CHAPITRE 5 : Discussion 151
5.2 Qu’est-‐ce qu’une communauté de gènes ? 154
Dans le Chapitre 2 nous avons défini une communauté de gènes comme étant un réseau d’interactions chromosomiques centrées sur l’ARN Pol II établissant un lien entre au moins deux promoteurs de gènes différents. Nous montrons également que ces communautés sont majoritairement composées de gènes transcrits (86% des gènes) et exprimés à un niveau plus élevé que des gènes non organisés en communautés. De plus, ces structures se forment majoritairement à l’intérieur d’un TAD, même si 12% des communautés se créent entre des TADs différents. Enfin, les communautés de gènes font le lien entre différents types de régions régulatrices et impliquent majoritairement des interactions entre TSSs, mais également entre des TSSs et des régions transcrites ou enhancers. Par ailleurs, la position centrale de NIPBL et du complexe cohésine au sein des communautés de gènes suggère un rôle important de ces facteurs, essentiellement impliqués dans des interactions promoteur-promoteur, dans la régulation de ces structures. Toutefois, de nombreuses questions restent sans réponse :
- Comment se forment les communautés de gènes ?
- Quels sont les déterminants moléculaires de ces structures ?
- Quelles sont les règles gouvernant la communication entre les gènes ?
Bien que les mécanismes de régulation des communautés de gènes soient encore méconnus, nous pouvons proposer quelques pistes de réflexion. Dans un premier temps, NIPBL et cohésine pourraient participer à la formation et/ou au maintien de ces structures intra-TADs. Toutefois, malgré le fait que le complexe cohésine soit nécessaire à l’établissement et au maintien des boucles formant les TADs, l’effet de l’élimination de ce facteur sur le niveau d’expression des gènes est modeste640. Cela suggère alors la
nécessité d’autres facteurs, en plus du complexe cohésine, pour réguler les interactions intra-TAD entre des régions régulatrices de la transcription. Dans ce contexte, il est
intéressant de noter que 65% des sites de liaison de l’ARN Pol II sont impliqués dans des contacts chromatiniens et nombreux sont des sites de liaison se regroupant en communautés de gènes543. L’existence d’interactions chromosomiques entre plusieurs
gènes par l’intermédiaire de l’ARN Pol II suggère alors un rôle de cet enzyme en tant qu’organisateur de l’architecture nucléaire. En accord avec cela, il a été proposé que l’ARN Pol II permet de placer des gènes tissu-spécifiques à proximité de foyers CTCF organisant spatialement des gènes constitutifs afin de permettre une coordination de la transcription365. De plus, il a été proposé que la transcription contribue à la formation de
boucles chromatiniennes433. Par ailleurs, d’autres régulateurs comme des facteurs de
transcription pourraient être des intermédiaires de ces interactions. C’est le cas par exemple de ERα qui permet de rapprocher ses sites de liaison distaux des promoteurs qu’il régule par des interactions chromatiniennes, suggérant que ERα permet la mise en contact de ses gènes cibles afin de coordonner la régulation transcriptionnelle364. Enfin, des analyses du laboratoire intégrant la structure des communautés de gènes à l’ensemble des données de ChIP-Seq disponibles sur ENCODE pour la lignée cellulaire GM12878 a révélé que les facteurs POU2F2, RUNX3, PAX5, FOXM1, YY1, ZNF143 et ELF1 occupent des régions formant un grand nombre contacts, suggérant un rôle potentiel de ces facteurs dans la régulation de la formation des communautés de gènes. Il est intéressant de noter que pour deux de ces facteurs, YY1 et ZNF143, des évidences de leur implication dans la régulation de la structure chromatinienne tri-dimensionnelle existent déjà349,686. Ainsi de nombreux facteurs régulant à la fois la transcription et l’architecture de la chromatine pourraient contribuer à la formation ainsi qu’à la stabilisation des communautés de gènes.
Il est possible que le regroupement de gènes en communautés reflète simplement des interactions stochastiques imposées par la nécessité des gènes à être transcrits au niveau d’un nombre limité de sites. Cependant, il est également possible que le regroupement de gènes puisse avoir des conséquences fonctionnelles. Ainsi, une forte concentration de la machinerie transcriptionnelle pourrait permettre d’augmenter l’efficacité de la transcription. En accord avec cela, nous montrons dans le Chapitre 2 que les gènes organisés en communautés sont exprimés à un niveau plus élevé que les gènes qui ne le sont pas. De plus, une autre façon d’optimiser la transcription de certains gènes serait de regrouper des gènes régulés par les mêmes facteurs de transcription. D’ailleurs, le fait que les communautés de gènes rassemblent des gènes de fonctions apparentées545 suggère une
effectuée dans des cellules érythroïdes de souris révèle une association préférentielle des gènes régulés par le facteur de transcription KLF1 dans des usines transcriptionnelles contenant une grande quantité de ce facteur et colocalisant avec l’ARN Pol II engagée341.
De plus, une autre étude montre la formation d’usines transcriptionnelles régulées par NF- kB en réponse à une stimulation au TNF-α544. Toutefois, la mesure dans laquelle les
communautés de gènes se rapprochent des usines transcriptionnelles est difficile à déterminer puisqu’elles ne sont pas identifiées à la même échelle. En effet, les usines transcriptionnelles ont été essentiellement caractérisées par imagerie dans des cellules uniques alors que les communautés de gènes sont identifiées dans des populations de cellules et pourraient représenter une superposition de conformations dynamiques différentes.
En prenant l’ensemble de ces observations en compte, nous proposons que les communautés de gènes sont des unités transcriptionnelles centrées sur l’ARN Pol II, où un promoteur peut notamment réguler l’activité des autres promoteurs avec lesquels il interagit, qui permettent d’organiser l’architecture 3D de la chromatine à l’intérieur des TADs afin de regrouper des gènes actifs co-régulés. En accord avec cela, il a été montré que les contacts chromosomiques sont importants pour permettre la co-régulation transcriptionnelle de gènes organisés en communautés546. De plus, la perte de fonction d’un facteur de transcription ne régulant qu’un seul gène au sein d’une communauté peut affecter les interactions entre plusieurs gènes, même s’ils ne sont pas directement liés par ce facteur543, confirmant que les interactions chromatiniennes sont importantes pour la co-
régulation de l’expression des gènes. Ainsi, afin de comprendre la régulation d’un gène donné, il ne suffit plus de prendre en compte les interactions que le promoteur du gène met en place avec des enhancers, mais il faut également considérer l’ensemble des autres contacts chromatiniens qu’il établit, notamment avec les promoteurs d’autres gènes. À l’avenir, les techniques dérivées du système CRISPR-Cas9 permettant de manipuler l’activité transcriptionnelle des gènes687–689 offriront surement de nouvelles
possibilités pour l’étude des mécanismes de régulation de la transcription au sein des communautés de gènes. Ces méthodes permettront notamment de tester si la transcription active d’un gène donné est nécessaire à la mise en place de certaines interactions chromosomiques.