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Les novices désordonnés : utilisation symbolique de la bibliothèque

2. Action culturelle et formation : quelle formule ?

2.3. Valoriser l'après-voyage

3.2.2. Les novices désordonnés : utilisation symbolique de la bibliothèque

D'autres usagers (5 personnes), novices par rapport à la démarche de préparation, ont choisi d'investir la bibliothèque pour mener à bien une recherche poussée. La visite de la bibliothèque, désordonnée, a une portée symbolique non négligeable : il s'agit, pour eux, de donner corps à leur projet de voyage en venant à la bibliothèque et en adoptant une posture de recherche.

Cette façon d'incarner le voyage, ou du moins sa préparation passe par un dépassement partagé d'internet. Le papier, les guides, les livres, les revues sont des repères dans la jungle de l'infobésité en ligne : ce point est rapidement souligné par Philippe (25 - 24 ans, Marguerite Yourcenar) : « Je vais sur internet aussi. Mais le

fait d'avoir un guide c'est rassurant, et ça permet d'avoir des repères. Internet c'est plus pour la réservation de billets. »

Se rassurer, là où internet n'a pas su y faire, voilà un autre objectif commun à plusieurs usagers-voyageurs : c'est le cas pour Constance (44) et son projet de voyage solitaire en Asie : « le Japon, qui est quand même une destination sûre : il

y a plein de vidéos sur internet et j'ai deux amies qui y sont allées toutes seules, donc il n'y a pas de problème à ce niveau là. (...) En tout cas ce serait pour y aller, pour visiter, il faut se lancer, en choisissant des grandes villes. (...) J'ai envie de me débrouiller. (…) J'ai vu beaucoup de vidéos "le bon plan à voir", "le truc à éviter", et c'est rassurant, j'ai lu beaucoup d'avis aussi. Je sais que c'est tôt, mais c'est un moyen de se rassurer, et de s'imprégner. De toute façon quand tu pars toute seule tu es obligée, il faut emmagasiner le maximum d'informations ».

En effet, se rassurer et structurer sa préparation là où l'organisation est défectueuse, voilà un objectif partagé par Thomas (6 - 31 ans, BmL). Celui-ci nous a offert un long témoignage de sa démarche :

Je veux faire les choses par moi-même, sans que cela soit nécessairement très organisé. Là (à Part Dieu) je viens un peu faire mon... mon affaire tout seul (…) ; j'ai plusieurs envies de voyage et je ne suis pas vraiment organisé, donc c'était plus pour récupérer enfin collecter un corpus, affiner un petit peu mes envies en fonction de ce que je trouve. (…) Je suis vraiment dans une phase en amont, au tout début de ce projet, j'ai un peu peur de me lancer, c'est pour me donner des idées, de la motivation, et plutôt que d'aller acheter des bouquins sans savoir trop... Enfin l'intérêt de la bibliothèque, il est là aussi : pouvoir comparer et consulter différentes choses. Donc là, c'est un récit de voyage (que j'ai trouvé), je cherchais plus des choses pratiques sur le vélo, la préparation du matériel des choses comme ça, mais beaucoup de choses sont prêtées, c'est la période (...). Là, [la bibliothèque] c'est plutôt avant, je viens flâner, j'ai du temps (…). En venant à la bibliothèque chercher des choses, je prends aussi du temps pour être tranquille, être un peu seul aussi, et peut être aussi m'éloigner – je travaille dans l'informatique. Et sur internet, on trouve des choses, mais c'est plus long : la recherche est plus longue, peut être qu'on trouve des choses pertinentes en passant beaucoup de temps et en sachant chercher, mais sinon l'avantage de la bibliothèque c'est d'avoir une sélection, (…) que ça ne soit pas n'importe quoi que je ne trouverais pas soit sur internet soit dans une librairie (…). Après c'est aussi une question de motivation, il ne faut pas que je laisse aller la routine et le temps et que je ne sois plus concentré sur ce projet. C'est aussi ce moment là : j'ai un peu de temps aujourd'hui, je suis tranquille, je me repose des questions sur ce que j'ai envie de faire et du coup je viens à la bibliothèque pour mettre à profit la petite énergie que j'ai aujourd'hui pour ces projets, après dans la semaine c'est plus compliqué, donc il faut que je me fixe et que je revienne pour chercher des ouvrages.

