CHAPITRE 1 : Introduction 1
1.3 Organisation tridimensionnelle de la chromatine 48
1.3.1 Niveaux supérieurs de l’organisation chromatinienne 48
1.3.1.2 Étude de l’organisation tridimensionnelle du génome 52
L’étude de l’organisation spatiale du génome dans le noyau repose sur une combinaison d’approches complémentaires, mais non exhaustives. D’une part, les méthodes basées sur la microscopie nous informent sur le positionnement relatif d’un nombre limité de régions génomiques dans des cellules individuelles. D’autre part, les techniques basées sur la capture de la conformation des chromosomes (3C, pour chromosome conformation capture) nous renseignent sur l’organisation tridimensionnelle (3D) de la chromatine à l’échelle du génome au sein d’une population de cellules. Ainsi, leurs résultats pourraient représenter une surimposition de conformations de génomes individuels plutôt qu’une structure stable.
L’architecture nucléaire a principalement été étudiée grâce à des techniques d’imagerie sur cellules fixées se basant sur l’hybridation in situ en fluorescence (FISH, pour fluorescent in situ hybridization) qui permet de visualiser un nombre restreint de loci grâce à des sondes ciblant l’ADN de manière spécifique. Les progrès dans le développement d’oligonucléotides sur mesure comme l’Oligopaint356,357 et des approches novatrices de
microscopie à super-résolution ont permis la visualisation directe de structures génomiques à une résolution sans précédent. À titre d’exemple, une méthode d’imagerie à haut débit appelée HIPMap (high-throughput imaging position mapping) a été utilisée pour identifier de nouveaux facteurs affectant le positionnement radial de différents types de régions génomiques dans le noyau358. Par ailleurs, une autre application de la microscopie consiste à marquer des régions du génome en exprimant des protéines se liant à des séquences spécifiques de l’ADN fusionnées à des dérivés de la GFP (green fluorescent protein)359,360. L’ensemble de ces approches permet de mieux caractériser la dynamique
de régions chromosomiques, mais ne permet pas d’élucider la structure précise d’un locus donné.
L’émergence de la technique de capture de la conformation des chromosomes, le 3C, permettant de détecter la proximité spatiale de deux fragments de chromatine, au début des années 2000361 marque le début d’une nouvelle ère dans la caractérisation des interactions chromatiniennes. Le développement subséquent de dérivés et de variantes de cette méthode a permis d’importantes avancées dans la compréhension de l’organisation du génome.
Figure 1.18: Les techniques d’étude de la conformation des chromosomes.362,363
Plusieurs techniques ont été dérivées de la capture de la conformation des chromosomes (3C). Le principe du 3C, 4C, 5C, Hi-C et ChIA-PET sont schématisés.
Pour la plupart des techniques basées sur le 3C (Figure 1.18), la première étape implique une fixation des cellules au formaldéhyde afin de préserver les interactions entre l’ADN et les complexes protéiques. Par la suite, la chromatine est fragmentée par digestion
enzymatique dans la majorité des cas, ou par sonication dans le cas d’une variante du 3C, le ChIA-PET (chromatin interaction analysis by paired-end tag sequencing)364. Dans le
contexte de ce dernier (Figure 1.18), l’étape suivante consiste en un enrichissement pour une protéine d’intérêt par immunoprécipitation. Les extrémités des fragments chromatiniens ainsi enrichis sont soumises à une ligation de proximité par l’intermédiaire d’adaptateurs biotinylés et, suite à l’inversion de la fixation et à la fragmentation des brins d’ADN, des adaptateurs de séquençage sont ajoutés. L’enrichissement des fragments (ou PETs, pour paired-end tags) contenant les adaptateurs biotinylés est suivi d’un séquençage à haut débit365. Ainsi, l’alignement des séquences obtenues au génome de
référence permet d’identifier les interactions génomiques établies via une protéine d’intérêt. La première publication d’une expérience de ChIA-PET ciblait le récepteur aux œstrogènes et a permis d’établir le réseau d’interactions chromatiniennes impliquant ce facteur dans le génome humain364.
