CHAPITRE 1 : Introduction 1
1.3 Organisation tridimensionnelle de la chromatine 48
1.3.3 Lien entre l’organisation 3D du génome et l’activité transcriptionnelle 69
1.3.3.3 La mutation de protéines architecturales ou la perturbation de leur liaison à
Le maintien d’une organisation spatiale du génome adéquate est requis pour l’établissement d’un niveau d’expression approprié des gènes. Par exemple, lorsque les domaines topologiquement associés (TADs) sont affectés, des interactions ectopiques entre des éléments régulateurs se produisent, menant ainsi à une perturbation de l’expression génique. D’une part, cela a été démontré dans plusieurs études manipulant génétiquement certaines frontières de TAD. C’est ainsi qu’il a été décrit que la délétion d’une région incluant une frontière de TAD dans des cellules souches embryonnaires de souris induit une augmentation significative des interactions inter-domaines entre des TADs adjacents et s’accompagne d’une dérégulation de l’expression des gènes347. De
plus, la perte de sites de liaison de CTCF ou l’inversion de ces séquences altère l’architecture chromatinienne locale tout comme l’expression des gènes avoisinants413,548,549. D’autre part, des mutations se produisant naturellement, comme au niveau de sites de liaison de CTCF et du complexe cohésine, peuvent également altérer des frontières de TAD et mener, dans certains cas, à l’activation de proto-oncogènes550–
553. Il est important de noter qu’en plus de son association avec des cancers, la perte de
l’intégrité des TADs a également été impliquée dans des pathologies congénitales554–556.
En particulier, des travaux ont montré que des réarrangements chromosomiques (délétions, inversions, duplications) menant à des malformations des membres chez l’Homme affectaient l’organisation spatiale de TADs contenant des gènes importants pour la régulation de la formation des membres556.
Le régulateur clé du repliement du génome, le facteur CTCF, est lui-même retrouvé muté dans diverses pathologies. Il a notamment été décrit comme un suppresseur de tumeur dont la perte d’un seul allèle favorise la formation ainsi que la progression tumorales557.
Par ailleurs, CTCF a également été associé à un trouble développemental nommé MRD21 pour autosomal dominant mental retardation 21. En effet, des mutations de CTCF ont été retrouvées dans des individus présentant, entre autres, un handicap mental, une microcéphalie ainsi qu’un retard de croissance558,559. Une analyse du transcriptome de ces
individus a révélé une dérégulation de l’expression des gènes, avec un enrichissement pour des gènes impliqués dans la transduction du signal558.
Le complexe cohésine ainsi que ses régulateurs sont également impliqués dans de nombreuses pathologies. D’une part, des mutations somatiques du complexe cohésine
mutations dans les sous-unités SA/STAG2, RAD21, SMC1 et SMC3 ont été identifiées dans différents types de leucémies560,561. De plus, des mutations de la sous-unité
SA/STAG2 ont été associées au cancer de la vessie562,563 et une augmentation du niveau
protéique de la sous-unité RAD21 a été associée à un mauvais pronostic dans plusieurs sous-types de cancers du sein564. Les mécanismes impliquant des mutations de
différentes sous-unités du complexe cohésine dans divers cancers restent encore mal compris. Une altération de la cohésine pourrait notamment mener à une instabilité génomique causée par une mauvaise réparation de l’ADN et une ségrégation inefficace des chromosomes. Cependant, il a été montré que des cancers ayant des mutations du complexe ne présentent pas nécessairement des caryotypes aberrants560,565 et il est
maintenant reconnu que ces mutations se produisent souvent de manière précoce dans le développement du cancer, avant l’apparition de l’instabilité génomique417. D’autre part, des
mutations germinales de régulateurs ou de sous-unités du complexe cohésine sont retrouvées dans des troubles du développement regroupés sous le nom de cohésinopathies. Les deux cohésinopathies les mieux décrites sont les syndromes de Roberts (RBS, pour Roberts syndrome) et de Cornelia de Lange (CdLS, pour Cornelia de Lange syndrome). Le RBS est une pathologie autosomale récessive causée par des mutations du gène ESCO2566codant pour une acetyltransférase de la cohésine nécessaire
à l’établissement de la cohésion en phase S. Le syndrome de Roberts partage certains phénotypes avec le CdLS, les patients manifestant des anomalies cranofaciales, une réduction des membres ainsi qu’un retard de croissance567. Les cellules dérivées de patients atteints du RBS présentent notamment des défauts de ségrégation des chromosomes, une séparation prématurée des centromères, une aneuploïdie, une prolifération cellulaire diminuée et une apoptose augmentée566,568–570. Il est généralement
considéré que le RBS est causé par des défauts de régulation de la mitose et de l’apoptose571.
Le syndrome de Cornelia de Lange quant à lui est causé par des mutations dominantes dans des gènes codant pour des sous-unités (SMC1A, SMC3 et RAD21) ou des régulateurs (NIPBL et HDAC8) de la cohésine487,488,572–574. Le CdLS est caractérisé par un
retard mental, un dimorphisme facial, des anomalies des membres supérieurs ainsi qu’un retard de croissance, associés à des anomalies musculo-squelettiques, cardiaques et gastro-intestinales417. Ce syndrome, dont la prévalence est de 1 naissance sur 10
000487,575, est causé par des mutations perte de fonction hétérozygotes dans le gène
autres gènes causals sont retrouvés mutés chez 11% des patients449,576. Bien que les
causes génétiques du CdLS soient bien définies, les mécanismes moléculaires sous- jacents restent à élucider. Il est intéressant de noter que les lignées cellulaires dérivées de patients atteints du CdLS ne présentent pas de défauts évidents de cohésion577,578, mais une sensibilité augmentée aux dommages à l’ADN579,580. Cependant, les patients atteints
du CdLS ne possèdent pas un risque augmenté de développer un cancer581. En revanche, que ce soit dans des cellules dérivées de patients ou dans des modèles animaux de la pathologie, une dérégulation de l’expression des gènes a été observée582–584. Il est alors
généralement admis que le CdLS est causé par un défaut de l’expression des gènes au cours du développement embryonnaire567. À titre d’exemple, les gènes de
protocadhérines, un cluster de gènes conférant l’identité neuronale, ont notamment été retrouvés dérégulés dans un modèle de souris knock-out hétérozygote pour NIPBL585. Des
études subséquentes ont révélé que des boucles chromatiniennes régulées par le complexe cohésine sont impliquées dans le choix de promoteur des gènes de protocadhérines413,464,586, indiquant comment des insuffisances de cohésine pourraient affecter le cerveau en développement. En effet, la perte de fonction de NIPBL induit une réduction globale de la liaison de la cohésine à l’ADN582,587. L’ensemble de ces
observations soulève alors l’hypothèse de l’existence d’un lien entre la dérégulation de l’expression des gènes observée dans le CdLS et le repliement du génome dans le noyau.