Ainsi pour Thomas la bibliothèque apparaît comme un lieu de référence pour acter le début de la préparation du voyage, tout en passant un moment agréable et s'éloigner de l'ordinateur. La recherche et le recours aux livres viennent donner corps à ces besoins de solitude et d'isolement, ainsi qu'au projet de voyage. Or, à l'écoute de Thomas, on peut se demander si, finalement, la préparation d'un voyage, dans une démarche totale de recherche, n'est pas, nécessairement solitaire...

ZOOM 2 – ANTOINE (3 – 27 ans, BmL) :

ENTRE PROJET PERSONNEL ET PROJET COMMUN (COUPLE) Lorsque je rencontre Antoine, le 13 mai, à la BmL, il termine une longue recherche en rayons. Il va emprunter six ou sept guides, sur 5 destinations différentes, il m'explique alors son projet, que je crois être une expédition individuelle et singulière : « c'est un peu particulier parce que là, c'est la

première fois que je pars seul et en vélo, je le fais un peu à l'arrache, et ça me rassure quand même de prendre des guides (…), là j'essaie de faire mon itinéraire ; je vais suivre le Danube, ça me rassure de me dire que ça sera peut être mon fil rouge », mais ce qui se présentait comme un

parcours solitaire se change finalement en projet de couple : « je vais de

Lyon en Roumanie à vélo, parce qu'en juillet on fait un stage avec ma copine là-bas ». Je crois alors qu'ils partent tous les deux à vélo, alors

qu'en réalité lui pédalera jusqu'en Roumanie pendant qu'elle le rejoindra sur place en train ou en avion pour leur stage commun (4 semaines), ils voyageront ensemble au mois d'août avant de rentrer en France (3 semaines) « en mode train, stop et à pieds ». Or, alors même que l'expédition en vélo est bien prévue en solitaire, les modalités de description employées par Antoine pour parler de sa préparation se brouillent pour devenir communes : si, au début la préparation est décrite comme un projet personnel, elle devient commune au fil du discours. « Du

coup moi j'ai du temps, et cela faisait un moment que j'avais envie de me retrouver et de faire du vélo », « on est entrain de préparer là (…) le couchsurfing ? Oui pourquoi pas, on va regarder, (...) en fait on était à fond dans d'autres choses jusqu'ici et le week-end qui vient c'est pour se poser toutes ces questions ensemble, feuilleter, peut être reprendre d'autres guides ». À la fin de l'entretien Antoine quitte la bibliothèque, je

le vois partir à vélo accompagné de sa petite amie, qui l'a apparemment rejoint entre temps. Le changement des pronoms, constant durant l'entretien, montre qu'une préparation à plusieurs est possible, au moins dans les représentations des répondants. Dans le cas d'Antoine, elle se déroulera hors de la bibliothèque, mais peut-on parler de préparation d'un voyage ou d'une escapade, à plusieurs, dans la bibliothèque ?

3.3. Construire ensemble : créer le partage symbolique et/ou

pratique du voyage via le lieu « bibliothèque »

Venir en groupe à la bibliothèque est une pratique fréquente en particulier pour les familles (les parents amenant les enfants), mais aussi pour les adolescents et jeunes adultes qui légitiment ainsi leur venue et trouvent une motivation commune à la visite d'une institution culturelle. Or, nombre des usagers que j'ai pu rencontrer étaient en groupe : des couples, mais aussi des amis, qui se trouvaient réunis autour de la thématique du voyage. Pour autant, tous ne préparaient pas activement « ensemble » un même projet de voyage : certains, venus ensemble mais ne partageant aucun projet, se découvrent les uns les autres en position de « préparant » comme Aurore et Sarah (1) (« ah tu les empruntes pour les emmener

Charles et Hortense (35) qui se sont donné rendez-vous à la BTV mais qui ignorent tout de leurs pratiques respectives : « On s'est donné rendez-vous comme ça, parce

qu'on est de retour de voyage, et c'est à mi-chemin entre nos deux lieux. Moi je viens rendre un ouvrage, toi tu prépares un voyage. Elle : moi j'emprunte. Lui : on est amis, mais on ne fait pas nos voyages de la même manière, peut être pas, j'en sais rien » (35 - Charles). Les autres (25 personnes), en revanche, semblent relever

le défi d'une préparation commune à la bibliothèque, selon différentes modalités d'usage.