ? On y reste combien de temps à votre avis ?" et nous on se posait les mêmes questions. Même si on avait réservé des hôtels quand même, on se posait les mêmes questions !... Finalement on n'est pas si différents... ». La

mission de la bibliothèque serait, en réalité, de vaincre les appréhensions et de réussir à réunir ces différents publics, qui seraient certainement eux-mêmes agréablement surpris par la relative similarité de leurs pratiques touristiques. Un défi qui n'est tout de même pas des moindres, car, comme le soulignent Chloé (52 - 25 ans, M. Yourcenar) et Marlène (38 - 71 ans, BTV), aujourd'hui les animations des bibliothèques... sont quand même majoritairement fréquentées « par des vieux » ! « Je ne sais pas trop... je sais que les bibliothécaires organisent le

samedi matin une sélection une fois par mois, ma mère y va, elle me dit que les sélections sont vraiment bien, mais je pense que la moyenne d'âge ça ne serait pas trop... la mienne ! Donc je ne pense pas que les personnes âgées ont les mêmes façons de voyager, mais dans l'idée sinon oui ça me dirait bien. Je sais que pour les enfants il y a des choses, je sais qu'il se passe des choses mais personnellement je n'y vais pas. » (Chloé, 52), Marlène (38) de renchérir « c'est vrai que quand on va à ces événements la moyenne d'âge est à 70... ça c'est le problème... les vieux n'aiment pas trop se retrouver entre vieux vous savez ! ». Est-ce une idée reçue ?

180En ce qui concerne la méthodologie à suivre pour mener à bien ce genre de « café » ou « apéro » voyageurs,

on peut citer au moins deux articles : une soirée « inspiration voyage » organisée par citycrunch à Lyon : http://lyon.citycrunch.fr/retour-sur-lapero-inspiration-voyage/2015/06/17/ [consulté le 02/01/2016] ; et les « Passeurs d'Aventure » présentés ici : http://www.romain-world-tour.com/apero-voyageurs-lyon/ ; des soirées organisés avec des partenaires, comme l'Apéro voageurs « 40 ans nomade » (en partenariat avec « Nomade Aventure », agence de trecking, qui a fourni pour l'occasion un stand de décors, déguisements et photographies : https://www.facebook.com/media/set/? set=a.10154588634709988.1073741838.27426694987&type=3) le 27 novembre 2015 peut être un exemple à suivre.

Le public jeune est-il totalement à conquérir ? En tout cas cette question se pose avec beaucoup d'acuité par rapport au thème du voyage, pour la programmation culturelle d'inspiration (les rencontres voyageurs existantes sont plutôt des réunions de personnes jeunes, le nom « apéro-voyageurs » communément utilisé reflète cet état de fait) mais aussi, pour les ateliers de formation...