Dans le cas des protocoles standards basés sur le 3C (Figure 1.18), la digestion par des enzymes de restriction comme HindIII ou DpnII est suivie d’une ligation de proximité des extrémités d’ADN adjacentes, de l’inversion de la fixation et de la détection des produits de ligation entre deux régions, et donc de l’identification de leur proximité spatiale, par diverses approches. Dans la méthode classique du 3C, l’interaction entre deux loci est testée par qPCR (quantitative polymerase chain reaction), une paire de loci à la fois. Initialement utilisée pour étudier l’organisation chromosomique chez la levure361, cette
méthode a permis de démontrer, pour la première fois, l’existence de boucles de chromatine permettant de rapprocher des éléments régulateurs distaux de leurs promoteurs cibles chez les mammifères366. Dans le protocole du 4C (chromosome conformation capture-on-chip), une deuxième série de digestion et de ligation, permettant d’augmenter la résolution, est suivie par une PCR inverse utilisant des amorces s’hybridant sur un locus donné afin de détecter les interactions chromatiniennes entre le locus d’intérêt et le reste du génome. La banque de produits de PCR ainsi obtenue peut être hybridée sur une puce à ADN ou séquencée à haut débit367,368. Le 4C a permis de
caractériser des interactions fonctionnelles au niveau des gènes du locus de la β-globine, de loci soumis à l’empreinte parentale et de gènes co-régulés par les mêmes facteurs de transcription367,369,370. Dans le cas de la méthode 5C (carbon copy chromosome conformation capture), des amorces chevauchant des extrémités de fragments de restriction sont liguées uniquement lorsque les deux extrémités sont directement adjacentes. Ces produits de ligation sont ensuite amplifiés à l’aide d’amorces universelles
et séquencées. Le 5C permet ainsi de déterminer un grand nombre d’interactions au sein de larges régions génomiques371,372. L’analyse par 5C des interactions impliquant des
TSSs et des éléments distaux couvrant 1% du génome humain a permis de cartographier plus de 1000 interactions distales dans chaque type cellulaire étudié. Ces travaux ont notamment montré que les éléments régulateurs distaux établissent rarement des contacts avec le gène le plus proche (environ 7% des cas)373. Chez la souris, le 5C a révélé pour la première fois l’organisation du centre d’inactivation du chromosome X en TADs347. Enfin, dans la méthode de Hi-C (high throughput 3C), les extrémités des
fragments de restriction sont marquées à la biotine, puis les produits de ligation sont enrichis à l’aide de billes de streptavidine, fragmentés par sonication et séquencées à haut débit. Cela permet ainsi de détecter toutes les interactions qui ont lieu à l’échelle du génome de manière non biaisée. La première étude ayant utilisé le Hi-C a permis de confirmer la présence de territoires chromosomiques et a identifié, pour la première fois, l’existence de compartiments au sein du génome350.
Malgré la capacité des approches basées sur le 3C à examiner les caractéristiques des interactions chromatiniennes dans des populations de cellules, les propriétés des structures ainsi identifiées sont encore mal comprises à l’échelle d’une seule cellule. À ce jour, un nombre limité d’études a examiné l’hétérogénéité de l’organisation tridimensionnelle du génome en appliquant la technique de Hi-C à des cellules individuelles374,375;; et cela dans des types cellulaires différents, au cours du cycle cellulaire ainsi qu’au cours de la transition oocyte à zygote376–379. Bien que l’ensemble de ces travaux s’accorde sur le fait qu’il existe une forte hétérogénéité du repliement du génome à l’échelle de cellules uniques, leurs conclusions ne sont pas tout à fait identiques. L’étude pionnière de l’équipe de Peter Fraser, réalisée dans des lymphocytes T, suggère que l’organisation des contacts chromatiniens au sein des TADs est conservée, mais que les interactions entre ces domaines chromosomiques sont différents d’une cellule à une autre, indiquant l’existence d’une grande variabilité dans la façon dont un chromosome peut se replier376. Très récemment, une nouvelle étude combinant de l’imagerie à du HiC en cellule unique, dans des cellules souches embryonnaires de souris, a proposé que la conformation d’un TAD varie fortement d’une cellule à une autre et qu’un TAD donné peut adopter un large répertoire de configurations spatiales plus ou moins condensées au sein d’une population de cellules377. Ces observations remettent en question la vision simpliste
L’étude de l’environnement hautement interconnecté du noyau et de son lien avec la régulation de l’expression des gènes est en plein essor. De nouvelles techniques dérivées de la capture de la conformation des chromosomes continuent à être mises au point380,381
notamment afin d’augmenter la résolution ainsi que la reproductibilité de ces méthodes, tout en réduisant les coûts de séquençage pour les rendre accessibles à un plus grand nombre de laboratoires. Par ailleurs, la combinaison d’approches basées sur l’analyse d’une seule cellule comme de l’imagerie de loci en temps réel comparée à du Hi-C combiné à l’analyse du transcriptome de la même cellule par séquençage à haut débit des ARNs (RNA-Seq) permettra de mieux comprendre, et éventuellement de revoir, les règles régissant l’organisation 3D du génome382.